Il était une fois... les larmes d'une maman
Mercredi soir, j'étais couchée dans mon lit. Je me sentais vide. Je venais de passer deux semaines infernales : mon fils malade, ma fille qui avait pris la relève et pour finir en beauté, ils m'avaient tout refilé. Mal de gorge, mal de tête, fièvre, rhume... bref, la totale ! Ça avait été compliqué de m'occuper d'eux alors que je travaillais toute la journée, mais en plus, le médecin m'avait mis en maladie pendant deux jours. J'avais donc pris du retard dans mon travail et alors que mes enfants étaient tranquillement en colonie de vacances, je continuais de subir les répercussions de ces deux semaines de malheur... en faisant des heures supplémentaires. En plus la clim était tombée en panne dans les bureaux, ce qui voulait dire qu'on étouffait tant il faisait chaud. On avait déjà eu deux malaises depuis le début de semaine !
Je soupirai. Que la vie pouvait être injuste !
Sans savoir pourquoi, l'image de mon mari vint s'imposer devant mes paupières closes. Pourquoi pensais-je à lui à ce moment-là ? Je n'en savais rien, mais le fait était que je pensais à lui, même avec une pointe de... nostalgie ? Oh David... est-ce que tout me semblerait aussi compliqué si tu étais à côté de moi ?
Je me frottais vigoureusement le visage. Qu'est-ce qui me prenait de me poser genre de questions ? C'était du délire ! J'étais passée au dessus de ça depuis bien longtemps ! Du moins, je le pensais... Et puis bon sang, ce qu'il faisait chaud ici ! Je gigotais dans mon lit, agacée. Puis je laissai mes bras et mes jambes retomber dans un soupir. Je devais être bien fatiguée pour avoir des idées pareilles, il fallait que je dorme.
***
Le lendemain au bureau, j'étais en train de vérifier un dossier sur mon ordinateur, toujours d'humeur maussade. J'avais branché un petit ventilateur dans mon bureau, mais ça ne faisait que brasser de l'air chaud et le bruit me donnait mal à la tête. Soudain, Maxime fit irruption dans la pièce. Je me tournai et vit qu'il était pâle.
« Qu'est-ce que tu as Maxime ? Viens t'asseoir, tu es pâle !
- Je... ne me sens... pas très bien. Vertige... noir... devant les yeux... j'entends plus... beaucoup... »
Oh non, lui aussi était en train de me faire un malaise. Je pris ma bouteille d'eau et lui donnai à boire.
« Reste avec moi, Maxime ! »
Puis je me postai à la porte de mon bureau et appelai à l'aide. Plusieurs collègues arrivèrent tandis que d'autres courraient chercher Mme Trodel à l'infirmerie. Une collègue qui arriva dans mon bureau eut le réflexe de coucher Maxime qui était toujours au bord du malaise. Puis elle lui enleva les chaussures et lui leva les jambes contre le mur. Pendant ce temps, moi et un autre collègue essayâmes de lui déboutonner sa chemise pour qu'il puisse mieux respirer.
Soudain, notre cheffe arriva elle aussi. Elle demanda le calme et intima à mes collègues de retourner travailler. Elle s'approcha de Maxime qui avait repris quelques couleurs entre-temps mais semblait toujours un peu ailleurs. Elle lui demanda comment il se sentait. Il lui répondit que le monde tournait encore autour de lui mais que ça allait mieux. Le regard de ma cheffe se posa sur moi et elle me demanda sur un ton quelque peu agressif :
« Pourquoi n'allez-vous pas chercher l'infirmière ?
- Quelqu'un est déjà parti la prévenir.
- Ah. Très bien, excusez-moi, alors. »
Oui, oui, c'est ça...
À ce moment-là, Mme Trodel arriva justement. Elle posa quelques questions à Maxime et décida de l'emmener à l'infirmerie jusqu'à ce qu'il se remette. Elle le fit se lever et j'accourus immédiatement pour l'aider à soutenir mon collègue. Mais ma supérieure me bloqua le passage et aida elle-même l'infirmière. Je m'exclamai :
« Mais non, laissez, je vais aider Mme Trodel !
- Vous, faites votre travail, c'est tout ce que je vous demande.
- Mais...
- Qu'est-ce que je viens de vous dire ! Je ne crois pas que vous soyez en mesure de perdre plus de temps.
- Qu'insinuez-vous par là ?
- À vous de voir, mais je vous rappelle seulement que vous étiez en congé maladie pendant deux jours la semaine dernière.
- Sauf votre respect, ce n'était pas de ma faute si je suis tombée malade.
- Eh bien sauf votre respect, le fait est que vous étiez malade et que, même si ce n'est pas de votre faute, ce n'est pas de la mienne non plus ! Pourtant, qui est-ce qui n'aura pas ses dossiers fin du mois et qui sera donc bien emmerdée ? Hum ? C'est moi ! Alors maintenant, arrêtez de tergiverser et mettez-vous au boulot illico presto ! »
Mme Trodel, sentant la moutarde monter nous interrompit :
« Mesdames, mesdames, voyons ! Arrêtez-vous là, ce n'est pas digne de vous ! Et puis nous avons un malade qui attend ! »
Alors ma supérieure s'en alla avec l'infirmière et Maxime. Une fois qu'ils furent partis de mon bureau, je me laissai tomber sur ma chaise à roulettes. Ma cheffe devait aussi être dans un mauvais jour. Mais bon, ça n'était pas une raison pour me manquer de respect comme elle l'avait fait ! Je me massai les tempes en soupirant. Elle était de mauvais poil ? Ça tombait bien car moi aussi ! Mais bon, ça, tout le monde s'en fichait. Alors je me remis au travail car ça ne servait à rien de perdre plus de temps, comme elle le disait si bien.
***
À 19h, je rentrai enfin chez moi. Enlever mes chaussures fut pour moi comme une libération ! Je m'affalai sur le canapé et entassai des coussins pour pouvoir un peu surélever mes jambes enflées. Je feuilletais quelques publicités reçues dans la boîte aux lettres lorsque j'entendis mon portable vibrer sur la table basse. Je le pris en mains et vis un message de Martin. Tiens, ça faisait longtemps !
Martin : Salut Catherine, ça faisait longtemps ! Comment vas-tu ?
Son message me fit sourire. Visiblement, nous étions sur la même longueur d'onde ! Je lui répondis sur le champ.
Moi : Bonsoir Martin, c'est aussi ce que je me disais ! Ça va chaudement, très chaudement...
Martin : C'est vrai que la canicule est étouffante ! J'espère que vous buvez assez et que vous limitez les efforts physiques, d'autant plus à votre âge. ;-P
Moi : Hé ! Méchant garçon, je ne suis pas si vieille que ça !
Martin : Hahaha, excuse-moi, c'était trop tentant ! Ne t'inquiète pas, je sais que tu es encore dans la fleur de l'âge. Sinon, je suis actuellement dans le magasin de vêtements pas loin de chez toi, est-ce que je peux passer ?
D'un côté, j'aurais préféré rester seule ce soir. J'étais fatiguée physiquement comme mentalement. Mais d'un autre côté, Martin était tellement mignon et d'agréable compagnie... en fait, j'avais bien envie de le voir.
Moi : Tu peux même rester manger, si tu veux.
Martin : C'est super gentil mais je ne veux pas abuser...
Moi : Ne t'inquiète pas, puisque je t'invite ! Mes enfants sont partis depuis bientôt une semaine, un peu de compagnie ne me fera pas de mal.
Martin : Si tu insistes, alors c'est d'accord ! :)
Moi : Génial ! À tout de suite, alors !
Martin : Oui, je ne devrais plus en avoir pour longtemps.
Nous coupâmes ici la communication et je me levai pour préparer une salade de riz bien fraîche.
Une quinzaine de minutes plus tard, Martin arriva. J'allai lui ouvrir et lui fis la bise. Il me montra les deux pots de glace vanille et framboise qu'il avait achetés et je le remerciai chaleureusement en le conduisant vers le réfrigérateur. Puis nous allâmes sur la terrasse où j'avais préparé l'apéro.
***
Je passais un merveilleux moment en compagnie de Martin. Ce garçon était vraiment sympa. Après le dîner, il faisait déjà nuit et nous nous faisions attaquer par toutes sortes de bestioles, donc sûrement quelques moustiques à la recherche de sang. On décida alors de prendre le dessert à l'intérieur. Nous nous installâmes sur le canapé avec nos bols de glace et j'allumai la télévision. On tomba sur un film-documentaire qui avait l'air passionnant, donc nous décidâmes de rester sur cette chaîne.
Le film racontait l'épopée d'un groupe de femmes fuyant la guerre, certaines avec leurs enfants. L'histoire était poignante, j'étais captivée. Après une explosion, ces femmes furent recueillies par des sortes de secouristes bénévoles. Le bébé d'une des femmes avait été blessé durant l'explosion. La femme semblait désespérée et était prête à tout donner pour sauver la vie de son enfant. Mais le secouriste qui oscultait le nourrisson secoua la tête avec un air navré, signifiant qu'il ne pouvait plus rien faire pour l'aider. La femme éclata en sanglots, toucha son bébé, le câlina, lui cria de se réveiller, le secoua un peu. Mais rien à faire, le bébé était mort.
Je ne pus m'empêcher de penser à mes propres enfants. J'avais tellement de chance : pas de guerre, pas d'explosions, même si Laurine et Damien étaient partis, ils reviendraient. Pas comme le petit enfant dans ce film. Pourtant, même si je savais qu'ils reviendraient avant même d'avoir pu dire « ouf ! », ils me manquaient terriblement. La maison paraissait si grande et vide, sans eux. Même si lorsqu'ils étaient à la maison, je ne les voyait pas forcément tout le temps, je savais qu'ils étaient là, en sécurité et avec moi. Je ne savais pas pourquoi, mais je me sentais si seule sans eux...
Perdue dans mes pensées, je remarquai à peine mes joues baignées de larmes. C'est Martin qui m'interpela en me demandant si tout allait bien. J'essuyai mes joues et répondis :
« Oui, oui... ça va. C'est juste cette mère qui a perdu son enfant. Je trouve ça plus qu'horrible. Les larmes d'une maman ont toujours raison de moi, haha ! »
Je tentais de me calmer, mais voyant que je n'y arrivais pas, je m'éclipsai dans la salle de bain. Plus j'essayais de me calmer et plus les sanglots dans ma gorge grandissaient. Je ne savais même plus pourquoi je pleurais. C'était comme si tout le stress, la fatigue, la mélancolie et la frustration de ces deux semaines et demie avaient décidé de sortir tous en même temps. Les larmes coulaient sur mes joues comme elles ne l'avaient pas fait depuis longtemps et je n'arrivais pas à fermer les robinets.
Après quelques minutes, j'entendis Martin demander à travers la porte :
« Catherine, tu es sûre que ça va ?
- Non... non, finalement, ça va pas... »
Inquiet, Martin ouvrit la porte de la salle de bain à la volée et me tira vers le canapé du salon. Il éteignit la télé et me frotta le dos en me demandant ce qui n'allait pas. J'avais du mal à parler entre mes sanglots, mais j'essayais de lui expliquer, de lui raconter. Les deux semaines infernales, la fatigue, le stress, mes pensées pour mon ex-mari, le malaise de Maxime, ma dispute avec ma supérieure et enfin ma solitude sans mes enfants.
Pendant mon récit, le jeune homme n'avait pas cessé de me frotter doucement le dos et lorsque j'eus fini de lui raconter mes malheurs, il m'attira dans ses bras et me serra fort contre lui. J'étais surprise mais ne réagis pas, trop occupée à sangloter. Je ne le regrettai pas, cela me fit énormément de bien d'avoir une épaule sur laquelle pleurer. Et puis ce câlin était différent de ceux de mes enfants. C'était un homme qui me prenait sans ses bras, c'était une autre sensation. Ce n'était pas non plus comme lorsque Maxime me tombait dans les bras en pleurs pendant sa période de déprime. Là, c'était moi qui était soutenue, c'était à moi qu'on caressait le dos en chuchotant des mots réconfortants. Et que c'était agréable pour une fois !
Après une demi-dizaine de minutes, je me calmai enfin. Martin me sépara de lui et me prit par les épaules en disant :
« Allez, sèche tes larmes ou je vais bientôt me mettre à pleurer, moi aussi ! »
Effectivement, ses yeux étaient mouillés et lorsqu'il cligna des paupières, une larme coula sur sa joue. Je la recueillis sur mon doigt et le jeune homme s'essuya les yeux en s'exclamant :
« Ben oui, moi aussi, les larmes d'une maman me font toujours craquer ! Et j'en ai eu la dose, là ! »
Je rigolai et il rigola avec moi. Je me levai et revins avec la boîte de mouchoirs extra-doux. Normalement, ils servaient aux peines de cœur de Laurine, mais après tout, ils étaient adaptés à tous les types de gros chagrins ! Nous nous essuyâmes les yeux et je me mouchai. Une fois à nouveau dans un état à peu près présentable, nous nous rassîmes sur le canapé. Nous nous regardâmes dans le blanc des yeux pendant quelques secondes avant d'à nouveau éclater de rire, gênés. Je demandai :
« Qu'est-ce que c'était que ça ?
- Je dirais que tu en avais gros sur le cœur et que le film a simplement déclenché l'avalanche, si je puis dire.
- Et ensuite, tu as suivi le mouvement !
- Tu sais, quand tu vois une femme qui a constamment l'air de pouvoir déplacer des montagnes, effondrée dans tes bras, c'est difficile de rester de marbre !
- C'est l'image que tu as de moi ?
- Oui, bien sûr. Depuis le début, je t'admire beaucoup. Tu as toujours l'air d'être sur tous les fronts, boulot, famille, amis... Pourtant, tu aurais beaucoup de raisons pour avoir laissé tomber, mais non, malgré ton parcours, tu te bats au quotidien pour tes enfants. J'aimerais pouvoir dire que j'ai la moitié de ta force ! »
C'était tellement mignon ! J'embrassai Martin sur la joue et lui répondis :
« C'est tellement mignon et gentil, ce que tu viens de me dire et je suis honorée de te renvoyer cette image. Mais ce n'est pas tout à fait vrai, j'ai mes faiblesses aussi, comme tout le monde. Je n'ai simplement pas souvent le temps de me laisser aller.
- Mais justement ! Le fait que tu aies tes faiblesses te rend d'autant plus humaine et plus merveilleuse, Catherine ! »
Je n'avais aucune idée de pourquoi il me disait tout ça, sûrement pour me réconforter, mais il avait l'air profondément sincère. À ce moment-là, je me dis que je voulais qu'il garde cette image de moi pour toujours...
***
Le soir, seule dans mon lit, je repensais à cette soirée. Est-ce que notre relation changerait après ça ? Sûrement. Pour le meilleur ou pour le pire, ça restait à voir. D'un côté, nous avions créé un lien fort de confiance et de soutien, et ça ne pouvait qu'être bénéfique à notre amitié. J'avais pleuré devant lui, je lui avais montré ma faiblesse, ce qui demandait d'avoir confiance en l'autre, et lui m'avait consolée et soutenue. Mais d'un autre côté, la situation était quand même un peu gênante et j'espérais qu'on ne resterait pas sur ce malaise. Mais bon, Martin n'avait pas eu l'air spécialement gêné, donc j'avais un bon pressentiment pour la suite. Ce soir-là, je m'endormis avec le sourire aux lèvres et l'âme en paix, ce qui était bien agréable !
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