Il était une fois... le commando rattrapage
« Mais combien de fois faudra-t-il que je te le répète : la litote, c'est dire ce que tu penses en niant le contraire, alors qu'avec l'antiphrase, tu dis le contraire de ce que tu penses mais de sorte à ce qu'on comprenne que c'est ironique !
- Mais c'est du charabia, ce que tu racontes ! »
Je poussai un grognement en laissant tomber ma tête sur la table. Ça faisait maintenant deux heures que je travaillais les figures de style avec Damien. Et bon sang, si j'avais su ce qui m'attendait, je m'y serais prise plus tôt que juste deux semaines avant les épreuves du brevet ! Je relevai la tête. Allez, ma vieille, faut y croire !
« Je vais te redonner un exemple. Si tu dis : "Je ne trouve pas ta nouvelle coupe de cheveux à mon goût." Ça veut clairement dire que tu la trouve moche, la nouvelle coupe. Eh bien c'est une litote, parce que tu dis que tu la trouves moche en niant le fait qu'elle soit à ton goût. Si par contre tu dis : "J'A-DO-RE ta nouvelle coupe de cheveux !" Tu sens bien que c'est ironique, non ? Dans ce cas-là, c'est alors une antiphrase. Tu comprends ?
- Hum, oui, je crois... »
Mouais, je n'étais pas tout à fait convaincue... Mon fils tourna les yeux vers son manuel et prit quelques secondes de réflexion avant de me montrer une phrase.
« Ça, du coup, c'est une litote ?
- Hum... non, c'est un euphémisme, c'est autre chose. »
Je soupirai en me massant les tempes. Mon fils regarda à nouveau la phrase et demanda, perplexe :
« Ah bon ? Mais pourquoi ?
- Parce que dans la phrase : "Mets ta grosse veste, il fait un peu froid dehors.", on ne nie pas le contraire, on atténue seulement. Une litote, ça serait : "Mets ta grosse veste, il ne fait pas chaud dehors." Une antiphrase, quant à elle, ça donnerait : "Mets ta grosse veste, il fait SUPER chaud dehors." Et puis une hyperbole : "Mets ta grosse veste, on meurt de froid dehors."
- Mais pourquoi tant de manières pour dire la même chose ?
- Ben... pour nous laisser le choix de nous exprimer comme on veut. Bref, là n'est pas la question, le but, c'est de les apprendre et de les comprendre. »
À ce moment-là, Laurine déboula dans le salon où nous étions et demanda :
« Maman, c'est quand qu'on mange ?
- Quand ton frère aura compris la différence entre litote, euphémisme et antiphrase.
- Mais j'ai faaaaiiim !
- Pff, vous en avez pas marre d'avoir faim, espèces d'estomacs sur pattes ! »
Ma fille leva les yeux au ciel et Damien prit un air offusqué voulant dire « Mais j'ai rien dit, moi ! ».
Je fermai alors le manuel de français de Damien puis me levai en annonçant :
« Dans ce cas, on verra la suite plus tard, Damien. L'appel du ventre est plus fort que tout ! »
Et j'allai préparer à manger.
***
Je bâillai pour la quinzième fois depuis le début du repas. La veille au soir, après le dîner, j'avais encore travaillé les figures de style jusque tard dans la nuit avec mon fils et le manque de sommeil commençait à se faire sentir. Mais heureusement, j'avais l'impression qu'il avait plus ou moins compris la première moitié des figures. Il nous restait juste encore l'autre moitié.
Maxime s'exclama soudain :
« Ben alors, tu as mauvaise mine ma pauvre Catherine ! Tu n'as pas bien dormi ?
- Non, en fait je me suis couchée tard parce que j'aidais mon fils dans ses révisions... »
Mon collègue semblait avoir remarqué ma fatigue... est-ce que je ressemblais tellement à un zombie ?
J'entrepris donc de lui raconter cette histoire de figures de style pendant que je mangeais ma salade de pâtes. À la fin de mes explications, Sandra, ma collègue un peu fofolle, qui était assise à la table d'à côté, prit part à la discussion :
« Je ne voudrais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais j'ai entendu votre discussion. Tu sais, à la base, j'ai un bac +5 en littérature, donc je me débrouille dans la matière. Si tu veux, je peux passer chez toi ce week-end pour aider ton gosse, ça te permettra de souffler un peu.
- Oh, ça serait très gentil, mais tu es sûre que ça ne te dérange pas ?
- Non, non, ça va ! Et puis comme ça, je pourrai m'envoyer moi-même par mail cette fameuse recette de gâteau chocolat-courgette, hein ? »
Nous rigolâmes et Maxime ajouta :
« Moi aussi, je me débrouille en littérature, d'ailleurs, je voulais devenir prof de français quand j'étais plus jeune... Bref, tout ça pour dire que ça ne me dérangerait pas non plus de venir squatter chez toi samedi !
- Hum... toi, je sais pas si je t'accepte chez moi... je plaisante, tu es le bienvenu aussi ! Vous pouvez venir samedi, vers 10h, et rester manger.
- OK, ça me va ! Et toi, Sandra ? »
Notre collègue leva les yeux de son téléphone portable où elle s'était plongée quelques secondes plus tôt puis répondit en souriant :
« Ça tombe juste bien, je viens de recevoir un message de ma chérie, elle est en déplacement pour le week-end ! »
De sa chérie ? Sandra était-elle homosexuelle ? Quoique, maintenant que j'y pensais, cela ne me surprenait même pas.
C'est ainsi que nous prîmes rendez-vous pour samedi et que la pause midi se termina.
***
« Ma petite Catherinette, ton fils est un cas désespéré en littérature ! Il n'a même pas réussi à retenir que lorsqu'on cite le texte, on marque ensuite le numéro de la ou des ligne(s) ! Sans parler des différents courants littéraires et de leurs critères... Il faudra aussi lui faire réviser l'Histoire, du coup.
- Tu veux que je te prépare encore un café ?
- Non merci, j'abandonne, je n'en peux plus, je rentre !
- Non, Sandra, attends ! Maxime... »
Celui-ci secoua la tête d'un air désolé. Lui aussi fuyait le champ de bataille. Quels lâches ! Je les laissai partir, ils avaient travaillé quatre heures avec Damien, ils avaient bien mérité un peu de repos. Je me tournai vers mon fils qui tentait de monter en douce dans sa chambre. Je soupirai, désespérée, et il me fit un sourire désolé avant de vraiment filer dans son antre. Lui aussi avait mérité un peu de repos.
Quant à moi, comme il était encore tôt dans l'après-midi, je décidai de m'occuper du ménage. L'aspirateur, la serpillière, la poussière sur les murs, les carreaux et les toilettes. Aujourd'hui, c'était jour de grand ménage ! Ça me fit du bien de faire une pause dans tout ce travail intellectuel, même si à la fin, j'étais épuisée. Le repas fut simple et silencieux, nous n'étions que deux car Laurine était partie chez son copain dans l'après-midi et qu'elle ne reviendrait que le lendemain matin.
Tandis que Damien était remonté dans sa chambre après le dîner, je finissais ma soirée devant la télé. J'étais tombée sur un vieux film des années 80, que je regardais d'un œil distrait. Soudain, mon téléphone portable émit un son indiquant que j'avais reçu un message. Je l'allumai et vis que c'était un texto de Martin.
Martin : Bonsoir Catherine, comment vas-tu ?
Moi : Pas trop mal, merci, et toi ? Que me vaut l'honneur de te parler ?
Martin : Je vais très bien, merci. Je voulais juste voir comment tu allais et discuter un peu.
Moi : Mais ce n'est pas le jour de ta soirée jeux vidéo avec tes copains ?
Martin : Si, mais tout le monde est déjà rentré chez soi.
Moi : Quoi, déjà ?! Mais il est à peine onze heures ! Petits joueurs...
Martin : Hahaha, c'est vrai ! Alors, quoi de neuf ?
Moi : Damien me désespère !!!
Martin : Ton fils ?! Mais la dernière fois que je t'ai vue, c'était ta fille !
Je lui expliquai donc la situation, et le léger écart entre les petites difficultés en analyse de textes que mon fils m'avait signalées il y a de cela un mois et demi et son réel niveau en français. Martin me répondit.
Martin : Je ne pourrai pas t'aider sur ce coup-là, j'étais et je suis toujours très nul dans ce domaine. Tu m'aurais dit qu'il a des problèmes en science, j'aurais accouru, mais là, c'est pas dans mes cordes... Par contre, je crois que ton fils est un grand fan de jeux vidéo, non ?
Moi : Oui, mais je ne crois pas que ce soit le problème. Je n'ai jamais reçu de remarques comme quoi il ne faisait pas ses devoirs et il a toujours eu des notes correctes.
Martin : Je n'en doute pas, mais j'aimerais quand même te donner un conseil. Ton fils est sûrement comme tous les autres geeks de son âge et de tous âges, d'ailleurs: il n'éteint pas son ordinateur à la tombée de la nuit. Il ne faut pas être dupe, il doit sûrement jouer une bonne partie de la nuit. Donc, je te conseille d'éteindre la box Wi-Fi tous les soirs avant d'aller dormir, au moins jusqu'à ce qu'il ait fini son brevet. Comme la plupart de ses jeux n'ont certainement aucun intérêt sans connexion internet, il dormira peut-être plus et pourra mieux se concentrer le lendemain. Ça n'arrange pas le problème du français, mais ça lui permettra au moins de mieux assimiler les cours.
Moi : Merci pour la super astuce, mais si j'éteins la box, Damien n'aura aucun mal à aller la rallumer...
Martin : C'est vrai... dans ce cas, enferme-la à clef dans une pièce et cache bien la clef.
Moi : Franchement, je ne crois pas qu'un jeune homme de ton âge ait eu une idée aussi machiavéliquement géniale, donc je dirais que ça parle de vécu ?
Martin : ... bon, d'accord, mon père le faisait avec moi quand j'étais au collège... :(
Moi : Je me disais bien que ça ne pouvait qu'être une idée de parent ! Pauvre chou... ;)
Martin : Hé ! Ne te moque pas ! C'était la honte, à l'école, quand j'étais obligé d'avouer que mon père bloquait le Wi-Fi à 21h 30 tous les soirs !
Moi : Je te plaindrai quand j'aurai deux minutes. Maintenant, je commence à fatiguer. Je crois que je vais aller éteindre la box et dormir !
Martin : D'accord, bonne nuit alors !
Moi : Merci, à toi aussi, Martin, dors bien.
Martin : Merci Catherine.
Je me levai alors du canapé et éteignis la télévision. De toute façon, le film était quasiment terminé. Puis, je partis me mettre en pyjama, faire ma toilette et dire bonne nuit à mon fils. Effectivement, il jouait encore sur son ordinateur, parlant avec des inconnus dans son casque, et ne semblait pas prêt à s'arrêter de sitôt. Après ça, je redescendai et me dirigeai vers la box Wi-Fi. Puis, je l'éteignis avant de vite l'enfermer à clef et monter dans ma chambre avec la clef. Je la cachai dans ma commode, engloutie dans un océan de pullovers. Je me couchai et attendis. Ce ne fut pas long jusqu'à ce que j'entende Damien râler. Fière de moi, un sourire prit place sur mon visage avant que je ne m'endorme.
Le lendemain matin, lorsque mon fils arriva pour prendre son petit-déjeuner, je lui demandai :
« Bonjour mon loulou ! Bien dormi ? »
Il me lança un regard noir et je dus me retenir de ne pas rire.
***
Ce soir-là, je me couchai la boule au ventre. Demain, c'est l'épreuve de français de Damien ! Il faudrait que je l'emmène au centre d'examen. Il y resterait jusque dans l'après-midi. Le matin, il y aurait l'épreuve de français et l'après-midi, celle de maths. Le jour suivant, l'épreuve de science et celle de géo-histoire-éducation civique. Mon Dieu ! J'étais sûre que je stressais deux fois plus que mon fils ! Pendant la dernière semaine, il avait réussi à presque rattraper ses faiblesses en français, à part pour les figures de style, qu'il n'arrivait toujours pas à retenir et à identifier.
Bon, il n'y avait aucune raison que ça se passe mal, si ?
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