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III. 2. Tooru


Quatre mois.

Cela fait presque quatre mois entiers que je cherche des réponses sans les trouver. Quatre mois, en écho aux quatre lettres qui forment ce mot que je maudis désormais, ces deux syllabes murmurées dans la nuit et qui résonnent encore dans ma tête : bébé.

José Blanco est un homme froid, j'ai fini par l'apprendre, à la dure, comme on dit, à force de me faire ignorer, de recevoir des réponses évasives, de voir mes propositions rejetées. C'est lui qui décide quand on se voit, c'est lui qui mène toute notre relation, jamais l'inverse. Il me fait des cadeaux, il me fait des compliments, mais il y a toujours une barrière infranchissable entre nous qui fait qu'il n'y a jamais rien eu de sincèrement, réellement romantique. J'aurais voulu, oui, c'est sûr, et je n'ai pas encore perdu espoir. Après tout, je crois bien que je n'aime personne dans le monde autant que lui.

J'ai pensé, naïvement, que cette barrière était due à son mariage, ou peut-être au fait que je sois plus jeune que lui de quasiment trente ans. Et même quand j'imaginais sans vouloir y croire qu'il avait d'autres amants, je les voyais comme égaux ou inférieurs à moi. Après tout, c'est moi qu'il a invité en Argentine, moi qu'il a nommé passeur à San Juan, moi qu'il a reçu et écouté avant que quiconque connaisse mon nom et ma valeur.

Alors, au final, peut-être que j'aurais toléré qu'il voie d'autres garçons, tant que j'étais sûr d'être le favori. Peut-être que j'aurais accepté qu'il passe un moment ou une nuit avec un autre, pourvu d'être assuré de rester le préféré. Mais voilà. José Blanco ne m'a jamais donné de petit surnom. Or, il y a quelqu'un dans ce monde qu'il appelle bébé.

Je suis jaloux. Je suis horriblement jaloux, ou même pire que ça. Je crois que je n'ai jamais connu quelque chose de cette ampleur, pas même au collège quand le talent de Tobio risquait de m'éclipser. Moi qui veux toujours être au premier plan, être important, ou même plus, nécessaire -me voilà rappelé à ma situation de simple accessoire. Oui, voilà, je suis l'accessoire de José Blanco, son jouet, sa chose, et même pas sa préférée. Je ne comprends plus rien. Pourquoi est-ce qu'il a fait tant d'efforts pour moi, pour ma carrière, s'il ne m'aime pas au moins un peu ? Et surtout, pourquoi est-ce que j'ai encore plus envie de lui plaire maintenant ? Pour lui prouver que je vaux bien mieux que n'importe qui d'autre, que je suis prêt à tout pour lui ? Par provocation, par orgueil mal placé, encore, sûrement...

Alors, j'ai essayé de lui parler. J'ai tenté d'en savoir plus. D'abord avec diplomatie, quand il était chez moi, de bonne humeur après nos ébats :

-Dis, José... Je n'ai pas oublié ce que tu as dit, l'autre jour. Est-ce qu'on peut en rediscuter ?

-Je ne sais pas de quoi tu veux parler.

J'avais mordu l'intérieur de mes joues avant de lâcher :

-Ton amant. Ton autre amant. A moins que t'en aies toute une collection...

José avait terminé son verre de vin d'une traite, puis m'avait lacéré de ses yeux clairs :

-Oublie ça, Tooru.

Sur le coup, je n'avais rien trouvé à répondre. C'était comme un ordre qu'il me donnait, je ne voulais pas aller contre sa volonté, je ne voulais pas prendre le risque de lui déplaire -parce que si je lui déplaisais, moi qui ne lui étais pas essentiel, alors il n'aurait pas beaucoup de remords à me jeter. Et après, ça serait quoi ? Le côtoyer au club tous les jours le cœur brisé ? Non, non, je devais rester dans ses faveurs. Alors j'avais attendu deux semaines, et j'avais réessayé, en optant pour une autre technique, une fois qu'on marchait côte à côte après un match gagné ; j'avais demandé frontalement :

-C'est fini entre vous ?

-Pardon ?

-Ton bébé. Tu le vois encore ?

Il avait profondément soupiré :

-Qu'est-ce que tu veux que je te réponde, Tooru ?

-La vérité, s'il te plaît.

-Eh bien, oui, je le vois encore. Ça te soulage de le savoir ?

Non. Il le savait sûrement, mais c'était un clou qu'il venait de me river en plein cœur -je ne suis pas le seul, il voit quelqu'un d'autre en parallèle de moi. Ce n'est pas une histoire passée. Mes pires craintes étaient en train de se confirmer.

-C'est qui ? avais-je plutôt répondu. C'est un Argentin ? Il a quel âge, pour que tu l'appelles comme ça, c'est un ado ou quoi ?

José s'était arrêté, et avait attendu que je le regarde bien dans les yeux avant d'articuler :

-Ne cherche pas à savoir.

-Pourquoi ?

-Ça te ferait du mal.

Il s'était remis à marcher, et une fois encore, je n'avais pas relancé. Depuis, ses mots me hantent -pourquoi est-ce que ça me ferait du mal, enfin, plus encore que maintenant ? En quoi cette identité doit-elle rester secrète aussi pour mon bien-être ? Les théories n'ont de cesse de s'échafauder dans ma tête, à toute vitesse, qui, pourquoi -est-ce que ce serait un Japonais qu'il aurait rencontré en même temps que moi quand il était à Tokyo ? C'est ça qui me ferait du mal ? Quelqu'un que je serais susceptible de connaître d'avant ?

Mais qui ? Les noms défilent dans ma tête, même les plus absurdes, sous le coup du soupçon, je n'écarte personne. Pourquoi pas Hinata, qui est en Amérique du Sud lui aussi ? Blanco pèse sur tout le continent, il aurait pu le faire venir jusqu'ici... Et quand j'avais croisé l'ancien joueur de Karasuno, on était en vacances d'équipe à Rio, il était là aussi... Ou bien dans une autre ligue ? Quelqu'un qu'il aurait pu rencontrer au Youth Camp, tiens, quand il y était allé -Miya Atsumu ? Sakusa ? Ushijima, je n'y crois pas une seconde -et Tobio... ? Non, non, pas Tobio. Impossible. Mais et si... ?

Ou bien alors, quelqu'un que je connais d'ici, un joueur Argentin, ou du moins quelqu'un qui fréquente actuellement la ligue argentine. C'est sûr que je le connais personnellement, si c'est susceptible de me faire du mal, non ? Peut-être même quelqu'un de San Juan, quelqu'un que je vois tous les jours...

Alors, depuis quatre mois, j'ai l'impression d'être devenu parano. Je regarde tout le monde avec méfiance, en me demandant : et si c'était lui ? Je guette des indices, j'attends une ouverture. Parfois, je tente quelque chose, de manière détournée :

-Dis, tu penses quoi de Luciano ?

Comme si José Blanco allait soudain pâlir, trahir quelque chose, avouer. Mais ça n'arrive pas. Et c'est insupportable. On a recouché ensemble, quelques fois, évidemment, je n'allais pas me refuser à lui -non, je vais lui montrer que je suis mieux, que je suis capable d'être meilleur que n'importe qui, un meilleur joueur, un meilleur amant, je suis Oikawa Tooru et je n'accepte pas d'être autre chose que le premier.

Parfois, une pensée surgit, celle que Tobio ne m'aurait jamais fait passer en deuxième, lui. Qu'il ne m'aurait donné aucun motif d'être jaloux. Qu'il ne m'aurait jamais trompé comme je l'ai fait. Et maintenant, je dois voir ses stories Insta, ses dates avec Miya, et ravaler ma frustration -bien fait pour moi. Une fois, j'ai remarqué qu'il portait encore ma vieille écharpe, celle que je lui avais offerte. Celle qu'il portait le soir de la rupture. J'étais vraiment à deux doigts de lui envoyer un message -mais je ne veux pas donner l'impression de regretter mes choix. Je ne veux pas croire que partir en Argentine ait été une erreur. Alors, je vais me la fermer, je vais rester ici, et je vais briller ici.

-Alors Tooru, t'as fait quoi de beau hier pour la Saint-Valentin ?

Martin me passe un bras autour des épaules tandis qu'on marche vers le gymnase tous les deux. Je lève les yeux au ciel :

-J'ai fait une visio avec mon meilleur pote, ça compte ?

-C'est aussi la journée de l'amitié, donc oui. Mais j'espérais quelque chose de plus croustillant.

-Toujours pas, je t'ai dit, c'est pas ma priorité.

Ou plutôt, je suis déjà assez pris par le coach. Je passe ça sous silence, évidemment, même si le concerné est déjà là lorsqu'on arrive. Je lui adresse un petit sourire, il me répond d'un signe de tête.

Treize victoires, cinq défaites, voilà le bilan de San Juan au 15 février 2017. On devrait se qualifier pour les phases finales sans trop de souci, et là, il s'agira de tenir tête à la Ciudad et Bolivar. Pas mal pour ma première année, enfin, de mon point de vue. Je pense que José est satisfait aussi ; et mes coéquipiers comptent sur moi. On a un gros match demain à la capitale, et on prend l'avion ce soir, mais ça n'empêche pas José d'avoir concocté un entraînement particulièrement ardu. Quand on termine, avant de revenir vers le vestiaire, il m'arrête et déclare, avec l'ombre d'un sourire sur les lèvres :

-C'est bien, Tooru. Tu dois avoir les meilleurs services de la ligue, maintenant.

Je brûle de fierté. Mais l'euphorie ne dure que quelques secondes, le temps que je me souvienne qu'il dit sûrement des choses identiques à d'autres. Que je ne suis pas son préféré. Alors je garde le compliment dans un coin de mon cœur, et mes méninges se remettent à fonctionner dans une tentative désespérée de trouver qui est son amant.

Le soir, les gars se ruent dans l'avion -un jet privé, affrété spécialement pour nous, qui nous amène à Buenos Aires en 1h30 chrono. Je m'installe à côté de Leo, le libéro, et on se place devant Valerio et Martin qui s'écrie :

-On a même le wifi ! C'est le grand luxe !

Le trajet est trop court pour dormir ou même pour regarder un film. Je me contente de mettre mes écouteurs et de lancer ma playlist -un mélange de chansons populaires en anglais, en espagnol et en japonais ; ce qui ne m'empêche pas d'entendre les voix excitées de mes coéquipiers, et en particulier, environ vingt minutes après le décollage, le cri de mon voisin :

-Ah, ça y est ! Bah putain !

J'enlève un écouteur et je me tourne vers lui. Derrière, Martin agrippe mon siège pour se rapprocher aussi :

-Ça y est quoi, Leo, t'as enfin appris à faire une récep' correcte ?

-Oh, ferme-la.

Il tourne son écran vers nous. Une photo Insta en occupe la plus grande partie, et j'y reconnais immédiatement Nicolas Romero, et derrière lui son épouse, allongée sur un lit d'hôpital mais toujours aussi fraîche. Ils affichent une paire de sourires étincelants dont la cause est facile à deviner -le joueur tient un bébé dans ses bras, de quelques heures à peine probablement, enveloppé dans une couverture, et dont on n'aperçoit qu'une main minuscule, au poignet enveloppé d'un bracelet d'hôpital. La légende est sobre : bem vindo, Rubens ! suivi de l'identification de Flavia et d'un cœur rouge.

-Rubens, quel prénom de merde, explicite Leo.

-Pff, t'es vraiment un rageux, commente Gustavo un peu plus loin. Tu pourrais juste être content pour eux.

-Quoi, pour ce gars ? Jamais de la vie.

Je décide de le taquiner :

-Tu pousses pas le chauvinisme un peu loin, non ?

-Ah, tu sais pas, rigole Martin. Romero l'a personnellement offensé.

-Quoi, avec ses attaques ? Il a fait une feinte que t'as pas digéré ?

Les joueurs autour de moi éclatent de rire, sauf Leo qui se met à bouder.

-C'est pas une histoire de volley, intervient Tomas en se retournant vers nous. Mais on peut parler de feinte, ouais. Ils devaient se retrouver après un match et Nico lui a posé un lapin.

-Mais ta gueule, toi ! s'emporte Leo. Comme si j'avais envie de coucher avec un nid à MST qui se tape la moitié de la fédé !

Hein ? C'est quoi cette histoire ? J'ai jamais entendu ça sur Romero, moi, je le trouve plutôt cool comme joueur. Enfin, je ne le connais pas du tout personnellement, je l'ai seulement vu jouer, je ne lui ai jamais parlé. Et puis, il est marié, je sais pas d'où Leo tire ses délires. Tomas lui donne une tape sur le crâne :

-T'es surtout dégoûté parce qu'il te plaisait et que tu pensais que toi aussi, tu lui plaisais.

-Un petit cœur brisé, ironise Martin.

Je veux savoir :

-Comment ça, il se tape la moitié de la fédé ?

-Quoi, t'es pas au courant, Tooru ? Il est un peu connu pour ça. Enfin, c'est pas officiel, surtout moins depuis qu'il est marié, mais si un jour t'as envie de baiser pendant un tournoi de volley international, va lui parler et t'auras 95% de chances qu'il te suive.

-Et les 5% qui restent, c'est Leo.

J'ai du mal à y croire. Un champion comme ça ? En plein tournoi ? Alors, oui, j'ai entendu parler du nombre de capotes distribué aux Jeux Olympiques, je me doute que certains athlètes ont une sexualité débridée, mais j'ai du mal à envisager qu'un joueur international puisse passer plusieurs semaines à jouer la journée et découcher la nuit. Surtout vu le palmarès de son équipe alors qu'il est toujours titulaire. Leo ignore la dernière provocation, et s'enflamme :

-Ouais, comme dirait Seb, c'est une belle salope. Il est complètement détraqué, ce gars. Alors non, je regrette pas du tout d'avoir manqué son cul, oh, j'aurais peut-être eu un message de félicitations pour être le millième visiteur ? J'ai même entendu dire qu'il s'était retrouvé dans des trucs à plusieurs, et même qu'à une époque, il se pro-

Il s'interrompt. José est en train de remonter vers nous.

-Merde, on va se faire engueuler, murmure Tomas.

-Vous avez fini de crier ? demande le coach d'une voix glaciale. Qu'est-ce qui vous excite comme ça ?

-Rien, José, on va faire attention à baisser d'un ton, répond Valerio.

Je le regarde attentivement. Il a l'air furieux. Est-ce que c'est parce qu'on a fait trop de bruit ? Ou est-ce qu'il a réagi au sujet de conversation ? Peut-être que lui aussi s'est tapé Romero, si ce que dit Leo est vrai. Peut-être même que... Mes pensées s'emballent. Le pour, le contre, tout ce qui peut confirmer ou infirmer cette nouvelle théorie. C'est vrai que José est toujours stimulé par les matchs contre le Brésil. Ça ne veut rien dire, c'est notre rival principal. Est-ce qu'il aurait pu le pistonner, comme avec moi ? Est-ce que c'est un de ses protégés, est-ce qu'il a eu un rôle à jouer dans son passage de la misère à la lumière ? Mais José jouait encore lui-même, à l'époque... Comment est-ce qu'il l'aurait rencontré ? Et pourquoi ça me ferait mal en particulier que ce soit lui alors qu'on ne se connaît pas ?

Je garde l'idée dans un coin de ma tête. Leo se calme, la discussion passe à autre chose. On arrive, on rejoint l'hôtel, puis, le lendemain, on se prépare pour le match -mais c'est une défaite sèche, 3 – 0 pour la Ciudad. Le soir, l'ambiance est morose au restaurant de l'hôtel, mais j'arrive à me placer à côté de José ; le vin coule à flots pour noyer la claque qu'on s'est prise sur le terrain, et je ne manque pas de resservir José à chaque fois. Le soir où ça a commencé, la nuit où il a lâché ce petit mot, c'était aussi après avoir beaucoup bu. Je veux recréer les mêmes conditions.

On rejoint nos chambres -individuelles, coup de chance- peu avant minuit, mais je ne me couche pas. J'attends cinq minutes que les couloirs se vident, puis je me glisse jusqu'à la porte de José et je frappe. Quelques secondes passent, je me demande s'il est tombé de fatigue et d'ivresse. Mais il finit par ouvrir, et un instant, je me sens comme le lycéen devant la porte de son bureau, au Tokyo Gas Gymnasium, je me sens tout petit devant lui.

Il ne dit rien. Il me regarde de ses yeux pâles et fatigués, puis recule d'un pas. J'entre, puis je ferme soigneusement la porte derrière moi. La lumière tamisée de la chambre me semble idéale pour les confidences -sans compter la rare rougeur qui colore les joues de José. Il est allé s'asseoir au bord du lit, penché en avant, l'air un peu éteint.

-Je ne sais pas si je suis en état, ce soir, Tooru, dit-il enfin.

-Je ne viens pas pour ça. Je veux juste discuter un peu.

Je m'assieds face à lui, sur une chaise de bureau. Est-ce que j'y vais de manière douce ou brutale ? Qu'est-ce qui est le plus susceptible de fonctionner, cette fois ? Je me lance :

-T'étais vraiment énervé, hier, dans l'avion.

-Vous faisiez du bruit.

-Les gars font tout le temps du bruit. C'est ce que disait Leo qui t'a saoulé, non ?

Il soupire. Il semble épuisé.

-Je n'aime pas qu'on relaie des rumeurs comme ça sur d'autres joueurs. Ce n'est pas fair-play. Ce n'est pas la mentalité que je veux pour mon équipe.

Je le pousse :

-Peut-être que ce ne sont pas que des rumeurs. Leo avait l'air sûr de lui. T'en sais quelque chose ?

Plusieurs secondes s'écoulent. Lourdes. Pénibles. Ses yeux restent perdus dans le vague. Puis il répond d'un ton neutre :

-Pourquoi ça t'intéresse, Tooru ? Tu as envie d'une passe avec Nicolas Romero ?

-Ça t'ennuierait que je réponde oui ?

Il tourne légèrement le visage, me regarde droit dans les yeux. Je maintiens son regard. Et, pour la première fois, c'est lui qui flanche en premier.

-Non. Tu es libre de faire ce que tu veux, avec qui tu veux... Et lui aussi.

-Pas vraiment, contre-attaqué-je. Il est marié.

-Tu n'as jamais entendu parler de relation couverture, Tooru ?

C'est à mon tour de mettre du temps à répondre. Si, bien sûr, je saisis le concept -se caser officiellement pour avoir plus de liberté en retour, une fois que les médias se sont désintéressés d'une image volontairement lisse. C'est ce que fait José lui-même. Et c'est là que je trouve ma réplique :

-C'est toi qui lui as soufflé l'idée, peut-être ?

Silence. Silence étouffant. Je sens que je touche à la vérité, à cette vérité qui me démange et que je redoute à la fois. J'ai l'impression d'être au ralenti, de calculer chaque mot et jusqu'à chacune de mes inspirations. Je mets tous mes sentiments de côtés -les émotions viendront après, pour l'instant, je dois tirer profit de la situation. Je le vois proche de craquer, alors j'y vais au chantage affectif :

-José, réponds-moi. Je t'en prie. Tu ne peux pas m'infliger ça. Ça fait des mois que je me casse la tête, des mois que tes mots me torturent -tu ne me fais pas confiance ? C'est ça ? Tu penses que je serais incapable de garder le secret, que je te trahirais ? Alors que j'ai tout plaqué pour toi, que j'ai quitté ma famille, mes amis, mon petit-ami même, que j'ai renoncé à ma nationalité pour te suivre ici, pour jouer dans ton équipe, dans tes équipes ? Moi, j'ai cru en ta promesse alors que je n'avais aucune garantie. Alors s'il te plaît, crois en moi aussi.

C'est la première fois que je vois José Blanco aussi troublé. Est-ce que c'est l'alcool ? D'un coup, j'ai l'impression que son image propre et soignée d'homme irréprochable est prête à se fissurer. Je sens que le rapport de force s'est inversé, que mes mots font leur effet -c'est moi qui parle, maintenant, et c'est lui qui subit :

-Tu l'as pistonné aussi, hein ? Comme tu as fait avec moi. C'est de lui que tu parlais, quand tu disais que tu as placé des joueurs qui se sont révélés excellents...

Il reste figé, le visage tourné vers le bas, le dos voûté. Puis, d'un geste d'une infinie lenteur, il hoche la tête.

-Et comme avec moi, je suppose que vous avez noué une relation plus... étroite.

La tête me tourne quand José opine à nouveau.

-C'est lui, l'amant que tu vois encore de temps en temps.

Tout me saute en mémoire -toutes ces fois où José m'a dit qu'il n'était pas disponible pendant les événements mondiaux, après les matchs contre le Brésil, pendant les ligues mondiales, et même aux Jeux Olympiques... J'ai l'impression de voir enfin clair. Enfin, presque :

-Mais pourquoi ça me ferait du mal en particulier que ce soit lui ? Pourquoi tu l'appelles bébé ?

José se lève brutalement. Il inspire, lève les yeux vers le plafond, passe les deux mains dans ses cheveux presque blancs dans une vaine tentative de les replaquer en arrière, puis pose sur moi un regard qui a retrouvé le froid coupant d'une lame de rasoir :

-On arrête là, Tooru. Tu en sais déjà bien assez. Je vais dormir, maintenant, retourne dans ta chambre.

Je n'ose pas insister, j'ai déjà eu plus que ce que j'attendais -et je ne me sens pas forcément capable d'encaisser davantage. Mon cerveau est en ébullition, j'ai l'impression que toute la scène était surréelle, que j'ai halluciné, je ne suis plus sûr de rien. Je recule vers la porte, mais il me rappelle lorsque je m'apprête à sortir :

-Encore une fois, je compte sur ta discrétion...

Et il ajoute sur une intonation légèrement différente :

-Je dis ça pour toi.

Je déglutis. La menace est très claire. Si je sors des bonnes grâces de José Blanco, si je lui fais défaut, il me vendra au prochain mercato, m'enverra dans un moindre club, et ne me sélectionnera jamais en équipe nationale -rendant complètement inutiles tous les sacrifices que j'ai faits pour lui alors que je viens de renoncer à ma nationalité japonaise. Je ne peux pas le trahir. Je ne peux rien dire. Je quitte la chambre en emportant avec moi un secret qui, je le sais, va me consumer -un secret que j'ai moi-même cherché à percer, et un secret qui va me ronger désormais, qui va me hanter.

Nicolas Romero. Son nom danse dans ma tête tandis que je vacille jusqu'à ma chambre. Je n'atteins pas le lit, je tombe à genoux devant. Je pose ma tête sur le matelas et j'attends. J'attends que le choc me saisisse. Comme après la rupture avec Tobio. Comme après la fois où je l'ai revu aux Jeux olympiques. Les larmes viennent toujours après, quand j'ai fini de jouer mon rôle, quand j'ai retrouvé la sécurité de ma chambre, quand je m'autorise à prendre le choc de plein fouet.

Mais elles ne viennent pas encore. J'ai du mal à respirer. Je me sens vide. Je me sens terriblement vide. Terriblement inutile. Et terriblement seul.

Je sors mon téléphone. Peut-être que je devrais appeler Iwa-chan et tout lui révéler. Mais non, je ne peux pas. C'est trop complexe. Je ne veux pas le mêler à tout ça, et je ne veux pas courir de risques. Alors je me rends sur Insta à la place, et je tape, lentement, le nom de Romero dans la barre de recherche.

L'image que Leo montrait dans l'avion hier apparaît, mais il ne regarde pas l'objectif, il est tourné vers son nouveau-né. C'est ça qui tracasse José au point qu'il se saoule ? Le fait qu'il soit devenu père ? J'ai l'impression qu'une écharde se plante dans mon cœur lorsque je me rends compte que c'est au moment où il a annoncé la grossesse de sa femme que José s'était mis dans un sale état et avait laissé échapper le surnom. Il y a un lien. Un lien bien plus fort que ce que je pensais...

Je suis écœuré. J'ai l'impression que le monde est une immense scène où tout le monde porte un masque. Lui, José, moi. Au moins, Tobio était toujours honnête. Si tu me voyais, Tobio-chan. Si tu me voyais à crever d'angoisse parce que je t'ai préféré un homme qui en préfère un autre. Quelle sale ironie.

Je m'arrête sur une des photos de Romero, une où il fait bien face à l'objectif, et pendant de longues minutes, je reste là à le regarder comme s'il pouvait me voir en retour. Je détaille son visage. Ses yeux, ses lèvres. Tout ce qu'il est, officiellement et officieusement. Le champion mondial. La célébrité médiatique. La salope du volley. Et l'amant de José Blanco.

Une première larme se forme au coin de mon œil, et roule, lentement, le long de ma joue. Ma poitrine se contracte, mon souffle se bloque dans ma gorge -mais c'est de la colère qui m'habite, de l'horreur, de la frustration, et je sanglote, les doigts crispés sur la couverture, étouffant des pleurs de pure rage. José couche avec lui. José préfère cette pute à moi. J'ai envie de vomir sa simple pensée, d'écorcher son image de mes doigts.

Je le hais. Je hais Nicolas Romero. Je hais ce qu'il est, ce qu'il fait, ce qu'il représente. Je le hais de tout mon être, je ne lui pardonnerai jamais que José se soit attaché à lui plus qu'à moi -et pire, et je me le jure, je me le promets : un jour, à la première occasion, je lui ferai payer.

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