III. 1. Tobio
-Répète ça encore une fois ?
Je soupire, et je fixe l'écran :
-Tu fais exprès de pas piger ? C'est le soleil qui t'a grillé le peu de neurones que t'avais, idiot ?
-Occupe-toi de ton propre cas ! T'as pas besoin de parler comme Tsukishima, tu sais !
-Je parle pas comme Tsukishima !
Hinata croise les bras. Il est vingt heures, et on est en Skype -un des seuls créneaux possibles vu qu'on est à douze heures de décalage horaire. Là-bas, à Rio, il fait 30°C, et il est déjà en short et T-shirt ; moi, je suis obligé de porter le sweat des Adlers malgré le chauffage dans mon appartement vu comme le mois de janvier est glacial. Un peu moins qu'à Sendai, mais enfin, ça ne fait pas grande différence de vivre à Tokyo.
-Allez, sérieux, insiste Hinata. On va récapituler, Kageyama, parce que je crois que t'as mal compris un truc.
-Genre.
-Tu couches avec Miya Atsumu, le passeur des MSBY.
-Oui.
-Tu vas le voir une fois par mois à Osaka.
-Oui.
-Et il vient te voir une fois par mois à Tokyo.
-Oui. Mais bon, si on a des déplacements qui matchent, on peut aussi se capter à l'occasion.
-Et vous déjeunez ensemble dans des restaurants.
-Bah, Osamu-san nous fait des prix, alors...
Hinata pince son nez et tend une main vers l'écran comme pour me dissuader de parler pendant qu'il essaie de faire fonctionner son petit cerveau :
-Bref, vous sortez ensemble, conclut-il.
-Non.
Il ne comprend rien, c'est pas possible. Je sais même pas pourquoi je parle avec cet imbécile, mais bon, j'essaye :
-Je n'ai pas de sentiments pour Atsumu-san. Et il n'a pas de sentiments pour moi. Donc on ne sort pas ensemble.
-Y'a plein de gens qui sortent ensemble en attendant que leurs sentiments se développent.
Qu'est-ce qu'il y connaît, lui ? Je secoue la tête :
-C'est pas le projet. On se parle parce qu'on est coéquipiers, et on couche ensemble en bonus.
-Vous coucheriez pas ensemble s'il n'y avait aucun sentiment entre vous, s'obstine Hinata. Tu coucherais pas avec quelqu'un que t'aimes pas.
-Je l'aime bien, mais je ne l'aime pas comme...
-...comme t'aimais Oikawa ?
Je serre les dents. J'aurais aimé qu'il ne prononce pas son nom, je le prononce bien assez dans ma tête à longueur de journée.
-Super la tronche, on dirait que tu viens de bouffer un citron, commente Hinata. Tu sais, Kageyama, j'ai l'impression que tu t'empêches de sortir avec Atsumu parce que t'arrives pas à oublier Oikawa. Non ?
Mais bordel. Je ne veux pas sortir avec Atsumu. Il est cool, mais je ne me vois pas construire un avenir avec. Ce n'est pas comme avec Oikawa, à l'époque, je voyais tout défiler devant mes yeux, tout ce qu'on pouvait faire, tout ce qu'on pouvait être... et même une fois qu'il m'a plaqué, j'ai toujours eu ce sentiment que c'était lui, lui, lui, toujours lui, personne d'autre, jamais.
Je me rends compte que je n'ai pas répondu quand Hinata soupire longuement, et ajoute :
-Tu passerais peut-être plus facilement à autre chose si tu commençais par jeter tous ces vieux trucs qu'il t'a offert.
-Hein ?
-Fais pas l'idiot, enfin, essaie. J'ai vu la story des Adlers hier.
Je fronce les sourcils.
-Tu portes encore cette vieille écharpe qu'il t'avait donnée, non ?
Hm. Je ne peux pas nier. En fait, je n'en ai pas d'autre, et je n'ai pas vu le besoin d'en racheter. Oikawa me l'a offerte il y a quatre ans, et je me souviens encore de la façon dont il m'avait emmitouflé dedans en murmurant, tiens, elle est de la même couleur que tes yeux, elle te va à ravir. Il s'en était acheté une autre, et j'avais continué à porter la sienne, même l'hiver suivant, et celui d'après encore. Ça fait longtemps qu'elle n'a plus son odeur, mais ça reste une petite part de lui que je peux encore porter avec moi. C'est mon côté nostalgique insoupçonné, je suppose.
-Non, mais c'est bon. Oikawa-san et moi, c'est réglé.
Je dis ça, mais j'ai l'impression que rien n'est réglé du tout.
-Donc fonce, s'exaspère Hinata. T'attends quoi ? Atsumu est super cool et super fort. En plus, il est beau gosse et il a plein de fans. T'as de la chance qu'il s'intéresse à toi.
Je peux pas m'empêcher de faire la moue. J'en ai marre qu'on parle de ma vie sexuelle et sentimentale, j'aime pas exposer tout ça. Ça doit se voir à ma tête, parce que Hinata change de sujet de lui-même :
-D'ailleurs, je crois que c'est son équipe que je rejoindrai l'année prochaine, quand je rentrerai du Brésil... J'ai regardé et...
Je décroche légèrement. La mention du Brésil éveille toujours une petite étincelle dans ma poitrine quand je me souviens de leur équipe de volley, de leurs maillots jaunes, de leurs médailles d'or, de cette soirée, à Rio, au village olympique. J'ai revécu la scène des centaines de fois dans ma tête. Nicolas Romero. Ses yeux verts. Son sourire brillant. Ses mains qui me tirent contre lui, sa voix dans mon oreille -et à ces images se joignent celles de la soirée précédente, son ventre dénudé dans la cabine, sa main qui se glisse dans ses cheveux. Rien qu'à y penser, j'ai des bouffées de chaleur. Je ne sais pas expliquer pourquoi il me fait tellement d'effet, mais je dois avouer que si je suis attentivement les matchs de San Juan, je n'en manque pas un de la Lube non plus -enfin, entre Christenson, Grebennikov, Juantorena et Romero, je pense pouvoir dire que je regarde un niveau de volley exceptionnellement élevé. Je mise sur eux pour être champions cette année, d'Italie, d'Europe, et pourquoi pas du monde.
-Enfin, fait Hinata après cinq minutes à parler tout seul, pense à ce que je t'ai dit ! Allez, salut Kageyama !
Il raccroche, et je me retrouve seul devant l'écran. Je ferme mon PC et je vais me coucher -j'ai mon appart de fonction, ici, tout près du gymnase. Pas très grand, mais amplement suffisant pour moi tout seul ; et puis, mes coéquipiers habitent tous plus ou moins dans le même quartier. Certains sont déjà installés en ménage, comme le capitaine, Fukurou, ou le libéro, Heiwajima ; mais Hoshiumi propose régulièrement de petites soirées en semaine pour égayer un peu le quotidien. Souvent, on se retrouve seulement à trois avec Ushijima, mais étonnamment, c'est plutôt pas mal. On parle des joueurs qu'on connaît, des plans pour la saison, on regarde des vidéos de volley et des fois, on fait des bras de fer. Ushijima-san gagne à chaque fois.
Je me sens bien, chez les Schweiden Adlers. C'est le premier club dans lequel je suis arrivé, à dix-huit ans, et je sais que je ne vais pas y passer toute ma carrière -la Superlega m'appelle- mais pour l'instant, je sens que c'est là où j'ai envie d'être et de progresser. Mes coéquipiers sont doués, on a été champions l'an dernier ; et les objectifs évoluent, aussi, cette année, on espère passer plusieurs rounds du championnat mondial des clubs. Peut-être qu'on tombera sur San Juan, après tout, ils se sont qualifiés jusqu'aux phases finales, l'an dernier... Ou contre la Lube, tiens.
Je vais me coucher. Je prends le train tôt, demain matin, pour aller à Osaka -point de départ de la discussion de tout à l'heure avec Hinata. Depuis septembre, c'est comme ça. Je crois qu'on n'a jamais signé de contrat avec Atsumu-san, mais la routine s'est mise en place naturellement depuis le retour des Jeux, et là, c'est à mon tour de le rejoindre. Ça me fait un peu plus de deux heures de trajet, mais je peux manger un bon repas chez Osamu et baiser avec Atsumu, alors j'avoue que c'est plutôt un bon deal.
Comme d'habitude, il m'attend sur le quai, et on parle de nos saisons respectives en se rendant jusqu'à Onigri Miya. Il joue avec Bokuto-san, et vu ce qu'il me raconte, j'admire sa patience.
-Salut vous deux, lance Osamu en nous voyant entrer.
Il tape son poing contre celui de son jumeau, et me salue de la même manière -Osamu-san est super sympa, aussi, il est plus calme qu'Atsumu, mais je me demande s'il n'est juste pas plus doué pour cacher sa vraie personnalité. D'ailleurs, les frères ne tardent pas à se chamailler :
-'Tsumu, faut refaire ta couleur, t'as les racines toutes noires.
-C'est un style, 'Samu, mais je t'en parle pas, t'as renoncé à en avoir un.
-Compte pas sur moi pour te consoler quand les gens vont se moquer de tes photos.
-J'ai jamais fait ça, j'en ai rien à foutre de ce que pensent les gens.
-Même de ce que pense Tobio-kun ?
Ils se retournent vers moi dans un mouvement identique, et je trouve toujours ça marrant de les voir côte à côte avec leurs têtes de renards identiques.
-C'est pas mes cheveux qui intéressent Tobio-kun, sourit Atsumu.
Je lève les yeux au ciel, Osamu secoue la tête, et on va s'asseoir à notre table habituelle. Je me suis à peine installé que Miya sort son téléphone pour faire un selfie.
-T'es obligé de faire ça ?
-Quoi ? Je montre juste qu'il n'y a aucune mésentente entre les passeurs de l'équipe japonaise. Ça rassurera les fans. Et puis, tu peux republier sur ton compte...
Il prend la photo, la poste immédiatement, puis ajoute avec un regard malicieux :
-Je suis sûr que tes followers seront ravis de voir que tu as une vie sociale décente...
Hm. Par « mes followers », il veut dire « Oikawa » -il a juste plus de tact que Hinata hier. Ça m'a... étonné, mais Oikawa-san s'est abonné à mon compte Instagram cet automne. J'ai attendu quelques jours pour voir s'il allait m'écrire, puis je l'ai suivi en retour. Je pense que c'est cohérent et que ça n'engage à rien, c'est tout, on est deux joueurs qui se respectent, et on est allés dans le même collège, c'est légitime. Il poste peu, mais j'ouvre toujours son contenu avec une pointe d'appréhension. J'ai toujours peur de le voir avec quelqu'un et de me dire que c'est peut-être son nouveau copain ou sa nouvelle copine. Heureusement, la plupart du temps, c'est juste son équipe, et parfois ses promenades dans San Juan ou ses occupations chez lui. Rien de trop perturbant, même si pour moi, venant de lui, ça l'est toujours un peu.
Du coup, suivant cette logique, je me doute que Miya pense lui jouer un tour en mettant des photos de nous deux. En plus, Oikawa m'a vu avec lui, à Rio, en août dernier. Peut-être que comme Hinata, il se dit que je sors avec Atsumu. Mais je ne suis pas sûr qu'il soit jaloux -ce serait bizarre vu que c'est lui qui m'a quitté.
La conversation d'hier me revient en tête. Miya Atsumu. Est-ce que j'ai des sentiments pour lui ? Des sentiments qui dépassent l'admiration de son talent de passeur, qui vont au-delà la confiance que j'ai en lui comme coéquipier ? Est-ce que le plaisir que j'ai à le voir tient à sa présence, ou juste à la perspective de jouir en sa compagnie ? Il est là, en face de moi, en train de pianoter sur son téléphone, un bout de langue rose au coin des lèvres, ses yeux bruns figés sur son écran, ses mèches blondes aux racines noires bien peignées sur le côté, même si quelques épis dépassent quand même un peu.
-T'as fini de me mater, Tobio-kun ? Tu t'ouvres l'appétit, c'est ça ?
-L'écoute pas, soupire Osamu en nous amenant un plateau d'onigris. Tiens, mange avant qu'il ne t'écœure.
-Si tu parles de ma tronche, 'Samu, je te rappelle qu'on a la même, fait remarquer Atsumu sans lever les yeux de son écran.
-A mon grand regret, oui, mais pour le coup je pensais à ton attitude. Maman nous a pas éduqués à être au téléphone quand on est au restaurant, et qui plus est en face de quelqu'un.
-Mais maman n'est pas là.
-Continue comme ça et j'appelle Kita-san.
Atsumu soupire, et pose son téléphone avant de me regarder d'un air résigné :
-Toutes mes excuses, Tobio-kun, je ne voulais pas donner l'air de m'ennuyer. En fait, Bokkun est en train de paniquer parce qu'il a décoloré un T-shirt de Sakusa sans faire gaffe.
-Oh. Tu lui disais comment le recolorer ?
-Non, je lui disais de m'ajouter sur son testament.
Il sourit, je l'imite ; puis on mange. Je me demande si Osamu est au courant de tout ce qu'on fait ensemble, mais bon, ce sont des jumeaux, je suppose qu'il devinerait même si Atsumu ne lui disait pas. Hinata dirait que c'est une preuve de plus qu'on sort ensemble.
Quand on a terminé, on rejoint son appartement. Lui aussi est près de son gymnase, et je commence à connaître les lieux -un peu bordéliques, mais propres. Des livres de volley et d'entretien personnel s'amassent sur la table basse, un chargeur et un short traînent sur le canapé, et il les écarte rapidement :
-Viens, je t'ai attendu exprès.
Il allume la télé. Oh, exact, c'est vrai qu'on a commencé une série ensemble il y a quelques semaines et que les épisodes sortent régulièrement. On regarde un épisode, puis un deuxième, il nous ramène à boire, puis il finit par passer un bras autour de mes épaules :
-Tu veux faire quoi maintenant, modèle de vertu ?
-Je t'ai dit de pas m'appeler comme ça.
Je me tourne vers lui, je me plonge au fond des yeux un instant, au fond de ce regard intelligent et espiègle. Les mots d'Hinata me reviennent en tête. C'est vrai, j'ai du mal à oublier Oikawa... Mais là, je suis avec Atsumu, c et c'est à lui que je veux penser. Lui, il est là, il m'apprécie, il m'attend. Alors peut-être que je devrais suivre ses conseils et foncer. Peut-être que oui, on sort ensemble, peut-être qu'il y a des sentiments à développer et que la suite ne dépend que de moi. Alors je l'embrasse, un peu brutalement.
Nos langues se mêlent, c'est devenu une habitude, et je n'attends pas pour le tirer jusqu'à la chambre. Je me sens excité. J'aime coucher avec Atsumu, c'est toujours amusant et plaisant, on peut essayer plein de choses. Je me sens libre de lui dire ce dont j'ai envie ou pas, je ne me pose pas la question de lui plaire ou de le décevoir. On se chauffe un peu, on se met en 69 -ça, c'est quelque chose que je n'avais jamais fait avec Oikawa, par exemple, mais je crois bien que j'ai couché plus de fois avec Atsumu qu'avec lui, maintenant.
-Tu veux..., demande Miya.
-Non, vas-y.
C'était moi qui dominais la dernière fois -ça aussi, c'est quelque chose que je n'ai fait qu'avec Atsumu. C'était curieux de changer de perspective comme ça, particulièrement jouissif aussi, je dois l'avouer, je n'ai pas tenu très longtemps. On a inversé juste après. Je compte bien réessayer un de ces jours, mais aujourd'hui, j'ai envie de recevoir -ça demande un peu d'efforts, mais je trouve que ça vaut le coup. Peut-être parce que je me sens plus entier quand quelqu'un est en moi. Que chaque coup de rein me donne l'impression d'exorciser un peu le passé...
On enchaîne plusieurs positions, mes préférées, les siennes, et on termine en levrette -je commence à quatre pattes, puis, quand c'est trop de sensations, quand je deviens trop proche, je tombe sur les coudes -et je gémis légèrement quand il me touche en plus, quand il double ses saccades par celles de sa main sur ma queue, au même rythme et jusqu'à ce que ce rythme se dérègle, qu'il trahisse son impatience -je vois flou, je l'entends jouir, je l'imite dans la seconde.
J'aime bien les minutes qui suivent. On reste dans le lit, même si on a les cuisses mouillées, c'est pas grave, on se serre l'un contre l'autre en somnolant. Il me caresse le dos, je joue avec ses doigts. J'ai l'impression que le temps s'étire de manière différente, que je suis dans ma petite bulle après l'orgasme, que je me sens bien. Et dans cette bulle, avec moi, il y Miya Atsumu. Celui que j'avais l'habitude de traiter de connard il y a quelques années, et qui est maintenant, sûrement, l'être le plus proche de moi.
J'essaie d'analyser ce que je ressens, à ce moment-là. Ce que je ressens pour lui. Il y a une chaleur dans mon ventre, mais elle est douce, elle ne me brûle pas. C'est comme une brise tiède, c'est agréable. C'est tranquille. Je suis à l'aise, je lui fais confiance... Je suis heureux d'être avec lui, mais... J'ai la sensation qu'il manque quelque chose. L'idée de le retrouver ne me fait pas bouillir d'impatience, et sa présence ne me fait pas frémir de tout mon être. Il n'y a pas cette étincelle. Je crois que le mot que je cherche, et que je ne trouve pas avec Atsumu, c'est celui de passion.
J'aurais voulu que ce soit le cas, au fond, j'aurais voulu qu'Atsumu allume un brasier au fond de mon être, ça aurait été tellement plus simple que de courir après des fantômes à l'autre bout du monde. C'est lui qui est là avec moi, c'est contre sa peau que je me réchauffe, mais ce n'est pas assez, ça ne suffit pas, et mes pensées s'égarent, encore et toujours, vers d'autres souvenirs, vers d'autres hommes qui me consument.
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