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II. 10. Tooru


Ça y est. Je suis officiellement Argentin. Le soleil est à moi.

J'ai envoyé les papiers pour renoncer à ma nationalité japonaise hier, lorsque j'ai reçu la notification du ministère -puisqu'il est interdit de la cumuler avec une autre. Mes parents et ma sœur m'ont félicité, mais je pense qu'au fond, ils sont un peu tristes. Et moi aussi, je dois avouer que ça me fait tout drôle. Mais bon, ça fait trois ans que je vis ici. J'ai pris mes repères. Mon avenir, c'est l'Argentine.

D'ailleurs, la saison de volley en club reprend ce week-end, les 13 et 14 novembre avec deux matchs à Buenos Aires contre la Ciudad et Moron. Est-ce que San Juan va acquérir son septième titre consécutif de champion argentin ? J'espère bien. Surtout que cette saison, je prends enfin le poste de passeur titulaire. Autrement dit, le plan que j'ai suivi à partir du jour où j'ai décidé de suivre José Blanco en Argentine fonctionne parfaitement. Ne manquent plus que la sélection en équipe nationale, et les titres qui iront avec...

-A la tienne, Tooru, dit justement le coach en levant son verre.

Toute l'équipe l'imite, et je sens la fierté embraser mes joues. On s'est tous réunis dans un restaurant, après l'entraînement, pour fêter ma naturalisation, et je me sens bien au milieu de mes coéquipiers et du staff. Evidemment, je ne suis pas insensible au fait que ce soit José qui ait porté le toast, pas insensible non plus -jamais- à ses yeux pâles posés sur moi.

-C'est une super nouvelle, Tooru ! s'écrie Leonel, le libéro. Maintenant, tu vas pouvoir jouer en bleu à San Juan et avec l'Argentine ! Les Japonais vont te regretter. Hein, coach ?

-Très certainement, sourit José.

Je suis sur mon petit nuage ; mais je redescends légèrement lorsque mon voisin, Martin, me prend le bras :

-Tiens, en parlant de l'équipe japonaise. Je t'avais dit qu'à la fin des Jeux, un de tes amis de là-bas te cherchait ?

Un de mes amis ? De l'équipe nationale japonaise ? Je ne peux pas vraiment dire que j'y ai des amis...

-Il ressemblait à quoi ?

Parce que si c'était Ushijima, j'espère que tu l'as bien envoyé se faire foutre.

-Un gars, tout jeune, avec des cheveux noirs et l'air un peu paumé.

-Oh.

Je bois une gorgée de vin. Tobio. J'ai beaucoup pensé à lui, ces derniers temps, après notre entrevue au Maracanãzinho ; j'ai failli lui envoyer un message, lui ne m'en a pas envoyé, et je me suis dit qu'on reprendrait nos vies respectives, et que ce serait d'autant plus facile maintenant qu'on a eu une discussion apaisée. Un achèvement tardif mais serein. Sauf que non. Je me sens toujours troublé à la pensée de son visage et de son corps, adultes à présent, de l'envie que je ressentais de le toucher, du souvenir de ses mots tellement candides, alors tu ne reviendras pas.

-Il voulait quoi ?

-Rien, juste savoir si t'étais là.

Il voulait me revoir ? Peut-être qu'il avait des choses à me dire ? Purée, Martin, t'aurais pu me dire ça avant, ça m'aurait peut-être décidé à lui envoyer ce message. Mais bon, il serait toujours aussi inutile, vu que maintenant on a deux nationalités distinctes. Ça me frustre. Pourquoi je pense à Tobio alors que je sais très bien qu'on n'a plus d'avenir tous les deux ?

Je me ressers du vin. J'en buvais jamais, au Japon, mais maintenant c'est dans mes habitudes ; merci José. Lui aussi a l'air de beaucoup boire, ce soir, et les gars s'amusent de le voir un peu éméché. Je me dis qu'il a d'autant plus de chances de finir la nuit avec moi.

-Y a qui, à la Ciudad ? demande le libéro. Ils ont signé qui comme internationaux ?

-Un Chilien et un Brésilien, je crois.

-Un Brésilien genre ?

-Un central, jamais sélectionné en équipe nationale, répond Gustavo, notre propre Brésilien à San Juan. Rien d'inquiétant, Leo, c'est pas Lucas ni Romero.

Il sourit légèrement. Lui a fait partie de l'équipe nationale brésilienne, au début des années 2010, et il a marqué plusieurs points clefs au bloc -il fait quand même deux mètres quinze. Il a arrêté avec la seleçao il y a des années, mais reste proche des joueurs brésiliens, et il n'a pas manqué de nous charrier pour la défaite contre eux aux Jeux Olympiques.

-Lucas est rentré à Sao Paulo avec Bruno, poursuit-il. Et Nicolas est à la Lube, cette année. D'ailleurs, vous avez vu son interview ?

-Ouais, ça a été relayé par toutes les pages de volley, répond Martin.

Je ne l'ai pas vue, moi, j'étais occupé à annoncer à tout le monde que j'avais enfin mes papiers. Je regarderai plus tard, si je tombe dessus.

-Pff, c'est là qu'on voit qu'il commence à tourner plus du côté people que du côté sport, critique Leo. On s'en fout, de son enfance miséreuse ou que sa femme soit enceinte. Ce qui nous intéresse, c'est d'en savoir plus sur les clubs italiens, si jamais on tombe sur eux en coupe...

-C'est sûr que c'est pas toi qui va annoncer ta paternité ! rigole Gustavo. Faudrait déjà que tu te trouves une copine !

-Quoi ? Pourquoi ça tombe sur moi ? Tooru n'a pas de copine non plus, hein !

Je souris, et je ne peux pas m'empêcher de jeter un œil à José, qui est en train de saisir la bouteille de vin comme s'il n'avait rien entendu.

-Laissez-moi en dehors de ça, les gars, c'est ma fête-

-Oui, justement ! s'écrie Martin. Dis-nous tout. Comment un gars comme toi peut rester célibataire ? C'était quand, ta dernière relation ? On t'a jamais vu avec personne ici !

Là, je marche sur des œufs. Oh, si je suis honnête, le début est plutôt correct, à savoir que mon dernier petit-ami en date est Kageyama Tobio, mon cadet au collège et mon rival au lycée, mon petit Tobio-chan, si pur, si honnête... Et puis ça dérape : depuis mes dix-huit ans, je couche régulièrement avec José Blanco, notre coach, lequel est marié, ce qui compromet un peu une relation stable. Et je n'ai jamais vraiment pensé à chercher ailleurs, parce qu'il n'y a pas meilleur sentiment au monde que d'être choisi par un champion légendaire comme José Blanco. Même s'il ne vient pas souvent chez moi, ça me suffit. Même s'il ignore mon message ou me dit qu'on ne se verra pas cette semaine, ça me suffit. Quand il me regarde, quand il me sourit, quand il m'embrasse, ça efface tout. Je réponds :

-Le volley occupe tout mon temps.

-Mytho, va. Tu trouves pas les Argentins à ton goût ?

-Oh, si, si. Mais j'ai pas le temps de construire quelque chose de sérieux.

Il renifle, mais me laisse enfin tranquille, et cette fois, je croise les iris gelés de José. Un imperceptible sourire tiraille le coin gauche de ses lèvres, puis disparaît derrière le verre de vin. L'équipe se sépare à la fermeture du restaurant, et je traîne un peu, j'attends de lui parler -ça fait quatre ans que je le vois et que je couche avec lui, mais j'ai toujours cette impression d'insaisissable, cette incertitude sur ce qu'il pense vraiment de moi, ce qu'il attend de moi ; toujours ce besoin de lui plaire, de me sentir reconnu par cet homme.

-Je te raccompagne ? me demande-t-il, et j'ai l'impression que les lumières de la ville brillent avec plus d'éclat.

On marche tous les deux le long des rues de San Juan jusqu'à mon appartement. Il a l'air songeur. J'aimerais lui prendre la main, mais je sais que je ne peux pas, pas ici, pas dehors. Je veux récupérer son attention :

-Tu sais, la fête de ce soir, c'est grâce à toi. Sans toi, je serais peut-être encore au Japon, à galérer pour me faire une place en V-League...

-Pas besoin d'être aussi humble, Tooru. Je te l'ai déjà dit, tu le mérites.

Je me sens bien. Je sens que j'ai fait le bon choix. Que je suis avec la bonne personne. J'ai besoin de le lui transmettre, j'ai besoin qu'il sache combien je l'aime et je l'admire, combien je lui dois tout.

-Tu es quelqu'un de bien, José. Vraiment.

Je crois qu'il va s'attendrir, mais à la place, il laisse échapper un étrange petit rire :

-Tu crois ça ?

-Bien sûr...

Un tic nerveux contracte ses lèvres :

-Oh, non... J'ai fait des choses. Des erreurs. T'as pas idée, Tooru.

Je mets ça sur le compte de l'ébriété. On a tous fait des erreurs. Moi non plus, je ne me considère pas comme quelqu'un de bien, pas après avoir trahi Tobio. Je laisse la pensée de côté -on arrive chez moi et l'adrénaline monte. Je ferme à peine la porte qu'il m'assaille de baisers avides. Il a hâte, ce soir. Ses mains se posent sur moi, se glissent déjà sous mes vêtements, sous la ceinture de mon pantalon, sous le tissu de mon caleçon, ses doigts tièdes sur ma chair. Ce désir, ces baisers avinés, cette pression qui me pousse vers la chambre, tout ça me fait tourner la tête.

Les choses s'accélèrent, ses doigts en moi, puis il ouvre une capote -il l'enfile, là, debout au bord du lit tandis que je suis allongé sur le dos face à lui. J'aime l'avoir en moi, et par-dessus tout, j'aime lui donner du plaisir -il n'y a rien de si bon que de rencontrer ses yeux, m'agripper à ses épaules, et plonger mes mains dans ses mèches blondes. Alors je suis un peu déçu quand il m'adresse un geste de menton :

-Retourne-toi.

Il me laisse à peine le temps de m'ajuster avant de commencer à bouger, et j'essaie de bouger les hanches en retour au même rythme. Il place une main dans mes cheveux, me force à me cambrer. J'ai un peu de mal à respirer, ça rend les choses meilleures. Quand je sens qu'il est proche, je me touche pour essayer de jouir en même temps que lui -et le râle de jouissance qui lui échappe suffit à me faire basculer. Il se retire pendant que je reprends mon souffle ; je me redresse, il m'embrasse une fois sur la joue, puis disparaît dans la salle de bains, et je m'occupe de changer les draps pour la nuit. Quand il émerge de la douche, je suis debout à côté du lit refait, et j'aimerais qu'il y ait moins de supplication dans ma voix quand je demande :

-Tu restes, cette nuit ?

Je me sens plus léger quand il acquiesce, et je vais me laver à mon tour ; et quand je reviens dans la chambre, il est déjà sous la couverture, allongé sur un coude, sur son téléphone. Il le pose sur la table de chevet en me voyant entrer et s'installe pour la nuit. Je me demande à qui il parlait, peut-être qu'il a prévenu sa femme qu'il ne rentrera que demain ; parce que pour cette nuit, il est avec moi, il est à moi. Je me glisse dans ses bras, je pose ma tête sur son épaule et je ferme les yeux. Est-ce que des plan cul dormiraient comme ça ? Je ne pense pas. Il y a quelque chose d'intime entre José Blanco et moi. On n'a jamais parlé de ce qu'on était l'un pour l'autre, je crois qu'il n'y a pas besoin, il est marié après tout. Mais je ne sais pas exactement dans quelle mesure il a des sentiments pour moi. Pour revenir à chaque fois, c'est bien qu'il doit en avoir un peu.

Je sens qu'il s'est endormi. J'écoute sa respiration. Pour la millième fois peut-être, j'essaie de prendre conscience de ce que je vis avec lui, d'inscrire tous les détails de cet instant dans ma mémoire : mon bras droit reposant sur son torse, mes doigts posés juste au-dessus de son cœur, dont je peux percevoir, même de manière infime, les pulsations lentes. Son épaule est un peu trop musclée pour être bien confortable, mais ça me convient. Que dirait le petit Tooru qui lui demandait un autographe ? Que dirait le Tooru collégien ? Que dirait celui de terminale, avant le dérapage de décembre ? Celui qui pensait encore qu'un avenir était possible avec Tobio...

Encore, toujours. Tobio ne sort plus de ma tête. Lui a déjà repris son championnat en V-League, a déjà joué et gagné deux matchs. Je les ai regardés. Je me demande s'il regarde les miens. Si, parfois, en même temps, sans le savoir et d'un bout à l'autre du globe, il me regarde et je le regarde, comme si quelque chose nous liait encore, malgré tout, malgré les années...

Lui et moi, on est en train de voler. On vole si haut qu'il n'y a que du bleu, du bleu partout, un bleu ciel qui m'éblouit. Depuis quand est-ce que je sais voler ? Je ne sais pas, mais c'est grisant. Je me tourne vers lui, et il se retourne en même temps.

-Tooru-san, dit-il, tu rentres au Japon, n'est-ce pas ?

Est-ce que je vole dans la mauvaise direction ? Mais comment est-ce que je peux me repérer dans tout ce bleu ? Il s'assombrit, au loin, peut-être que c'est la nuit qui tombe, et je réponds, pénétré d'un sentiment d'essentiel :

-C'est la couleur de tes yeux.

Je me dis que je dois prendre de l'altitude, prendre de l'avance sur la nuit. Je grimpe. Les courants d'air chaud me portent, je ne sais pas si Tobio me suit, et au moment où je veux me retourner pour vérifier qu'il est derrière moi, un énorme soleil me bloque la vue -et c'est un soleil terrifiant, le soleil argentin à visage humain, qui me fixe de ses yeux sans vie, qui prend toute la place, qui m'éblouit, qui approche son horrible visage. Je panique. Je tombe. Je hurle.

Quand j'ouvre les yeux, je suis dans mon lit, assis, en sueur, le souffle court. Le visage solaire flashe encore devant mes yeux, l'impression de voler, l'impression de tomber, la voix de Tobio, et il me faut une seconde pour me rendre compte que je suis bien dans ma chambre. Ce n'était qu'un mauvais rêve. Est-ce que j'ai vraiment crié ? J'ai la gorge sèche. José Blanco remue, j'ai peur de l'avoir dérangé, et je reste là, figé, le cœur encore battant la chamade ; mais il passe un bras autour de moi, et murmure d'une voix empâtée de sommeil :

-...chemar, tout va bien... Je suis là, bébé...

C'est un peine un murmure, et sa respiration redevient profonde immédiatement ensuite. Je frémis. L'étonnement remplace le choc. J'ai bien entendu ? Bébé ? Il ne m'a jamais donné de petit surnom jusqu'ici... Qu'il le chuchote ainsi, en pleine nuit, son bras autour de moi... C'est d'autant plus sincère, d'autant plus authentique. Les images du cauchemar se dissipent, remplacées par une euphorie nouvelle. Peut-être qu'il m'appelle comme ça, dans ses pensées, mais ne me l'a jamais dit ? En tout cas, c'est révélateur -alors il est bien attaché à moi. Je me sens invincible en me rallongeant contre lui. Oui, c'est vrai, en un sens, je suis son bébé, son enfant chéri, celui qu'il gâte, celui qu'il a choisi de pousser jusqu'à la carrière internationale...

C'est la première chose à laquelle je pense quand je me réveille, et je suis presque en train de chantonner en récupérant le journal et en préparant le petit-déjeuner. Ce surnom me va bien. Je vais lui demander de le garder. Comme José dort encore, je me décide à manger sans lui, et je cale mon téléphone contre la cafetière pour découvrir mes actualités.

J'ouvre Instagram, je parcours les stories de mes amis, puis mon fil, et je finis par trouver la vidéo dont parlaient mes coéquipiers hier, l'interview de Romero. Je crois que tous les Brésiliens y sont passés, depuis leur succès aux Jeux Olympiques. Elle se lance, le joueur apparaît, en chemise, assis sur un tabouret, souriant comme à son habitude. A côté de lui, sur un autre tabouret, un journaliste s'occupe de le présenter :

-Nicolas Romero, vous êtes l'attaquant ailier de l'équipe du Brésil depuis maintenant quatre ans... fraîchement champion olympique...

Des images de la finale olympique apparaissent à l'écran, puis la discussion s'oriente sur son changement de club pour la nouvelle saison, de Pérouse à la Lube, de son intégration en Italie. Ils ont été généreux sur le montage, et les photos des clubs apparaissent tour à tour. Puis on en vient à ce que mes coéquipiers disaient hier :

-Pourtant, vous n'étiez pas destiné à devenir joueur de volley professionnel.

-En effet, répond Romero sans cesser de sourire. J'ai grandi dans une favela de Rio, avec ma mère, mon beau-père et quatre sœurs. C'était un environnement difficile. Si j'ai pu faire du volley, c'est parce que ma mère m'y a poussé... et aussi grâce à l'aide humanitaire qu'on avait là-bas, avec des bénévoles qui tenaient un gymnase et donnaient des cours.

Une photo apparaît à l'écran, un peu défraîchie, datant sûrement du tout début des années 2000. Ça devait être une image de groupe, mais elle a été coupée et recentrée autour de Romero, entre deux autres gamins -toujours la même tête, en vérité, si ce n'est pour le sourire plus incertain, les joues plus rondes et imberbes, les cheveux un peu dans les yeux. Il a peut-être treize ans dessus.

-Quel parcours, c'est vraiment une belle histoire, renchérit le commentateur.

Il embraye sur un numéro et un site pour faire des dons aux enfants des quartiers défavorisés, puis se retourne vers son invité :

-Et que dire de votre mariage ? Tout le monde ne parlait que de ça...

-Oh, j'ai déjà donné des interviews à ce sujet.

-Mais alors, Nicolas, dites-nous, comment se passe la vie de nouveaux époux ? Flavia n'est pas trop triste que vous ayez signé pour une nouvelle saison en Italie ?

-Tout se passe bien. On a peu de temps ensemble, alors on profite au maximum des moments qu'on a tous les deux. Quant à l'Italie, eh bien, je voulais profiter de cette interview pour annoncer quelque chose...

Le présentateur se penche, tout ouïe, mais je sais déjà ce que le joueur va dire :

-Flavia pourra bientôt me rejoindre à Civitanova. En fait, nous attendons un heureux événement pour ce printemps...

Le présentateur se confond en félicitations, et Romero hoche la tête, ravi comme s'il n'avait pas brisé des milliers de cœurs à travers le monde, arrive à caler quelques mots de temps en temps entre deux exclamations : oui, on avait ce projet depuis un moment, c'était ce qu'on voulait après le mariage, je suis vraiment impatient.

La vidéo s'arrête. Je n'en pense pas grand-chose. Romero est un des joueurs les plus médiatisés au monde, mais au final, de nombreux autres hommes de son âge se marient ou deviennent pères ; pour autant, on ne fait pas de reportages sur eux. Probablement pas assez beaux, pas assez d'or autour du cou, et pas assez mariés à d'autres stars. Un instant, je me demande si un jour je pourrais me retrouver à sa place en parlant de José, à dire, oui, il est mon joueur préféré depuis mon enfance, c'est un rêve devenu réalité, il m'a aidé dans tous les aspects de ma vie...

Je fais défiler encore un peu, puis quelque chose attire mon attention. Mon cœur manque un battement. Une des suggestions qui s'affiche dans un coin de l'écran porte le nom de kageyama_tobio_off.

Mon cauchemar me revient en tête, se mélange avec la réalité. Tu reviens au Japon ? Tu ne reviendras pas ? J'hésite de longues secondes avant de cliquer sur son profil, la cuillère de céréales arrêtée entre le bol et ma bouche. Depuis quand est-ce que Tobio a Insta ? Qu'est-ce qu'il peut bien mettre dessus ?

Quasiment rien, je m'en rends compte rapidement. Sa photo de sélection officielle avec l'équipe nationale japonaise, celle que j'avais vue en juillet dernier ; et une photo d'équipe avec les Schweiden Adlers après leur première victoire, en octobre. Très sobre, très pro : tout Tobio. Il a une story en cours. J'ai envie de voir ce qu'il partage, de savoir ce qu'il fait -mais est-ce que je prends le risque qu'il me repère dans ses spectateurs ? Ça devrait aller, il a déjà quelques milliers d'abonnés, je vais me perdre dans la masse -et puis, je ne suis pas sûr qu'il sache comment faire.

Je clique, une photo apparaît -Tobio, avec Miya Atsumu. Je pose mon doigt sur l'écran pour figer la story et regarder de tout mon saoul malgré l'agacement qui monte en moi. Ils sont face à face, une petite table entre eux, des couverts apprêtés, j'aperçois un mur décoré -un restaurant. Tobio est revêtu d'un pull blanc, et une petite inscription sur le torse me fait penser que c'est un vêtement officiel des Adlers. En face, Miya porte une veste. Monsieur a voulu se rendre classe. Pour ce qui ressemble très fortement à un date. L'agacement se mue en quelque chose qui ressemble de plus en plus à de la colère. Tobio a le visage calme, un peu blasé, c'est Atsumu qui fait le selfie, flashant son sourire arrogant à la caméra. C'est lui qui l'a posté en premier, et Tobio l'a republié. Dans un coin, l'un d'eux a ajouté un point de localisation : Osaka.

Bon. Super. J'en ai rien à foutre. Tobio peut bien sortir avec qui il veut, après tout, on fait nos vies séparées. Je dors avec Blanco, il peut coucher avec Miya si ça lui chante (c'est ce que j'aimerais dire, mais je me sens toujours contrarié, alors voilà la version sincère : putain Tobio-chan, pourquoi tu tombes si bas ? Miya Atsumu ? Tu me mets dans le même sac que lui ? Je sais que j'ai été le pire des connards avec toi, mais pourquoi est-ce que j'ai envie que ce soit moi que tu regardes, moi que tu attendes, encore et encore, égoïstement ? Pourquoi je ne veux pas que tu sois à un autre ?).

Je quitte Insta, et je me sens encore un peu troublé quand José sort de la chambre et me rejoint dans la cuisine ; mais je me rappelle de cette nuit, de ses mots doux, et je ne peux pas m'empêcher de sourire.

-Salut, Tooru, marmonne-t-il.

Il s'assied au comptoir et allume la cafetière ; j'attends qu'il se serve avant d'y placer ma propre tasse, et je lui lance pendant que la machine se remet en route :

-Dis-donc, tu caches bien ton jeu.

-Comment ça ? demande Blanco d'une voix calme.

Ses yeux gris apparaissent par-dessus sa tasse de café, se rivent sur moi, et je lui adresse mon plus beau sourire :

-Tu te souviens pas ?

-Non, rappelle-moi.

-Cette nuit, j'ai sursauté, et tu m'as parlé... tu m'as donné un petit surnom.

Je récupère ma tasse, puis j'ouvre un placard pour prendre un morceau de sucre tandis que la réponse de José arrive, lente et posée :

-Ah oui ? Qu'est-ce que c'était ?

-Bébé.

Silence. Je me retourne. José a posé son mug, s'est figé, un journal dans la main. Il a une drôle d'expression sur le visage. De la gêne, peut-être, parce qu'il s'est montré démonstratif ? Ou bien... Non. Il y a quelque chose qui bloque. Quelque chose qui ne va pas me plaire, je le sens -un mauvais pressentiment me prend à la gorge.

-Ah..., fait-il simplement.

J'ai été naïf. Je m'en doutais, mais je n'ai pas voulu y croire. Et maintenant, toutes mes belles illusions sont sur le point de voler en éclats.

-Désolé, Tooru.

Brisées.

-Pendant un instant, j'ai dû croire... comment dire, que tu étais quelqu'un d'autre.

Brisé.

-Quelqu'un... d'autre ?

J'ai la bouche si sèche que je ne sais pas comment je réussis à parler. Le malaise me ronge. J'essaie de comprendre et je ne veux pas comprendre. Je le savais mais j'étais dans le déni. Il y a quelqu'un d'autre. Quelqu'un d'autre dans la vie de José. J'ai à la fois très froid et très chaud, j'ai l'impression que ma vision se trouble.

-Oui, dit José en dépliant son journal.

-Qui ça ?

Il hausse les épaules.

-Un garçon ? Quelqu'un comme moi ?

-En quelque sorte, oui.

-Un amant ?

-On peut dire ça.

J'ai l'impression que tout ça est absurde. C'est une matinée emplie de soleil, l'odeur de café embaume la pièce, José a passé la nuit avec moi, j'ai fêté hier ma nationalité argentine, et pourtant j'ai l'impression que mon monde est en train de tomber en morceaux à mes pieds. Non, je ne peux pas supporter ça, je ne voulais pas le savoir. J'aurais voulu croire que José ne voyait plus personne depuis que j'étais dans sa vie. Que je lui suffisais comme il me suffit, lui. Mais non. Il voit d'autres hommes, les touche, passe la nuit avec eux aussi. Le même scénario se répète encore et encore, comme toujours. Je ne suis pas le premier, je ne suis pas le favori. Je ne suis pas le meilleur. Je ne vaux pas mieux qu'un autre, il ne m'a pas choisi, je ne suis pas son élu. Je ne suis qu'un parmi tant d'autres et rien de plus. La colère surgit, je veux des comptes :

-C'est qui ? C'est un volleyeur ? Je le connais ?

José esquive mon regard, et ce faux désintérêt ne fait que prouver combien le sujet est sensible. J'ai l'impression que je vais pleurer de rage, comme quand j'étais plus jeune. J'ai l'habitude d'être frustré en volley, mais j'ai cru que je serais intouchable en amour. C'est là aussi que réside ma fierté, les gens me veulent, les gens m'aiment, je sais que je plais, je ne pensais jamais subir de déception sentimentale. Mais là, cet orgueil, José vient de le pulvériser en quelques mots indifférents.

-Va te préparer, Tooru, dit-il. L'entraînement d'aujourd'hui sera rigoureux.

Je n'arrive pas à bouger, je me sens cloué au sol. Mes mains tremblent. Puis je me retrouve dans la salle de bains, je me penche sur le lavabo pour asperger mon visage d'eau fraîche, et le sang bat à mes oreilles. Quelqu'un d'autre, il y a quelqu'un d'autre, quelqu'un d'autre que José appelle bébé, un autre garçon, un autre amant, un autre rival, quelqu'un d'autre, quelqu'un... quelqu'un que José aime plus que moi, peut-être. Ça me rend malade. Ça me rend profondément malade.

Pour la première fois, je remets mes choix en question, des choix que j'ai faits en connaissance de cause ; cette révélation était sous-jacente depuis le début, depuis nos premiers ébats dans son bureau. Mais je ne me sens pas prêt à l'accepter. Ça me fait trop mal. Ça remet tout en question. Je sais que je ne pourrai jamais cicatriser cet instant où mes espoirs et ma fierté ont été réduits en miettes, que rien ne sera plus pareil à présent. Et, pour la première fois, je regrette d'avoir suivi José Blanco.

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