7 . burn
07.
Après son sursaut, il avait écarquillés les yeux ; j'avais frappé à la vitre sans retenue. Les coups avaient blessés la peau rougie de mes poings.
— Jisung ?! Est-ce que ça va ?
Mon nom de sa bouche.
Ce fut la première chose qu'il me dit lorsque je refermai la portière côté passager.
Le confort du siège me fit soupirer de bien-être et sous la chaleur brusquement écrasante du chauffage, j'éternuai. Ma peau brûlait.
Il s'était tourné vers moi, un bras sur le dossier de mon siège et le visage crispé sous son froncement de sourcils. Il portait un de ses nombreux hoodies, avait le nez rouge, les yeux brillants et ses cheveux étaient ébouriffés.
— Ouais.
A l'intérieur, quelque chose se gonfla douloureusement.
— T'es congelé putain !
C'était la première fois que je l'entendais jurer. Sa voix résonna dans ma tête, se répercuta sur chacun des os de mon corps et le tout vibra à l'unisson quand mon regard s'accrocha au sien.
Il m'avait manqué.
Je le laissai faire lorsque ses mains agrippèrent les miennes pour les frotter et les apporter à sa bouche pour souffler dessus. Nos chaleurs se mêlèrent et j'en frissonnai ; la sienne était douce comparé à la brûlure de la mienne.
— Qu'est-ce que tu faisais sans ta veste dans le froid ? Tu vas être malade.
Y'avait cette connotation singulière dans le fond de sa voix. Quelque chose de similaire à ce que j'avais pu entendre par le passé mais que je n'avais jamais su identifier. Aux tons qu'ont pu prendre mes parents ou ma sœur quand j'étais plus jeune, aux expressions qu'ont eu Jeongeun et Felix quand ils débarquaient chez moi... Minho avait un peu un bout de tout ça, mélangé avec une part de lui. Et le ton de sa voix, il était délicieusement unique.
— Est-ce que tu t'inquiètes ?
— Comment ça « est-ce que j'm'inquiète » ? Évidemment que je m'inquiète ! T'es sûr que ça va ?
Je hochai la tête.
Je ne m'étais pas rendu compte que mes épaules s'étaient crispées lorsque j'avais posé la question.
Ses doigts frottaient toujours délicatement les miens, sa large paume passait en son entièreté sur le dos de ma main. Sa pulpe venait parfois frôler l'intérieur de mon poignet sous la manche de mon pull et je m'extasiais à chaque passage. Ma peau était totalement accro à son toucher et comme celui que l'on tire de son sevrage, je me sentais me détendre au fur et à mesure. Secrètement, j'en voulais plus.
— Qu'est-ce que tu fous dans ta voiture ? Ils font la bringue là-bas, je désignai l'extérieur d'un geste de la tête.
— Je sais, il souffla.
— Flemme de fêter Noël ?
Il soupira et détourna un instant le regard quand je promenai le mien sur son visage. Il me sembla qu'il était plus pâle que la dernière fois, plus fatigué aussi — je le vis à la couleur de ses cernes. Pourtant le tout restait harmonieux quand il s'agissait de Minho et je voulais caresser sa joue comme lui le faisait avec ma main.
Je me tournai vers lui, le boîtier de vitesse séparant nos genoux alors que ma tête se reposait contre l'appui-tête, juste à côté de son bras qui le maintenait appuyé dans ma direction.
— J'hésitais surtout, ouais.
Il pinça les lèvres et je les fixai un court instant. J'avais envie qu'il se penche un peu plus sur moi.
— Pourquoi ?
— Je savais pas si j'allais t'y voir...
Le silence sembla sonner son gong et tous ces trucs qui me démangeaient toujours en sa présence depuis quelques temps, je les sentis fourmiller à l'intérieur de mon corps. On me vola ma respiration, les battements de mon cœur et le tourment de mes pensées.
— J'y étais, je soufflai.
Il releva les yeux vers moi, affronta de plein fouet mon regard brumeux.
— Et t'es là.
Je hochai la tête et aucun mot ne me vint en tête. C'était comme cette fois sur Sunset Center, ce soir dans l'ascenseur et cet après-midi sur la plage... Tout se bousculait, se renversait et se jetait aléatoirement dans l'univers et moi, j'étais en plein centre, témoin oublié dans ce chaos.
Y'avait tellement de choses, de ressentis qui tournaient encore et encore et que je ne comprenais pas, qui restaient flous malgré mes efforts à en chercher la netteté au milieu de l'étrange inconnu.
Minho, en plus d'infimes mots, c'était aussi beaucoup de ça.
Et si j'ai pensé à fuir ces autres fois, que je voulais tourner le dos à ce bordel apocalyptique, son contact m'avait trop manqué pour que je me résigne à m'en aller de nouveau.
— Je sais que t'as envie de parler de la dernière fois, finit-il par dire tout bas. Et moi aussi.
— Alors pourquoi on dirait qu'on évite ?
Il soupira et mordit sa lèvre inférieure.
— Parce que y'a tellement de trucs que j'sais pas par quoi commencer.
Je crois que j'ai souri lorsque j'ai serré ses doigts.
— Par ce qui te vient en te premier, la suite ça s'avise.
Il hocha la tête, lâcha un soupir. Il leva un instant les yeux sur le plafond de sa voiture, l'air de mettre de l'ordre dans ses pensées impétueuses. Minho ferma les yeux un instant, je regardai ses cils se dessiner dans l'espace et je vis les muscles de son visage se crisper. Je voulu lui dire qu'il n'était pas obligé, que les mots pouvaient attendre, être mis dans un coin mais il rouvrit les yeux.
— J'ai beaucoup réfléchi, énormément même. Je... Je sais pas pourquoi tu m'as dit ça, sur la plage, que j't'ai cassé, il fronça les sourcils comme sous le goût de l'amertume de la phrase. Je suis désolé si je t'ai fait du mal Jisung, j'ai jamais voulu t'en faire.
Je pinçai les lèvres et déglutis, fronçant les sourcils à mon tour alors que je me tournai pour lui faire face, me redressant sur le siège. Lui, il évitait mon regard, gardait le visage baissé sur mes doigts qu'il tenait à peine.
— Toi... Toi tu me perds, il mordit l'intérieur de sa joue. Je suis putain de paumé à cause de toi et c'est sincèrement angoissant. Je flippe, si tu savais combien je flippe. Parce que pendant tout ce temps, j'ai fait que penser à toi, à toi, à toi jusqu'à devenir fou et tu m'as manqué, Jisung. Beaucoup trop. Et... J'crois que... Euh... J'crois que j'ai des sentiments pour toi, sa voix trembla. E-Et la contradiction est horrible parce que j'ai putain de peur de ça, il marqua une pause. J'ai peur de t'aimer.
Il s'était tut et j'avais laissé ma respiration en suspens.
— Pourquoi ?
Et alors, dans le brouillon, il me conta ce morceau de son existence.
Celui qui l'avait hissé au plus haut avant de le laisser s'écraser au plus bas. Minho, il avait aimé. Fort, très fort. Et il en avait été la funeste victime. Un cœur brisé et une confiance ravagée. Minho, il avait tout donné et il n'avait jamais récupéré. Alors aujourd'hui, celui qui avait aimé plus que tout avait la corde autour du cou quand l'amour apparaissait au coin de la rue. Il avait peur, Minho, il était terrorisé à l'idée de glisser après avoir réussi à escalader avec difficulté cette pente. Ce que cette fille avait laissé en le quittant l'avait marqué au fer rouge et Minho, il était devenu le mouton noir.
Un homme seul et aveugle qui luttait contre la houle qui venait fracasser le rocher sur lequel il était perché.
Minho n'avait pas confiance en l'amour.
Moi, je ne connaissais pas l'amour.
Je compris alors pourquoi il revenait et disparaissait comme un bateau pris dans les vagues à l'horizon. Minho guérissait en retard sur le temps.
Quand il eut terminé, à bout de souffle par la transcendance de ses vieux souvenirs, je ne dis rien. J'avais reposé mon crâne contre l'appui-tête, serrais sa main quand je l'écoutais. Son regard qui s'était fait fuyant, à la recherche d'une force lointaine, revint croiser le mien et à son tour, il appuya sa tempe contre l'appui-tête de son siège. Je crois qu'il attendait que je réagisse, que je trouve les mots adéquats pour lui répondre et peut-être murmurer ce qu'il avait besoin d'entendre. Mais ça, je l'ai compris bien après ; quand je me fis la réflexion que j'en étais incapable et que sa voix se brisa après mon long silence.
— T'es pas obligé de trouver quoi dire, y'a rien à dire, il soupira, ferma fortement les yeux. M-Mais Jisung... Dis-moi que tu t'en fous, que t'es triste. Dis-moi que toi aussi t'as peur ou qu'au contraire, t'es confiant. Dis-moi que tu ressens la même chose ou que j'suis seul dans ça. Je sais pas mais s'il te plaît, parles moi de toi, de tes sentiments, parce que tu le fais jamais et j'crois que c'est pour ça que je flippe autant quand j'pense à toi sans arrêt. Peu importe ta réponse, je comprendrais parce que toi et moi, on s'doit rien au final et tu...
— Minho, je le coupai.
Sa main avait serré un peu plus fort la mienne au rythme de son débit de paroles. Dans ma poitrine, ça avait fait pareil ; tout s'était serré en accélération. Aujourd'hui je sais que c'était des mots que je redoutais, à ce moment-là c'était des phrases que je ne souhaitais pas entendre. J'y avais jamais fait attention jusqu'à ce qu'il le dise, ces mots qu'on m'avait si souvent répété et face auxquels j'étais toujours resté de marbre.
Minho s'était tut, la respiration lourde. Il s'était redressé et me regardait de ces yeux humides qui m'hypnotisaient. J'avais la bouche sèche, cette impression de m'être pris un coup de poing en plein dans le nez. J'étais sonné, trop tourmenté et je ne me souvins pas trop de ce qui suivit. De ces mots que je sortis alors à mon tour sans les contrôler, sans réfléchir à leur sens et leur impact.
— Je sais pas ce que je suis censé ressentir, Minho.
J'avais dévié le regard un instant, juste un court instant et du coin de l'œil, je l'avais vu hocher la tête avec attention.
— Quand j'suis avec toi, j'ai l'impression d'être... Perdu, tu vois ? Y'a tout qui est flou et je comprends pas, je fronçai les sourcils. C'est le bordel dans ma vie depuis qu'on s'est rencontré, à Halloween. Et ça empire à chaque fois que t'apparais après avoir disparu. T'es un fantôme que j'voudrais garder sous les yeux tous les jours et... Ça me rend un peu plus taré à chaque fois. Y'a quelque chose qui est cassé là, je désignai ma tête, et là, puis mon torse, et j'crois que j'suis malade.
— Je...
— Et j'ai l'impression que des fois ça se soigne puis ça s'aggrave, je soupirai et marquai une pause avant de hausser les épaules. J'suppose que c'est ce qui se passe quand on fait que s'croiser dans des bouts de temps : on se rend malade. Tu me rends malade, Minho.
Je fermai les yeux et repris ma respiration. Moi aussi j'avais parlé vite. Les mots s'étaient acculés au bord de mes lèvres et je n'avais su les retenir. Je ne savais même pas ce qu'ils signifiaient en réalité mais en y repensant, mon dos s'était libéré d'un poids quand j'eus terminé.
Il avait desserré sa prise autour de ma main devenue moite et je mis plusieurs secondes avant de rouvrir les yeux. Et le chaos de mes orbes rencontra l'apocalypse des siennes.
— J'sais pas vraiment si c'est ce que tu voulais entendre, je finis alors par ajouter d'une voix basse. Je... Je sais pas comment te répondre.
Le silence se faisait pesant et j'avais affreusement envie d'éteindre le chauffage qui le comblait légèrement. Et puis, il commençait à faire de plus en plus chaud à l'intérieur de la Jeep.
Minho, il avait le regard profond et comme moi un peu plus tôt quand sa voix chantait peines et doutes, il cherchait à plonger dans ses vagues sombres. C'était renversant et les battements de mon cœur me le firent comprendre.
Et au final, dans ce morceau d'histoire qui avait « nous » pour nom, nous n'avions jamais su mettre de vrais mots sur nos martyres et désirs.
— Embrasse-moi.
Ma main agrippa le col de son hoodie et sa bouche cogna la mienne.
C'était bon, c'était ardemment doux et je compris que j'en avais cruellement besoin. Les habitudes gestuelles que nous n'avions pas eu depuis des semaines s'instaurèrent sans demander leurs restes ; nous reprenions nos aises, les chemins que l'on savait dangereux mais qui plaisaient. On découvrait, se redécouvrait. Minho ne respirait plus, je ne respirais plus. Pourquoi avoir besoin d'air quand sentir l'autre contre soi donnait cette sensation d'avoir trouvé son oxygène ?
Ses lèvres étaient douces, elles avaient ce goût sucré si particulier qui s'intensifia lorsque sa langue rencontra la mienne. Il avait brusquement passé ses mains sous mes cuisses pour me ramener délicatement sur les siennes et ses doigts s'étaient frayés un chemin dans le creux de mes reins, caressant ma peau frissonnante sous mon pull. J'avais empoigné sa nuque pour l'inciter gentiment à incliner la tête, à me donner plus d'espace pour effleurer chaleur de son cou, là où se trouvait sa jugulaire puis sa pomme d'Adam.
J'avais chaud, extrêmement chaud. Le chauffage tournait, nos corps cherchaient du contact encore et encore, et nos vêtements étaient soudainement de trop. Je voulais qu'on sorte, qu'on s'extraie des quatre murs de cette voiture dont la buée prenait place sur les vitres. Je voulais que l'air froid de l'hiver enveloppe nos peaux nues et brûlantes pour l'autre.
Je voulais que Minho me serre fort sans me laisser le temps de penser.
C'était la folie. Mon cœur battait la chamade contre le sien lorsque la première couche de tissus vola. La terre sembla s'ébranler quand ses lèvres quittèrent les miennes pour baiser mon cou puis ma clavicule. Mon ventre se tordit en même temps que mon dos sous sa poigne alors que je mordais son cou. Les mains descendaient toujours plus bas, les doigts s'immisçaient et les lèvres se quémandaient.
Et puis je lui murmurais à l'oreille et sa voix chuchotait contre mon lobe. Et puis mes lèvres marquaient avec ardeur et sa bouche embrassait avec fougue. Et puis mes doigts accrochaient et ses mains serraient. Et j'explosais.
Je ne répondais plus de rien, j'étais à sa merci et ça me faisait vibrer. Y'avait la douceur de nos attentions, la violence du manque et le désespoir de l'échange. Tout se mélangeait et nous entraînait dans un tourbillon grisant dans lequel nous resterions volontiers. Je m'agrippais, je marquais et je ne voulais pas qu'il me lâche.
Sur son rocher, la faible lumière du phare rouillé avait capté l'ombre de l'homme aveugle. Et dans l'obscure solitude, il avait senti son rayon éblouissant effleurer les contours de sa carrure.
Puis dans la tempête, une vague plus haute que les autres vint les séparer, les recondamner tous deux à leur solitude froide.
Contre la vitre, témoinde ce « nous » qui ne portait pas de nom mais s'entremêlait debeauté crue, quelques coups avaient retentis et lorsque la vague disparue, lalumière du phare avait perdu l'homme aveugle.
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