5 . hurt you
05.
Il avait attendu, Minho. Je ne me souvenais pas lui avoir donné une réponse, j'aurais très bien pu ne pas venir. Pourtant lorsque j'arrivai sur Sunset Center, un peu après quinze heures, je l'aperçu. Parmi les gens, différant du paysage. Il était assis sur un banc, fixait le vide en faisant tressauter l'une de ses jambes. Il était là et il m'attendait moi.
Le marché de Noël sur Sunset Center n'était pas encore totalement illuminé, il n'était pas très peuplé à cette heure et ce jour-là, le ciel était gris. Pas très festif, pas très gai mais la forte luminosité contrastait avec cette froideur, image à la saison hivernale. Je sentis l'odeur de vin chaud en me rapprochant, celle des churros à gauche et celle des bretzels sur la droite. Mon estomac gargouilla mais j'avais la nausée. « Le stress », aurait pu me dire Felix mais c'était faux ; je n'étais pas du genre à stresser, à angoisser. Je devais être malade.
Minho releva la tête quand il m'aperçut du coin de l'œil et ses yeux se plissèrent sous son sourire. Je ne sais pas quelle tête j'ai fait à ce moment-là.
— Salut, je murmurai.
J'étais pas certain de ce que je devais dire, des mots que j'étais censé prononcé. On avait jamais pris le temps de discuter ainsi, à l'air libre sans rien autour de nous.
— Hey, il se leva et fit quelques pas vers moi.
Encore une fois, il n'avait qu'un hoodie sur le dos et même si les températures n'étaient pas spécialement très basses, le fond de l'air couvait un peu de glacé. J'enfonçai les mains dans les poches de ma grosse veste et reniflai.
— T'as pas froid ?
— Non ça va, il fait chaud.
J'écarquillai les yeux et me détournai pour balayer mon regard sur chaque personnes qui se trouvaient sur la place, constatant qu'ils portaient tous des vestes bien chaudes. Minho était le seul à détonner du reste et lorsque je revins à lui, il rit légèrement.
— Tu me fais rire dans ta grosse doudoune là, on dirait un pouf.
Je levai les yeux au ciel.
— Il fait moins douze, qu'est-ce tu me baragouines ? C'est toi qui me fais marrer.
— C'est une température chaude pour l'hiver d'où je viens, il sourit.
Je haussai les sourcils, surpris.
— « D'où je viens », ok Neptunien.
— Merde, comment t'as su ?
Silence, je mis du temps à déceler qu'il se moquait de moi. Je soufflai et il rit de nouveau. Il était beau, le rire de Minho. En couleurs comme sa voix, comme sa simple présence.
Le marché de Noël sur Sunset Center n'était pas des plus grands. Il y avait quelques stands de nourriture, des vendeurs de bijoux et de bonnets, la bonne vieille boîte aux lettre du Père Noël et l'arche métallisée autour de laquelle étaient entremêlées des guirlandes rouges et dorées. Les musiques classiques de la période tournaient en boucle dans le haut-parleur qui se trouvait au centre et si de nature, j'appréciais entendre les cloches dans les instrumentales, je finis vite par me lasser quand All I want for Christmas se lança pour la septième fois.
Minho et moi marchions côte à côte, sans se stopper aux stands, nous faisions le tour en boucle. Nos bras se frôlaient de temps en temps et quand parfois, on se rapprochait plus que de raisons, mes poils se hérissaient dans ma nuque. C'était inhabituel, inconfortable de me retrouver là, avec lui à l'extérieur et pas entre quatre murs. A l'écouter parler, à apprendre de lui autre chose que les courbes de son corps ou ses habitudes gestuelles.
Minho, il avait fait du piano mais il se souvenait pas trop de l'unique batteur de l'école de musique. J'avais pas insisté, la comptabilité était faible sur ce point-là ; rock et classique s'entremêlaient rarement. Mais il me semble que quelque part au fond de moi, je crois que j'ai été déçu de ne pas avoir marqué son esprit à cette époque-là. Minho, il venait du Nord du pays, là où le temps était en avance et que les hivers étaient bien plus froid qu'ici. Il était issu d'un milieu plus modeste que le nôtre, où les galères sur le chemin de la réussite étaient bien plus prononcées. Minho, il aimait l'Histoire, Noël et ses instants chaleureux. Il appréciait la tranquillité et la solitude. Minho, il n'aimait pas les coquilles Saint-Jacques et George Michael. Il avait le vertige et préférait mille fois garder les pieds sur la terre que les foutre sur un bateau ou dans la grande roue. Minho, il savait pas pourquoi il s'était pointé à la soirée d'Halloween de Seungmin parce qu'il connaissait personne et qu'il n'en avait même pas envie.
Il parlait encore et encore, et je répondais à peine. Je restais trop stoïque pour oser m'enfoncer dans une telle conversation. J'avais toujours cette sensation de marcher en territoire inconnu quand on passa devant l'arche pour la énième fois.
— Ça fait vingt fois qu'on fait le tour, je marmonnai.
J'avais pas tout de suite réalisé que je l'avais dit à haute voix. Ce fut seulement lorsque Minho s'arrêta, coupé dans sa phrase que je le compris. Je fis quelques pas et me retournai en constatant qu'il avait aussi arrêté de marcher. Il cligna plusieurs fois des yeux quand je le fixai et si j'avais pas été trop concentré sur tout ce qu'il m'avait dit, j'aurai remarqué que c'était les premiers vrais mots que je disais depuis un moment.
— On dirait des poissons rouges, j'ajoutai alors en haussant les épaules.
Il sourit.
— C'est vrai. Qu'est-ce que tu veux faire alors Terrien ?
Je tiquai au surnom.
Qu'est-ce que je voulais faire ? J'en savais foutrement rien. J'étais toujours en terrain inconnu, alors comment savoir me repérer correctement ?
— Ça te tente d'aller faire un tour sur ta terre natale Neptunien ?
En accord avec le grisâtre du ciel, les vagues avaient revêtues leurs couleurs sombres aujourd'hui et le sable, lui aussi, ne brillait pas. Ça n'avait rien de paradisiaque, rien de magique. Nous marchions dans une image en noir et blanc, symbole du passé et des mystères des évènements de cette période. Le vent iodé s'était levé, collant mes cheveux à mon visage, apportant ses odeurs marines qui donnaient cette impression d'ailleurs.
On avait longé l'océan pendant de longues minutes silencieuses, frôlant l'écume et marquant de nos empreintes la plage vierge. C'était pas un temps à aller se promener au bord de la mer. J'aimais pas ça, regarder l'horizon du Pacifique. Ça rappelait ces histoires d'aventures, de possibilités, de rêves et d'espoir. Tous ces trucs auxquels j'étais indifférent mais que tout le monde venait rabâcher. C'était aussi irritant que le sable chaud qui nous pique.
Sur la droite, un peu en hauteur, se dressaient les multiples grandes maisons accordées aux styles riches et sudistes. Grandes baies vitrées, escaliers de bois privatisés pour descendre directement sur la plage. Un peu plus loin se trouvait celle de Seungmin, un peu après celle de Aeri puis à l'autre bout, plus proche du port puisque son père possédait un bateau, il y avait la maison de Hyunjin. Ils avaient la vue de l'océan jour et nuit, la chaleur solaire et une solitude singulière alors qu'ils étaient pourtant entourés par leurs semblables : les fortunés aux grosses et belles baraques. Ils avaient les couchers de soleil d'été et d'hiver, d'automne et de printemps à chaque fin de journée et je crois que c'était là la seule chose que je trouvais à envier à habiter là.
Au loin, une mouette cria et une rafale de vent fit valser la capuche qui couvrait ma tête. Je pestai en sentant le sel coller mon cou, s'infiltrer un peu plus dans mes cheveux alors que le froid me faisait un peu plus frissonner. Puis tout disparu quand une paire de mains chaudes se posa sur mes oreilles, les protégeant de la brise hivernale et de son iode. Je regardai Minho rabattre ma capuche sur ma tête, y laisser ses doigts pour la maintenir. Le contraste des températures changeant brusquement me fit l'effet d'une montagne russe et dans ma poitrine, tout s'arrêta lorsqu'il m'attira à lui. Minho avait passé ses bras autour de mes épaules, gardant sa main sur mon crâne alors qu'il me serrait délicatement contre lui.
Je n'esquissai pas le moindre mouvement. C'était trop soudain, trop perturbant. Nous étions sur la plage, à la vue de terre, ciel et mer, pas dans le secret des murs silencieux d'un couloir ou d'une chambre.
— T'étais passé où ? Je demandai tout bas. Depuis la fois sur la place.
Est-ce qu'il s'en souvenait seulement ? Je ne savais même pas pourquoi je lui posais la question, j'avais pas tant que ça besoin de savoir. Minho, il était momentané. Mais je tenais à le garder quelque part et ça, je ne comprenais pas. Il apportait une vague de choses sur lesquelles j'arrivais pas à poser de mots, des choses nouvelles auxquelles j'étais étranger.
Minho se crispa. Je le sentis dans sa manière de me serrer. La pause du temps était comblée par le bruit des vagues qui s'échouaient, par les mouettes et les moteurs de voitures un peu plus loin.
— J'avais quelques trucs à régler, finit-il par répondre après un soupir. Est-ce que... Tu m'en veux ?
Je me détachai de lui, ses mains toujours sur moi et je me sentis brûler sous son regard.
— Pourquoi j't'en voudrais ?
— Je sais pas, il pinça ses lèvres et je posai mes yeux dessus.
Elles étaient toujours abimées par la maltraitance que pouvaient apporter ses dents. Pourtant le souvenir de leur toucher était doux et sucré. Et en y repensant, je crois qu'elles m'avaient manqué, ses lèvres.
Je retins ma respiration et serrai mes poings contre son torse lorsque je m'aperçut que son regard avait imité le mien. Son souffle à lui s'échoua sur mon visage et je voulu reculer. On était proches, proches comme ne l'avions pas été depuis un moment, proches comme lors de ces soirées qui m'avaient fait vibrer. Proches comme je le désirais ardemment depuis des semaines.
— Je... J'ai envie de t'embrasser Jisung.
Mon nom filtré par sa voix électrisa mon corps. Ce fut à mon tour de me crisper contre lui. J'avais soudainement chaud, affreusement chaud, mes jambes tremblèrent et pendant un instant, je crus que j'allais m'évanouir. La vague m'engloutissaient, me tiraient vers le fond et je luttais pour remonter. Ce fut la première fois que je me retrouvai aussi pathétique face à lui, à sa merci. La première fois que les secousses vrillaient en explosions. Dans ma tête, ma poitrine, mon ventre, partout dans le reste de mon corps.
— Minho.
Ses lèvres manquèrent les miennes.
Il s'était écarté, le regard apparemment soucieux alors que le mien fixait un point invisible par-dessus son épaule. J'avais la tête qui tournait, l'impression que le monde implosait. Je savais pas ce que c'était supposé dire, ce que j'étais sensé ressentir face à tout ça. Mon corps réagissait mais mon esprit ne suivait pas la cadence.
— Ça va ? Me demanda-t-il et je peinai à l'entendre.
Ça avait de nouveau changé, ce truc sans nom entre lui et moi. La roue avait tourné encore une fois et j'étais encore plus confus que la fois précédente.
— C'est..., je bredouillai. J'comprends pas.
Je secouai la tête sous mes propres mots. Il s'éloigna un peu plus de moi, se penchant pour tenter d'accaparer mon regard. Nos yeux se rencontrèrent et l'éclat que j'y trouvai se résulta à une première fois. Une énième dans la minute. J'ai pas reconnu ce qu'il y avait dans ses orbes, sur son visage dont je connaissais pourtant les détails par cœur.
— Je suis désolé si j'ai fait quelque chose qu'il fallait pas Jisung. Pardon.
Pourquoi est-ce qu'il s'excusait ?
J'ai pas vu. J'ai pas vu qu'il y avait de l'appréhension dans le ton de sa voix, de l'angoisse dans sa phrase. J'avais tressauté à la nouvelle entente de mon prénom, ça sonnait différemment quand c'était lui qui le disait.
Je pris une grande inspiration, elle pesa mes poumons. Je fermai les yeux quelques secondes, espérant que ce qui tournoyait dans ma tête s'efface. Ils revinrent en masse quand je tombai sur ses yeux brillants en rouvrant les miens. Y'avait les étoiles cachées des cieux et le tumulte de l'océan dans le fond de ses orbes, portant des mots que je ne connaissais pas et que, pour une fois, j'aurai voulu connaître.
— Tu me rends dingue Minho et je comprends pas pourquoi.
J'avais pas réfléchis mais une éternité s'était écoulée depuis. Le vent avait tourné, plus glacial, plus repoussant. Les vagues s'étaient faites plus puissantes et à présent, dépourvues de douceur, elles frappaient le sable. Je frissonnai quand ses mains lâchèrent mes épaules et que je rentrai la tête dans le col de ma veste. Je clignai plusieurs fois des yeux, les lèvres pincées tandis que lui fronçait les sourcils. Est-ce que l'incompréhension sur son visage s'accordait à la mienne ou était-elle dirigée vers cette question indirecte ? Parce que je voulais, ouais, je voulais qu'il me donne une réponse. C'était pas normal d'être dans l'état dans lequel j'étais. Le dysfonctionnement était beaucoup trop fort pour que je passe au-dessus, pour que je l'ignore comme ces fois où l'on s'était retrouvé le temps d'à peine quelques heures dans l'ombre. Sous la lumière, ça avait pris feu.
— Tu, je fronçai les sourcils, pas certain de ce que je voulais dire, tu m'as cassé. Je crois.
Une autre question qui n'y ressemblait pas.
Les deux derniers mots furent inaudibles. Autant que sa voix à lui quand je lui tournai le dos. C'était la pagaille, un bordel monstre.
Je ne me retournai pas pour voir s'il était resté planté au milieu de la plage ou, au contraire, s'il m'avait désespérément suivi. J'avançais comme si j'étais livré à moi-même dans une brume épaisse, tant tout était lourd à l'intérieur de moi. Au loin, j'aperçu les escaliers de bois qui menaient à la maison de Seungmin et il me semble que j'ai couru jusqu'à eux.
Quand mon pied se posa sur la première marche, je glissai un regard derrière. Là où j'avais laissé Minho et mes mots au point d'interrogation camouflé. Où j'avais mis fin à cette journée pas comme les autres. Là où je n'avais pas pris le temps d'admirer son visage et ce qu'il exprimait.
Je le cherchai du regard et quand je le trouvai, sa silhouette s'éloignait, partait à l'opposé d'où je me trouvai. Quelque part dans le brouillard, je crois que j'aurai voulu qu'il me court après.
Et je me rendis compte que je ne savais pas pourquoi il avait tenu à ce qu'on se voit ici et aujourd'hui.
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