03.

Il s'était envolé.

Je ne l'avais pas revu depuis ce soir-là, sur Sunset Center. Pas même aux soirées organisées ci et là.

Minho avait disparu et j'avais l'impression qu'il y avait quelque chose en moins depuis. Je n'avais pas osé poser la question. De toute façon, on se connaissait pas tant que ça, lui et moi. C'était un visage familier sans trop l'être parmi tant d'autres. Un figurant en arrière-plan. Un mois s'était écoulé et j'avais fini par me faire à l'idée que c'était ça que ça voulait dire « éphémère ».

—       Ji', tu restes bouffer ce soir ?

Le plafond de la chambre de Jeongeun était vraiment moche. Je savais pas comment il ne pouvait pas lui coller d'insomnies tant y avait des disparités sur sa peinture blanche. Un coup d'œil avait suffi à faire détourner mon attention du film qu'on regardait.

—       Il est vraiment nul ce film.

Ce détail-là avait également joué.

Jeongeun dû prendre ça pour un « oui » car lorsqu'elle se pencha sur moi, appuyée sur son coude, elle sourit de toutes ses dents. Ses cheveux blonds me tombèrent sur le visage et je m'empressai de les repousser avant de rouler sur le côté.

Jeongeun habitait à l'autre bout de la ville, là où les couleurs de l'aube s'imposaient le plus. Elle avait pas l'appartement le plus grand du monde, elle le partageait avec une américaine qui avait un penchant un peu trop prononcé pour l'alcool. Mais y'avait de la bonne bouffe ici, un lit confortable, des films à chier mais qui faisaient rigoler. Puis Jeongeun, elle faisait les meilleures papouilles. Alors traverser le froid à pieds pour venir jusque chez elle, ça en valait la peine.

Tout haut, j'avais dit que c'était pour qu'on travaille sur notre devoir de biologie. Tout bas, je crois que j'avais osé espérer peut-être croiser Minho dans le coin.

—       Tu râles dès que j'propose un truc. T'as qu'à choisir toi au lieu de t'plaindre, bougonna-t-elle en se laissant tomber sur le dos.

Sa tête rebondit contre les oreillers et elle grogna de douleur quand sa tête tapa au passage son mur.

—      C'est pas une raison pour me mettre Love Actually à chaque fois.

—      Critique pas, il est génial.

—      J'le connais presque par cœur à cause de toi.

—      Justement Jisung. « Presque ».

Je la devina sans mal me faire un clin d'œil avec son sourire moqueur sur les lèvres. Je soupirai exagérément avant de me tourner vers elle. J'en profitai pour ramener un peu plus la couette dans laquelle j'étais enroulé sur moi, m'enfonçant un peu plus dans ce cocon chaleureux. Je sentis la main de Jeongeun se poser dans mes cheveux et même si je pestai par soucis d'égo, je la laissai faire quand elle commença à me masser le crâne. J'avais pas l'habitude de recevoir de gestes affectueux, j'étais plus familier à des tapes amicales sur le dos ou l'épaule et encore, je les supportais mal. Alors c'était toujours surprenant et relaxant lorsque Jeongeun s'y mettait. Ça avait le don de me détendre et moi qui avais des difficultés pour dormir, c'était rare.

Jeongeun et moi, ça remontait à loin aussi. Elle faisait partie de ce cercle restreint de ceux qui me connaissaient pour de vrai, qui savaient poser le doigt sur les bons mots sans le pointer sur moi. Je me souviens qu'au lycée, y'avait eu des rumeurs — dont j'ai oublié les propos — sur elle et moi. Je me souviens aussi que c'était jamais allé plus loin. Jeongeun, elle était comme la pluie réconfortante qui tombait sur le vieux phare cassé pour ne pas le laisser seul dans le noir.

J'aurais presque pu m'endormir dans son lit si la porte d'entrée n'avait pas brusquement claqué. J'ai sursauté et mon amie a soupiré. Les entrées de Logan, sa colocataire, étaient toujours fracassantes. On ne bougea pas. Love Actually continua de tourner, jouant la fameuse scène de la déclaration d'amour de Mark avec ses pancartes toutes pétées. Paraît que c'était censé être romantique... Ça me faisait plutôt souffler en vérité.

La porte de la chambre de Jeongeun s'ouvrit et Logan débarqua, tout sourire. Y'avait des jours où je me demandais ce qu'elles foutaient ensemble, elles étaient radicalement l'opposé l'une de l'autre. Mais Logan, elle était sympa alors que je suppose que ça compensait le reste.

—      Oh coucou Han ! J'savais pas que t'étais là, 'scuse, je secouai la tête. Tu restes manger ? J'ai acheté des pizzas.

Je n'eus pas tellement le temps de répondre, Logan s'apprêtait déjà à poursuivre sa phrase pour probablement débuter un long monologue au débit de Eminem.

Dans le fond, je crus entendre une autre porte claquer, plus délicatement, ainsi que des bruits de pas sur le plancher.

—       T'as ramené quelqu'un ? Demanda Jeongeun.

Apparemment elle devait l'avoir aussi entendu.

Je retins une grimace. E n'avais jamais été témoin mais j'avais souvent entendu que Logan ramenait n'importe qui chez elles. Elle avait tendance à faire confiance un peu trop facilement et elle ne retenait jamais la leçon. C'est pour ça que je fus pas tellement étonné de voir Jeongeun se redresser vivement en fronçant les sourcils. Logan apportait beaucoup d'enthousiasme avec elle mais aussi pas mal d'inquiétudes dans le lot. Parfois c'était amusant, parfois non.

L'américaine cligna plusieurs fois des yeux, comme surprise de la question avant d'afficher un grand sourire, hochant vivement la tête.

—       Yep ! J'l'ai trouvé sur la route, elle pointa son doigt en direction du couloir. Ça faisait un bail d'ailleurs !

Enfin, derrière apparut timidement la silhouette qui avait mis un coup de stress à Jeongeun.

Et à mon tour, je me redressai vivement. Je crois qu'à ce moment-là, j'avais les yeux écarquillés et le sang qui pulsait à mes tempes.

—       Salut Minho.

Pas si éphémère que ça.

Il se tenait juste derrière Logan, le visage poli et les cheveux légèrement mouillés. Il sourit d'abord, les yeux sur Jeongeun qui le salua. Puis je le vis, le dévisageai même, poser le regard sur moi. Son sourire s'effaça mais j'en fus pas vexé, je devais avoir la même tête. Il avait l'air surpris, pris de court et je me revis alors à Halloween, sur Sunset Center. A ces autres fois où mon regard avait croisé le sien au milieu du brouhaha. Le temps se mit sur pause, sembla rattraper cette éternité qui avait espacé notre dernière rencontre. Ma voix resta coincée dans le fond de ma gorge, le souffle au bord des lèvres. C'était foudroyant.

Il ne dit rien, je ne dis rien.

C'était un échange silencieux en apparence mais bruyant sous la surface.

Puis il disparut aussi vite qu'il était arrivé, entraîné par Logan qui voulait le réquisitionner pour faire réchauffer les pizzas. Ce fut comme si on m'avait arraché quelque chose. Je restai là, à fixer le vide en fronçant les sourcils parce que, encore une fois, je ne comprenais pas ce qu'il se passait.

Jeongeun se laissa tomber en arrière sur son lit en lâchant un long soupir.

—      J'ai frôlé la syncope à cause de c'te folle, geignit-elle en posant une main sur sa poitrine.

—      Ah bon ? Je me tournai vers elle.

Elle leva les yeux vers moi et esquissa une petite moue.

—       J'ai flippé, marmonna-t-elle. Heureusement que c'était juste Minho, elle se redressa sur son bras, me faisant alors face. Tu le connais, non ?

—      Vite-fait.

Est-ce que c'était un mensonge ?

Je détournai le regard, le posant vaguement sur Love Actually. Mon ventre gargouilla et je me rendis compte que c'était la première fois en un mois que je le revoyais. J'allais même manger en sa compagnie et soudainement, j'étais plus tellement sûr de vouloir rester ici.

Est-ce que c'était la vérité ?

Je le connaissais sans réellement le connaître. Je connaissais son corps, les détails de son visage, la texture de ses lèvres et sa voix. Un peu de ses goûts, de ses envies mais c'était toujours sur la face émergée. Minho, c'était un peu de rien, un peu de tout et ça me mit dans l'inconfort. Parce que c'était comme si ma présence dans l'histoire n'avait pas son importance. J'étais aussi un figurant et j'étais incomplet. Le « nous » que j'ai pensé existé n'avait pas de valeur.

Je suppose que c'était une semi-vérité mais de toute façon, ça n'avait pas son importance.

—       Pfff, c'qu'il est canon.

Je jetai un œil en direction du film, dubitatif.

—       Thomas Sangster ?

Mon amie retroussa son nez et me donna une tape sur le bras.

—       Minho, corrigea-t-elle d'une voix basse.

Je fronçai les sourcils et je crois que j'eus un mouvement de recul, je sais plus trop, Jeongeun ne releva pas.

Je clignai plusieurs fois des yeux. Minho était beau mais est-ce que j'avais le droit de le confirmer ? J'avais l'impression d'être face à un précipice, un pied sur la corde raide. Parler de lui donnait cette sensation de sortir la tête de l'eau, un retour brusque dans le monde réel qui se résumait à se prendre dans la gueule la déconstruction d'une utopie. Son nom n'avait pas traversé la barrière de mes lèvres mais il me laissait un goût amer sur la langue. C'était comme forcer l'ouverture d'un coffre au trésor, c'était désagréable. Pourtant Minho, il était de partout dans mes pensées. Alors pourquoi je n'arrivais pas l'exprimer à voix haute ?

Voyant que je ne disais rien, Jeongeun ajouta :

—       J'ai eu le béguin pour lui, j'avoue.

Silence.

Je savais pas quelle information j'étais censé en tirer. Ce que je devais comprendre et ressentir.

—       C'est plus le cas ?

J'ai hésité.

Le générique de fin de Love Actually venait de se lancer. Jeongeun pinça les lèvres et roula sur le côté pour attraper sa télécommande afin d'éteindre la petite télévision. Elle finit par se lever, passant une main dans ses cheveux pour leur donner un semblant de forme. Je la regardai faire sans bouger, les doigts crispés dans l'attente de sa réponse parce que ça me démangeait de savoir.

Jeongeun se dirigea vers la porte restée ouverte. Une main sur la poignée, elle se tourna vers moi, un petit sourire sur les lèvres, et haussa les épaules.

—      J'ai fini par capter qu'il était pas intéressé.

Ça non plus, je savaispas ce que j'étais censé en conclure

;『• • • ✎ nda • • •』;

promis le minsung va avoir son moment