2 . diamonds
02.
— T'es amoureux, me souffla Felix.
A ce moment-là, je savais pas ce que ça voulait dire.
L'amour, c'est beaucoup de choses comme presque rien. Ça me semblait surfait, idyllique et illusoire. J'étais pas amoureux. Pas de lui, de Minho. Pas d'un garçon, ça non.
C'est drôle, c'était même pas l'idée d'aimer quelqu'un du même sexe qui me faisait craquer la nuque. C'était ce verbe-là, « aimer ». Je connaissais pas et ça me donnait pas tellement envie. Quand on a jamais connu l'amour, c'est difficile de se positionner lorsqu'il survient sans qu'on l'ait vu venir. Quand on a toujours baigné dans l'artificialité de ce mot, compliqué de mettre le doigt dessus avec une idée concrète quand on en parle.
Minho, il me faisait tourner la tête, il faisait virevolter ces petites choses au fond de moi dont je n'avais pas connaissance avant lui. Minho, c'était beaucoup de morceaux de moi réunis dans un seul et unique mec. Mais je ne l'aimais pas. Pas comme ça du moins. J'en étais persuadé.
— Qu'est-ce que tu me baragouines ? Je marmonnai en relevant un sourcil dans la direction de Felix.
— C'est pas pour parler de ça que tu voulais qu'on se voit ?
Silence. Je devais avoir l'air de réfléchir. Pourquoi je lui avais proposé de sortir déjà ? J'en savais foutrement rien.
— Je sais pas Felix.
La vérité, c'est que j'avais ressentis comme le besoin vital de le voir. Felix, c'était mon ami — meilleur ami même paraissait-il. C'était celui que je connaissais depuis le plus longtemps, celui envers qui les secrets s'échappaient d'entre mes lèvres, celui qui savait considérer les choses à leur juste valeur et qui ne perdait pas son temps à porter de jugements inutiles sur quelqu'un comme moi. C'était l'une des rares personnes dont la vie n'avait pas forcé à l'éloigner de moi, contrairement à d'autres. Felix, c'était celui qui revenait toujours malgré les tempêtes quand moi, pauvre phare rouillé, je restais cloîtré sur le même rocher.
— C'est vrai que c'est toujours agréable de se voir en dehors du campus, il haussa les épaules et laissa reposer son dos contre le dossier du banc.
J'entendis son frisson lorsque la fraîcheur du métal traversa l'épaisseur de son manteau. Notre ville était située au Sud du pays, bordant la mer et adoptant les plus fortes chaleurs en été. L'hiver, il ne neigeait pas. Je n'avais jamais vu la neige de mes propres yeux et parfois, y'a des jours où je souhaiterais sentir ses flocons blancs me tomber dessus. Comme une poussière d'étoile, apportant avec elle la magie qu'on lui attribuait pour donner vie à ce monde en noir et blanc qui peinait à vivre pleinement.
Même sous un soleil éclatant dans un ciel gris, nous restions sur le mois de Novembre et si d'autres diraient que nos températures d'hiver étaient chaudes, les gens du coin ressentaient bien ces basses températures. C'était pourquoi Felix était emmitouflé dans une grosse écharpe et moi sous un gros bonnet, mains gantées et manteaux fermés jusqu'au col.
— C'est bientôt les vacances en plus, ajouta-t-il. Tu pars quelque part toi ?
Je pinçai les lèvres et secouai négativement la tête.
— Je pense pas. J'ai nulle part où aller.
De loin, ça semblait triste mais à mes yeux, ça ne l'était pas.
— Tu sais que tu peux toujours venir avec nous hein. Je suis sûr que ma mère serait super contente de te rencontrer.
— C'est bon Felix. Profites de ta famille.
— Ma proposition tient toujours si jamais.
— Je sais, soupirai-je.
Felix, c'était l'un des rares qui se souciait de moi sans masque, sans intérêt enfoui.
Une légère brise se leva et je frissonnai. C'était à peine quinze heures et le soleil commençait déjà à décliner au loin. Je l'imaginais déjà à deux doigts de toucher l'horizon de la mer de ses rayons. J'étais pas très friand de l'hiver pourtant les couchers de soleil de cette période-là étaient mes préférés ; ils donnaient cette impression de ne pas avoir d'émotions. Ils étaient beaux ainsi, c'était réconfortant. J'appréciais pas trop de voir la nuit tomber aussi tôt, pourtant je languissais ce moment de fin de journée. Ça donnait un éclat particulier à ce monde bicolore.
A mon tour, je m'appuyai contre le dossier du banc et retins une grimace en sentant son froid. Je fixais l'arbre nu du parc à quelques mètres de nous, les quelques enfants qui jouaient dessous et leurs parents qui les surveillaient non loin. Un peu à côté, y'avait les voitures qui circulaient et les cyclistes qui les insultaient pour ne pas faire attention à eux. C'était une journée habituelle de Novembre, un jour comme le précédent et celui encore avant. C'était ennuyeux. Vraiment chiant.
— Dis...
Et au milieu de cette lassitude, y'avait une question qui me taraudait l'esprit et changeait la donne. Qui tournait en boucle et me laissait encore plus dans l'inconfort que le froid glacial du banc. Une question dont les mots étaient dirigés dans l'ombre vers une seule et unique personne. Quelqu'un qui semblait ne jamais vouloir quitter le coin de mes pensées et soulevait à chaque fois plus d'interrogations que la minute d'avant. Felix en avait ajouté une énième. Ça, ça m'empêchait bien de me conformer dans cet ennui.
— Pourquoi t'as dit que j'étais amoureux ?
J'étais juste curieux.
Parce que je l'étais pas.
Felix cligna plusieurs fois des paupières, sûrement surpris avant de pouffer.
— Parce qu'en ce moment t'es plus lumineux je trouve, je fronçai les sourcils. Tu tires moins la gueule et t'as l'air de vraiment vivre tes journées. Enfin, c'est ce que j'ai remarqué, il haussa les épaules.
— Et avec ça t'en as déduit que j'ai des cœur dans les yeux ? Me moquai-je, sceptique.
— C'est pas nécessairement le cas Ji', à toi de me dire. Moi, je disais ça au hasard.
Je retroussai mon nez et détournai le regard en marmonnant dans ma barbe.
J'étais pas amoureux, Felix avait une réflexion débile. Ce fut ce qui me vient en tête à ce moment-là, y'avait pas d'autres explications.
Et voilà que je repensais à lui, à Minho. J'avais envie de lui crier d'arrêter d'accaparer mes pensées, de cesser de me casser la tête. Juste le temps de ces semaines qui espaçaient nos rencontres. La prochaine fois qu'on se verrait, ouais, il pourrait me prendre tout ce qu'il voudrait. Aujourd'hui, j'avais besoin de la présence de mon meilleur ami et rien d'autre. Minho n'avait pas à s'immiscer au milieu de ça.
Felix, il savait rien. Que mes questions, elles avaient les lettres du nom de ce garçon entre leurs lignes. Qu'entre quelques murs, il m'avait serré fort contre lui et retourné dans mon entièreté. Minho, c'était un point d'interrogation, un secret que je voulais garder égoïstement pour moi. Felix, il savait pas et je crois que j'avais pas trop envie qu'il sache.
Ma mâchoire se contracta et je fermai les yeux, lâchant un long soupir. J'étendis mes jambes avant de me lever brusquement, sautillant légèrement sur place. J'avais le froid sur les joues et l'ébullition dans la tête. Le contraste me rendrait presque malade. Felix m'observa quelques secondes avant de m'imiter. Il donna une tape dans mon bras, un petit sourire sur les lèvres, et d'un commun accord, on se dirigea au stand de churros qui se trouvait pas loin.
Lorsque le soleil eut disparu quelques heures plus tard, remplacé par ses compères les étoiles dans le ciel sombre, j'avais quitté Felix. Il avait du boulot et moi rien d'autre à faire que rentrer chez moi.
J'arpentais les rues en traînant des pieds, enfonçant le bout de mon nez gelé dans le col de ma veste. Noël approchait, les rues brillaient de plus en plus dernièrement au même titre que les températures baissaient encore et encore. Je passai près de Sunset Center, là où les lumières de fin de journée en été éclairaient le plus. C'était une place publique toujours en couleur, où les étincelles ne s'éteignaient jamais. Le marché de Noël se tiendrait là dans un mois, en plus de l'illumination du grand sapin que la maire organiserait. Débile et cliché mais c'était un de ces trucs un peu traditionnels qui faisaient tourner la ville et sa convivialité. Nous, on observerait ça depuis les grandes baies vitrées du penthouse de la famille de Hyunjin, là où la réception de Noël richissime en superficialité se tiendrait pour les gens de notre catégorie sociale. Stupide, vu et revu mais c'était un de ces évènements conventionnels qui polissaient les plus aisés du coin.
Ça me faisait toujours mal aux yeux quand je passais par Sunset Center, c'était toujours trop bruyant, trop bondé. Pourtant, c'est par là que je décidai de passer pour rentrer chez moi. Ça rallongeait le chemin, barbait un peu plus cette journée. Mais à cette heure-là, la place n'était pas encore trop remplie de monde. Les familles n'avaient pas encore envahi l'espace, les travailleurs non plus. Il y avait plus d'étudiants et de personnes âgées qu'autre chose.
Une main dans la poche, le bonnet plus enfoncé sur le crâne, je tirai sur la clope que j'avais allumé. La toxicité de la fumée me brûla l'œsophage, ses effluves imprégnèrent mes vêtements. Je trainai des pieds, regardai les lumières dorées entre les mèches de mes cheveux sombres. Puis d'un coup, tout ça avait un air de déjà vu. Je le ressentais dans les picotements de mes doigts, dans le goût de ma clope au milieu de Sunset Center. Je savais pas trop pourquoi j'étais là, pourquoi j'avais décidé de passer ici. C'était étrange, on aurait dit que j'étais présent sans vraiment l'être, témoin externe à mon enveloppe corporelle.
Ça me rappela la soirée d'Halloween. Ouais, c'était ça. Ça me faisait penser à Halloween. Quand tout était parti en couilles. A la différence que j'étais dans le froid hivernal et pas bourré. A la différence que j'étais complètement seul au milieu d'inconnus.
Dans mes écouteurs, Lullaby de Woodz étouffa les bruits extérieurs et comme dans les films, j'eus l'impression que tout se mit au ralentit. Les gens et leurs mouvements, l'atmosphère et les phares des voitures bordant la place. Tout devint brumeux et je m'arrêterai soudainement. Ma clope tomba au sol, continua de se consumer seule sur le bitume alors qu'au milieu de cette nébuleuse, une silhouette se distingua parfaitement. Elle accrocha mon regard, attisa le feu de mon obsession et les ressentis inconnus qui lui étaient propres. Au plein centre de Sunset Center, mes orbes accrochèrent celles de Minho. Le garçon que je maudissais plus tôt pour s'insinuer autant dans les sillons de mes pensées.
Il avait les mains dans les poches de son gros sweatshirt, un sac à dos sur les épaules et la capuche sur la tête qu'il baissa aussitôt quand ses yeux se fixèrent aux miens. Je sais pas combien de mètres nous séparaient, sûrement très peu pourtant il semblait être à des kilomètres. Les battements de mon cœur s'accélèrent alors que je battais des cils. J'avais envie de le rejoindre, de combler cet espace qui nous séparait. Je voulais sentir sa chaleur corporelle, la gerçure de ses lèvres sur les miennes. Il m'attirait. Ça non plus, je savais pas trop pourquoi. Surtout quand mes pieds refusaient de bouger.
Les gens continuaient ce qu'ils faisaient, demeurant vaporeux à mes yeux alors que lui était comme la flamme d'une bougie dans l'obscurité. Je ne voyais que lui.
On resta là, à s'observer, peut-être s'admirer en plein Sunset Center sous les lumières dorées des quelques décorations de Noël prématurées. Il était beau, Minho, vous savez. Même magnifique. Il arrêtait le temps, il faisait tout trembler avec un rien. L'univers et moi avec. Puis comme à cette soirée d'Halloween, il a souri de sa belle bouche. Encore une fois, j'ai cru à un arrêt cardiaque lorsque ses yeux se plissèrent et que ses lèvres s'étirèrent. A ce moment-là, j'eus le mot ; c'était aussi éblouissant que ces rayons des couchers de soleil d'hiver.
Je fis un pas tremblant, même un deuxième. Je voulais le rejoindre, Minho.
Puis on me bouscula et je fus dévié de ma trajectoire quelques secondes. Seulement quelques secondes durant lesquelles je le perdis de vue. Et quand je retrouvai ma ligne et que mes yeux cherchèrent ardemment sa silhouette, sa carrure que je connaissais presque par cœur, ils ne rencontrèrent alors que son dos. Minho s'éloignait sans se retourner et ce fut les bras ballants que je le regardai disparaître de la place jusqu'à se perdre dans la foule.
Emportant mon palpitant au bord de la crise, me laissant avec mon esprit en folie et ce goût d'inachevé sur le bout de la langue. Minho laissa quelque chose de bizarre dans ma poitrine et je restai là, au milieu des gens et sous les lumières éclatantes de Sunset Center. Je sentis presque le ciel me tomber sur le crâne.
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