— Sana ?

— Oui Princesse ?

— On m’a dit que tu étais longtemps restée au service du prince, c’est vrai ?

Sana manqua de s’étouffer avec sa salive. Les deux jeunes femmes étaient seules dans la chambre de Mina et la servante était occupée à lui brosser les cheveux. 

— Euh hum. Oui, oui c’est vrai.

— Quel genre d’homme est-ce qu’il est ?

Sana se remit à la tâche, démêlant précautionneusement la longue chevelure blonde de la future reine.

— Je vais l’épouser mais je ne connais rien de lui, soupira Mina en jouant avec la ceinture de sa robe. Nous nous sommes croisés peut-être deux fois depuis mon arrivée ici et nous allons nous marier dans trois jours. Les autres domestiques ne sont pas capables de me parler de lui et je dois avouer que j’ai peur.

Un sourire triste étira légèrement les commissures de ses lèvres et Sana le remarqua immédiatement à son reflet dans le miroir. 

— Je sais que c’est mon rôle en tant que princesse, reprit Mina en fixant le bois de sa coiffeuse, mais je ne peux pas m’empêcher de penser comme une simple fille. Je vais épouser un parfait inconnu et j’ai peur.

Sana stoppa ses mouvements de brosse. La princesse lui rappelait la jeune fille qu’elle avait été six ans plus tôt lorsqu’on lui avait dit le rôle qu’elle allait devoir occuper auprès du prince. Elle aussi avait eu peur, elle aussi aurait voulu avoir quelqu’un avec qui en parler, quelqu’un qui aurait pu la rassurer, pourtant elle avait dû tout découvrir par elle-même. 

— Ch- Le prince Chan est quelqu’un de profondément gentil et bienveillant, dit Sana d’une voix posée mais avec un sourire qui trahissait le fond de sa pensée, il est juste et respectueux, il ne vous fera jamais de mal et fera de son mieux pour que vous soyez heureuse Princesse.

Timidement, Mina pinça les lèvres, ravie de pouvoir enfin discuter avec quelqu’un qui était capable de lui apporter des réponses. 

— Qu’est-ce qu’il aime ? 

— Il aime les longues promenades sur la plage, les balades à cheval, lire assis sur le rebord de sa fenêtre ou dans son bureau, énuméra Sana toujours avec un sourire. Il déteste les dîners officiels et il se chamaille souvent avec le général Changbin dont il est très proche.

La princesse l’écoutait attentivement, elle aurait presque pu prendre des notes au fur et à mesure. La façon qu’avait Sana de parler de son futur époux la rassurait, il avait l’air d’être un homme bien. 

— Il y a autre chose qui me fait peur, murmura Mina alors que Sana tressait ses cheveux.

— Hum ?

— L-la nuit de noces.

La servante déglutit et se concentra sur les mèches qu’elle entrelaçait afin d’attacher la chevelure de la princesse pour la nuit.

— Je pense qu’il ne faut pas vous inquiéter pour ça Princesse, je suis certaine que sa Majesté saura quoi faire.

Mina baissa soudain la tête pour cacher ses yeux brillants et un sanglot lui échappa.

— J’ai peur de mal faire. Je sais comment me comporter en société, je connais l’étiquette, j’ai été éduquée par les meilleurs savants de Milirine et pourtant je m’inquiète de savoir si je vais plaire à mon futur mari et si je saurais être à la hauteur. C’est ridicule.

Elle essuya furtivement une larme qui coulait sur sa joue et Sana déposa la tresse sur son épaule avant de venir s’agenouiller à ses côtés pour lui prendre la main.

— Ce ne sont pas des choses qu’on apprend dans les livres votre Altesse, ce sont des choses qu’on apprend dans la vie et je suis certaine que le prince saura se montrer doux, patient et compréhensif avec vous, dit-elle calmement.

— Merci Sana, tu es vraiment adorable, murmura la princesse en lui prenant la main, je suis vraiment heureuse de t’avoir à mes côtés.

Les deux jeunes femmes avaient passé la journée avec les couturières afin de s’occuper des derniers ajustements, et elles devaient y retourner le lendemain pour l’essai final de la robe que la princesse allait porter pour la cérémonie. 

***

— Sana, va me chercher le coffret à bijoux, celui avec les grues nacrées, il contient la parure pour le mariage, il faut que nous l’essayions avec la robe.

Celle-ci s’inclina devant la princesse et les couturières royales et elle quitta la pièce afin de se rendre vers la chambre de Mina. Elle trouva le coffret en question sans difficulté, il était rangé avec les autres bijoux dans un petit meuble de la pièce. Le boîtier était magnifique et Sana était curieuse de savoir quel type de joyaux il contenait. Certainement quelque chose qu’elle pouvait toujours imaginer porter dans ses rêves.

Elle s’apprêtait à quitter la chambre lorsqu’elle entendit des bruits de pas dans le couloir.

— Sana ?

Cette dernière sentit son cœur bondir hors de sa poitrine à l’entente de la voix du prince. Il s’était arrêté à un mètre de la porte, visiblement surpris de la croiser seule à cet endroit.

— Bonjour votre Majesté, articula-t-elle en s’inclinant.

Ils ne s’étaient pas croisés depuis un moment et la situation était particulière. Chan s’approcha néanmoins, ravi de pouvoir profiter de quelques instants seul avec la servante.

— Comment est-ce que tu vas ? La princesse te traite bien ?

— Ou-oui, elle est très gentille et attentionnée, nul doute qu’elle fera une parfaite épouse pour vous.

Elle faisait tout pour ne pas croiser son regard, c’était bien trop difficile de le traiter comme un inconnu après tout ce qu’ils avaient vécu ensemble. 

— Je dois apporter ça à la princesse, dit-elle en indiquant le coffret qu’elle tenait dans les mains.

Elle fit quelques pas en direction de Chan qui l’arrêta d’une main sur l’épaule.

— Sana, je suis content de voir que tu vas bien.

Celle-ci daigna enfin lever les yeux vers lui et elle lui accorda un léger sourire avant de se rappeler qu’il serait très bientôt uni à quelqu’un d’autre. Rien ne servait d’éprouver de la rancœur, elle devait désormais penser à son nouveau rôle : prendre soin de la princesse.

— La princesse, commença-t-elle non sans hésitation, la princesse est inquiète pour le mariage.

— Je pense que tout a été fait pour que la cérémonie se passe pour le mieux, elle n’aura rien à penser.

— Non, je veux plutôt parler de la nuit de noces.

— Oh.

Chan se mit à rougir, oui bien sûr, ce léger détail. Il se racla la gorge et passa une main dans ses cheveux.

— Je-

— Je sais que tu sauras faire attention à elle, le coupa Sana sans trop vouloir en entendre plus, je dois y aller.

Elle s’inclina et disparut sans laisser au jeune homme le temps de rétorquer quoi que ce soit, elle n’avait aucune envie d’avoir une conversation sur la défloration de Mina avec lui.

Lorsque Sana apporta finalement le coffret à bijoux chez les couturières, elle resta bouche bée en apercevant la princesse vêtue de sa robe de cérémonie. Les cinquantenaires avaient savamment marié les styles d’Erhégon et de Milirine dans une robe au semblant de kimono en satin nacré, brodée de motifs de fleurs dorées. Le col était un peu échancré, laissant à peine deviner les épaules de la jeune femme et les manches longues et larges tombaient élégamment sur ses poignets. Une ceinture ouvragée marquait sa taille et il ne resterait plus qu’à fixer ses longs cheveux blonds en un chignon le jour du mariage.

L’une des couturières arracha le coffret des mains de Sana, qui n’était pas assez réactive à son goût, et essaya le collier et les boucles d’oreilles qu’il contenait sur la princesse. La parure était dorée et décorée de fleurs de nacre dont les reflets changeaient en fonction de la luminosité de la pièce. Mina se tourna timidement vers Sana, les joues rouges et le visage baissé.

— Qu’est-ce que tu en penses ?

La domestique cligna plusieurs fois des yeux, elle ne s’était jamais arrêtée sur d’autres femmes et pourtant, elle trouvait la princesse tout à fait magnifique, il n’y avait rien à redire sur elle, elle était belle et sa personnalité l’était aussi.

— Vous êtes superbe votre Altesse, finit-elle par répondre une fois qu’elle eut repris ses esprits.

— Le prince Chan va vous adorer ! s’exclama l’une des couturières en tapant dans ses mains. Il ne pouvait pas rêver plus belle épouse.

Sana sourit en croisant le regard un peu rassuré de Mina. Non, le prince ne pouvait pas rêver plus belle épouse.