Après de longs jours de voyage, le prince et ses troupes avaient finalement atteint le campement de la vallée. Le paysage boisé s'était fait de plus en plus désertique, la végétation se faisant plus rare au fur et à mesure de leur progression. Un océan de tentes, de chevaux et de soldats s'étendait à perte de vue devant eux. Ils avaient tout de même pris soin de garder une distance raisonnable entre eux et le désert. ils se doutaient qu'ils ne seraient pas à leur avantage lors d'un combat dans le sable.

Des soldats Milirinois et Erhégoniens se trouvaient déjà dans le campement et l'ambiance avait l'air bonne. Le prince en fut soulagé, il devait déjà régler un conflit avec Safala, il n'avait pas envie de devoir en régler un avec ses alliés.

Le convoi fut accueilli par le général de Milirine que Seungmin salua et ils descendirent de leurs montures. Les soldats furent autorisés à vaquer à leurs occupations tandis qu'on mettait les hauts gradés au courant de l'avancement de la situation.

— Rien n'a bougé depuis que nous sommes arrivés, expliqua le général, la seule chose que nous avons remarquée c'est la fréquence des tempêtes de sable qui augmente, elles arrivent jusqu'ici et dans ces cas-là on n'y voit plus à deux mètres.

— Aucune trace des Safaliens ou d'une quelconque armée ? demanda Changbin en retirant ses gants de cuir.

— Pas depuis notre arrivée, nous n'avons vu absolument personne, mes hommes commencent à croire qu'il s'agissait vraiment de rumeurs infondées.

— Mieux vaut rester sur nos gardes, intervint Chan, leur but est peut-être justement de nous prendre par surprise.

Le général de Milirine acquiesça avant de héler un de ses soldats.

— Conduisez le prince et son escorte jusqu'à leur tente.

Il se tourna ensuite vers les nouveaux arrivants.

— Le voyage a dû vous épuiser, vous devriez vous reposer.

Les trois jeunes hommes n'allaient pas le contredire, ils acquièsçèrent avant de saluer le général et de suivre le soldat vers leur tente. Elle était assez grande et divisée en plusieurs parties. Au diable l'intimité sur les champs de bataille.

Changbin retira ses bottes avant de se laisser tomber sur l'un des fauteuils en soupirant. Ils avaient tous besoin d'un bon bain et d'une bonne nuit de sommeil. Ça ne dérangeait pas vraiment le général d'avoir à rester en compagnie de Chan, par contre ça lui posait plus de problèmes de devoir côtoyer Seungmin avec qui il n'avait aucune affinité. De plus, depuis que Changbin s'était quasiment donné en spectacle avec Chaeyoung, le soldat de Milirine avait l'air d'avoir une dent contre lui. Jalousie ou inquiétude, Changbin ne savait pas ce qui se passait dans la tête de Seungmin, mais ses regards sévères commençaient réellement à lui taper sur le système.

Chan n'avait pas eu l'air de remarquer quoi que ce soit et il avait juste hâte d'aller se coucher.

***

La vie au campement s'était avérée plutôt calme, en l'absence de troupes ennemies à proximité les soldats étaient plutôt détendus. Cela faisait dix jours que Chan et son armée étaient arrivés sur place, et la seule chose que le prince avait à faire était de passer en revue les rapports que les éclaireurs avaient faits de la zone. Il n'y avait rien à signaler alors les soldats commençaient à trouver le temps long.

Une missive était envoyée régulièrement au palais d'Erhégon et à celui de Milirine pour donner des nouvelles du campement. En plus du courrier officiel, chacun avait le droit de rédiger un courrier pour sa famille. Le messager faisait ensuite le trajet jusqu'à la capitale ce qui prenait un moment, il avait donc été décidé que cela ne se ferait qu'une fois par semaine maximum.

Il pleuvait ce soir-là, chose rare à proximité du désert mais pas impossible. Chan, Changbin et Seungmin étaient installés près du feu au milieu de la tente, le désert était proche et les nuits fraîches. Un dîner leur avait été apporté ainsi que du vin et l'alcool avait délié les langues.

— C'est quand on est loin de chez soi qu'on réalise à quel point on aime sa maison, soupira Changbin en retirant une peau de bête de ses jambes.

Le feu et le vin réchauffaient l'habitacle et la température à l'intérieur était presque trop élevée. Seungmin eut un petit rire, que devait-il dire lui ? Il avait dû quitter Milirine pour s'installer à Erhégon, il savait ce que c'était que d'être dépaysé.

— J'espère que tout va bien au palais, soupira Chan en s'affalant contre les coussins dans son dos.

— Tu t'inquiètes pour tes deux petites femmes ? plaisanta le général d'un ton taquin.

Seungmin tiqua au mot « deux » et haussa un sourcil. Pourtant les autres hommes n'avaient pas l'air d'y voir un quelconque problème et continuèrent à discuter comme si de rien n'était.

— Tu es bien placé pour me faire des remarques maintenant que tu fricotes avec des domestiques, dit Chan en vidant son verre de vin.

Plutôt que de riposter, Changbin se renfrogna, mettant le rouge de ses joues sur le compte de la chaleur ambiante et de l'alcool plutôt que de l'adorable image de la jeune femme qui lui venait en tête.

— Chaeyoung est très importante aux yeux de la princesse Mina, intervint Seungmin, je vous conseille donc de ne pas jouer avec elle comme vous le feriez avec une fille de joie.

Le général haussa un sourcil.

— Qui a parlé de jouer ?

Le Milirinois souffla en faisant tournoyer sa boisson dans le fond de son verre.

— Personne, je disais ça comme ça, mais ça a l'air d'être quelque chose de répandu chez vous de fricoter avec des domestiques.

Il avait jeté un coup d'œil plein de sous-entendus au prince qui avait hoqueté de surprise à cette allusion.

— Je dois prendre cette remarque personnellement ?

Seungmin se laissa tomber dans les coussins en soupirant.

— Je veux juste dire qu'en ayant la chance d'être marié à quelqu'un comme la princesse Mina c'est tout de même incroyable que vous côtoyez une domestique.

— Attention c'est un terrain glissant, marmonna Changbin.

— Je veux juste comprendre.

Chan soupira lorsque son ami lui jeta un coup d'œil et il lui fit signe qu'il avait l'autorisation d'expliquer la situation à Seungmin s'il le voulait.

En se resservant deux ou trois fois en vin et en poulet fumé, Changbin entreprit donc d'exposer les faits au Milirinois. Il commença par lui expliquer les coutumes d'Erhégon et donc le rôle de Sana auprès du prince pendant toutes ces années jusqu'à son mariage, ce qui justifiait totalement la force de leur relation. Une fois toutes les cartes en mains, Seungmin comprit un peu mieux la situation. Il comprenait que Chan ne puisse pas oublier cette partie de son passé et ses sentiments juste parce que Mina était entrée dans sa vie.

— Mais si elle a une place si importante dans votre vie, se permit le soldat, pourquoi ne pas lui accorder un statut officiel qui lui permettrait de rester à vos côtés malgré le mariage ?

— Comme quoi ? fit Changbin. Une maîtresse ?

— Non, je pensais plutôt à une concubine, je trouve le statut beaucoup plus respectueux et il conférerait à Sana plus de légitimité auprès du prince.

— Ce n'est pas très courant à Erhégon, soupira Chan.

— Mais pas impossible ni interdit ?

— Non ? Enfin pas de ce que je sache.

— Honnêtement Seungmin a une bonne idée, intervint Changbin. En plus, elles ont l'air de bien s'entendre avec Mina alors je suis certain qu'elle n'y verra pas d'inconvénient.

— Je ne pense pas non plus, confirma le garde. Après tout, si la princesse a déjà accepté votre relation, je ne vois pas en quoi ça pourrait la gêner davantage.

Chan acquiesça avant de se tourner vers Changbin, un sourire malicieux sur le visage.

— Maintenant que mon problème est réglé, passons au tien.

— Mais je n'ai aucun problème !

— Je pense que si, le nargua Seungmin, et ton problème à seize ans, des longs cheveux noirs et des grands yeux de biche.

Le général lui balança un morceau de pain à la figure comme il l'aurait fait s'il avait eu dix ans et cela fit beaucoup rire les deux autres.

— Je suis surpris tout de même, fit Chan, je ne pensais pas du tout que tu étais sérieux, après tout tu es plutôt du genre femme mature.

— Mais foutez-moi la paix ! Elle me plaît, elle me plaît, c'est tout !

La tente se remplit de rires et de bonne humeur, tous passaient un bon moment et ils en profitaient car dehors, par delà les dunes, une ombre avançait.

La menace était bel et bien là.