Mina n'avait pas trouvé le courage de dire à Sana qu'elle était au courant pour son aventure avec son mari. Elle agissait comme si de rien n'était en attendant le bon moment pour aborder le sujet. Elle n'en voulait ni à sa domestique ni même à Chan, elle se doutait juste que c'était peut-être elle et son mariage qui était venu se greffer à leur histoire. Et si quelqu'un devait faire preuve de ressentiment, c'était peut-être Sana à bien y réfléchir.

Chaeyoung devait sentir que la princesse était tracassée et elle ne la lâchait pas d'une semelle, cherchant constamment à savoir si elle allait bien et si elle n'avait besoin de rien. Mina s'en amusait beaucoup et avait profité d'une après-midi pour l'envoyer aller lui chercher des fleurs pour décorer sa chambre histoire qu'elle la laisse un peu respirer.

La petite domestique s'était donc retrouvée agenouillée dans les immenses parterres de fleurs du palais. Elle essayait d'arranger les couleurs entre elles afin de composer un beau bouquet pour la princesse.

- C'est marrant, je t'imaginais plutôt traîner les écuries que les champs de fleurs.

Elle leva ses grands yeux de biche vers la silhouette qui s'était arrêtée face à elle. L'homme à la carrure imposante qui se tenait là portait de trop beaux habits pour n'être qu'un simple noble, mais la jeune femme mit du temps avant de réaliser de qui il s'agissait.

- Vous êtes le général c'est ça ?

Celui-ci eut un petit rire avant de croiser les bras devant son torse.

- D'habitude les gens s'inclinent un minimum pour me saluer.

Chaeyoung se renfrogna et se redressa pour lui faire une timide révérence.

- Quel est ton nom ? demanda Changbin en s'asseyant sur un rocher.

- Chaeyoung monsieur.

Le général rit de nouveau.

- Tu viens de Milirine, c'est ça ? Tu es au service de la princesse.

- Oui monsieur.

La jeune femme ne voyait pas vraiment ce que quelqu'un d'aussi important que le chef des armées du royaume d'Erhégon pouvait bien lui vouloir. À sa grande surprise, il se mit à ramasser quelques fleurs et Chaeyoung reprit sa tâche par la même occasion, non sans garder un oeil sur lui. Que pouvait-il bien lui vouloir ?

- Tu n'as pas trop le mal du pays ?

- Non ça va, tant que je peux rester auprès de la princesse ça me va.

- Hum justement, est-ce que tu as remarqué quelque chose de particulier ces derniers temps ?

Chaeyoung leva ses grands yeux vers lui et haussa un sourcil.

- Pourquoi ? J'aurais dû ?

- À toi de me le dire.

Elle le fixa longuement, observant ses larges mains faire elle ne savait quoi avec les fleurs qu'il cueillait petit à petit dans le parterre. Il était le général des armées, peut-être qu'il était important qu'il soit au courant des moindres petits détails de la vie au palais.

- La princesse est inquiète, finit-elle par dire en retirant les feuilles de la tige des grands œillets qu'elle tenait.

- À quel propos ?

Changbin était surpris mais ravi que Chaeyoung accepte de discuter aussi facilement. Elle avait beau avoir l'air mature, elle n'en restait pas moins une jeune domestique et il était bien connu que les domestiques raffolaient des potins et autres petits ragots de couloir.

- Il semblerait que le prince quitte régulièrement la chambre au beau milieu de la nuit.

Le général expira bruyamment par le nez, ce sacré Chan.

- Vraiment ? fit-il l'air de rien. Et la princesse a une idée de ce qu'il fait ?

Elle secoua la tête.

- Non, elle pense juste que c'est de sa faute et qu'elle a dû faire quelque chose pour l'ennuyer. Elle craint que le prince ne l'aime pas, voire même qu'elle le dégoûte.

Chaeyoung posa son bouquet au sol et se rapprocha légèrement du général, posant les mains sur son genou et le fixant de ses grands yeux de biche.

- Vous et le prince Chan êtes amis non ? Vous n'avez aucune idée de ce qui a pu se passer ? Ou de ce qui pourrait arriver au prince ?

Changbin l'observa curieusement, surpris par la soudaine familiarité physique dont la jeune femme faisait preuve à son égard. Elle était jolie la petite domestique de la princesse, mignonne, pétillante, lumineuse mais elle avait en même temps un petit côté dur et sauvage. Ça plaisait bien au général, il était certain que son petit caractère pourrait avoir quelque chose de très charmant si il creusait un peu.

- Il ne m'a parlé de rien, mentit-il en se reconcentrant sur sa mystérieuse tâche, mais je suis certain que la princesse n'a pas de souci à se faire, le prince est probablement inquiet à propos des affaires du royaume voilà tout.

- Vous parlez de la guerre ? lui dit la servante un ton plus bas en retirant ses mains de la jambe du jeune homme.

- La guerre ? pouffa-t-il. Quelle guerre ? Erhégon n'est pas en guerre, et Milirine non plus d'ailleurs.

- Mais le mariage n'a-t-il pas eu lieu afin de créer une alliance entre nos deux royaumes afin de s'unir contre Safala ?

Le visage de Changbin s'assombrit, venant de Milirine, savait-elle des choses qu'il ignorait ?

- Que sais-tu de Safala gamine ? demanda-t-il gentiment pour la mettre en confiance.

Chaeyoung tiqua à l'entente de ce surnom et fixa les fleurs qu'elle avait dans les mains.

- Pas grand-chose, ce qu'on a pu m'en dire, ou que j'ai pu entendre.

- Comme quoi ?

- Qu'on y a envoyé les dissidents et les criminels il y a longtemps, marmonna-t-elle sans le regarder.

- C'est tout ?

- Et qu'ils chercheraient à se venger.

Changbin soupira longuement, non, la petite domestique ne détenait aucune information intéressante.

- Tu sais si Milirine à l'intention d'envoyer des troupes dans la vallée ?

- Oui, avant notre départ du palais, le roi avait déjà commencé à rassembler ses hommes pour les y envoyer. Le général de Milirine doit les conduire à la frontière, ils attendent les ordres d'Erhégon.

- Je vois.

Au moins le marché semblait toujours tenir.

- Vous avez déjà rencontré des Safaliens ? demanda Chaeyoung en relevant la tête.

Changbin sourit en découvrant ses grands yeux pétillants de curiosité.

- Non, enfin seulement des gens qu'on a exilés là-bas, jamais des revenants.

La servante se contenta d'hocher la tête mais son expression se fit plus dure.

- À Milirine on raconte que des habitants de Safala arrivent à sortir du désert et qu'ils s'infiltrent dans les villes.

- Et tu crois à ces rumeurs ?

- Je ne sais pas, mais je me dis que ce n'est pas impossible.

Le silence s'installa entre eux pendant de longs instants jusqu'à ce que Chaeyoung ne lâche un petit cri de surprise lorsqu'elle sentit quelque chose sur ses cheveux.

- Fais pas cette tête gamine, dis-toi que même si des Safaliens réussissaient à quitter le désert, il n'y aurait aucune chance pour qu'ils arrivent à infiltrer le palais.

La jeune femme tâta ce qu'elle avait sur le sommet du crâne. Elle rougit telle une tulipe lorsqu'elle réalisa que le général lui avait fait une couronne de fleurs. Elle lui lança un regard éberlué et cela le fit rire. Il lui tapota les cheveux et se leva.

- Et sache aussi que tous les Safaliens sont marqués au fer rouge sur le front avant d'être envoyés dans le désert, alors il serait vraiment difficile de ne pas les remarquer.

Changbin épousseta rapidement l'arrière de son pantalon de cuir avant d'adresser un clin d'œil à la petite domestique.

- Je dois y aller, ce fut un plaisir de discuter avec toi gamine, à bientôt.

Il lui adressa un signe de main avant de s'éloigner, laissant Chaeyoung avec son bouquet et sa couronne de fleurs ainsi que des milliers de questions qui tournaient dans sa tête. Est-ce que le général du royaume avait vraiment apprécié sa compagnie ?