Enfance
Lundi 15 avril 2019 : 20H30
¤ Merci de nous accueillir pour cette semaine d'entretiens sur France Culture. Durant ces cinq rencontres que nous allons passer ensemble, nous aborderons tour à tour votre oeuvre, votre présence sur Wattpad, mais nous porterons également un regard avisé sur les événements actuels qui secouent la France.
Avant toute chose, comme il est de coutume dans l'émission, penchons-nous sur votre enfance.
Comment la définiriez-vous?
* J'ai eu une enfance heureuse avec mes trois frères et soeurs, dans une petite ville industrielle du sud de la France.
¤ Laquelle?
* Alès. Je suis un pur cévenol.
¤ Et c'est quoi, être un pur cévenol?
* C'est avant tout quelqu'un qui a horreur des conventions et des contraintes. Quelqu'un qui refusera toujours de se laisser mener par le bout du nez. Quelqu'un qui a besoin d'être convaincu. C'est un écorché-vif. Un révolté. (grand rire)
¤ C'est une région méconnue. Est-ce que je me trompe?
* Absolument pas. C'est un cul-de-sac. A l'écart des grands axes de circulation. On est coincé entre l'Ardèche et la Lozère, deux départements très pauvres. Il faut vraiment avoir envie de venir nous voir. (rire)
¤ C'est aussi un coin de terre qui a beaucoup souffert par le passé.
* C'est une terre à la fois rouge et protestante. Louis VIII et Richelieu ont eu beaucoup de mal à faire respecter l'ordre. Ils ont dû signer la paix d'Alès, reconnaissant la liberté de culte en échange de la destruction des enceintes de fortification de la ville.
C'est également une terre communiste. Mon enfance a été bercée par les luttes, les discussions enflammées entre adultes à la maison. Les espoirs, le désir de refaire le monde... Moi, gamin, je n'y comprenais rien. J'étais trop jeune.
¤ Mais cela vous a marqué?
* (silence) Nous sommes tous le produit de notre éducation. Moi j'ai reçu une éducation citoyenne et politique. J'ai baigné dans cet univers là. Ajoutez à cela la dure vie dans les Cévennes, et vous avez, au final, un caractère bien trempé. Un peu comme le caractère corse.
¤ corse?
* Absolument. Nous sommes indestructibles, comme eux (grand rire). D'ailleurs, il faut garder à l'esprit que la Corse est le prolongement géologique des Cévennes. Nous sommes en quelque sorte une île à l'intérieur des terres. Nous avons le même esprit rebelle. D'ailleurs, les corses qui viennent chez nous sont frappés par la similitude avec leur île. De grandes montagnes avec des vallées profondes et escarpées. Isolées les unes des autres. Ça façonne un peuple, de tels paysages, car rien n'est facile, tout s'obtient à la force du poignet.
¤ Vous n'embellissez pas un peu trop votre région?
* (énorme rire) Oui, bien sûr. Mais chaque français reste attaché à sa terre. Voilà pourquoi la mobilité à l'américaine ne marchera jamais. Les gens ne se déplacent pas nécessairement pour trouver un emploi. Ils veulent vivre là où ils sont nés. Ils y ont leurs racines, leurs amis, ... Ils restent attachés à leur qualité de vie, même si elle est modeste.
¤ Cela marche-t-il aussi pour le parisien?
* (moue dubitative) Le citadin, enfin celui qui vit dans les grandes villes, a une autre approche, je le concède. Mais pour l'heure, il reste minoritaire dans l'hexagone.
¤ Pourtant on oppose beaucoup ces deux perceptions ville/campagne.
* Oui. Et les politiques menées sont le fruit des élites citadines qui connaissent souvent mal les problèmes rencontrés par la province.
¤ Pouvez-vous nous donner un exemple?
* Les 80 km/h. La France est le pays le vaste d'Europe, après la Russie. Les distances sont, de ce fait, démultipliées. On perd un temps fou. C'est le ressenti de perte de temps qui prime, pas la vitesse en tant que telle.
¤ Pourtant, cela sauve des vies.
* Encore faudrait-il le prouver scientifiquement. Trop de paramètres entrent en ligne de compte pour affirmer catégoriquement que la baisse de la mortalité sur les routes est la conséquence de la réduction de la vitesse.
¤ Que faudrait-il faire, alors?
* Déjà, comptabiliser le nombre d'accidents mortels d'une année sur l'autre. Pas seulement le nombre de morts.
Prenez un accident de bus. Un bus qui tomberait par dessus un viaduc, par exemple. À la vitesse de 75 km/h. S'il est vide à part le chauffeur, il y aura un seul mort.
L'année suivante, un bus similaire, même vitesse. Même accident mortel, mais cette fois-ci, il est complet, soit 60 personnes. Aucun survivant. Résultat: soixante morts.
D'une année sur l'autre, nous aurons un différentiel de cinquante-neuf personnes tuées. Mais pour un seul accident mortel à chaque fois.
Dès lors, les autorités auront beau jeu de dire que la mortalité est en hausse, ce qui est vrai, mais à cause d'un paramètre exogène: le nombre de passagers transportés. Le nombre d'accident, lui, n'aura pas varié.
Sans compter que la France est la première destination touristique dans le monde. Beaucoup de touristes utilisent notre réseau routier. On ne devrait pas les comptabiliser dans nos statistiques.
¤ C'est en effet à creuser. Tout cela nous a éloigné singulièrement de votre enfance. Revenons-y, si vous voulez.
Comment vous êtes-vous construit, d'abord comme jeune enfant, ensuite comme adolescent?
* Je le répète, nous avons eu, mes frères et sœurs, une enfance heureuse. Nous vivions dans une cité au sud d'Alès. Les journées se déroulaient lentement. Je me souviens d'ennuis mortels, au pied de notre immeuble.
Il y avait deux courts de tennis, mais nous n'avions pas les moyens de nous acheter une raquette et des balles. Et puis, pour être tout à fait honnête, nous n'y pensions même pas.
¤ Cela aurait pu briser la routine.
* Je me souviens que, rétrospectivement, j'aurais bien aimé en faire. D'ailleurs, entre 25 et 35 ans je m'y suis mis sérieusement.
¤ Sans doute pour rattraper le temps perdu.
* (grand rire) Mais ne vous moquez pas. J'avais réussi à être classé. J'avais un excellent niveau. Je m'étais fait tout seul, m'entraînant des heures entières contre un mur. Je m'éclatais.
¤ Vous deviez payer la location des courts. Ce devait être un hobby qui revenait cher, à la longue.
* L'avantage de vivre dans une ville communiste, c'est que cela ne nous coûtait pas un centime. Les six courts étaient gratuits, ainsi que l'éclairage. Ils coupaient la lumière à 22 heures précises. Je m'en souviens car on n'arrivait jamais à finir nos matches dans les temps. Je lançais la balle en l'air pour servir, et hop, les projecteurs s'arrêtaient. (grand rire)
¤ Et votre adolescence? Pouvez-vous nous en dire deux mots?
* Je suis resté "coincé" très longtemps. Complexé par mon corps et ma myopie... J'ai béni l'inventeur des lentilles, croyez-moi. Ça a révolutionné ma vision de la vie. (énorme rire)
¤ Vous aviez beaucoup d'amis, à l'époque?
* Pas tellement. Nous étions et nous sommes toujours une famille très unie, qui se suffisait à elle-même. Très peu de personnes extérieures pouvaient entrer. A part nos cousins germains.
¤ Comment se sont passées vos études?
(grand sourire) J'allais au lycée Jean Baptiste Dumas, à Alès. Une usine humaine. C'était, à l'époque le plus grand de France. Il accueillait près de 3000 élèves. Mais je me souviens qu'il était à visage humain. Je sortais en "boîte" le samedi après-midi avec des potes du lycée. On était tenus, à l'époque. (rire)
¤ ça n'est plus le cas maintenant?
* Disons que c'est plus cool. Les règles sont moins strictes. Mais quelle sensation de liberté, de vivre pleinement l'instant présent quand nous allions danser. C'était l'époque disco.
¤ Vous aimiez danser?
* Je crois que j'étais fait pour ça (rire). Je dansais jusqu'à la fermeture. Je dégoulinais... Mais qu'est-ce que j'aimais ça, danser. Et le disco, la piste de danse bondée, la salle pleine de fumée, l'alcool, l'atmosphère glauque... J'adooooorais.
¤ Vous avez poursuivi des études universitaires après le lycée, je crois?
¤ Oui. J'ai découvert d'autres horizons. D'autres univers. Les rencontres, les petits boulots, la sexualité... Mais tout ceci reste mon jardin secret que je garde précieusement tout au fond de moi.
¤ Alors, nous arrêterons-là votre période de l'enfance. Demain nous parlerons de votre arrivée sur Wattpad.
A demain.
* A demain.
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