15 MARS 2012
Monsieur Dupond fulminait. Comment était-ce possible? Comment, lui, aurait-il pu vouloir acquérir une croûte pareille? Pa même signée!
Mais le commissaire priseur avait été formel. Il l'avait vu clairement lever la main au dessus de sa tête. Non ça ne pouvait pas être une méprise de sa part. Oui, il devait débourser cinq mille euros. Non, ils n'avaient plus de papier pour l'emballer.
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Arrivé dans son modeste studio, monsieur Dupond jeta de rage son tableau blanc sur le divan, les deux coussins amortissant sa chute. Il consulta l'horloge murale.
Vingt-une heure! Et en plus ils lui avaient fait rater le journal télévisé.
Il se dirigea vers sa chaîne stéréo et choisit au hasard parmi les deux CD qu'il possédait.
Ce fût un vieil enregistrement public de Véronique Sanson.
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Au début, monsieur Dupond avait pensé le jeter dans la benne à ordures. Mais il lui avait coûté bien trop cher. Il avait envisagé de repeindre par dessus, car en y regardant de plus près, aucun doute, ce tableau comportait plusieurs couches de peinture blanche. Mais il se savait piètre artiste. De plus, il craignait de tâcher le studio qu'il louait.
En désespoir de cause, il le fourra sous le divan.
Et puis un soir, après le journal de vingt heures, il constata une fissure dans le mur. Juste a à côté de la télé. Cela faisait mauvais genre. Que diraient les gens s'ils voyaient ça, même s'il ne recevait jamais personne. Qu'importe! Cela tournait à l'obsession. Dès qu'il allumait son poste, il ne voyait qu'elle. Impossible de porter son regard sur autre chose. Il n'y en avait que pour ce trait noir qui lézardait la paroi.
Il repensa à son tableau. Pourquoi ne pas l'accrocher à l'endroit de cette horrible fissure?! Surtout que le mur était lui-même blanc. Une aubaine!
Aussitôt dit, aussitôt fait.
Oui, effectivement, cela allait beaucoup mieux. Il pouvait enfin se concentrer sur les nouvelles du jour. Et puis, blanc sur blanc, le tableau passait presque inaperçu.
Monsieur Dupond était fier de lui.
Jusqu'au jour où un grain de sable, ou plutôt un petit point noir, vint bouleverser le cours de sa paisible vie.
Ce matin-là'était un jeudi 15 mars, monsieur Dupond s'en souvenait parfaitement. Il venait d'enfiler son pardessus avant d'aller travailler, quand son regard fût attiré par un tout petit point noir. Situé au centre du tableau. Il pensa, au tout début, qu'il s'agissait d'une simple poussière. Il tenta de l'enlever avec l'index. En vain. Il gratta alors avec son ongle. Aucun résultat. Il se pencha pour mieux voir. Il était bien question d'un point, peut-être tracé au feutre noir ou au pinceau. En tous les cas, ce point ne s'y trouvait pas hier soir. Il pouvait le jurer. Et à moins qu'il ne l'ai peint durant son sommeil, il ne voyait pas qui aurait pu faire ça.
Il se promis de résoudre cette énigme le soir même, une fois rentré du boulot. Juste avant le journal de vingt heures.
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La journée fût chargée. Il eut beaucoup de clients. Plus qu'à l'accoutumée. Il n'eut pas le temps de repenser au mystérieux petit point noir.
Pourtant, il se souvint d'un militaire parachutiste qui rentrait de permission. Il l'avait chargé à la gare. Un maghrébin. Il réintégrait la caserne après avoir rendu visite à sa mère. Tout en conversant avec lui, il se surprit à penser que la France était un chouette pays. Où l'intégration n'était pas un vain mot. En effet, comment expliquer que lui, Mohamed, (il lui avait dit son prénom) musulman, issu d'une autre culture, éprouve le besoin de servir la France et ses concitoyens? Il existait bien un attachement plus fort que le pays, la religion, ou la politique qui unissait des êtres entre eux. Par le seul et unique souci de vivre ensemble, en harmonie, sur la base d'un contrat social accepté par tous.
Monsieur Dupond ressentit une bouffée d'orgueil. Il se sentait fier d'être français. Oui, la France était beau pays.
Le militaire demanda à monsieur Dupond de le déposer près du guichet automatique, à cinq cents mètres de la caserne. Il régla sa course et le salua d'un geste discret.
Monsieur Dupond resta quelques secondes à le regarder s'éloigner, lui faisant un petit signe amical de la main. Il le vit rejoindre deux autres légionnaires en treillis. Il vit aussi un scooter qui zigzaguait. Mais déjà ça klaxonnait derrière lui. Il fût forcé de redémarrer. Un nouveau message s'incrustait sur son écran. Un client l'attendait rue de l'Université.
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En rentrant chez lui, vers dix-neuf heures, monsieur Dupond crût remarquer que le petit point noir avait encore grandi un peu plus. Il eut largement le temps d'écouter son second CD, un vieux titre d'Hervé Christiani.
A vingt heures, il se cala confortablement dans son canapé et alluma la télévision.
https://youtu.be/LHCgnf-lICk
15/03/12
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