Décidément, la casquette lui seyait à merveille. Autant que son vieux chapeau melon.

Monsieur Dupont se leva aux alentours de sept heures dix. Il fit un brin de toilette, se rasant au son de Véronique sanson (oui, rappelez-vous, le titre en live!), avala une tasse de café, s'habilla sobrement, puis sortit.

Il ne pouvait se permettre d'être en retard.

Il atteignit les ateliers aux alentours de sept heures quarante-cinq. Son service débutait quinze minutes après. Il monta dans l'un des nombreux bus de la ville qui dormaient dans le hangar, inséra la clé dans la fente et mis le contact. Aussitôt le moteur se mit à tourner. D'abord péniblement. Il fallait le laisser tousser cinq bonnes minutes afin de chauffer totalement la mécanique. 

Monsieur Dupont était méticuleux. Il inspecta une dernière fois l'intérieur du bus, afficha la destination: " Gare SNCF" , puis sortit des ateliers. Destination son premier arrêt.

Il abaissa la vitre côté chauffeur. En ce début de mois d'août, le temps promettait d'être chaud.

Arrivé à l'arrêt "Ménestrel", une jeune fille vêtue d'une robe légère le héla de la main. Elle traînait derrière elle une lourde valise. Sans doute partait-elle rejoindre son amoureux? En tous les cas, elle était éclatante de vie.

A l'arrêt suivant, il prit en charge monsieur Delmy, un habitué. Un homme jovial d'une soixantaine d'années qui, chaque week end, venait récupérer sa femme à la gare. Comme à l'accoutumé, il portait sous le bras son journal plié en quatre. Et toujours avec cravate et chemisette blanche impeccablement repassée. Il le gratifia d'un franc sourire avant d'aller s'asseoir à l'arrière.

Au kilomètre dix-huit, il klaxonna. Par habitude. Par souci également de ne pas écraser ce jeune des quartiers qui faisait régulièrement du skate sur le trottoir. Au mépris du moindre danger. Il fallait le voir, casquette vissée à l'envers, débouler la chaussée sans regarder. Monsieur Dupont avait failli le renverser plus d'une fois. Ah! Ces jeunes...

A l'avant dernier arrêt, monsieur Dupont fit monter une jeune femme métis, visiblement enceinte. Elle rayonnait de bonheur. Un jeune lui céda sa place.

Monsieur Dupont sourit au fond de lui-même. Non, malgré les horreurs de ces dernières années, il ne fallait pas désespérer de l'Humanité. Il restait encore des gens qui désiraient vivre ensemble. Il écrasa une petite larme.

Enfin le terminus. La gare SNCF. Tous les passagers descendirent, le saluant poliment. 

Il repéra le vieil Alfred et son chien Sam. Toujours fidèle au poste, avec sa barbe blanche. Toujours à quémander une petite pièce. Toujours de bonne humeur.

Monsieur Dupont lui adressa un signe affectueux de la main. Puis il reprit son trajet en sens inverse.

Au milieu des bruits de moteurs et de klaxons, il lui sembla entendre comme une détonation dans le lointain. Pourtant, une seconde avant, tout était bien.

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Lorsqu'il réintégra son studio, fatigué mais heureux, la chanson d'Hervé Christiani jouait sans relâche. Il en fût à peine surpris.

Par contre, il ne reconnut plus son tableau. Noir.

https://youtu.be/_RcDQAuh6i8

                                                        Hervé Christiani