La semaine s'annonçait longue. Les vacances étaient finies. Plus de bières au pub, de plateau-télé tard le soir, de visite à l'hôpital. Retour à la vie d'artiste. C'est en traînant les pieds que Baekhyun arriva chez sa coiffeuse. Nouvel album, nouvelle couleur de cheveux. Il n'avait honnêtement pas envie d'en changer. Sa tignasse s'était à peine remise de la dernière torture infligée. Il fallait à nouveau la soumettre à une décoloration. Baekhyun voulait rester dans des tons sobres. Marron, châtain, comme sa couleur d'origine ou pourquoi pas noir. Ça lui donnait un air de mauvais garçon. Mais évidemment, ce n'était jamais lui qui choisissait sa couleur. Quoiqu'il en soit, il était ravi de se débarrasser de ce rouge délavé qui tirait sur le rose. Maria, la coiffeuse, une italienne qui avait quitté son pays pour fuir sa famille trop stricte, le salua. Baekhyun et elle, se connaissaient depuis son arrivée aux Etats-Unis où elle avait monté son propre salon de coiffure. C'était une adresse connue parmi les stars. Elle était partie de rien et aujourd'hui, elle faisait les teintures des plus grandes stars. Son talent dont la réputation avait grandi ces trois dernières années, n'était pas donné. Pas moyen de faire une coupe à moins de cent dollars. Ces prix démesurés expliquaient partiellement la composition de sa clientèle. Des enfants d'acteurs, des princesses, quelques DJs, des hommes d'affaires et une poignée de politiques. Mais ses doigts de fée n'étaient pas la seule raison de son prestige. Baekhyun avait toujours admiré le lieu magnifique, semblable à un palais, couvert de miroirs, avec au sol un parquet vintage. Les serveurs qui défilaient, des plateaux de champagne et petits fours en équilibre sur leurs bras, lui faisaient presque oublier qu'il ne s'agissait que d'un simple coiffeur. C'était bien le seul de la ville à proposer un service pareil. N'importe qui, aurait été ébahi devant tant de luxe, mais Baekhyun s'y était habitué. Maintenant, ça ne lui faisait ni chaud ni froid.

Maria claqua ses lèvres rouges sur sa joue et l'attrapa par le coude.

- Comment vas-tu depuis le temps ? lui demanda-t-elle avec un fort accent.

Au bout de trois ans, Baekhyun avait finalement compris que les italiens étaient très tactiles et affectueux, mais aujourd'hui Maria n'avait pas le temps pour les embrassades. Elle ne le serra même pas dans ses bras, comme elle en avait l'habitude et se contenta de prendre sa veste qu'elle accrocha à un cintre.

- Je vais comme on peut et toi ?

- Oh je ne te raconte pas. Tout m'exaspère ! La grossesse me rend susceptible !

- Tu es enceinte ?

- De deux mois. Ce n'était pas mon idée. Tu sais je ne suis pas prête à fermer la boutique. Mais bon, mon mari et ses envies... Je ne peux pas y faire grand-chose. En tout cas, ce n'est pas moi qui vais prendre un congé ! Je te le dis. Je travaillerais jusqu'à perdre les eaux ici.

Baekhyun éclata de rire. Maria était une véritable caricature qui ne mâchait jamais ses mots. Elle lui fit passer une blouse et l'installa dans un fauteuil somptueux. Au moment où son dos entra en contact avec le coussin, des vibrations remontèrent le long de ses lombaires, atteignirent ses omoplates puis redescendirent en bas de son dos. Ça faisait un moment qu'il ne s'était pas fait massé. Automatiquement ses yeux se fermèrent et il se laissa aller.

- Tu veux boire quelque chose mon chou ? Grignoter un truc ? lui demanda Maria.

Baekhyun ouvrit un œil pour apercevoir un serveur juste à côté de lui. Sur son plateau se trouvait du champagne et des toasts de foie gras. Il en attrapa un et réclama quelque chose de plus fort.

- Tu aurais du Yellow gin ?

- Bien-sûr.

A peine eut-il fait sa demande qu'un verre en cristal fut posé devant lui.

- Merci, dit-il au serveur, déjà reparti vers d'autres clients.

- Bon alors, qu'est-ce qu'on te fait cette fois ?

- Minseok ne t'a pas appelée ?

- Non, je ne crois pas.

Maria sortit son portable et fouilla ses mails. Rien non plus.

- Je crois que ça veut dire quartier libre.

- Je ne suis pas certain de-

- Bon écoute, je n'ai pas beaucoup de temps. Je suis pressée, tu le sais. Ton rendez-vous était prévu pour aujourd'hui alors si ton manager n'est pas foutu de m'envoyer la coloration qu'il souhaite, c'est toi qui décide. Si tu préfères attendre qu'il se remue, très bien mais tu devras encore patienter quelques mois pour ton prochain rendez-vous, je suis complète jusqu'à octobre.

Maria ne lui laissait pas vraiment le choix. Son nouveau clip allait être filmé dans trois jours, il ne pouvait pas tourner avec une tête pareille. Alors, pour la première fois, il décida lui-même.

- Tu as quoi dans les tons caramel ?

Maria lui sortit un palette avec un sourire.

- Ça c'est mon poulain. La trente-quatre est pas mal mais je pense que la quarante-deux t'irait beaucoup mieux. Ca illuminera ton visage et avec un peu de chance ça évitera de faire ressortir tes gros cernes. Qu'est-ce que tu fais toute la nuit ? T'as l'air épuisé.

Maria avait dit ça les sourcils levés. Baekhyun ignora ses sous-entendus intrusifs et opta pour la couleur à mi-chemin entre le roux et le châtain. Ne pas parler de sa vie privée, c'était une règle d'or. Il avait beau connaître Maria depuis longtemps, il restait muet. Tout le gratin passait par son salon et les rumeurs allaient vraiment vites. Il suffisait qu'un client un peu trop curieux écoute leur conversation pour que tout déraille. Alors Baekhyun avait pour habitude de rester mutique sur sa vie amoureuse.

- Je vois, tu ne vas rien me dire ?

- Absolument rien.

Il croqua dans son toast et héla un serveur pour un prendre un deuxième. Ces conneries allaient ruiner son régime mais c'était délicieux.

- Au fait, j'ai vu ta vidéo. Très chouette cette soirée.

- Ne m'en parle pas, grogna-t-il en rejetant la tête à l'arrière.

- Ne bouge pas.

Maria stabilisa sa nuque et continua d'étaler la crème décolorante sur ses racines.

- Je t'aurais bien accompagné mais enceinte et alcool ne font jamais bon ménage. On remettra ça à ma période post-accouchement, tu sais celle où je passerais mon temps à me plaindre de ces kilos en trop qui ont flétri ma jeunesse.

- Tu ne comptes pas devenir responsable ? Sortir en ayant un bébé, c'est peut-être pas la meilleure des idées.

- Hey c'est pas parce que je vais être maman que je dois m'arrêter de vivre. Cet enfant devra s'adapter. J'étais là avant lui, déclara Maria en pointant son pinceaux en direction du miroir.

Baekhyun leva les yeux au ciel et ferma les paupières.

- Tu t'es pris un savon, je parie ?

- Pour ?

- La vidéo.

- Tu n'as pas idée.

- En tout cas, ça m'a bien divertie le temps d'une soirée.

Baekhyun patienta avec un magazine le temps que sa couleur prenne. Au bout de deux heures, il quitta sa blouse, enfila sa veste et remercia Maria.

- Ça rend encore mieux que ce que je pensais. Je peux prendre une photo pour ma page Instagram ?

- Si tu y tiens.

Maria plaça Baekhyun entre deux serveurs et captura l'instant avant de le renvoyer de son salon à coups de pied.

- Allez oust ! J'ai d'autres clients et toi d'autres rendez-vous.

Elle n'avait pas tort. Baekhyun la salua et quitta le coiffeur. En consultant son téléphone, il remarqua que Minseok l'avait appelé trois fois et lui avait laissé deux messages.

« J'ai complètement zappé de lui dire ta couleur. Bleu foncé. »

Baekhyun lui répondit qu'il était déjà trop tard et poussa un soupir de soulagement. Il avait évité le pire. Il passa devant la boulangerie qui faisait le coin de la rue et fut tenté de s'arrêter. Son prochain rendez-vous était dans dix minutes et le building dans lequel son photo shoot était organisé se trouvait à huit-cent mètres. Il serait probablement en retard de quelques minutes mais, les stars savent se faire attendre. Alors vêtu de son masque et sa casquette, il pénétra dans la boulangerie. Des dizaines de pâtisseries colorées l'accueillirent, mais c'est l'odeur sucrée des viennoiseries qui l'attira. Il acheta trois pains au chocolat et une brique de jus d'orange qu'il avala sur le chemin en pensant à Chanyeol. Préférait-il les croissants ? Avait-il droit à des petits déjeuners comme ça à l'hôpital ? La prochaine fois qu'il passerait, il lui emmènerait quelque chose. Pour une fois, il lui tardait de révéler sa nouvelle coupe de cheveux au grand public. Mais les règles étaient strictes. Minseok avait été très clair là-dessus, dès le début. A chaque nouvel album, une nouvelle couleur qu'il devait dissimuler comme ça lui chantait jusqu'à la sortie de son clip. Baekhyun avait rapidement multiplié les bonnets qu'il portait été comme hiver. Pour aujourd'hui, sa capuche suffirait. En arrivant au studio prestigieux où les maquilleuses devaient l'attendre avec impatience, Baekhyun ne résista pas à l'envie d'aller vérifier son Instagram et comme prévu, Chanyeol lui avait écrit.

« J'ai bien réfléchi et pour anniversaire j'aimerais qu'on aille dans ce resto. Ça fait un moment qu'il me donne envie. Bon il est pas donné, mais un dernier anniversaire, ça se fête dignement non ? Ma mère me prêtera sa carte de crédit. Quant à toi, je suis certain que les prix te seront dérisoires. »

Etait joint avec une photo du restaurant. C'était un endroit chic et sobre, en bord d'océan. La terrasse était installée tout près des vagues. On y mangeait des plateaux de fruits de mer, les pieds dans le sable. Baekhyun détestait les mollusques. L'odeur du sel le répugnait, mais pour Chanyeol, il ferait l'effort. Il n'avait encore jamais goûté le homard et vu le prix auquel il était vendu, ça ne pouvait qu'être bon. Son pouce fit défiler la page du restaurant avec un sourire. Il y avait même des pâtes aux fruits de mer. Si avec ça il ne trouvait pas son bonheur... Il espérait simplement qu'il fasse encore suffisamment chaud pour que Chanyeol et lui puissent dîner au bord de la mer, pied nu. Baekhyun ne se souvenait pas de la dernière fois qu'il avait dîné au restaurant pour autre chose que les affaires. Ce devait être avec Taeyeon. Il leur arrivait parfois de s'échapper de la ville pour une nuit. Ils mangeaient puis faisaient l'amour à l'hôtel. Et le lendemain, chacun repartait de son côté, sans baiser, sans attachement. A l'époque, cette situation lui convenait bien, aujourd'hui, elle le faisait grimacer. D'habitude, il était toujours celui qui contactait Taeyeon quand le besoin se faisait ressentir et elle, ne refusait jamais ses avances. Mais depuis quelques mois, ils n'avaient eu aucun contact. Baekhyun avait été tellement occupé avec sa tournée, qu'il n'avait même pas songé à prendre de ses nouvelles. Et puis, lorsqu'il s'était octroyé des vacances, il avait rencontré Chanyeol et alors, l'idée de coucher avec elle ne lui avait plus jamais traversé l'esprit. Il avait toujours craint, au fil de leurs ébats, de s'attacher à elle, et de regretter le jour où elle rencontrerait quelqu'un et qu'ils ne pourraient plus s'amuser. Mais en réalité, elle ne lui manquait pas vraiment. La distance loin d'être douloureuse, était presque rassurante. Baekhyun ne se sentait plus contraint de la satisfaire, ou de se plier à ses demandes capricieuses. Car s'il était toujours celui qui initiait, Taeyeon ne se gênait pas pour ajouter son grain de sel. Les choses devaient se faire comme elle le souhaitait c'est à dire avec du champagne, des roses rouges, un bain moussant dans lequel elle passait des heures avant et après et, en prime, un petit bijou, pour clôturer la soirée. Il leur était arrivé de le faire entre deux interviews, sur des canapés pas vraiment confortables, mais Taeyeon avait très bien fait comprendre qu'elle n'était pas ce genre de filles, que même s'ils ne s'aimaient, Baekhyun devait la traiter justement.

Ce jeu avait bien fonctionné mais depuis sa tournée, Baekhyun n'en avait plus vraiment envie. Il ignorait si les discours de Chanyeol étaient la raison de sa réticence, mais ne s'en préoccupait pas vraiment. Il commençait à être vieux. Il était peut-être temps de trouver quelqu'un de bien, qui en vaille la peine et avec qui il aurait des enfants. Baekhyun serait un papa poule, il en était certain. Si Taeyeon détestait les enfants, lui, les chérissait. Il ne comprenait pas comment on pouvait haïr des petits anges, qui ne réclamaient que de l'amour et de la tendresse. Sa mère s'était donnée tellement de mal pour l'élever toute seule. Il voulait lui faire honneur en lui montrant qu'il n'avait rien oublié des valeurs qu'elle lui avait inculquées. Elle qui s'était tuée pour qu'il ne manque de rien n'aurait même pas la chance de rencontrer ses petits-enfants. Sa condition empirait un peu plus chaque jour. Baekhyun savait qu'elle ne passerait pas la barre des quatre-vingt ans, et pourtant il continuait de payer son traitement. C'était la seule chose qu'il pouvait faire pour la remercier. Il avait une sacrée dette envers elle et pas suffisamment de temps pour la rembourser. Qu'est-ce qu'il n'aurait pas donné pour qu'elle reconnaisse son travail... Malheureusement, elle n'arrivait même pas à retenir qu'il était son fils. Comme toujours lorsqu'il pensait à elle, l'émotion le tétanisa.

Le téléphone toujours en main, il oublia de répondre à Chanyeol et laissa ses yeux s'embuer. Juste pour voir s'il était capable de retenir ses larmes au milieu de la foule.

- Baekhyun ? Qu'est-ce que tu fais ? Tout le monde t'attend ! le pressa Minseok depuis le fond de la pièce.

Il traversa le hall d'entrée, vêtu de son éternel costume et, comme toujours, encadré par ses deux bras droits. Si Baekhyun ne le connaissait pas aussi bien, il l'aurait presque intimidé. D'un geste vif, il essuya ses yeux et serra son téléphone contre lui pour empêcher Minseok de voir son écran. Il n'avait aucune idée de la réaction qu'il obtiendrait si son manager apprenait qu'il continuait de fréquenter le pauvre adolescent malade. Il n'avait rien fait de mal et pourtant le besoin imminent de se cacher fut plus fort que tout.

- Qu'est-ce qu'elle nous a fait ? demanda Minseok en lui retirant son bonnet d'un coup sec.

Tout le monde les regardait. Baekhyun avait la sensation désagréable d'être un petit garçon pris en faute. Minseok le traitait comme un gamin ingrat. Cette attitude l'insupportait. Pourtant, il resta immobile et se laissa inspecter sous toutes les coutures.

- C'est pas du tout ce que j'avais en tête mais ça a le mérite d'être passable.

- Moi je trouve ça bien, osa-t-il d'une voix chevrotante.

Minseok, qui lui avait tourné le dos, lança un regard par-dessus son épaule.

- On se fout de si tu aimes ou pas. C'est pas ton avis qui compte. C'est celui des pigeons qui vont acheter ton CD. Et moi, je sais ce qu'ils veulent. Allez bouge-toi, on a du travail.

Sans se faire prier, Baekhyun prit place dans l'ascenseur entre Minseok et les deux molosses. Le petit espace minuscule et les deux épaules musclées qui l'encadraient le faisaient se sentir minuscule. Personne n'engagea la conversation. Si ce n'était pas pour aboyer des ordres, Minseok n'était pas très bavard en général. Baekhyun lui jeta un coup d'œil. Appuyé contre le miroir, il envoyait des texto avec un sourire béat. Probablement une escorte qu'il s'était dégoté pour la soirée. Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent et la paume de Minseok vint se poser entre ses omoplates.

- Yuta va s'occuper de toi. Je l'ai déjà briefé sur ton maquillage. Minho gèrent les vêtements. Une fois ton make-up fini, tu enfiles tes fringues et on passe aux photos.

***

Chanyeol avait arrêté de compter les jours, les heures et les minutes. Il avait arrêté de fixer sa porte avec appréhension à chaque fois que l'heure des visites arrivait. Il avait arrêté d'espérer et avait commencé à accepter la réalité. Peut-être que Baekhyun aurait dû se cantonner à sa première visite. Ça aurait sans doute été moins douloureux d'être séparé de lui aussi longtemps. C'était inévitable. Chanyeol le savait depuis le début. Dès que ses vacances, si on pouvait les appeler comme ça, toucheraient à sa fin, il retrouverait sa vie d'artiste. Et lui, de son côté, verrait l'excitation des moments passés avec Baekhyun se dissiper petit à petit. Il faisait beau. Le ciel était clair, sans un nuage à l'horizon et le soleil haut dans l'azur. Chanyeol aurait voulu aller courir. Il avait toujours été sportif avant de tomber malade. Parfois, il partait des matinées entières explorer la forêt qui bordait les alentours de sa maison. Il enfilait une paire de basket un short et courait des heures entre les rochers. Lorsque son père était en forme, il proposait de l'accompagner, mais la plupart du temps il y allait seul. Le souvenir glaçant de l'année de ses treize ans où il s'était cassé la cheville, et était resté assis pendant près de deux heures entre les racines lui traversa l'esprit. Ce n'était qu'à la tombée de la nuit que sa mère avait pris une torche, s'était chauffée la voix et avait scandé son nom en ratissant les bois. Chanyeol s'était pris un sacré savon. Après ça, il n'avait plus eu l'autorisation de courir seul. Ses escapades avaient diminué jusqu'à devenir inexistantes. Son père n'avait plus la force de l'accompagner et sa mère était trop occupée pour lui faire cette faveur. Il regrettait l'époque où son corps endurant ne fatiguait pas. Aujourd'hui, il ne pouvait même plus poser un pied devant l'autre et pourtant ses jambes le titillaient à longueur de temps. Au cours de la semaine, il avait essayé de tenir debout mais chaque tentative s'était soldée par un échec. Et cette fois-là, Baekhyun n'avait pas été là pour le ramasser.

Son regard quitta la fenêtre pour se poser sur la paire de baskets pratiquement neuves qui pourrissait dans son placard. Sa mère les lui avait offertes lors de sa première hospitalisation. Pendant ce temps, où ils croyaient tous encore qu'il pourrait rentrer chez lui en moins de trois semaines. Aucun d'eux ne se doutait qu'il n'aurait pas l'occasion de les porter. A ce moment-là, ses parents étaient si optimistes qu'il leur était impensable que le cancer l'emporte sur leur fils. Pourtant c'était ce qu'il s'était produit. Chanyeol se sentit inexplicablement triste. Il aurait aimé que quelqu'un d'autre puisse porter ces chaussures. Elles étaient toutes neuves et ne demandaient qu'à être usées. Sa contemplation prit fin lorsqu'on son téléphone, posé sur sa table de nuit, vibra. Son fond d'écran apparut et lui décrocha un sourire. Une semaine plus tôt, Baekhyun lui avait envoyé une photo top secrète de sa nouvelle coiffure. Chanyeol n'était pas censé la voir avant la sortie de son clip, pourtant Baekhyun lui avait quand même offert un aperçu de sa nouvelle couleur. Chanyeol s'était sentit privilégié, suffisamment spécial pour que Baekhyun ait confiance en lui. Peut-être qu'il n'aurait pas dû. Baekhyun avait certainement envoyé cette photo à la plupart de ses contacts. Son pouce avait surement dû glisser par inadvertance sur le prénom de Chanyeol. C'était ce qu'il s'était dit en admirant la photo. Mais, le message qu'il avait reçu quelques secondes après, avait fait disparaître tous les doutes qui noyaient son esprit et lui avait prouvé que non, Baekhyun ne paniquait pas à l'idée qu'il diffuse la photo. Il ne s'agissait pas d'une erreur.

« Hey Chan. Tu en penses quoi ? Je me suis dit que tu aimerais. »

Mieux que tout, Baekhyun lui avait demandé à lui, et pas à un autre s'il aimait. C'était son avis qui comptait. Son chanteur favori lui faisait entièrement confiance. Pour une fois, Chanyeol s'était sentit terriblement heureux.

« Sur une échelle un à dix, onze. Si j'avais encore des cheveux, je me serais fait la même couleur. »

Après avoir répondu, une petite grimace avait tendu ses traits. Il espérait ne pas être allé trop loin. Son humour noir avait tendance à empirer avec la maladie, il ne voulait pas mettre Baekhyun mal à l'aise. Pourtant leurs échanges suivants avaient été d'un naturel déconcertant, comme s'ils s'étaient toujours connus et que Baekhyun avait déjà apprivoisé son goût pour les blagues macabres. Cette photo avait remplacé son ancien fond d'écran. Baekhyun finirait par la poster sur sa page, à la vue de tous, mais Chanyeol garderait toujours le sentiment qu'elle lui appartenait. Il lut le texto que lui avait envoyé sa mère avec un soupir. Elle avait rendez-vous chez le dentiste et ne pourrait pas lui rendre visite. Une fois de plus, il réalisait qu'avec ou sans lui, le monde continuait de tourner. Son regard se porta sur la porte d'entrée, fermée. Le nouveau clip de Baekhyun allait sortir dans quelques minutes. Il avait attendu ça avec tellement d'impatience et avait tout préparé pour le voir avec sa mère. Pop-corn, bonbons, boissons et coussins pour son dos. Il était fin prêt. Cette fois Baekhyun était resté professionnel et n'avait pas craché le morceau. Chanyeol ne connaissait même pas le titre du morceau. Il était impatient depuis des jours, mais son excitation retomba peu à peu lorsqu'il réalisa que personne ne serait là pour partager sa joie. Il aurait pu biper Layla, pour quelques minutes mais sa conscience l'en empêcha. Elle était certainement occupée avec d'autres patients et n'avait pas de temps à gaspiller pour des choses aussi futiles qu'un clip vidéo. Alors il renonça à l'appeler et se hissa doucement sur sa chaise roulante. Il préférait être poussé, mais dans la vie on n'avait pas toujours ce qu'on voulait. Alors, il usa de la force de ses muscles plats pour enclencher les roues et joignit le couloir. Pour une fois, il n'eut pas à subir l'interrogatoire de police des infirmières. La voie était libre. En quelques mètres, le numéro de la chambre de Lisa lui fit face. Il frappa et attendit. Contrairement aux infirmières qui entraient comme dans un moulin, Chanyeol avait gardé un minimum de pudeur.

« Entrez. » La voix de Lisa résonna derrière le battant. Il poussa la porte de ses deux mains. Assise sur son lit, le crâne bandé d'un foulard et un bouquin à la main, elle ne releva même pas les yeux. Il aurait pu s'agir d'un assassin qu'elle aurait eu la même réaction. Tout la rendait indifférente.

« Salut » Chanyeol s'invita et se transféra sur la chaise, au coin de la pièce. « Comment ça va ? »

Lisa haussa les épaules et tourna la page. A son air fatigué, Chanyeol sut qu'elle venait de sortir de chimio.

- Ça va comme si j'étais atteinte d'un cancer incurable et toi ? Ta mère ne devait pas passer ? Pire ! Ne me dis pas que t'es venu ici pour t'excuser d'avoir boulotté tous ses muffins ? Putain Chan ! Je t'avais dit de m'en laisser.

Chanyeol leva les mains en l'air en signe de défense.

- Non ! Elle ne viendra pas. Elle est occupée.

Lisa fit la moue.

- Toi aussi tes parents commencent à t'oublier ? Des vrais connards, je te jure. Tu verras, dans deux semaines tu souffriras même plus. Ça te fera juste rire.

Et elle savait de quoi elle parlait. Chanyeol ignorait si la distance qu'imposaient ses parents, étaient un moyen pour eux de se protéger de la douleur ou si réellement, ils n'en avaient plus rien à foutre. Son père pilote et sa mère hôtesse, ne s'étaient pas mis au chômage pour leur fille. Ils avaient continué à travailler comme si de rien n'était. Chanyeol était certain que le jour où elle mourrait, ils ne seraient même pas là. C'était dommage et pathétique. Face à sa situation, Chanyeol se sentit coupable de se plaindre. Elle avait tout à jalouser. Lui mourrait entouré et chéri jusqu'à la dernière seconde.

- Dis pas ça... Ils ne peuvent pas s'arrêter de vivre à cause de moi, dit-il pour défendre sa mère.

Lisa ne releva même pas sa remarque et continua de lire. Elle était en colère. Ses doigts crispés au bord des pages indiquèrent à Chanyeol qu'il était temps de parler d'autre chose.

- Tu lis quoi ?

- Ça t'intéresse ?

- Bien-sûr. Sinon je ne te demanderais pas.

Chanyeol avait appris à gérer son arrogance et à ne pas se sentir vexé au moindre pic qu'elle lui lançait. Elle était seule et sans défense. Il fallait bien qu'elle trouve un moyen de se protéger. Son caractère de chien en faisait partie.

Son doigt pointa le titre où Chanyeol put lire « La mort pour les nuls. »

- Pourquoi tu lis ça, sérieux ?

- J'sais pas. Ça me détend. Et puis peut-être que je trouverais des réponses à mes questions dans ce truc.

- Flaubert t'allait mieux. Je doute sincèrement que tu apprennes si tu vas te réincarner là-dedans.

Lisa posa son livre avec une lenteur infinie et dévisagea Chanyeol.

- A quoi tu joues ? Tu t'ennuyais alors t'as décidé de venir m'emmerder ?

- Non. J'alimente simplement notre conversation, rétorqua-t-il sur le même ton. Tu sais, ce truc quand deux personnes parlent.

- Ouais et bah là, j'ai pas envie de parler. Alors tu ferais tout aussi mieux de dégager.

Chanyeol aurait dû être vexé par le ton cinglant de Lisa, mais la lueur de regret qui traversa immédiatement son regard, lui fit comprendre qu'elle était seulement sur les nerfs.

- Pardon. Désolée d'être aussi exécrable... c'est juste que...

- T'as mal hein ?

- Ouais... Depuis ce matin. J'ai avalé je ne sais pas combien de cachets mais ça passe pas. J'ai l'impression qu'on joue un match de ping-pong dans mon crâne et que la balle arrête pas de rebondir. Ça me rend folle.

- Je pense que tu devrais poser ce bouquin déprimant et dormir un peu.

- Figure-toi que c'est loin d'être déprimant. C'est seulement... intriguant. Tout est analysé d'un point de vue scientifique. C'est très intéressant, tu devrais essayer. Ça permet de relativiser sur son ce qui va nous arriver.

- Relativiser pour quoi faire au juste ? Tu crois sincèrement qu'une fois que tu seras morte, tu pourras vérifier tout ce que ce bouquin débile raconte ? Ouvre-les yeux un peu ! Tu meurs et puis c'est tout.

La mort avait toujours été un sujet houleux entre Lisa et lui. Chaque fois qu'ils en parlaient, des étincelles fusaient. Chanyeol ne croyait en rien de particulier. Il n'avait pas prévu de finir au paradis. Lisa de son côté était très branchée réincarnation. Elle espérait renaître pour pouvoir profiter d'une nouvelle vie, un peu plus longtemps, et effectuait quotidiennement les rites bouddhistes. Sur le bord de sa fenêtre, une statue Bouddha et quelques bougies. De temps à autres, elle déposait ses plats à peine touchés, s'agenouillait et priait. Chanyeol trouvait ça ridicule. S'il y avait bien un dieu, alors pourquoi les avait-il mis dans cette merde ? Lui en tout cas, en voulait à ce fichu dieu. C'était peut-être cette rancœur qui rendait difficile l'acceptation des croyances de Lisa.

Lisa avait la mâchoire contractée et le regard voilé de colère. Chanyeol soupira et fit demi-tour en agrippant les roues de sa chaise.

- Dors un peu.

Il roula jusqu'à la porte et, lorsqu'il l'atteignit, entendit la voix de Lisa l'appeler.

- Au fait, pourquoi t'es venu me voir ?

- Je voulais juste voir comment tu allais, prétendit-il en se tournant vers elle.

Lisa le toisa avec une moue septique.

- Chanyeol, c'est quoi la raison réelle ?

Il aurait dû s'en douter. Ça ne lui ressemblait pas de venir prendre des nouvelles. Lisa ne s'occupait jamais de lui et réciproquement. Ils passaient simplement du temps ensemble pour mieux supporter le cadre de l'hôpital. Cette déclaration n'allait simplement pas dans leur habitude. Il lui était déjà suffisamment difficile de se déplacer en fauteuil, il n'allait pas en plus s'y contraindre uniquement pour savoir si elle allait bien. Autant lui passer un coup de fil. Lisa ne bronchait pas. Ses doigts étaient croisés sur ses genoux. Elle s'obstinerait jusqu'à obtenir la réponse et maintenant que Chanyeol devait lui expliquer la réelle raison de sa venue, il regrettait presque d'avoir fait le déplacement.

- C'est juste que... j'avais prévu de regarder le nouveau clip de Baekhyun avec ma mère... et comme elle n'est pas venue...

- Tu voulais que je t'accompagne ?

- C'est ça. Mais je ne vais pas t'embêter. Si tu as mal tu ferais mieux de te reposer. Je vais retourner dans ma chambre.

La tirade de Chanyeol lui arracha un sourire.

- Arrête de faire ton Calimero. Je vais le regarder ton clip à la noix. Viens.

Lisa tapota le bord de son lit.

- T'as un truc à grignoter ?

- Bonbons et pop-corn dans ma chambre.

- Je vais les chercher, ne bouge pas.

Chanyeol n'avait aucun problème à ce que Lisa fouille dans ses tiroirs. Ils n'avaient aucun secret l'un pour l'autre. Lorsqu'elle revint, les bras chargés, et le souffle court, il était déjà installé, prêt à lancer la vidéo.

- Fais-moi un peu de place.

Lisa grimpa sur le lit et se blottit contre lui avait d'avaler une poignée de bonbons.

- Y'a intérêt à ce qu'il en vaille la peine.

Chanyeol ne releva pas son commentaire et lança la vidéo. Aussitôt que les premières notes surgirent, Lisa se tut et cessa de mâcher. Elle se concentra sur les couleurs du clip et la mise en scène qui avait dû coûter une fortune. Elle qui avait l'habitude de le voir au milieu de paysages spectaculaires et lumineux, fut surprise du choix du décor et de la tenue. La production était sobre et minimaliste. Il n'y avait qu'une pièce minuscule avec dans un coin, un bureau jonché de feuilles. Baekhyun apparaissait dans des vêtements sombres et abîmés. Pas de tenue hors de prix. Seulement de la simplicité. Tout le clip reposait sur une dualité effrayante. Un combat contre lui-même. Baekhyun était en proie à une folie maladive. A chaque nouvelle phrase, ses doigts s'emparaient des papiers et les déchiraient rageusement. Le rythme saccadé avec lequel les lambeaux s'éparpillaient au sol était bien loin de la douceur de sa voix. Lorsqu'il avait fini, son corps épuisé s'écroulait dans un coin de la pièce. La basse et la batterie prenaient le dessus et accompagnaient sa voix bien plus forte, bien plus puissante. Et puis, tout s'évanouissait. Ils ne restaient plus que le tourment et la tristesse sur ses traits tendus. Les couleurs s'assombrissaient, la musique devenait grave et profonde. Lisa devait bien admettre que son jeu d'acteur était à couper le souffle. Derrière ce petit bureau, dans cette pièce ombragée de rouge et de noir, Baekhyun avait l'air habité, possédé par un démon. Son visage était complètement ravagé, strié de larmes et de sang. Ses ongles s'enfonçaient dans ses joues jusqu'à les déformer. De longs cris hystériques mais couverts par les touches du piano déformait son corps qui se tordait dans tous les sens. On aurait dit un monstre. Lisa ressentit même un frisson. Cet homme et cette expression de désespoir n'avaient rien à voir avec le chanteur placardé sur les murs de Chanyeol. Cette chanson avait tout l'air d'un appel à l'aide. Lisa ne connaissait rien de cet homme et en le voyant lutter pour sourire, mais s'effondrer à nouveau, en s'agrippant désespérément au bureau, elle eut le sentiment que peut-être cette chanson n'était pas qu'une œuvre, une pièce d'art à marchander. Comment pouvait-on produire un truc pareil sans jamais avoir connu la souffrance et le malheur ? Baekhyun avait forcément dû être confronté à la douleur et la solitude. Lisa se demanda dans quel état il était en écrivant ses paroles. Peut-être qu'il jouait si bien la comédie parce qu'il ne faisait pas semblant. Peut-être qu'il n'avait eu aucun mal à pleurer sur commande ou à afficher cette expression de détresse dans son regard. Ce clip était simple, mais ce n'était pas le décor qui méritait d'être vu. C'était la terreur et le manque dans le regard de Baekhyun.

Rien n'avait été laissé au hasard. Tout était fait pour qu'on se concentre uniquement sur son visage et qu'on ressente sa peine. Lisa la ressentit. C'était du pur talent. Baekhyun était un véritable artiste. Il ne faisait pas que chanter, il transmettait une vraie douleur. Qui l'avait autant blessé pour qu'il écrive un truc pareil ? C'est la première question que se posa Lisa lorsque la vidéo toucha à sa fin. Le sachet de bonbons était encore plein. Chanyeol ne l'avait pas touché et elle, avait été si captivée par la fureur des mouvements de Baekhyun et la beauté de sa voix, qu'elle en avait oublié de se goinfrer. Leurs regards se croisèrent et la panique lui gangrena la poitrine, quand elle remarqua que Chanyeol pleurait.