Chapitre 32: Âmes sœurs.
Il était cinq heures de l'après-midi lorsque Chanyeol cessa d'appeler. Son forfait limité à deux heures était sur le point d'exploser. Il avait déjà été dépassé de cinq dollars. S'il persistait la facture malheureuse de ses excès risquerait d'augmenter. Il n'osait même pas imaginer l'expression horrifiée de son père. Las d'être toujours renvoyé à la même messagerie récitée d'une voix monotone, Chanyeol posa son téléphone sur le divan et s'étira. Un sentiment étrange l'agitait. D'un côté, il en voulait à Baekhyun de le faire mariner comme ça alors qu'il mourrait d'envie d'entendre sa voix mais de l'autre, il savait qu'il n'avait pas d'autre choix que d'accepter son silence. Ça faisait partie de leur relation. En l'embrassant sur cette plage, Chanyeol avait signé un contrat, scellé un pacte qui lui interdisait de se plaindre. Baekhyun n'était pas quelqu'un de normal et même si désormais, il lui appartenait, il restait tout de même ce personnage inaccessible qui avait bercé les trois dernières années de sa vie. Il ne fallait pas qu'il l'oubli.
« De toute façon, je le verrai ce soir, non ? » se dit-il pour se rassurer. Comment pouvait-il attendre la mort avec autant de patience et ne pas supporter les quelques heures qui l'éloignaient de Baekhyun ? Chanyeol savait que l'ennui et la solitude n'y étaient pour rien. Si ça avait été le cas, il aurait bombardé Lisa de messages ou serait allé se coucher, lorsqu'on dort le temps passe plus vite. Le manque qu'il ressentait n'était pas non plus de celui du creux dans la poitrine. Ce n'était pas aussi simple qu'un pincement au cœur. C'était autre chose, quelque chose de bien plus puissant. La douleur de l'absence était déchirante, essoufflante. Chaque fois qu'il pensait aux minutes égrenées sans Baekhyun, Chanyeol se sentait à court d'oxygène, comme si on lui avait subitement retiré son respirateur. Il avait mal et tremblait. C'était déraisonnable. Personne n'aurait dû dépendre autant de quelqu'un... et pourtant.
Baekhyun et lui ne s'aimaient pas. Ils se complétaient, fusionnaient l'un en l'autre. A des kilomètres de distance, leurs pensées convergeaient, leurs souffles s'accordaient, leurs yeux se fermaient au même moment et derrière leurs paupières, le même visage apparaissait. Encore et encore. Ils étaient des âmes sœurs. De celles qui même séparées, finissent toujours par retrouver leur chemin vers l'autre. De celles qui existent mais sont si rares que personne ne les croit véritables. Pourtant, Baekhyun et lui en étaient la preuve vivante. Leur connexion allait bien au-delà des papillons dans le ventre, de l'amour naissant et de la joie bouillonnante. Les mots devenaient inutiles. Leur regard, leur geste parlaient pour eux. Depuis le début, tout était fait pour qu'ils éclatent. Les obstacles s'étaient dressés entre eux. Ils ne devaient pas survivre l'un à l'autre. Chanyeol n'aurait pas dû pouvoir lui tenir la main. Baekhyun n'aurait pas dû veiller sur lui. Leur alchimie était dangereuse, brûlante. Et pourtant, ils avaient gravi les montagnes, traversé les rivières pour se retrouver. Ils faisaient face aux tempêtes du risque, sans ciller. Chanyeol avait utilisé sa faiblesse pour faire venir à lui ce qu'il ne pouvait pas aller chercher : l'amour. Il avait réalisé l'impossible. Même lui avait du mal à le croire. Sans en avoir vécu l'expérience, Chanyeol savait que l'amour était le plus beau et le plus douloureux des sentiments. Il finissait toujours par s'estomper et détruire avec lui ce qu'il avait mis des mois, des années a créer. Le bonheur qu'il avait tissé petit à petit, les rires, les sourires, les baisers, les caresses, il emportait tout et ne laissait place plus qu'au chagrin, à la colère et aux regrets. Personne ne sort indemne d'une relation. Même ceux qui croient s'aimer, finissent toujours par s'ennuyer l'un de l'autre. Un jour on se réveille et puis, on ne parvient plus à se rappeler ce qui nous a plu la première fois. Pourquoi nous avons été charmés. On cherche, on observe son visage et on se rend compte qu'il est déjà trop tard. Qu'on ne l'aime plus et qu'il est temps de partir. C'est un processus cruel mais inévitable. Sauf chez les âmes sœurs. Elles aussi passent par ces moments de doutes mais finissent toujours par réaliser que, personne ne sera jamais mieux que leurs âmes sœurs. Personne ne les comprendra aussi bien, ne les complètera aussi bien, personne ne les rendra aussi heureux. Chanyeol savait que Baekhyun et lui n'auraient pas de futur mais il était persuadé, tout au fond de lui, malgré ses dix-sept ans, malgré tout ce qui les empêchait de s'aimer, qu'ils auraient été ensemble jusqu'à la fin. C'était écrit. Ils devaient vieillir ensemble, s'éteindre main de la main après avoir vécu jusqu'au bout. Alors pourquoi partait-il aussi tôt ? Pourquoi ne lui offrait-on pas la chance de prouver qu'il avait raison ?
Les larmes lui montèrent aux yeux. Il allait mourir. Il ne verrait pas Baekhyun vieillir, il ne grandirait pas. Il ne pouvait que les imaginer, les cheveux grisonnants et le dos courbé. Mais son imagination ne lui suffisait plus. Il voulait vivre et se prouver qu'il ne s'était pas trompé. Que quand il serait fripé, incapable de parler, alité, Baekhyun serait toujours là, avec lui et le tiendrait contre son corps. Maintenant qu'il goûtait enfin à la joie d'être aimé, que ses journées n'étaient plus rythmées par les médicaments et les allers et venues des infirmières, il ne voulait plus mourir. Avant l'idée de disparaître ne le contrariait pas autant. Aujourd'hui celle de laisser derrière lui, tout ce qu'il avait construit, d'abandonner, sa famille, ses amis, son âme sœur... le bouleversait.
Une fois qu'il serait mort, Baekhyun reconstruirait quelque chose avec quelqu'un d'autre. Et même s'il était dévasté à l'idée de ne pas partager le reste de sa vie avec lui, il ne lui en voulait pas. Il avait au moins l'assurance de se dire que peu importe la personne qui le remplacerait, elle ne vivrait jamais ce que Baekhyun et lui vivaient. Car dans toute une vie, on n'a qu'une âme sœur. Et Chanyeol était la sienne.
Chanyeol essuya ses yeux avec les manches de son pull. Il faisait froid mais son père laissait le radiateur éteint. Leur facture d'électricité avait encore augmenté. Il savait cependant qu'une fois les lumières éteintes, sa mère revenait à pas de loup pour mettre en route le radiateur. Elle se couchait après tout le monde et se levait à l'aube pour l'éteindre avant que son père se réveille. Elle ne voulait pas que son fils ait froid. Chaque nuit, Chanyeol l'entendait ouvrir sa porte pour vérifier qu'il dormait. Parfois elle la refermait aussitôt et d'autre fois, elle restait plantée sur le seuil pendant d'interminables minutes. Chanyeol l'entendait renifler dans son dos. Il restait immobile et écoutait ses sanglots. Trop lâche pour la prendre contre lui et trop honnête pour lui assurer que tout irait bien. Car rien n'allait plus. Sa mèe passait des heures à graver l'image de son fils dans sa mémoire. La façon dont sa respiration était lourde, l'habitude qu'il avait d'emprisonner sa couette contre lui. Elle ne voulait rien oublier. Parfois, elle veillait sur lui jusqu'à tard dans la nuit. Chanyeol l'avait déjà retrouvée endormie contre la porte de sa chambre. Il avait fait semblant de ne rien avoir remarqué et s'état recouché. C'était trop difficile de lui faire face, de lui montrer que son chagrin le blessait. Depuis sa sortie de l'hôpital, l'impression d'être un fardeau pour ses parents avait gonflé et explosé. Le contraste entre sa volonté d'en finir et celle de guérir, le rendait malade. Il ne supportait plus de voir sa mère s'inquiéter et son père faire semblant qu'il allait bien. Leurs rires semblaient faux, leurs discussions forcées, leurs sourires illusoires. Il avait de plus en plus de mal à agir comme s'il ne voyait rien. Même Lisa avait ses moments de blues. Elle qui était si forte, lui disait de plus en plus souvent qu'il allait lui manquer. C'était étrange et dérangeant d'entendre sa voix craquer d'émotions. Lisa avait toujours été une dure à cuir, c'était son son model. Alors si même elle, commençait à abandonner, comment pouvait-il garder espoir ? Son monde tout entier coulait et il peinait à flotter. En fait, le seul pour qui il n'était pas encore un cadavre ambulant était Baekhyun. Baekhyun était maître en l'art de cacher ses émotions, dissimuler ses pensées. Avec lui, Chanyeol avait le sentiment d'être normal. Il oubliait sa maladie, ses maux et repoussait un peu plus les limites à chaque fois. Ensemble, ils défiaient le maître du temps. Baekhyun était sa bouée, celui qui lui faisait oublier à quel point sa vie ne méritait pas d'être vécue. Chanyeol réalisa que sans lui, peut-être que tout serait déjà terminé. Il ferma les yeux et repensa à tous ces moments volés au sablier, ceux où Baekhyun avait cru perdre la raison. C'était ces quelques moments qui le faisaient se sentir invincible.
Au bout de la pièce, Buck aboya. Chanyeol ouvrit les paupières et l'observa renifler le placard près de la télé. Plus qu'une heure et sa mère serait là. Comme chaque jour depuis sa sortie de l'hôpital, il avait passé la journée chez lui, seul, entre l'ordinateur et le jardin. Il lui arrivait d'aller jusqu'au bout de la rue pour promener Buck mais ses balades ne duraient jamais bien longtemps. Buck détestait le froid et la marche. Le combo des deux lui valait de tirer comme un forcené sur la laisse pour rentrer. Son regard tombant faisait capituler Chanyeol à chaque fois. Il ne résistait jamais bien longtemps aux suppliques de son chien et faisait rapidement demi-tour. Ce peu d'exercice lui suffisait amplement. Maintenant qu'il avait coupé son traitement, le moindre effort lui demandait une énergie considérable. Il était rapidement essoufflé et, lorsque son esprit n'était pas préoccupé par quelque chose, il passait son temps à dormir. Ses matinées, il les passait vautré dans ses draps à contempler son plafond en écoutant en boucle l'album de Baekhyun. L'après-midi, il se rendormait et, comme chaque fois, était réveillé par le son du téléphone. Sa mère l'appelait toutes les trois heures pour s'assurer qu'il aille bien. Chanyeol répondait mollement à son interrogatoire de police et attendait qu'elle soit suffisamment rassurée pour raccrocher. Depuis leur dispute de la veille, ils ne s'étaient pas adressé un mot. Elle lui avait simplement envoyé un texto pour lui rappeler qu'il y avait un plat de lazagnes au frigo, mais rien de plus. C'était étrange de ne pas entendre sa voix inquiète, de ne pas avoir ses recommandations sur son dos. Elle lui manquait presque. Il n'arrivait pas à croire qu'elle ne puisse pas accepter ses décisions. Il était grand. S'il voulait se jeter dans la gueule du loup affamé, c'était son souci. Baekhyun n'était pas celui qu'elle croyait connaître. En une soirée, il avait prouvé à Chanyeol qu'il n'était pas le même qu'à l'écran, que tout ce que le monde croyait savoir sur lui était faux. Il avait écouté son cœur pour lui. Chanyeol voyait déjà le visage moqueur de sa mère lorsqu'il lui raconterait ce qu'il s'était passé. Elle ne comprendrait probablement pas. Son père n'était pas son âme sœur alors, elle ne savait pas ce que son fils vivait. Les mots ne seraient jamais suffisants pour lui décrire ce qui se passait entre eux. L'idée de l'affronter l'effrayait presque. Il n'était jamais resté en froid aussi longtemps avec elle. Ça ne faisait que vingt-quatre mais c'était déjà beaucoup pour lui qui n'avait plus que quelques semaines. Il avait pris sa décision, si elle ne voulait pas lui parler, il irait à elle.
Chanyeol s'approcha du meuble que Buck reniflait. A l'intérieur deux albums photos reposaient. Le premier, celui d'avant sa naissance et le deuxième, celui que sa mère avait dégainé pendant son anniversaire. Il ne l'avait pas feuilleté depuis... il ne savait plus. En saisissant la tranche, il manqua de basculer à l'avant. Les pages étaient fines mais nombreuses et bien remplis. Il prit une barre chocolatée qui traînait sur le comptoir et s'installa sur le canapé. Le sucre était la seule chose qui lui permettait de tenir. Sa mère avait alors troqué tous ses produits bios et végétaux contre des bonbons, des gâteaux et du chocolat. Une fois encore, son fils était sa priorité. Chanyeol essuya ses doigts sales sur son short et ouvrit l'album. Les premières photos lui arrachèrent un sourire. Sa mère le tenait contre son sein. Il était minuscule, dans ses bras. Son visage rouge et collant, et la petite légende à gauche indiquait qu'il venait de naître. Sa main était à peine plus grande que le petit doigt de sa mère. Difficile de croire qu'aujourd'hui, il faisait une tête de plus qu'elle. Après des pages et des pages de bébé endormi, il aperçut enfin les premières années de son enfance. Vêtu d'une salopette et couvert de boue, il faisait mine de jardiner avec son père. La photo suivante avait été prise sur le qi-vif. Chanyeol semblait surpris, et ouvrait grand sa bouche couverte de chocolat. En se voyant si jeune et innocent, un petit rire quitta ses lèvres. Il n'avait jamais été un enfant turbulent mais lorsqu'il avait une idée en tête, il n'en démordait pas. Les photos suivantes où la jar de cookies, brisée, gisait sur le sol le prouvaient bien. Avec son air faussement coupable, on lui aurait donné le bon dieu sans confession. Evidemment, les inévitables photos de classes, trouvèrent place parmi les moments de douceur au parc et les séances d'hypnose du roi lion. Chanyeol passa ses doigts sur le papier glacé. Il devait avoir six ans tout au plus mais buvait quand même au biberon. Monsieur Carotte et Madame Praline veillaient sur lui depuis l'autre bout du canapé. Comment avait-il pu ranger ces peluches dans un bac et ne plus jamais les ressortir ? A cette époque de sa vie, se séparer de ses doudous, lui aurait été inconcevable. Ils étaient greffés à lui en permanence. Aujourd'hui, il les avait pratiquement oubliés. C'était triste mais inéluctable. Le temps passait, les choses changeaient. Chanyeol se rendit compte à ce moment-là, qu'il aurait pu donner n'importe quoi pour revenir en arrière. Rembobiner le fil de sa vie et revenir à ces années heureuses et insouciantes, où la maladie n'avait pas encore tout ravagé. Malheureusement, c'était impossible. Il était coincé dans le présent et ne pouvait rien espérer du futur. S'il avait su plus tôt que sa vie finirait comme ça qu'aurait-il fait ? Aurait-il décidé de mettre fin à ses jours pour ne pas connaître la souffrance ? Il n'en avait aucune idée. Il tourna la page.
Au fil de l'album, Chanyeol se vit mûrir. A douze ans, il avait perdu sa bouille de bébé et avait grandi. A treize, son timbre de voix changeait ses épaules s'élargissait et ses yeux brillaient d'un nouvel éclat. A quinze, il fuyait l'objectif. Ses sourires avaient disparu. Son regard était morne, vide. La maladie commençait. Un moment d'hésitation le traversa. Il ne savait pas si sa mère avait continué l'album après son hospitalisation. Qu'aurait-elle mis dedans ? Certainement pas des photos de lui, mais quoi alors ? Il n'y avait que ça depuis le début. Peut-être que derrière cette ultime page, il n'y avait rien. Seulement des kilomètres de feuilles vides. Elles ne seraient sans doute jamais remplies. Il n'y avait qu'un moyen de le savoir. Chanyeol prit une grande inspiration et tourna la page. Ses yeux se posèrent
sur la première photo et un sanglot silencieux le fit trembler. La photo avait été prise par la lucarne de la porte de sa chambre. Il ne s'en était même pas rendu compte. Dessus, Lisa vêtue de son foulard, était assise en tailleur face à lui. Son visage était concentré sur le jeu des cartes qu'elle tenait. Mais elle arborait cet habituel sourire contagieux, qui ne manqua pas d'affecter Chanyeol. De son côté, il avait la tête renversée à l'arrière et riait, la bouche grande ouverte. On aurait presque pu croire qu'il allait bien. Seul son crâne chauve et sa blouse trahissaient le malheur qu'il vivait. Même à travers ses yeux brouillés par les larmes, il sut reconnaître la joie et la simplicité qui émanaient de cette photo. C'était indéniable, Lisa le rendait heureux. Sa mère s'était bien gardée de lui dire qu'elle avait joué les espionnes. En parcourant le reste de l'album, Chanyeol découvrit une dizaine de photos comme celle-ci. Il avait l'air tellement épanoui, tellement joyeux. Tout cela semblait faux... Pourquoi sa mère n'avait-elle pas capturé les vrais instants ? Ceux où il nageait dans la souffrance ? Ceux où les larmes ruisselaient sur son visage ? Pourquoi ne voulait-elle pas se rappeler de ces moments-là ? Cela faisait partie de lui. La maladie était en lui. Elle n'avait pas le droit de l'ignorer et de remplir cet album comme si elle n'existait pas. C'était injuste car plus tard, ceux qui verront ces photos, penseront qu'il n'avait pas souffert. Or, chaque seconde qui passait était une véritable torture, physique et mentale. Sans qu'il ne puisse se contrôler, la colère s'empara de lui. Les larmes qui tombaient sur les photos, n'étaient plus des traces de nostalgie et de tristesse, seulement de rancœur. Il avait envie d'arracher ses photos. Mais quelque chose le retint. Chanyeol était aveuglé. Il ne réalisait pas que sa maladie avait été vécue différemment par les autres. Que personne ne la percevait comme lui la vivait. Son entêtement l'empêchait de se rendre compte que sa mère avait fait ça pour se protéger, elle. Pas parce qu'elle voulait oublier et fermer les yeux. Mais parce qu'elle ne supportait pas de garder le souvenir de son fils malade. Elle avait besoin de le savoir heureux, entouré et aimé. Son sourire était ce qu'elle voulait garder de lui, pas ses pleurs.
Chanyeol pressa le papier entre ses doigts et tourna la page. C'était les deux dernières photos de l'album. La première ne ressemblait en rien aux autres. Lisa n'était plus là. Il était seul, dans son lit. Ses cheveux avaient repoussés mais son visage était toujours aussi pâle. Il dormait, immobile. On aurait dit qu'il était mort. Etait-ce comme ça, qu'on le découvrirait le jour J ? Cette pensée le fit frissonner. La frontière entre le vivant et l'au-delà était invisible. Baekhyun avait raison. Un jour on est là et le lendemain on paraît dormir mais on est mort. La mort ne devrait pas effrayer, c'est un processus naturel, disait souvent Lisa. Chanyeol avait toujours supporté son point de vue, aujourd'hui, il ne savait plus trop. Lui-même avait peur. Il était terrorisé. Mais il ne le dirait à personne. Finalement, il n'en voulait pas à sa mère de n'avoir gardé que les instants de bonheur. Il ne supportait pas de se voir aussi faible. C'était angoissant.
Ses yeux dérivèrent sur la feuille de droite et cette fois, son cœur s'arrêta de fonctionner. Le ronronnement des ampoules, le bruit du frigo, même les ronflements de Buck, tout s'éteignit subitement. Chanyeol n'entendait plus que le sang pulser dans ses oreilles. Le souvenir encore frais des mains de Baekhyun sur sa peau lui revint en tête. Ses larmes cessèrent de couler et sa respiration se bloqua dans sa poitrine. Il savait exactement de quel jour il s'agissait. Pire, le souvenir de ce moment était gravé dans sa mémoire. Il pouvait le rejouer dans les moindres détails. C'était le jour de leur rencontre. Le jour où Baekhyun était entré dans sa vie pour ne plus en ressortir. A ce moment-là, il n'éprouvait rien pour Chanyeol. Et pourtant, la façon dont sa main caressait sa joue, trahissait déjà un attachement. Tout dans son regard et dans l'authenticité de son sourire était anormal. N'importe qui, en les voyants, aurait su qu'ils étaient des âmes sœurs. C'était écrit dans leurs yeux. Baekhyun rayonnait, et à côté, Chanyeol agonisait. Pourtant, il n'y avait pas de plus belle photo que celle-ci. Durant la dernière heure, il les avait toutes vues, toutes parcourues et mémorisées. Mais une seule lui cause un électrochoc, lui donna l'impression de se noyer : celle-ci. Plus il l'observait et plus l'émotion lui nouait la gorge. Ses yeux humides modifiaient peu à peu les angles de la photo. Bientôt, tout devint flou. Les larmes l'empêchaient de voir leurs visages, de graver celui de Baekhyun. Il les essuya d'un geste sec et prit une grande inspiration. Les sentiments qu'il éprouvait étaient trop forts. Il était dévasté à l'idée de se dire que jamais Baekhyun n'en connaîtrait leur ampleur. Les mots n'étaient pas assez forts pour exprimer sa reconnaissance. Baekhyun changeait sa vie et Chanyeol n'avait aucun moyen de le remercier. Il ne pouvait que l'aimer. Encore et encore.
« Si c'est la seule chose que je peux t'offrir, alors je t'aimerais. Jusqu'à la fin. » chuchota-t-il en fermant l'album. Derrière ses paupières, brûlait l'image du petit garçon qu'il était, face à la star qu'il avait admiré si longtemps. Elle était imprimée dans son esprit, sur son cœur. Il ne l'oublierait pas. Une heure s'était écoulée, et il ne s'en était pas rendu compte. Le bruit des clés de sa mère sur le meuble à l'entrée, le ramena à la réalité. Il se leva doucement et s'approcha du hall où elle se déchaussait. Son dos craqua dans un bruit affreux et elle poussa un grognement. Paniqué, Chanyeol la saisit par les épaules mais elle se redressa toute seule, comme si elle était habituée. Ils échangèrent un long regard alors qu'elle tenait son manteau à bout de bras.
- Je...
Chanyeol ne savait pas quoi dire ni par où commencer. Sa mère se détourna et posa son manteau sur un cintre. Elle ignora les tentatives de son fils pour établir une conversation et se dirigea au salon. Il fallait encore qu'elle prépare le repas du soir, lance une lessive, fasse la vaisselle et sorte Buck. Chanyeol n'aimait pas la savoir seule, dehors alors qu'il faisait nuit. Mais sa mère était têtue et lorsqu'elle était là, il n'était pas question qu'il fasse le moindre effort. Il fallait qu'il s'économise.
- Maman ?
- Quoi ?
Son ton froid le fit presque sursauter. Il n'était pas habitué à ce que l'atmosphère soit tendue entre eux. Sa mère devait certainement beaucoup lui en vouloir d'être parti avec Baekhyun. Elle ne prit même pas la peine de le regarder et continua de débarrasser le canapé des poils de Buck. Chanyeol s'éclaircit la gorge.
- Pour hier je... en fait je...
Sa mère ne l'écoutait pas. La tristesse qu'il ressentait depuis leur dispute se changea en colère. D'un pas décidé, il s'approcha d'elle, déterminé à lui faire face. Mais lorsqu'il arriva à sa hauteur, il remarqua que toute son attention était focalisée sur l'album photos.
- C'est toi qui l'a sorti ? lui demanda-t-elle d'une voix tremblante.
Son regard sérieux s'était troublé.
- Je n'aurais pas dû ?
- Si. Bien-sûr que si.
Elle se tourna enfin vers lui et le regarda. L'attention qu'elle lui portait le déstabilisa. Il préféra fixer ses chaussettes plutôt que de l'affronter. Les non-dits pesaient sur sa poitrine.
- Chanyeol, soupira-t-elle en saisissant son visage entre ses mains. Ne m'en veux pas s'il te plaît.
- Comment veux-tu que je ne t'en veuille pas ? Tu m'ignores sous prétexte que tu n'es pas d'accord avec moi. C'est trop facile d'agir comme ça. Tu fuis notre discussion comme une adolescente.
Honteuse, sa mère baissa les yeux.
- Ce n'est pas mon but. J'ai juste du mal à avaler que tu te rebelles contre moi.
- Je ne me rebelle pas ! s'offusqua Chanyeol. J'apprends et je vis. C'est ma vie. Tu ne peux pas contrôler mes moindres faits et gestes tout le temps !
- Je t'ai donné ta liberté! Je t'ai laissé décider de ce que tu voulais et regarde où ça t'a mené ! Tu as passé les dernières semaines plongé dans le chagrin parce que je t'ai laissé vivre, comme tu dis. J'ai voulu te faire confiance, lui faire confiance ! Je n'aurais pas dû... Je ne sais pas ce qu'il t'a dit hier pour t'embobiner mais-
- M'embobiner ? Mais de quoi tu parles ?
Sa mère leva les yeux au ciel et secoua la tête.
- Je te l'ai déjà dit. Ce que tu as construit avec cet homme n'est pas une relation saine. Il ne t'aime pas Chanyeol. Je ne sais pas ce qu'il espère obtenir de toi. Peut-être qu'il veut soulager sa conscience de quelque chose. Il se sent coupable alors il s'occupe de toi.
En entendant les mots de sa mère, Chanyeol sentit les larmes de déception lui monter aux yeux.
- C'est vraiment ce que tu crois ? chuchota-t-il en la dévisageant.
Elle s'approcha de lui pour le prendre dans ses bras mais il la repoussa d'un geste sec.
- Pourquoi tu ne peux pas accepter que je sois heureux, pour une fois, dans ma vie ?! C'est trop te demander de te réjouir pour moi ? Tu ne peux pas faire semblant au moins ? Qu'est-ce que tu veux au juste ? Que je finisse mes jours ici ? Seul et déprimé parce que tu refuses que je sois heureux ? Mais quelle mère fait ça ? Dis-moi !
- Comment peux-tu dire une chose pareille ?! Bien-sûr que je veux ton bonheur. Mais cet homme ne peut pas te rendre heureux.
- Tu ne le connais pas ! Tu ne sais pas ce que je ressens pour lui ni même ce que nous avons vécu hier soir ! Tu ne sais rien !
- Eh bien dis-moi, alors ! s'écria sa mère. Raconte-moi ce qu'il a de si particulier !
Chanyeol était enragé. Sa poitrine se soulevait par à-coups. Mais en voyant l'expression de sa mère il se calma. Elle s'était radoucie. Pour la première fois, elle lui laissait une ouverture et était prête à l'écouter. Alors, il saisit sa chance et lui raconta. Lorsqu'il eut terminé, sa mère semblait partagée.
- Je ne sais pas quoi te dire...
- Je l'aime maman. Peu importe son âge et sa carrière, il me rend heureux. Il est le seul à me voir autrement que comme je suis. Avec lui, je ne me sens pas malade. Il ne me reste plus beaucoup de temps ici, alors s'il te plaît, laisse-moi profiter de lui. Jusqu'au bout.
Abattue, sa mère se laissa tomber sur le canapé et frotta nerveusement ses cheveux.
- Je ne peux pas nier qu'il est attaché à toi. Mais ça reste un homme Chanyeol. Il n'a pas les mêmes centres d'intérêt, ni les mêmes désirs qu'un adolescent de ton âge pourrait avoir.
- Et alors ? Je ne saurais jamais ce que ça fait d'être adulte, alors si lui peut me partager une part de ce que je ne connaîtrais pas, je ne vois pas le problème. De toute façon, tu pourras dire ce que tu veux, c'est trop tard. Je ne le laisserai pas tomber pour toi.
Madame Park étudia un instant le visage renfrogné de son fils puis ouvrit les bras. Cette fois, Chanyeol s'y blottit sans ménagement.
- Je ne te demanderai plus de renoncer à lui. S'il te rend heureux, alors je suis contente. J'ai simplement peur qu'il te fasse à nouveau du mal, dit-elle en étouffant ses mots dans ses cheveux.
- J'ai touché une corde sensible et il n'y était pas préparé. C'est tout, le défendit Chanyeol.
Ils restèrent comme ça pendant quelques minutes, simplement dans les bras l'un de l'autre, sans parler. Ils avaient besoin de se retrouver. Madame Park rechargeait ses batteries dans l'odeur de son fils. Chanyeol retrouvait son énergie dans la chaleur de sa mère.
- Que dirais-tu d'une soirée mexicaine ? lui proposa-t-elle sans le lâcher.
Chanyeol accepta de bon cœur et, sans se faire prier, se dirigea vers la cuisine pour l'aider à préparer le repas. Entre la découpe des poivrons et la préparation du guacamole, son père rentra du travail. Il ne fit aucun commentaire sur la musique trop forte, ni la chorégraphie ridicule à laquelle Chanyeol s'adonnait. Il embrassa simplement sa femme, ébouriffa les cheveux de son fils et enfila un tablier.
- Au fait, Baekhyun passe à la maison, prévint-il en dressant le couvert.
Il ajouta une assiette supplémentaire et trottina jusqu'au salon pour récupérer son téléphone. Dans la cuisine, son père adressa un regard étonné à sa mère qui fit comme de rien n'était.
- J'espère qu'il aime le piment, se contenta-t-elle de répondre en rajoutant une cuillère à soupe.
En déverrouillant son téléphone, Chanyeol tenta de ne pas se laisser déstabiliser par l'absence de nouveaux messages. Vingt heures approchait et Baekhyun ne l'avait toujours pas rappelé. Il rédigea un message rapide : « soirée tacos ;) ma mère sait tout. » et éteignit son portable. Peut-être que je suis trop collant, songea-t-il. Je l'ai harcelé toute la journée, si ça se trouve il ne veut plus me voir... Les pensées noires commencèrent à s'immiscer doucement dans son esprit mais avant qu'elles ne puissent les dévorer, sa mère attira son attention.
Trente minutes plus tard, tout était prêt. Ses parents étaient installés autour de la table, leurs verres de vin remplis. Les plats étaient disposés au centre de la nappe et l'odeur de la viande flottait dans la maison. Buck était couché à leurs pieds et ne bougeait pas. Seule la chaise de Chanyeol était vide, et avec elle, celle de Baekhyun. Depuis le salon, il faisait mine de ne pas entendre l'impatience de son père. Entre ses mains tremblantes, son pouce composait le numéro de Baekhyun. Pour la quatrième fois.
« C'est encore moi... je voulais savoir si... si tu venais toujours. Parce que je t'attends depuis deux heures et tu ne me donnes pas de nouvelles. Je suis inquiet. Rappelle-moi si... si tu en as envie. »
Et il raccrocha. Il avait envie de hurler dans le combiné mais chaque fois que la messagerie se déclenchait, il se retrouvait incapable de lui faire le moindre reproche. Ses jambes fléchissaient et il se mettait à bégayer. La colère qu'il ressentait était masquée par la tristesse. Il ne comprenait pas pourquoi Baekhyun l'ignorait ainsi. Tout était pourtant parfait. Il lui avait promis de ne pas l'abandonner alors pourquoi ? QU'avait-il fait pour mériter ça ? Vaincu, Chanyeol rejoignit la table et commença à se servir, sans un mot. Les larmes lui brûlaient les yeux.
- On n'attend pas Baekhyun ? demanda sa mère.
Chanyeol ne savait pas comment lui dire qu'elle avait raison. Il s'était battu pour lui prouver que Baekhyun méritait son amour, qu'il était digne de confiance et voilà que tous ses propos partaient en fumée. En disparaissant, Baekhyun lui donnait raison de douter de ses intentions et il détestait ça. Cette fois, aucune parole ne serait suffisante pour excuser son comportement. Il avait brisé sa promesse. Encore une fois. Chanyeol évita le regard inquisiteur de son père et fixa son assiette. Autour de sa fourchette son poing blanchissait.
- Baekhyun ne viendra pas.
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