Chapitre 25: Dix-sept ans
- Dis-moi, qu'as-tu prévu de faire pour ton anniversaire ?
La question ne pouvait pas plus mal tomber. Attablé face à Layla, Chanyeol s'étouffa sur son morceau de veau qu'il recracha sans se soucier des regards alentours. Après la conversation houleuse avec sa mère, il avait rappelé Layla et s'était excusé platement pour son comportement. Baekhyun l'avait tellement blessé, qu'il avait ignoré tous ceux qui lui voulaient du bien, et s'était isolé du monde extérieur.
« C'est pas grave. Moi aussi il m'arrive d'être occupée. Je voulais juste m'assurer que tu ne m'avais pas oubliée » lui avait-elle répondu d'un ton désinvolte.
Chanyeol savait que derrière sa façade, Layla était triste. Il lui avait promis de l'appeler autant que possible mais ne lui avait pas passé un seul coup de fil depuis qu'il avait quitté l'hôpital. Ce repas était pour lui, un moyen de se rattraper. Ben assurait la cuisine, la salle et les conversations avec les clients. Il ne s'octroyait une pause que lorsque leurs plats étaient servis et se joignaient à eux le temps de finir son assiette. Il mangeait une jambe, dans le vide et un œil sur la cuisine. Layla l'avait tanné pour qu'il prenne sa soirée et profite pleinement du repas avec eux mais il avait catégoriquement refusé. « C'est un bourreau de travail, que veux-tu ! » Layla était exactement comme lui. Elle passait plus de temps à l'hôpital que chez elle, mais ça, Chanyeol s'était bien gardé de lui dire. Même si ses apparitions étaient furtives, Chanyeol s'était tout de suite bien entendu avec Ben. Comme lui, il était passionné par le Japon et les séries américaines. Ensemble, ils avaient épluchés leur catalogue de connaissances et s'étaient trouvé beaucoup d'atomes crochus. Même si elle n'y connaissait pas grand-chose, Layla ne s'était pas laissée exclure et n'avait eu de cesse d'intervenir en posant des questions. Avec les horaires et les urgences qu'elle avait, se poser devant une série pendant quelques heures lui semblait lointain. Son temps libre, elle le consacrait à son sommeil.
Dès que Ben repartait en cuisine, Layla le suivait des yeux, avec ce regard amoureux que Chanyeol n'avait aperçu qu'en de rares occasions. C'était troublant de voir son cœur de fer fondre pour ce cuisinier bruyant et farceur. Comme elle, il n'avait pas sa langue dans sa poche et n'hésitait pas à lui lancer des petits piques dès que l'occasion s'en présentait. Chanyeol les avait regardés se chamailler en avalant sa soupe. En venant, il craignait de se sentir de trop, mais Ben avait tout mis en œuvre pour qu'il soit à l'aise. Le sujet de sa maladie n'avait d'ailleurs pas encore été évoqué et il en était reconnaissant. Il aurait détesté que Ben apprenne le connaître à travers elle. Trop de gens s'étaient arrêtés à son physique émacié et son teint cadavérique. Chanyeol ne voulait plus qu'on parle de lui uniquement parce qu'il était mourant. Contrairement à ses attentes, Layla avait eu la délicatesse de ne pas le bombarder de questions. Il n'était pas dupe et se doutait que son état l'intéressait, qu'elle voulait s'assurer qu'il aille bien et ne souffre pas. Ses instincts d'infirmières lui collaient à la peau. Mais elle savait qu'ici n'était ni le bon endroit, ni le bon moment, alors elle avait gardé ses inquiétudes pour elle-même, et s'était comporté comme si Chanyeol n'avait jamais été son patient. Comme si elle ignorait que ses jours étaient comptés.
Chanyeol ne voulait pas qu'on lui remémore qu'il allait mourir d'ici peu. Il voulait s'amuser et profiter jusqu'au bout. Sa mère avait eu raison de le forcer hors de sa chambre. Voir Layla rire à gorge déployée à cause du vin, lui donnait du baume au cœur.
Ils étaient de nouveau en tête à tête. Ben était reparti en cuisine après avoir avalé ses lazagnes. Chanyeol le regretta presque. La question de Layla était tout ce qu'il y avait de plus simple, mais c'était une question piquante, dérangeante, agressive, sans même que Layla ne le sache. Elle était à mille lieues de se douter que cette simple remarque allait déclencher chez Chanyeol, une vague de désespoir. Dès que ces mots eurent quitté sa bouche, toute sa bonne humeur s'envola et il redevint l'adolescent triste et vide des derniers jours. Son anniversaire ? Il devait le passer avec Baekhyun. Il n'avait pas oublié sa promesse, ses plans sur la comète. Un dîner au bord de la mer, les pieds dans le sable. Mais rien de tout ça n'aurait lieu. Il allait célébrer la dernière année de sa vie, tout seul. Lisa passerait probablement manger un morceau de gâteau. Chanyeol aurait dû se réjouir d'avoir une amie qui pensait à lui, mais il n'y arrivait pas. Il ne voyait plus que le mal, le manque. Ce qui comptait, n'était pas la gentillesse de ses parents, de Layla, de Lisa. C'était uniquement l'absence de Baekhyun, ce dont il le privait, tout ce qu'il n'aurait pas. Cette journée devait être mémorable mais elle ne serait qu'une croix de plus sur le calendrier de la mort.
- Chanyeol ? Tout va bien ?
Sans s'en rendre compte, il avait commencé à déchirer la serviette en papier. Un coup d'œil à sa main tremblante et il arrêta en la plaçant sur son genou.
- Oui...
- Donc, pour ton anniversaire ? réitéra Layla en se penchant un peu plus vers lui.
Elle était ravissante. Son cou était orné d'un sautoir délicat qui tombait juste dans le creux de ses seins et ses cheveux étaient libérés de son chignon strict. Ils brillaient sous la lumière de l'abat-jour.
- Je... Je ne sais pas. Je vais probablement rester à la maison.
- Oh...
Passer son dernier anniversaire seul était vraiment démoralisant mais Chanyeol ne savait pas quoi faire d'autre. Depuis le début, il comptait sur Baekhyun pour rendre cette journée inoubliable, résultat : elle serait exactement identique à toutes les autres, triste, morne et sombre. Il n'avait plus envie de souffler ses bougies. Pourquoi en faire tout un plat alors qu'il ne s'agit que d'un simple nombre ? Ce n'était pas comme s'il allait se réveiller le lendemain avec de la barbe, des rides et un ventre bedonnant. Les cadeaux qu'il allait recevoir ne lui serviraient probablement pas. Il n'aurait même pas le temps de les utiliser. Un éclair de déception passa sur son visage mais il s'efforça de sourire pour ne pas attiser la curiosité de Layla.
- Tu invites des copains ?
- Non. Depuis que je suis à l'hôpital j'ai perdu contact avec tous mes amis.
- Mais là, tu es sorti. Rien ne t'empêche de renouer, souligna-t-elle.
- Je crois que je n'en ai pas envie. Lisa avait raison quand elle me disait qu'ils ne tenaient pas à moi. Si ça avait été le cas, ils auraient mis leur vie démentielle sur pause deux minutes pour me rendre visite. La seule fois où j'ai eu besoin de leur soutien, ils se sont tous enfuis. Alors je crois qu'il vaut mieux que je termine mes jours avec les personnes qui comptent vraiment.
Layla ignora sa remarque lugubre et avala une cuillère de riz.
- Baekhyun a prévu de venir te voir j'espère ?
Cette fois, Chanyeol n'avait pas la bouche pleine mais ça ne l'empêcha pas de tousser pour masquer son mal-être. Il cligna des yeux plusieurs fois et fixa une miette de pain sur la nappe pour s'empêcher de pleurer. Un long silence plana entre eux. Il ne se faisait pas encore suffisamment confiance pour parler avec assurance. Il savait que s'il ouvrait la bouche, sa voix risquait de flancher et lui, de s'effondrer. Layla prit son mal en patience puis, lorsqu'elle ne supporta plus ses yeux brillants de chagrin et ses lèvres pincées, elle attrapa sa main. Le contact de ses doigts ramena Chanyeol à la réalité.
- Tu peux tout me dire, tu sais ? Si quelque chose ne va pas, je suis là pour toi.
- Merci mais... je ne préfère pas. Ma mère l'a déjà démoli et je sais que tu ne le portes pas dans ton cœur alors... je crois que j'ai eu ma dose pour aujourd'hui. Je vais simplement te répondre que non, Baekhyun ne viendra pas. C'est comme ça.
Layla lâcha sa main et se recula précautionneusement dans sa chaise. A la façon qu'elle avait de taper nerveusement son doigt sur la nappe, Chanyeol comprit qu'elle cherchait ses mots. Dans ses yeux, le désir inassouvi de connaître la vérité brillait. Comme Lisa, elle avait été sa confidente. Alors qu'il veuille garder tous ses ressentiments sans lui en parler, était inhabituel. L'impression désagréable qu'ils s'étaient éloignés, lui fit mal au cœur. Depuis qu'elle ne s'occupait plus de lui, Chanyeol n'avait plus besoin d'elle. Alors pourquoi continuerait-il de se confier ? Elle en venait à la conclusion que comme n'importe quel adolescent, il avait besoin d'avoir ses propres secrets. Mais tout de même, ça faisait mal qu'il ne lui en parle pas. Layla trempa ses lèvres au bord de son verre et se concentra sur son assiette.
En la voyant aussi déçue, Chanyeol regretta presque de ne pas lui dire. C'était tellement plus facile de parler que de devoir faire face tout seul. Mais il avait été témoin de l'effet que cette discussion avait eu sur sa mère et ne voulait pas répéter le même schéma. Layla n'aimait pas vraiment Baekhyun. Depuis le début, elle l'avait mis en garde. Et lui, n'avait rien écouté de ses conseils. L'atmosphère était lourde entre eux. Chanyeol ne savait pas comment se sortir de cette impasse mais heureusement, Ben vint à sa rescousse en les débarrassant et en apportant leurs desserts. Un cake au chocolat pour Chanyeol et une tarte au citron pour Layla. Lui s'était réservé des profiteroles garnis de chantilly, qu'il attaqua avant même d'être assis.
- Goûte-moi ça, dit-il à Chanyeol en pointant sa cuillère vers son assiette.
Un peu hésitant, Chanyeol lui offrit un sourire penaud et détacha un morceau. Ben, totalement aveugle face à la tension qui régnait, monopolisa la parole jusqu'à la fin du repas. Chanyeol l'écouta parler sans prononcer le moindre mot. Il ne se sentait pas suffisamment fort pour alimenter la conversation. Il avait simplement envie de rentrer et de dormir pour oublier Baekhyun.
Comme un virus, il s'était infiltré sous sa peau et avait laissé des traces indélébiles dont il n'arrivait pas à se débarrasser. C'était dérangeant d'être autant dépendant de quelqu'un. Chanyeol ne voulait plus être rattaché à lui. Ces chaines l'obstruaient, l'empêchaient de respirer, d'être parfaitement libre de ses choix, d'avoir le contrôle complet sur ses émotions. Il se sentait prisonnier de ses propres pensées. Il aurait tout donné pour que cette tristesse permanente disparaisse. Chanyeol s'en voulut de penser à lui dans un moment pareil. Cet instant était fait pour panser sa blessure et mettre du baume dessus et pourtant... Ben le tira de sa rêverie en ébouriffant ses cheveux.
- C'était sympa de te rencontrer. On remettra ça, lui dit-il en se levant.
Il plaqua ses lèvres contre le front de Layla et regagna les cuisines.
- Je vais te ramener, le prévint-elle en récupérant son sac à main.
Chanyeol détailla chacun de ses mouvements avec un petit sourire. Layla était perfectionniste. Elle lissa sa robe avec précaution, ajusta son sac et plia soigneusement sa serviette sur le côté droit de la table. Leurs regards se croisèrent et il se leva immédiatement. Lui, prit seulement soin de couvrir ses avants bras pour dissimuler les traces rouges que la maladie avait laissées. Si Layla l'interrogeait sur son état, il n'était pas vraiment certain de pouvoir mentir. Depuis qu'il avait coupé son traitement, il allait indéniablement mieux. Sa fatigue diminuait considérablement, son appétit augmentait et les douleurs étaient moins fréquentes. Mais Chanyeol savaient que ces effets n'étaient que temporaires et qu'il commençait à sortir de sa phase de bien-être pour entrer dans la deuxième phase : celle où son corps réclamait une aide médicale. La fièvre et les infections n'attendaient qu'une chose : qu'il leur laisse une ouverture. Il avait beau lutter pour ne pas les laisser gagner, son ennemi était invisible, imprévisible et avait toujours une longueur d'avance sur lui. Il s'attaquait à lui quand il ne s'y attendait pas et avec une violence qu'il ne pouvait contrôler. Chanyeol savait que le jour où les infections parsèmeraient son corps comme des graines, il n'aurait pas le choix que de retourner à l'hôpital. S'il ne faisait rien, il allait mourir. Tout n'était qu'une question de temps. Lui, s'était déjà décidé. Il n'avait aucune intention de remettre les pieds là-bas. Il ne préviendrait certainement pas ses parents et soufrerait en silence. La fin, il la connaissait depuis le début et si ses poumons s'infectaient, c'était qu'il arrivait au bout de ses forces. Chanyeol s'était toujours dit que la nature ne pouvait pas être forcée. Que lorsqu'elle voulait quelque chose, elle finissait toujours par gagner. Se battre contre elle, équivalait à entamer une lutte douloureuse et déjà perdue d'avance. Alors pourquoi ajouter une souffrance supplémentaire en sa gavant de cachetons, en multipliant les chimio et en se coupant du monde extérieur ? Tenter de changer le cours des choses, encore une fois, était vain. Pendant deux ans, il n'avait fait que ça, et aucun résultat concluant n'était survenu. Il avait gaspillé son énergie et avait perdu tout ce qui faisait de lui un adolescent normal. Chanyeol ne savait plus ce que c'était que d'être assis dans une salle de classe pendant des heures, d'éponger le stress de la semaine en faisant la fête le samedi, de faire du sport et de transpirer autrement que parce qu'on souffre le martyr. Il avait oublié l'odeur de la cigarette, la satisfaction de voir des frites au menu de la cantine, celle d'aller au cinéma avec ses amis. Et maintenant que ses poumons se remplissaient à nouveau de cet air de liberté, il ne voulait pas revenir en arrière.
Sur le trajet du retour vers chez lui, Layla mit de la musique et conduisit en lui jetant de petits coups d'œil réguliers.
- Je suis déçue. Je croyais sincèrement qu'il était différent, dit-elle.
Chanyeol se tourna vers elle, un sourcil levé.
- De quoi tu parles ?
- Baekhyun.
- Oh...
- Je ne veux pas savoir ce qui s'est passé entre vous. D'ailleurs ça ne me regarde pas. Mais je trouve ça vraiment lâche de sa part, de t'abandonner alors que tu as besoin de lui.
- Je n'ai pas besoin de lui, se défendit Chanyeol en se rétrécissant sur son siège.
L'idée que, sans Baekhyun, il ne valait rien, l'étouffa. Layla secoua la tête et s'arrêta au feu rouge.
- Si. Tu peux mentir à qui tu veux, mais pas à moi. J'ai vu la façon dont il te rend heureux. Lorsqu'il est là, ton état se stabilise, s'améliore. Baekhyun te fait du bien mentalement et physiquement. Et ça me rend triste de ma dire qu'il arrive à faire ce qu'en deux ans, je n'ai jamais été capable de faire.
- Layla, tu as fait bien plus pour moi qu'il ne fera jamais.
- Je n'ai jamais réussi à te faire aimer la vie comme lui.
Chanyeol ne répondit rien. Baekhyun était sa raison de vivre. C'était indécent mais même sa mère ne le rendrait jamais aussi heureux que Baekhyun. La seule possibilité pour lui de l'être, était de voir son cœur comblé d'amour. D'un amour qu'on ne connait qu'une fois. De celui qui brûle, qui déchire, qui passionne, qui nous anime et nous transporte. Mais pour l'instant, il avait l'impression de ne connaître que la douleur qui l'accompagnait, la lourdeur du secret, et la fatalité de ne jamais le voir réciproqué.
Après ça, Layla ne parla plus. Elle se gara devant chez lui et coupa le contact.
- Embrasse ta maman pour moi. Passe du temps avec elle, elle a besoin de toi tu sais.
- Je sais.
- Elle n'a qu'un seul fils. Je ne peux pas imaginer la souffrance quotidienne qu'elle doit supporter.
- Elle souffre beaucoup, confirma Chanyeol. Mais elle ne dit rien. Ma mère est une femme de caractère, dit-il avec fierté.
- Je m'en doute. Ne l'accable pas avec ta tristesse. Ne laisse pas Baekhyun ruiner ta joie. D'accord ?
- Okay.
- Allez, file.
Chanyeol sourit à Layla et descendit de la voiture.
***
Une croix de plus sur le calendrier de la mort et une journée de moins. Chanyeol n'avait jamais été très assidu. A l'école, il était le genre d'élèves à retenir mentalement ses devoirs sans jamais les noter, il suivait les cours parce qu'il n'avait pas le choix et ne faisait jamais plus que le strict minimum. A chaque début des années, il établissait une liste de résolutions qu'il tenait pendant une semaine et abandonnait le jour d'après. Ses journées étaient décousues, toujours programmées à la dernière minute. Son mot d'ordre : désorganisation. Bref, il n'avait jamais été capable de tenir ses résolutions sur la longueur. Alors, ce fut une surprise pour lui lorsqu'il constata que depuis sa sortie de l'hôpital, il ne s'était pas écoulé une seule journée sans qu'il ne marque son calendrier d'une croix. Sa régularité était inquiétante. Elles s'alignaient toutes et formaient de petits losanges. Mais, contrairement à d'habitude, celle qu'il dessina aujourd'hui, n'était pas noire mais rouge. La couleur de l'importance. Au milieu de toutes les autres, cette croix ressortait vivement. Chanyeol resta hypnotisé un instant face à elle puis se détacha du mur et s'immobilisa devant son miroir. Il était encore en pyjama et avait les yeux couverts de cernes. Son physique était identique à celui de la veille et pourtant, quelque chose en lui avait changé. Il avait vieilli.
- Bon anniversaire, se dit-il en observant son reflet.
Ses vêtements étaient encore un peu trop grands, pour son corps qui avait du mal à reprendre son poids initial. La chimio avait fait des ravages, c'était indéniable. Chanyeol avait envie de pleurer face à ce teint cadavérique et ses bras émaciés mais il s'efforça de sourire. Son sourire étira à peine ses lèvres qui redevinrent ces éternelles lignes droites. Il avait de plus en plus de mal à faire semblant qu'il allait bien. Après son dîner avec Layla, les symptômes avaient empiré. Il se sentait fiévreux, avait de plus en plus souvent de mal à respirer. Quand une crise survenait, il s'enfermait dans la salle de bain et y restait jusqu'à reprendre des couleurs. Hors de question que sa mère le prenne en flagrant délit. Alors qu'hier, il s'était endormi en se demandant s'il allait passer la nuit ou si ses parents retrouveraient son cadavre à l'aube, aujourd'hui la maladie était clémente. Pas de tournis en se levant, d'envie de vomir ou de besoin immédiat de retourner se coucher. Il se sentait plutôt bien, comme si sa semaine de torture n'avait jamais eu lieu. La mort lui faisait probablement un cadeau, étant donné que c'était son anniversaire. Mais Chanyeol ne se voilait pas la face. Il savait que la douleur pouvait resurgir à n'importe quel moment, aux instants où il était le plus vulnérable. Il ne fallait pas qu'il se relâche, une seconde d'inattention et sa mère lui paierait un séjour pour l'hôpital.
Après avoir fermé la porte de sa chambre, Chanyeol prit une longue douche pour détendre ses muscles et se donner un coup de fouet. Il enfila ensuite un jean et un tee-shirt graphique que Lisa lui avait acheté. Il n'allait probablement pas sortir de la maison mais il avait envie d'être beau pour ce jour spécial : son dernier anniversaire. En le voyant débarquer dans la cuisine, sa mère arrêta tout ce qu'elle faisait, son père posa son journal et ensemble, ils se ruèrent vers lui pour le couvrir d'affection.
- Bon anniversaire mon grand, chuchota son père dans ses cheveux.
Chanyeol lui offrit un sourire tout en essayant de contenir sa mère qui pleurait sur son épaule.
- Joyeux anniversaire Chanyeol, lui dit-elle en prenant son visage entre ses mains.
D'un coup d'œil, son père comprit qu'ils avaient besoin d'intimité et quitta la pièce.
- Merci maman.
- Je ne te le dit pas souvent, mais...
Elle hésita un moment et baissa le regard, comme si elle était gênée.
- Je veux que tu saches que je suis très fière de toi. De tout ce que tu as accompli. Je ne sais pas si à ton âge, j'aurais eu la force de me battre. D'ailleurs, je ne sais même pas si j'aurais supporté les conditions dans lesquelles tu as passé tes deux dernières années. Je sais que ce n'est pas toujours facile et que plus d'une fois, tu as eu envie d'abandonner, mais tu as toujours résisté. Je tenais à m'excuser pour t'avoir mis toute cette pression mais l'idée que mon petit garçon soit malade...
Une larme roula sur sa joue et elle prit une seconde pour l'essuyer.
- M'est insupportable. Tu es mon seul enfant Chanyeol, je t'ai désiré avec tellement de force et maintenant que tu es là, je n'arrive pas à croire qu'on va t'enlever...
C'était étrange de parler du jour de sa mort avec sa propre mère. D'habitude, c'était Lisa qui se chargeait des débats glauque. Mais Chanyeol ne l'interrompit pas. Il savait qu'elle avait besoin de vider son sac. Il se contenta de la serrer contre lui en embrassant ses cheveux.
- Je ne veux pas vieillir sans toi, avoua-t-elle.
Le plus dur n'était pas d'entendre ses pleurs ou de sentir son corps trembler contre le sien. C'était de n'avoir aucune réponse à ses craintes. Aucun mot pour la rassurer, pour la consoler car la réalité était celle-ci : sa vie allait se poursuivre sans lui. Et elle ne pouvait rien y faire. Personne n'y pouvait rien.
- Pourquoi tu parles de ça maintenant ? C'est mon anniversaire. Je n'ai pas envie qu'on aborde le sujet de la mort et de tout ce qui va avec.
C'était lâche mais Chanyeol n'avait pas d'autre idée que de feindre l'agacement pour qu'elle cesse de pleurer.
- Tu as raison, pardonne-moi.
- Tu sais maman, je ne te l'ai pas dit non plus mais moi aussi je suis fier de toi. Je ne connais aucune personne aussi courageuse et déterminée que toi. Tu aurais pu lâcher prise et te renfermer, choisir la facilité en te laissant aller au chagrin mais tu ne l'as pas fait.
Il attrapa ses mains et les embrassa.
- Et ça, ça compte pour moi. Je crois que je serais mort bien plus tôt si tu n'avais pas autant été sur mon dos. Alors ne te blâme pas pour m'avoir épargné quelques mois de plus. Je t'aime, ne l'oublie jamais.
Une dernière étreinte prolongée scella leur discussion.
- De quoi as-tu envie ? C'est ton anniversaire, tu peux avoir tout ce que tu souhaites.
- Pour l'instant, rien ne me ferait plus plaisir qu'une boîte de chez Dunkin Donuts.
Sa demande arracha un sourire à sa mère qui attrapa sa veste, posée sur le dossier de sa chaise. Chanyeol profita de leur virée mère-fils pour lui donner des nouvelles de Layla et lui exposer son programme de la journée.
- Je n'ai pas envie de faire grand-chose. Je préfère que vous gardiez votre argent pour quelque chose de plus utile. Si tu veux me faire plaisir, un gâteau et la présence de Lisa suffisent.
- Tu veux quand même manger un gâteau après toutes ces sucreries ? lui demanda-t-elle en pointant la boîte de donuts déjà entamée.
Chanyeol hocha la tête en mordant dans l'un d'entre eux.
- Un gâteau au chocolat avec des bougies, précisa-t-il.
Alors que quelques semaines auparavant cette idée lui semblait ridicule, aujourd'hui il prenait conscience que ce serait les dernières bougies de sa vie, et qu'il ne pouvait pas les éviter car le jour de sa mort, il regretterait de ne pas les avoir soufflées.
Après avoir englouti les donuts en laissant quelques miettes derrières lui pour les oiseaux, Chanyeol se leva du porche et rejoignit sa mère à l'intérieur. Attelée à sa préparation, elle ne le remarqua pas et n'eut pas le temps de le réprimander lorsqu'il trempa son doigt dans la pâte crue. Son seul reproche fut de fouetter sa main avec une expression qui se voulait sévère. En voyant le regard réprobateur de sa mère, un rire naturel gonfla dans sa gorge et éclata. C'était la première fois qu'il riait comme ça depuis que Baekhyun était sorti de sa vie. Ca faisait du bien. Les premières crampes de joie attaquèrent son estomac. Un bras sur le ventre, il se plia en deux et essuya vivement les larmes d'amusement qui perlaient au coin de ses yeux. Sa mère le regarda avec un sourire attendri et une spatule à la main puis, lorsqu'il fut calmé le chassa de la cuisine. Son père avait déserté les lieux pour se rendre au travail tandis qu'elle, avait posé un jour de congé pour passer le plus de temps possible avec son fils. En dehors du couinement répétitif du four, la maison était silencieuse. Chanyeol ne résista pas à l'envie de s'écrouler sur le canapé devant un film. Le simple aller-retour en voiture l'avait épuisé.
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