Chapitre 12: Ne pars pas.
Angoissée, Lisa attrapa ses deux mains et les serra contre elle.
- Ça ne va pas ?!
Chanyeol s'essuya et secoua la tête.
- Si... C'est juste que... elle est triste cette chanson.
Lisa savait que Chanyeol ne pleurait pas uniquement à cause de la mélodie mais ne poussa pas le bouchon plus loin. Elle était certaine que quelque chose, dans la façon dont Baekhyun s'était métamorphosé, l'avait touché. Elle ignorait si Chanyeol était au courant de son passé ou si, comme elle, il ignorait tout, des souffrances du chanteur. Chanyeol n'osa pas l'admettre à Lisa, mais ce n'était pas la première fois qu'il pleurait en écoutant une chanson de Baekhyun. D'habitude, le sentiment de déprime et l'idée qu'il ne le rencontrerait jamais, emplissaient ses yeux de larmes mais cette fois, l'origine de sa peine était bien différente. La surprise de découvrir une chanson aussi sombre, aussi lugubre et douloureuse, lui avait foutu une sacrée claque. Baekhyun avait l'air fragile derrière cette caméra. Chanyeol se doutait que tout ce qu'il lui avait confié concernant sa carrière et son épuisement, avait dû jouer dans l'écriture et la composition. Il était tellement touché par la façon dont Baekhyun avait fait ressortir son chagrin qu'il n'avait même pas pris le temps d'écouter réellement les paroles.
- Alors ? T'en penses quoi ?
La voix de Lisa interrompit le cours de ses pensées. Il était incapable de répondre. Avait-il aimé ? Avait-il détesté ? Cette chanson faisait partie de celle qui nous laisse mitigés. Non pas parce que la qualité n'est pas à la hauteur, mais parce qu'elle réveille en nous des émotions qu'on aurait voulu ne jamais voir ressortir. Chanyeol fixa Lisa. Il aimait cette chanson comme il aimait Baekhyun. Il en était certain maintenant. Mais il préférait ne pas influencer Lisa et choisit de rester silencieux.
- Toi d'abord.
Lisa fit mine de chercher ses mots en se pinçant le menton.
- C'était... mieux que ce à quoi je m'attendais.
- C'est-à-dire ?
- L'instru était correcte, sa voix était... comment dire...
- Développe ! s'impatienta Chanyeol alors qu'elle prenait un malin plaisir à le faire mariner.
- Bon d'accord, j'admets qu'il chante vraiment bien et que la chanson était pas mal du tout.
- Est-ce qu'elle a sa place dans ta playlist ?
- Probablement, répondit Lisa en avalant un bonbon.
Chanyeol lui donna un léger coup d'épaule qui la fit chanceler.
- Tu vois qu'il n'est pas en carton, mon chanteur...
***
Il était dix-huit heures lorsque Chanyeol regagna sa chambre, escorté par Layla. Lisa et lui avaient passé l'après-midi à jouer aux cartes en laissant l'album de Baekhyun défiler en fond. Comme toujours face à son air boudeur, Chanyeol l'avait laissée gagner. Le sang bourré du sucre des bonbons, il était intenable. Layla avait du mal à le calmer. Lui qui n'était d'ordinaire pas très bavard, ne cessait de s'émerveiller du clip de Baekhyun. Layla ne l'avait pas vu mais c'était tout comme. Chanyeol l'avait tellement détaillé, en long en large et en travers qu'elle n'eut aucun mal à imaginer la composition du plateau. Lorsqu'ils atteignirent le seuil de sa chambre, Layla le coupa dans son élan en saisissant son épaule.
- Et la façon dont sa voix était-
- Chanyeol...
Chanyeol releva les yeux et tourna la tête vers elle. L'expression qu'elle affichait lui fit perdre son sourire.
- Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-il avec inquiétude.
C'était la première fois qu'il voyait Layla ainsi. Son expression était indéchiffrable. Ses yeux n'étaient ni froids, ni joyeux, sa bouche était pincée en une ligne droite et ses bras ballants le long de son corps. Impossible de savoir ce qu'elle pensait ni pourquoi cet air gravissime marquait ses traits. Chanyeol se mit à paniquer mais Layla le rassura immédiatement lorsqu'elle remarqua l'agitation et la détresse dans ses yeux.
- Il est l'heure de ta douche. Je t'y emmène ?
D'un coup d'œil à son poignet, Chanyeol constata qu'elle avait raison. Dans moins d'une heure, une autre infirmière prendrait le relais et lui apporterait son plateau repas. Il laissa Layla lui retirer sa montre et le conduire dans la petite salle de bain attenante, à peine suffisante pour accueillir une personne. Quand il n'avait plus été capable de tenir debout, Chanyeol avait été transféré dans une autre chambre où un mini banc avait été aménagé dans la douche, et une rampe fixé au mur à côté des toilettes. Même si l'espace était légèrement plus large que dans sa première chambre, Layla était obligée de laisser la porte ouverte et pouvait à peine passer les bras.
- Je te laisse te déshabiller, lui indiqua-t-elle d'un ton très professionnel en allant verrouiller la porte de la chambre.
Si au début, Chanyeol avait été réticent à se montrer aussi vulnérable, ce n'était plus le cas maintenant. Il était habitué à la présence de Layla qui, contrairement à ses craintes, restait rassurante et, dans la limite du possible, le laissait se débrouiller lui-même. Il n'avait pas à e plaindre. La plupart des patients restaient cloués au lit et devait subir les caresses d'une serviette rugueuse. Ils restaient sales en permanence. Lui avait encore la chance de bénéficier d'une vraie douche. Il retira doucement sa blouse et la déposa sur le petit porte-manteau placé à sa hauteur, il recula ensuite son fauteuil jusqu'à être près du banc et s'y transféra avec une grimace de difficulté. A force de tenir en équilibre sur ses bras, il allait finir par avoir de sacrées épaules. Layla récupéra sa blouse et la plaça à l'extérieur de la salle de bain. Elle enclencha ensuite l'eau, ajusta la température et donna le jet à Chanyeol qui s'arrosa. C'était toujours dans ces moments d'intimité qu'ils avaient les discussions les plus profondes. Chanyeol savait à la façon dont elle l'observait, qu'elle avait quelque chose à lui dire.
- Lave-toi les cheveux, lui dit-elle en aspergeant sa paume de shampoing.
Ça ne faisait pas longtemps, mais les premières pousses avaient remplacé son crâne chauve. Ses cheveux n'étaient pas encore aussi longs qu'avant. Ils ne le seraient peut-être plus jamais, mais au moins, ils étaient là. La sensation de toucher autre chose que de la peau était indescriptible. Pourtant Chanyeol préférait quand Layla était à son service, ses doigts massaient toujours agréablement son crâne. Lui, n'était pas aussi méticuleux et appliqué. Layla aurait pu être coiffeuse dans une autre vie. L'envie de lui demander qu'elle s'occupe de lui frôla sa langue, mais pour cette fois, il n'insista pas. Layla n'avait pas l'air en forme. Les bras croisés sur sa poitrine, elle regardait dans le vide en se mâchouillant nerveusement la lèvre. Chanyeol ne connaissait pas tout de sa vie privée mais il n'ignorait pas qu'elle avait un copain. Peut-être qu'ils s'étaient séparés. Si c'était le cas, elle devait surement être triste. Chaque fois qu'elle l'évoquait ses yeux pétillaient d'amusement et d'amour. Elle tenait beaucoup à lui, c'était certain. Alors, s'il était parti, elle devait beaucoup souffrir en ce moment, et pourtant, elle faisait quand même passer l'intérêt de ses patients avant sa douleur. Chanyeol était admiratif de sa détermination. Il n'aurait pas pu faire le quart de ce qu'elle faisait. Le besoin de la réconforter se fit imminent. Mais de quoi exactement ? Si ça se trouve, il se faisait des films, et Ben et elle étaient toujours fous amoureux. Ce n'était peut-être pas la meilleure tactique à adopter, mais se fut la seule qui lui traversa l'esprit. Au moins, si Layla réagissait violemment, cela signifiait que ses suppositions étaient justes. Il saurait alors de quoi la préserver.
- Layla ? appela-t-il, les yeux clos.
- Hum ?
Elle lui répondit en fixant le mur derrière lui. Sa voix couverte des bruits de l'eau, l'avait sortie de sa transe.
- Comment va Ben ?
Layla ne s'attendait pas à ce genre de questions mais la mention du nom de son fiancé lui arracha un sourire. Chanyeol n'était pas très curieux à son sujet. Il attendait plutôt qu'elle lui raconte sa vie, ses expériences, ses joies, et se contentait de commenter avec humour. Elle se demanda s'il lui posait sincèrement la question parce qu'il était curieux, ou si c'était juste un moyen de faire la conversation, pour fuir ce silence pesant. Quoiqu'il en soit, Layla était toujours heureuse de parler de Ben. Il était son rayon de soleil à travers le brouillard glauque de sa vie. Ses patients souffraient et mourraient tous les jours et elle, avait besoin de quelqu'un pour l'épauler dans cette tragédie quotidienne. Quelqu'un qui accepte son besoin obsessionnel d'aider. Quelqu'un qui ne lui reproche pas ses heures gaspillées au travail, qui comprenne que son métier était sa passion. Ce n'était pas un choix, c'était une vocation. Ben était cette personne qui ne lui reprochait jamais ses absences et se réjouissait des moments où elle était là. Elle savait que peu importe l'heure à laquelle elle rentrait, un plat fait maison et du thé l'attendraient. Ben était commis dans un petit restaurant de quartier. Les jours où Layla finissait vers minuit, elle était assurée de le trouver endormi sur le canapé. Il l'attendait et même après avoir cuisiné pour une centaine de couverts, il trouvait toujours le temps de lui préparer quelque chose, sans viande. Il lui arrivait parfois, le matin, de croiser son regard épuisé, celui qui disait « s'il te plaît, reste » mais Ben ne formulait jamais à voix haute ce qu'il pensait réellement. Il laissait Layla vivre et la couvait toujours d'un regard bienveillant. Chanyeol savait tout ça car lorsque Layla l'avait décrit comme merveilleux, il avait insisté pour en savoir plus.
- Ben va bien, annonça-t-elle en prenant le relais.
Elle voyait à la façon dont Chanyeol tenait mollement le pommeau de douche qu'il commençait à fatiguer. De ses ongles courts, elle ratissa chaque mèche de cheveux en nettoyant le shampoing.
- Et toi ? Comment tu vas ?
- Je vais comme toujours, impec.
Chanyeol ouvrit un œil et croisa le regard concentré de Layla.
- Tu n'as pas l'air. J'ai l'impression que quelque chose te pèse. Je suis qu'un gamin mais si tu veux parler... de toute façon je finirai par emporter tes secrets dans ma tombe.
Layla ne répondit pas tout de suite. Chanyeol était-il devin ou avait-elle perdu ses talents d'actrice? Elle qui luttait depuis deux heures pour savoir si elle devait lui en parler ou tout garder pour elle jusqu'à ce qu'il l'apprenne, était mise au pied du mur. Elle ne pouvait plus reculer. Chanyeol se doutait déjà de quelque chose. Et puis, elle refusait de rentrer chez elle en ayant gardé ça. Elle se serait sentie trop coupable. Chanyeol devait savoir. Ca le rendrait surement très triste mais s'il y avait bien quelqu'un qui méritait de savoir, c'était lui.
- Ce n'est pas à propos de moi.
Chanyeol resta silencieux et se laissa laver les jambes. Il avait peur que s'il ne parle Layla se taise.
- Je te dirai après ta douche.
Layla le sécha et alla récupérer une blouse propre. C'était triste de constater qu'à part des blouses, il ne portait plus grand-chose. Lui qui raffolait des chemises, était coincé dans un drap informe. Pyjama et vêtements, la tenue était toujours identique. Après avoir bataillé, Chanyeol parvint à l'enfiler et se laissa guider jusqu'à son lit sur lequel il s'allongea. Layla prit place au bord, chose qu'elle ne faisait jamais, et attrapa sa main. Chanyeol ignorait totalement ce qu'elle s'apprêtait à lui annoncer. Ça ne pouvait pas être pire qu'une mort programmée, si ? Pour la première fois depuis qu'il la connaissait, Layla fuit son regard.
- Layla, qu'est-ce qui se passe ? Tu commences à me faire flipper, lui dit-il d'une voix tremblante.
- C'est à propos de Lisa...
Chanyeol fronça les sourcils. Que venait-elle faire dans leur conversation ? La tristesse avec laquelle Layla le regarda lui fit comprendre qu'elle ne s'apprêtait pas à lui annoncer une bonne nouvelle.
- Son état s'est aggravé ?
Chanyeol se surprit par son flegme. Sa voix n'avait pas flanché alors que son cœur martelait dangereusement sa poitrine. Ça devait bien arriver un jour mais il ne s'attendait pas à ce que ça se produise aussi rapidement. Le chagrin le submergea immédiatement. Les larmes emplirent ses yeux et sa lèvre se mit à trembler. Mais Layla coupa court à son affliction en secouant vivement la tête.
- Non ! Enfin, pas que je sache. Ne te mets pas dans des états pareils... le supplia-t-elle.
Chanyeol était déjà en larmes alors qu'elle ne lui avait encore rien dit. La tâche s'annonçait plus que difficile.
- Alors quoi ?
Layla prit une grande inspiration et le fixa droit dans les yeux.
- Lisa va être transférée dans un autre hôpital.
- Quoi ? Comment ça ?!
Sans même s'en rendre compte, Chanyeol avait élevé la voix. C'était un cri du cœur.
- Ses parents ont appelé l'hôpital hier soir. Ils ont trouvé une clinique spécialisée dans les tumeurs cérébrales et ont demandé le rapatriement immédiat de Lisa. Elle part demain.
- Mais...
Chanyeol n'arrivait pas à trouver les mots. Ils s'étaient vus l'après-midi même et elle ne lui en avait pas touché un mot. Il se sentit trahi. Il appréciait sincèrement Lisa. Plus comme une amie qu'une compagnonne d'hôpital. Jusqu'ici, il avait toujours pensé que son attachement était réciproque, il fallait croire que non.
- Pourquoi font-ils ça ? C'est complètement stupide...
- Ils pensent qu'en la transférant, elle recevra un traitement mieux adapté qui la sauvera.
- Elle va mourir ! C'est déjà trop tard ! C'est toi-même qui me l'as dit !
Chanyeol s'évertuait à contenir sa voix mais ne parvint pas à dissimuler ses sanglots.
- Cet hôpital pratique une chirurgie extrêmement dangereuse mais qui pourrait lui sauver la vie. Nous ne la faisons pas ici, expliqua Layla.
- Quelles sont ses chances de survie ?
- Moins de dix pourcents. Je vais être honnête avec toi, Chanyeol. Seulement une poignée de personnes l'ont testée. Le risque d'hémorragie ou de séquelles futures est tellement élevé que la plupart ont trop peur de tenter le coup.
- Combien ont survécu ? demanda Chanyeol, sans cacher les trémolos qui vrillaient sa voix.
- Sur les quinze patients... seulement deux. Dont une pour qui le cerveau a été gravement endommagé.
Le calcul était vite fait. Lisa ne s'en sortirait pas. La science n'était encore pas assez poussée pour qu'elle survive. Cette opération ne ferait que précipiter sa mort. Elle n'était pas du genre à se bercer d'illusions. Comme lui, elle devait savoir que cette chirurgie était vouée à l'échec, alors pourquoi avait-elle accepté ? Pourquoi ne lui en avait-elle pas parlé ? Ne méritait-il pas de savoir ? Peut-être que de son côté, elle l'avait toujours vu comme une simple distraction. Si ça se trouve, elle n'était même pas triste de le quitter. De son côté, Chanyeol avait un mal fou à imaginer ce que seraient ses journées sans elle. Il ne pouvait pas la laisser partir à l'abattoir sans rien faire. Ça n'aurait pas été digne d'un vrai ami. La colère d'être impuissant face à cette situation désespérée lui fit étouffer un cri dans sa couverture. Il était tellement frustré, tellement désemparé.
- Ils n'ont pas le droit... murmura-t-il après avoir relevé son visage couvert de larmes vers Layla.
- Ils ont tous les droits qu'ils veulent Chanyeol. Ce sont ses parents. Elle n'est pas majeure et malheureusement, ils ont l'argent pour payer sa chirurgie.
- C'est injuste ! Ils ne peuvent pas la prendre. Ce ne sont que des menteurs ! Ils s'en foutent d'elle ! Ils ne viennent jamais la voir, ils ne pensent qu'à eux ! Tout ce qu'ils veulent c'est se donner bonne conscience et se dire qu'ils ont tout fait pour sauver leur fille alors qu'à cause d'eux, elle va mourir ! hurla Chanyeol.
Chanyeol ne tenait plus en place. D'un geste rageur, il arracha sa couverture et se hissa au bord du lit. Il ne pouvait pas rester ici. Il devait parler à Lisa et la dissuader de faire cette opération. Il voulait comprendre pourquoi elle s'était laissé amadouer par les promesses de guérison, alors qu'elle savait à quel point cette chirurgie était périlleuse. C'était complètement fou d'accepter de faire un truc pareil. Autant se jeter par la fenêtre. Lisa souffrait et était désespérée. Peut-être qu'elle avait vu par là un moyen d'écourter ses jours. Elle avait pourtant promis à Chanyeol de lui en parler avant. Le jour où elle prendrait la décision de mettre fin à sa vie, elle devait l'en informer. C'était ce qu'ils avaient convenu.
- Elle m'a menti... Comment a-t-elle pu ?!
De l'autre côté du lit, Layla ne fut pas assez réactive pour empêcher Chanyeol de se lever. Il fit à peine deux pas et s'écroula au sol. Ses jambes tremblaient et des larmes de rage sillonnaient ses joues.
- Pourquoi ?! C'est injuste...
- Chanyeol putain, grogna Layla et faisant le tour du lit.
Les ongles enfoncés dans ses tibias, il griffait mécaniquement sa chaire, comme si l'auto mutilation lui rendrait ses forces. Si seulement il avait été moins faible. Il n'avait jamais été autant en colère contre son corps, qu'à ce moment-là. Au moment où il avait le plus besoin de lui, il le laissait tomber.
- Ne fais pas ça...
La voix douce de Layla arrêta ses mains qui restèrent en suspens, au-dessus de ses jambes rougies.
- Tu ne peux pas les laisser faire ça. Dis-leur quelque chose.
Ce n'était pas le ton suppliant de Chanyeol qui lui fit mal au cœur. Ce furent ses yeux, cette expression de détresse et de chagrin dévastateur qui les animait. Layla ne réfléchit pas et le serra contre elle aussi fort qu'elle le pouvait. Elle le serra comme elle aurait serré son petit frère, son fils. Et Chanyeol pleura sur son épaule en se débattant. Il pleura jusqu'à ne plus pouvoir respirer. Layla le cajola doucement en caressant ses mèches humides. Elles étaient douces. Comme des cheveux de bébé encore épargnés par la pollution.
- Empêche-les s'il te plaît... Je t'en supplie... murmura Chanyeol contre son épaule.
Layla secoua la tête. Ses cheveux bouclés chatouillèrent la joue humide de Chanyeol.
- Je ne peux pas Chanyeol. Je n'ai pas mon mot à dire là-dessus. Je me contente de suivre la procédure.
- On se fout de la procédure ! Si tu ne les empêche pas Lisa va mourir ! Explique-leur qu'il est trop tard ! Que cette opération ne changera pas la donne. Layla... fais-le pour moi... pour Lisa... J'ai besoin d'elle...
Layla se recula un peu et posa ses mains sur les épaules de Chanyeol.
- Tu sais parfois... on peut dire ce qu'on veut, les gens s'en moquent. Il y a bien écrit « fumer tue » sur les paquets, et pourtant les gens continuent de fumer. Ce que j'essaye de dire, c'est que ses parents sont désespérés et qu'ils se contrefoutent de nos recommandations. J'ai essayé de leur parler. Je t'assure. Ce matin. Ils sont restés fermés comme des huîtres.
- Pourquoi Lisa ne m'a-t-elle rien dit ? sanglota Chanyeol.
- Lisa ne le sait pas encore. Ses parents doivent passer la voir dans la soirée. C'est en partie pour ça que je suis venu te récupérer.
- Attends quoi ? Lisa ne le sait pas ?
Layla secoua la tête.
- Comment peuvent-ils faire une chose pareille et décider à sa place ?! Ils n'ont pas le droit ! Ils ne peuvent pas, hurla Chanyeol, complètement insurgé.
Ses parents étaient des monstres. Ils avaient pris une décision capitale sans en informer leur fille. C'était révoltant.
- Malheureusement, Lisa ne peut pas faire grand-chose. Elle est sous leur responsabilité. Le seul moyen pour elle d'y échapper et de signer une déclaration stipulant qu'elle refuse d'être opérée.
- Alors c'est réglé, non ? Il suffit juste de lui apporter le papier et-
- Ce n'est pas si simple Chanyeol. Ses parents peuvent être convaincants et lui faire accepter que c'est pour son bien.
- Mais ce n'est pas pour son bien !
- Si l'opération réussi... Lisa sera définitivement guérie. Tu imagines ?
Non. Il n'arrivait pas à imaginer qu'elle puisse retrouver une vie normale, parce qu'il n'arrivait pas imaginer que l'opération soit un succès. C'était inconcevable pour lui.
- Alors toi aussi, tu es pour ?
Chanyeol ne fit rien pour cacher la douleur dans sa voix. Il ne comprenait pas que Layla puisse se ranger du côté des parents. Pire que ça, elle plaidait leur cause, alors que Chanyeol les haïssait.
- Non. Ne te méprends pas. Je ne les ai jamais encouragés à envoyer leur fille là-bas, bien au contraire.
- Alors pourquoi tu dis que-
- Parce qu'il faut savoir tirer le meilleur du pire. On n'a pas le choix. Alors plutôt que de se laisser abattre, voyons le bon côté des choses. Ça pourrait lui rendre sa vie. Si tu avais le choix, qu'aurais-tu fait à sa place ?
Chanyeol n'en savait rien. Il se sentit tout à coup égoïste. Il n'avait pas le droit de souffrir de cette situation alors que Lisa était confrontée à un dilemme des plus terribles. Il n'avait pas son mot à dire, c'était à elle de décider. Chanyeol n'avait pas de mal à trancher pour elle mais si ça avait été à lui de décider, il ignorait totalement ce qu'il aurait fait. Aurait-il osé tenter le coup, quitte à ne jamais se réveiller ? Il était honnêtement incapable de le dire. Il lui aurait fallu tout une vie pour choisir. Lisa, elle, n'avait qu'une nuit. Layla avait peut-être raison, ce n'était pas à eux de décider de son sort, pourtant Chanyeol ne pouvait se contraindre à accepter son départ. Il voulait qu'elle reste auprès de lui.
- Je ne sais pas. Et toi Layla ?
Layla fit mine de réfléchir en soulevant Chanyeol.
- Je ne sais pas non plus. Ce n'est pas une décision à prendre à la légère et ses parents ont fait comme si. Quoiqu'il en soit, nous n'avons pas à interférer dans sa décision. Elle est maîtresse de son corps.
- Est-ce que j'aurais le temps de la voir ?
- Lève-toi tôt demain. Si elle accepte, ses bagages seront faits en début des après-midi. Vous aurez le temps de passer la matinée ensemble. Je ne peux pas faire plus, je suis désolée.
- Pourquoi ne m'en as-tu pas parlé avant ?
Layla haussa les épaules d'un air contrit.
- Je ne voulais pas que vous passiez vos dernières heures ensemble à pleurer. Et puis tant que ses parents ne lui en avaient pas parlé, je n'avais pas non plus le droit de t'en informer. Ça n'aurait pas changé grand-chose de toute façon.
Pour Chanyeol ça aurait tout changé. Il aurait disposé d'un après-midi entier pour convaincre Lisa de refuser. Hors là, il n'était même pas sûr de la voir. Le biper qui ne quittait jamais la poche de Layla sonna. Elle plongea la main dans sa blouse et l'éteignit.
- On a besoin de moi, je te laisse. S'il te plaît Chanyeol, fais-moi plaisir et avale quelque chose.
Dès qu'il était contrarié, un nœud se formait dans sa gorge et l'empêchait d'avaler quoique ce soit. Depuis son premier jour à l'hôpital, Layla avait été la perdante de nombreuses batailles pour qu'il se nourrisse correctement. Ici, tout contrariait Chanyeol. Il suffisait qu'il pleuve ou qu'on lui fasse une injection de médicaments pendant son feuilleton du soir pour que son humeur s'assombrisse. Mais les désagréments du quotidien n'étaient pas ce qui lui coupait l'appétit. Il en fallait plus pour le décourager. Ce n'était que lorsque son cœur brûlait et son estomac se tordait de douleur que la faim disparaissait. Chanyeol savait que ce soir non plus, il ne toucherait pas son assiette. Lisa occupait toutes ses pensées, comme si elle était déjà morte. La peine qui le submergeait était immense, alors qu'elle était encore là, à quelques chambres de lui. Qu'est-ce que ce serait lorsqu'il apprendrait l'échec de l'opération ? Son téléphone, posé sur sa table de nuit vibra. Si d'ordinaire il se serait rué dessus en espérant que Baekhyun lui ait écrit, cette fois, il ne se pressa pas. Son pouce cliqua sur l'icône d'Instagram et, c'est sans sourire qu'il lut le message que Baekhyun lui avait envoyé. Ça faisait plus de trois semaines qu'il ne lui avait pas écrit. La dernière fois, remontant au jour où il était sorti de chez le coiffeur. Après ça, il avait été tellement occupé que l'optique de se poser quelques minutes pour envoyer un message était devenue inimaginable. Chanyeol était resté sans nouvelle. Il avait bien essayé à quelques reprises de lui écrire mais Baekhyun n'avait même pas pris la peine de lire ses messages.
Cette distance lui rappela une fois de plus qu'ils ne vivaient pas dans le même monde. Il n'était pas sa priorité. Si Baekhyun avait réellement cherché à le joindre, il l'aurait fait. En sortant de la douche, au cours d'un repas, ou avant d'aller se coucher. Il y avait toujours du temps pour gaspiller quelques secondes et rendre quelqu'un heureux. S'il n'avait pas pris la peine de lui écrire, c'était qu'il estimait que Chanyeol ne méritait pas son énergie. Il n'était qu'un fan comme un autre. Leur rencontre n'avait été qu'une parenthèse dans sa vie de star. Chanyeol essayait de se mettre à sa place, de comprendre son raisonnement. Mais la tristesse qu'il ressentait ne le quittait pas. Il aurait préféré être en colère. Mieux vaut se défouler que se morfondre. Mais son sang ne carburait pas, ses veines n'étaient pas gonflées. Il avait seulement mal à la poitrine. Le manque avait laissé un trou profond qu'il n'arrivait plus à combler. La rationalité ne lui suffisait plus.
« Hey Chanyeol. Qu'as-tu pensé de mon nouveau clip ? J'espère qu'il te plaît. Désolé pour mon absence. Je suis très occupé. Je t'embrasse.
Baekhyun. »
Une fois de plus, Baekhyun revenait uniquement vers lui pour avoir son avis. Chanyeol fut tenté d'être hypocrite et de lui dire que sa musique n'était pas à la hauteur, mais se ravisa. Il n'avait aucun intérêt à blesser Baekhyun qui, malgré son emploi du temps chargé avait fait l'effort de lui envoyer un message. Certes, c'était uniquement pour être conforté dans l'idée que son travail plaisait, mais ça restait tout de même un message. S'il en avait eu la force, Chanyeol lui aurait écrit probablement une cinquantaine de lignes pour lui dire à quel point sa chanson était bouleversante. Mais en ce moment, son esprit était uniquement focalisé sur Lisa. Alors, il éteignit son téléphone sans répondre. L'envie de quitter sa chambre pour faire irruption dans celle de Lisa le démangeait, mais il se retint et alluma la télévision pour s'occuper l'esprit. Un épisode de téléréalité plus tard, l'infirmière qui remplaçait Layla lui livra son plateau. Une omelette sèche, une orange et un plat d'épinards. La vue des épinards lui fit monter les larmes aux yeux. Lisa se faisait toujours une joie de les finir pour lui. Dès qu'il se retrouvait seul, elle quittait sa chambre et venait à la rescousse. Layla n'y voyait que du feu et le félicitait toujours d'avoir réussi à avaler cette immondice. Même elle, reconnaissait que ce plat était immangeable. Pourtant, ce soir-là, Chanyeol termina son assiette qu'il ne touchait pas d'habitude. Il pensa à Lisa qui n'était pas venue finir son plat et s'efforça de le manger, en songeant que Layla n'aurait pas aimé qu'il s'affame. Le goût trop salé de ses larmes persista jusqu'à la dernière bouchée.
Lorsque son assiette fut vide, son calvaire continua. Il eut beau s'essuyer les joues, les larmes coulaient toutes seules. Son corps était lourd et endolori. Il espérait que la douleur l'engourdirait tout entier, et se coucha sur le côté. Pendant de longues minutes, il hoqueta, et sanglota dans son oreiller, jusqu'à épuisement. Ses paupières gonflées finirent par se fermer. Il était encore tôt mais le sommeil l'assomma comme une brique. Sa nuit fut dénuée de rêve et hantée par les cauchemars du départ de Lisa. Il lui fallait des forces car le lendemain, un long combat l'attendait.
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