XIV.Cliché holographique et autres facéties
Crystal Castel - Jour de la grande cérémonie des sélectionnés
La maquilleuse pénètre dans mes luxueux appartements au moment où je glousse, Sisyphe me chatouille les chevilles de ses longs poils: il a toujours été de nature joueuse. Elle se poste dans mon dos, poudrée comme une ravissante poupée de cire, les lèvres charnues, le regard ébène. Son visage m'est sympathique, elle ne doit pas être beaucoup plus âgée que moi.
- Bonjour mademoiselle. Je suis votre maquilleuse attitrée durant toute la durée de la compétition, s'exclame-t-elle d'une voix mécanique comme si elle récitait un discours préalablement appris. Je m'appelle Esmé, pour vous servir.
C'est une habitante de Dark-City, aucun doute à avoir au vu de son prénom, un prénom n'ayant aucune consonance minérale. Elle m'offre une gracieuse révérence, certes élégante, mais qui a le don de me mettre mal à l'aise. Ce soudain statut de candidate sélectionnée m'a visiblement propulsé sur un piédestal qui m'est inconfortable.
- Enchantée, je suis Lapis-Lazuli, une main-verte officiant à Bulle-City. Enfin, j'y officiais, me reprends-je aussitôt. Autant vous dire que le maquillage n'a jamais été mon fort, tenté-je de détendre l'atmosphère. Esmé se déride, un léger sourire germe sur ses lèvres framboises, j'ai l'impression que nous pourrions devenir amies, en laissant jouer le temps. Miss Jade surgit à ce moment-là, Esmé se redresse, au garde-à-vous.
- Esmé, vous n'avez toujours pas commencé ? Le temps presse ma chère, le temps presse. Je veux que ma protégée soit la plus éblouissante des candidates ce soir, s'affole-t-elle, tout en papillonnant dans tous les sens. Elle doit resplendir autant que la grande Raès en personne.
La regarder s'agiter en occupant tout l'espace de la pièce me fatigue. Bientôt, ma tête se met à tourner comme s'il s'y jouait un bal dansant endiablé. Esmé, qui semble être dotée d'une grande sensibilité, remarque mon malaise et s'empresse de me masser la nuque de ses doigts délicats. Je l'en remercie d'un franc sourire, instantanément détendue par les soins qu'elle me prodigue.
- Miss Jade, avec tout mon respect, je suis davantage concentrée lorsque l'agitation est réduite à son minimum, se permet-elle de noter, et comme vous l'avez vous-même souligné, le temps presse.
La Tigresse se fige, outrée par le franc-parler d'Esmé: serait-elle sur le point d'attaquer ? Ses lèvres frémissent, elle souffle, résignée, puis quitte la pièce en faisant claquer avec frénésie sur le parquet vernis, les talons hauts de ses chaussures.
Instantanément, je me détends, ma migraine s'envole.
- Merci, murmuré-je à l'attention de la jeune maquilleuse. Son énergie, loin d'être contagieuse, me stress au plus au point.
Esmé me sourit, complice, avant de m'attacher les cheveux avec délicatesse. Quelques secondes plus tard, elle fait danser les couleurs de ses multiples palettes sur mon visage pâle: elle est très douée: il s'agit forcément d'une assortisseuse de couleurs et la meilleure qu'il m'est été donné de rencontrer. Les chatouilles des pinceaux en poils de soie sont agréables sur mes pommettes saillantes, elles m'arrachent un rire à la dérobée. Les paillettes dorées qui, quant à elles, tanguent sur mes joues avant de s'y figer, fascinent mon imagination.
- Il est normal que vous soyez stressée mademoiselle, je le serais tout autant à votre place, surtout que les candidats masculins sont tous d'une incroyable beauté.
À peine Esmé a-t-elle prononcé ses mots, semblant s'être évadés de sa bouche malgré elle, que le rouge lui monte aux joues.
- Pardon je n'aurais pas . . .
Je la coupe, en fronçant les sourcils, elle s'empourpre, la jeune maquilleuse pense sûrement que je vais la réprimander: mais de quel droit me le permettrais-je ? Au contraire, j'aime son insouciance et sa franchise, des qualités rares dans ce nouveau monde dont les fers-de-lance sont les courbettes et les mots doucereux.
- Ne vous excusez pas. Pour ma part, je n'en connais que deux mais il est vrai que leur beauté est particulièrement agréable à admirer.
Esmé rougit de plus belle tout en appliquant un merveilleux rouge à lèvres pourpre sur ma bouche ronde.
- Je crois avoir terminé, déclare-t-elle tout à coup, comme si elle venait d'appliquer la derrière touche de peinture à un tableau d'envergure.
Une jeune femme qui m'est étrangère me regarde dans le gigantesque miroir qui me fait face, elle m'intimiderait presque si ce n'était pas mon propre reflet que je contemple. Jamais je n'aurais imaginé que le maquillage pouvait avoir un tel pouvoir sur les femmes, le pouvoir de transformer, de dissimuler la vraie nature d'une personne derrière une fresque d'apparence. Plus je me regarde, et moi je reconnais ce qui fait de moi la main-verte que je suis.
Durant une fraction de seconde, mon visage change, mes traits se déforment dans la glace. Horrifiée, je ferme les yeux un instant, l'illusion disparaît déjà. Était-ce une simple farce du miroir de ma chambre ou mon esprit me joue-t-il des tours ? Je scrute le visage figé d'Esmé, elle semble n'avoir rien remarqué mais elle attend mon avis concernant son travail.
- C'est parfait, la rassuré-je d'une voix douce, pour dissiper le trouble qui s'est emparé de moi. Votre talent est indéniable et votre franchise délicieuse.
Elle réitère sa révérence, sur le point de partir, j'arrête immédiatement son geste: je ne me plierai pas au protocole que l'on tente de me faire adopter de force.
- Pas de ça entre nous, je suis votre égale et vous n'êtes pas mon obligée.
- Très bien madame, me répond-elle d'une voix neutre.
Miss Jade, n'y tenant plus, entre à nouveau dans la vaste pièce dans laquelle se trouve l'immense coiffeuse aux bordures délicatement sculptées: elle est au bord de la crise de nerfs.
- J'espère que vous êtes . . .
La Tigresse ne fit pas sa phrase, subjuguée par le délicat travail réalisé par Esmé.
- Fantastique Esmé ! Vous êtes tout simplement fantastique ! s'extasie-t-elle, tout en se précipitant vers elle. Tenez, voilà un anneau vous permettant d'entrer sur l'île aux plaisirs, vous l'avez amplement mérité.
Esmé remercie chaleureusement Miss Jade, puis s'éclipse telle une ombre dansante. La Tigresse s'approche de moi, mon coeur s'emballe, l'instant fatidique approche. Elle me saisit par les épaules et pose ses iris emplis de vitalité sur moi.
- Lapis, vous sentez-vous prête ? s'inquiète-elle d'une voix empressée.
Mes poumons se gorgent d'air, je tente de garder la tête froide. Il me suffit de m'imaginer folâtrant dans la serre aux orchidées de Miss Diamond pour retrouver un semblant de sérénité.
- Comment puis-je être prête alors que je ne sais même pas ce qui m'attend ? la défié-je effrontément, ragaillardie.
Une ombre passe dans son regard, fugace, imperceptible.
- Nous allons commencer par les hologrammes officiels, tâchez d'être souriante tout en étant détendue, cela ne sera pas trop compliqué pour vous ? ironise-t-elle, me rendant la pareille quant à mon précédent affront.
Durant une brève seconde j'ai envie de riposter, mais je m'abstiens, digne.
- Cela devrait pouvoir être dans mes cordes ! dis-je tout en me redressant, incommodée par le voile gigantesque de ma robe de bal scintillante.
Miss Jade m'agrippe le bras avec force, m'empêchant toute dérobade, et m'entraine déjà vers la porte qui mène dans les couloirs labyrinthiques du palais de cristal. Je jette un dernier regard par-dessus mon épaule, Sisyphe m'adresse un clin d'oeil pour me témoigner son soutient. Le connaissant, à peine aurais-je le dos tourné qu'il se précipitera dans les jardins à la recherche d'un amusant jouet.
Miss Jade et moi passons le chambranle, mon coeur se serre, une musique enivrante retentit dans les étages du palais, rebondissant tantôt sur les miroirs, tantôt sur les transparentes façades de cristal qui délimitent certaines pièces. Bien loin de m'apaiser, mon stress fait un bond, je peine à respirer dans cet étroit corset à l'élégance folle mais au confort plus que contestable. Nous dévalons une volée de marches, des domestiques se pressent dans les couloirs, l'agitation est à son comble.
Mon coeur s'emballe alors que nous bifurquons vers une salle adjacente, je manque de perdre l'un de mes souliers.
- Entrez, entrez ! me presse Miss Jade, alors que je tente de placer à nouveau mon talon dans ma chaussure.
Contrainte par la Tigresse, ma chaperonne, je pénètre dans une salle au dôme kaléidoscopique qui me laisse sans voix. Somptueuse serait un doux euphémisme pour la décrire tant la beauté de ce lieu me frappe par son éclat sans pareil. Sa richesse n'a d'égale que sa splendeur mais je n'ai pas le loisir de m'appesantir sur cet onirique décor: un petit groupe, m'ayant aperçu, se précipite déjà dans ma direction.
- Lapis-Lazuli, vous êtes ravissante ! s'exclame un homme au ventre bedonnant et la moustache extravagante.
- Vous êtes d'une fraîcheur ! renchérit un second, d'une voix mielleuse.
L'effervescence générale m'emporte, je me retrouve allongée dans une posture lascive sur un canapé richement orné en quelques secondes à peine. Réaliser ce qui se passe, on ne m'en laisse pas le temps. De magnifiques fleurs encadrent ce parfait tableau dont je suis le sujet principal. Un regard à la dérobée me laisse entrevoir une devanture qui sépare la pièce en deux. Non loin, d'autres personnes se pressent, s'esclaffent, minaudent.
- Lapis-Lazuli, concentrez-vous, me gronde une femme au maquillage outrageux qui me pince le menton de ses griffes vernies.
Elle fait pivoter ma tête dans tous les sens, comme si je n'étais qu'un vulgaire pantin afin de trouver le bon angle pour l'imminente prise de vues.
- C'est parfait, s'émeut-elle tout en s'éventant d'une chaleur inexistante. Vous pouvez procéder aux différentes prises de vu pour l'hologramme officiel, s'époumone-t-elle ensuite, manquant de me percer un tympan.
Un jeune homme à l'allure fière et au regard franc s'approche alors de moi armé d'un générateur holographique extrême définition. Le mitraillage peut commencer, des flashs crépitent, il me prend sous toutes les contours alors que je me force à rester immobile. C'est à peine si je respire.
Cinq minutes plus tard et un millier de prises plus tard, la séance individuelle est déterminée, apprends-je de Miss Jade. Les termes " séance individuelle " résonnent dans mon esprit alors que je comprends peu à peu ce qui va suivre. Et en effet, quelques instants plus tard, Achille surgit de derrière le paravent, éblouissant, solaire, confiant. Je rougis malgré moi alors qu'il m'offre l'un de ses plus beaux sourires.
- Nous allons générer un hologramme de Lapis et Achille à présent, explique l'holograpiste à Miss Jade qui ne peut s'empêcher d'être attendrie devant le couple que nous formons. Sous ses airs de tigresse, cette femme est un vrai coeur d'artichaut. J'ai pensé que le teint pâle de Lapis se marierait à la perfection avec le teint hâlé d'Achille. Imaginez-vous bien qu'aux côtés de Persée . . .
La phrase ne me parvient pas dans son entier, Achille m'agrippe par la taille et me fait tourner autour de lui afin d'admirer mes formes.
- Décidément, tes charmes ne cessent de se dévoiler, renchérit-il alors que je me dérobe, agacée.
Tout le monde se comporte comme si j'étais un jouet depuis que j'ai franchi le seuil de ce palais, seul Jonas m'a traité d'égal à égal pour le moment.
- Tu entres dans ma vie puis disparaît telle une ombre, cela ne te donne pas tous les droits, bien au contraire, le défié-je, tout à coup envahie par une audace que je ne soupçonnais pas.
Achille esquisse un léger sourire, il semble plus séduit que dérouté par ma soudaine intrépidité. Je me détourne agacée, peut-être que Miss Jade accepterait de me dispenser quelques conseils concernant le sexe opposé: la soirée s'annonce pimentée.
***
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