Dans les cieux - Quelque part au-dessus de Djaha

Une brise légère fait voler mes cheveux ondulés autour de mon visage ravi, j'embrasse dans son ensemble le paysage somptueux qui s'étire devant moi sur fond de coucher de soleil éclatant. Le vide vertigineux qui entoure le navire flottant me donne le tournis, Djaha la scintillante brille comme un diamant poli et se reflète dans mon regard ébloui. Miss Jade me rejoint sur le pont suspendu, les joyaux de ses cils m'éblouissent lorsque je pose un regard émerveillé sur elle.

- Je n'ai jamais rien vu d'aussi beau, m'extasié-je, sans prendre la peine de dissimuler mes émotions tant je suis en émoi.

Un sourire franc se dessine sur son visage serein, elle tend son index tatoué en direction d'un imposant jardin labyrinthique qui s'étend de la pointe ouest de l'île jusqu'à l'entrée tentaculaire de Crystal Castel.

- Il s'agit du Labyrinthe suspendu de Pasiphaé. La légende raconte que des créatures mythiques y jouent à cache-cache et perdent les visiteurs qui ont le malheur de refuser leur jeu, m'explique Miss Jade avant d'étouffer un ricanement. Pour ma part, j'ai eu déjà l'occasion de m'y prélasser et je n'ai jamais croisé la moindre créature, aussi minuscules soient-elles.

Les allées du labyrinthe sont sombres, sinueuses, alambiquées. Son coeur, quant à lui, accroche mon regard, il brille tel un talisman, semblant renfermer le plus pur des secrets. Je m'en détourne en me faisant la promesse de ne jamais m'y égarer, mon sens de l'orientation laisse à désirer.

Dans la partie Est de Djaha, une cascade n'ayant nulle origine déverse ses larmes par milliers dans un lac qui ne semble pas avoir de fond. Miss Jade suit mon regard alors que le voilier voguant se rapproche doucement de l'île, accrochant par-ci par-là des nuages cotonneux et égarés.

- Voici la grande cascade des cieux, m'informe Miss Jade d'une voix douce. La nuit, son déferlement s'inverse et ses eaux se déversent dans le ciel, c'est un endroit magnifique pour y trouver repos et tranquillité. Si jamais tu as besoin de te ressourcer durant la compétition, je te conseille le saule pleureur qui pousse sur les berges du lac, son ombre y est protectrice, me susurre-t-elle sur le ton de la confidence.

Je ne saurais l'expliquer, mais j'ai l'étrange sensation que les dernières paroles de Miss Jade sont d'une importance capitale: je les grave donc dans mon esprit avant de reporter mon attention sur Crystal Castel dont les tours transparentes se dessinent avec plus de précision au fur et à mesure que le navire se rapproche.

- Crystal Castel, déclare Miss Jade, d'un ton émerveillé. Les miroirs y sont farceurs, les passages secrets nombreux et la faune surprenante. J'ai insisté pour que tu sois logée dans la partie sud du palais, celle qui héberge l'immense serre végétale, déclame-t-elle tout en passant une main experte dans ses cheveux charriés par le vent.

Médusée par les décors ciselés de l'immense bâtiment, j'en scrute chaque détail: l'architecture sophistiquée dont il est drapé est d'une rare finesse. Achille et Persée se trouvent quelque part, juste-là, sous mes yeux. À cette pensée, mon ventre se tord, une vive nervosité s'empare de mes sens. Je tente de les deviner parmi les minuscules silhouettes qui grouillent sur le quai d'amarrage. Quelques secondes plus tard, Miss Jade pose l'une de ses mains sur mon bras agrippé avec fermeté à la rambarde, me contraignant à abandonner ma traque.

- Lapis, surtout, méfie-toi. Cette île peut être dangereuse pour les coeurs purs comme le tien. Je serais là pour t'aider en toutes circonstances mais tu dois impérativement venir me trouver si quelque chose te trouble, c'est bien d'accord ?

Comment une île aussi délicieuse peut-elle être dangereuse ? me questionné-je. Mais pour le moment, y songer me déplaît, je préfère profiter de l'instant.

- Je viendrais vous trouver Miss Jade, merci pour votre aide, je consens finalement, l'esprit accaparé par l'île flottante qui ne cesse de se déployer sous mon regard.

Quelques instants plus tard, une voix d'homme résonne dans notre dos, puissante, tonitruante.

« Accostage dans quinze minutes, veuillez regagner le grand salon et quitter les passerelles suspendues »

Les mains tremblantes, je me détache à contre-coeur de cette vue qui se drape peu à peu d'ombres croissantes, et talonne Miss Jade jusqu'au grand salon où les lumières tamisées, créées de mystérieux recoins sombres. Nous nous asseyons toutes deux sur les canapés brodés d'or, le silence nous enveloppe.

Seul la voix du capitaine nous parvint quelques minutes plus tard, distillant ses ordres avec vigueur. Bientôt, le navire se met à trembler, la coque du voilier à craquer, elle se dilate, puis le calme revient. Une porte s'ouvre à la volée, l'homme à la taille moyenne et à l'imposante moustache surgit, un sourire conquérant placardé sur le visage faisant remonter les pointes de son bel attribut jusque sous ses yeux rieurs.

- Mesdames, nous sommes arrivés, s'époumone-t-il avant de disparaître en un tourbillon de vapeur.

Miss Jade se redresse telle une reine des déserts et m'intime de la suivre: la peur s'empare de moi, mes jambes manquent de se dérober sous les volants de ma robe. Sur le pont supérieur, les machinistes esquissent une respectueuse révérence sur notre passage, je leur réponds d'un timide sourire. Une volée de marches encadrée par une dizaine de statues en marbre de carrare, nous conduit vers deux chevaux mécaniques attelés à une calèche flottante flamboyante.

Je cherche des yeux les autres candidats, mon coeur s'emballe dans ma poitrine, mais mon regard ne se confronte qu'aux automates de la garde du palais qui escortent notre arrivée comme un lent cortège funèbre. Des domestiques bourdonnent autour de nous, complaisants. Certains se chargent des nombreuses malles de Miss Jade, tandis que d'autres se disputent pour porter mon sac ridiculement petit en comparaison.

- Il ne cesse de gigoter ce fichu sac, marmonne l'un d'eux alors que je m'affole.

Une seconde plus tard, j'arrache mon précieux bien des griffes des deux domestiques qui sont sur le point de faire coulisser la fermeture éclair.

- Ce sont mes affaires messieurs, je m'en charge, les coupé-je d'une voix tranchante.

L'un ouvre de grands yeux, l'autre ouvre la bouche, prêt à répliquer, mais il se ravise devant le regard noir que lui lance Miss Jade. Je sers le sac contre ma poitrine, Sisyphe me répond par un léger coup de patte à travers le tissu, je suis rassurée: il est vivant.

Miss Jade grimpe dans la calèche rutilante avec grâce et m'offre son bras tatoué. Une fois installée, les chevaux rugissent, la calèche se met à glisser dans l'air, évitant ainsi les soubresauts désagréables de l'allée accidentée. Miss Jade sort un calepin dorée de sa robe corsetée et l'agite devant moi.

- Je vais vous conduire dans votre suite, j'y ai déposé une robe à votre intention. Vous dinez avec les autres candidats dans la salle de réception ce soir afin que vous puissiez faire plus ample connaissance, énumère-t-elle, en assistante rigoureuse qu'elle est. La société Hope veut que les photos officielles soient réalisées avant le diner. Une maquilleuse sera à votre disposition. Il faudra que vous soyez resplendissante, je m'y emploie. Et tâchez de ne pas vous coucher trop tard, une journée épuisante vous attend demain.

L'emploie du temps de déesse qui est maintenant le mien, me donne des sueurs froides. Les chevaux pillent, l'entrée de Crystal Castel se dessine derrière les vitres de la calèche flottante, gigantesque, démesurée, écrasante.

Des valets à la redingote fleurie nous accueillent en grande pompe, l'un d'eux me tend un magnifique bouquet de tulipes avant d'effectuer une pirouette, tandis qu'un second m'évente à l'aide d'une large feuille: mes sens s'égarent. Heureusement, Miss Jade intervient pour m'extraire de ces facéties burlesques voyant que je perds pied.

- Laissez-la ! Elle a besoin de repos et non de vos courbettes ! s'indigne-t-elle, tout en fronçant les sourcils, les faisant ainsi reculer jusque dans leurs retranchements respectifs.

L'entrée s'ouvre devant nous par je ne sais quel artifice: elle dévoile un hall grandiloquent à l'escalier marbré surprenant, qui dessert la multitude d'étages qui régit les volumes du palais. Nos chaussures claquent sur le sol, le hall est désert, la file de domestiques nous suivant, silencieuse.

Mon regard ne cesse de s'élargir devant tant de beauté: il faudrait des heures pour détailler l'ensemble des moulures qui ornent les centaines de miroirs qui renvoient une image déformée de notre étrange cortège. Il me faut gravir l'immense escalier, explorer deux ponts transparents, tourner dans trois corridors pour arriver enfin devant mes appartements. Miss Jade est tout aussi essoufflée que moi, ce qui me rassure.

- Voici votre suite Lapis. On raconte que la grande Halanà en personne y a séjourné récemment, me confie-t-elle, le regard aussi pétillant que celui d'un enfant découvrant un gâteau à la crème. Tâchez de vous reposer. Je vous enverrai la maquilleuse dans une heure.

Sur ces belles paroles, Miss Jade pivote sur elle-même, toujours escortée par une ribambelle de domestiques portant ses malles avec de plus en plus de difficulté, et s'éloigne en un cliquetis caractéristique. Seule devant la porte bleue moulurée et rehaussée de dorure, je me risque à tourner la poignée et découvre enfin la suite qui m'est destinée.

Elle est composée de quatre pièces séparées par des encadrements de porte aux allures végétales. Le lit à baldaquin y est immense et les draps d'une douceur inouïe. Les vitres transparentes qui serpentent sur les murs m'offrent une vue imprenable sur le mystérieux labyrinthe de Pasiphaé, ma joie est à son comble. Comment aurais-je pu imaginer qu'un jour ma vie serait extraordinaire ?

Mon sac s'agite sur le sol comme hanté, j'en avais presque oublié Sisyphe, prisonnier de cet étouffoir. Je me précipite vers la porte d'entrée et la ferme à double tour avant de libérer mon plus fidèle ami. Il bondit sur le tapis persan du salon, s'étire avec de miauler comme rarement il ne l'a fais.

- J'ai bien cru que jamais nous n'arriverions, bougonne-t-il, grognon, tout en balayant le salon de ses yeux perçants. Mais j'avoue que cela valait le coup d'oeil.

Je m'accroupis près de lui, contente de retrouver sa frimousse ébouriffée, et lui caresse le sommet du crâne.

- Promets-moi de faire très attention Sy, le mets-je en garde. Crystal Castel est réputé pour ses mystérieux secrets et je sais que ta curiosité l'emporte souvent sur ta raison.

Comme pour me donner raison, un craquement puis un bruit sourd me parvient. Quelques instants plus tard, quelqu'un toque à la porte, mon coeur s'accélère dans ma poitrine alors que Sy file se cacher sous le lit. Qui cela peut-il bien être ? Miss Jade aurait-elle oublié de me donner une information importante ? J'en doute, mon instinct s'éveille, je crois savoir qui se cache derrière cette porte et je ne sais pas si je dois en être ravie, ou effrayée.

***

* Hello *

On rentre enfin dans le vif du sujet, Lapis est arrivé à Crystal Castel

* Les mystères sont nombreux sur l'île comme dans le palais

* Lapis et Sisyphe sauront-ils rester à l'écart de ces étrangetés ?

* Est-ce Miss Jade qui vient de toquer à la porte ?

* Où bien Persée ? Peut-être Achille ?

* Dans le prochain chapitre, Lapis rencontrera officiellement les autres candidats, ses adversaires redoutables dans les épreuves qui lui couteront peut être la vie, mais en attendant, elle profite de l'instant.

Sur ce, À très vite, Jel