Bulle-Home de Miss Diamond - Quatrième mois du solstice d'Hiver

Le jeune homme à la peau ambrée s'approche de moi, élégant dans ses habits exotiques et ses étoffes soyeuses puis il me tend son bras avec courtoisie. Devant mon manque de réaction probante, une ride creuse son visage régulier et son sourire jusque-là charmeur, se fige sur ses lèvres donnant à son visage une expression énigmatique.

- Est-ce que tout va bien ?

Je tente de me recomposer un masque aimable, barbouillant l'effarement de mon visage, encore étourdie par l'étrange apparition qui s'est volatilisée derrière les mimosas en fleur tel un songe.

- Oui veuillez m'excuser, je préfère le calme des serres à l'agitation ambiante, bredouillé-je tout en touchant distraitement les pierres froides qui ornent mon cou. Le bras toujours fièrement tendu devant lui Achille attend. Je me décide enfin et pose ma main sur son bras, balayant de mon esprit les bouleversantes paroles de Persée.

- L'odeur alléchante qui s'échappe des cuisines vous fera préférer la table aux serres le temps d'un instant j'en suis certain.

Je hoche la tête avec grâce, ne sachant que faire d'autre, Achille m'entraîne vers la grande salle de réception vers laquelle se pressent déjà les invités en un brouhaha assourdissant de talons aiguilles, de conversation futiles et de froufrou vaporeux. Miss Diamond, au loin, est dans son élément, reine parmi les Précieuses qui la dévorent de leurs yeux envieux.

La richesse de ma protectrice est inestimable. Sa Bulle-Home est la plus somptueuse de toutes, brillante de mille feux dans le ciel dégagé des hautes sphères, planète scintillante sur la voûte céleste du monde. Depuis que feu, son défunt mari a été emporté par une maladie incurable, elle ne cesse de s'enrichir en multipliant les contrats commerciaux avec les entreprises les plus florissantes de Dark-City, d'Egyptian, d'Atlantis, de Céleste et d'Asian.

Il est difficile d'imaginer, en la voyant moulée dans ses robes somptueuses, qu'il s'agit d'une femme d'affaires redoutable dont la notoriété n'est plus à prouver. Je n'ai jamais eu l'occasion de rencontrer Sir Diamond, je n'étais pas encore de ce monde quand la mort a décidé de le faucher de son manteau noir mais Miss Diamond l'aimait sans retenue aucune. Depuis, celle qui m'a recueillie reste des plus discrètes concernant sa vie amoureuse.

Je ne lui ai connu que Sir Fragrance dont j'ai aperçu la silhouette au détour d'un couloir. Sa silhouette élancée et son nez proéminent ne passent pas inaperçus: il est connu de toutes les Précieuses à Bulle-City qui s'arrachent ses parfums comme elles s'arracheraient le plus pur des diamants. Il se dit que la liste d'attente est longue de plusieurs années pour certaines de ses réalisations. Évidemment, Miss Diamond, elle, n'a jamais eu à patienter. En façade, Miss Diamond est aimé de tous, mais dans l'ombre elle est détestée de beaucoup. Les habitants de Dark-City la méprisent pour sa richesse colossale et les Précieuses de Bulle-City pour son élégance inégalable.

Un muscle se tend sous mes doigts, je reviens doucement à la réalité qui s'opère autour de moi. Achille m'accompagne jusqu'à une chaise au haut dossier mouluré, mon nom trône en lettres d'or dans une assiette à la faïence parfaite. Je m'installe à ma place et remarque que les motifs de ma robe se sont assombris, déployant sur mon jupon une végétation épaisse de jungle grimpante.

Miss Diamond se trouve à deux places sur ma gauche, trônant en impératrice des lieux sur un gigantesque fauteuil aux entrelacs délicats. Un jeune homme prend place à mes côtés, je le salue poliment avant de chercher des yeux Achille. Mais est-ce vraiment Achille que je cherche ainsi avec frénésie ? N'ai-je pas espoir d'apercevoir Persée attablé non loin de moi ? Chaque détail de notre soudaine et étrange rencontre me laisse rêveuse. Je devrais avoir peur de lui pourtant, la réputation de la grande Ursulla est telle que certain frisonne rien qu'en entendant son nom. Guerrière, aventurière, sanguinaire, les qualificatifs la désignant sont nombreux et certains si terrifiants que je n'ose y songer.

- Vous êtes Lapis-Lazuli n'est-ce pas ? La main verte de Miss Diamond ?

Cette voix masculine coupe le fil de mes rêveries alors que Trévor vient d'apparaître dans mon dos, il me sert une coupe de délice des dieux avant de murmurer:

- Je vous souhaite bien du courage Mademoiselle, toute cette basse-cour est d'un ennui.

Le majordome m'arrache un éclat de rire alors que je reporte mon attention sur le jeune homme qui vient de m'interpeller.

- Vous êtes bien renseigné, dis-je d'une voix douce qui se perd dans le flot discontinu des conversations environnantes.

- Mister Opal, de la grande famille des Léviathans, se présente-t-il à l'aide d'une rangée de dents particulièrement blanches.

Ce nom ne m'est pas inconnu, j'ai déjà entendu parler de cette puissante famille, ils sont les constructeurs de l'ensemble des aérostats qui planent au-dessus des nuages. Le jeune homme me sourit et nous engageons la conversation. S'ensuivent un nombre impressionnant de banalités, je trempe régulièrement mes lèvres dans le liquide euphorisant qui bulle dans mon verre de cristal. Moins prisé que le nectar des dieux, le délice n'en est pas moins grisant. Mes sens s'étourdissent alors que Mister Opal me tient en haleine en me racontant les expéditions haletantes de ses ancêtres à bord des premiers voiliers volants qui naviguèrent jadis. Pendant ce temps-là, les plats défilent devant moi: homard géant flambé au nectar des dieux accompagnés de ses oeufs de dragons marins, vient ensuite, le suprême d'oies des glaciers, rehaussé de ses algues fluorescentes ramassées dans la tristement célèbre fosse d'Orion.

Miss Diamond se redresse de toute son élégance alors que la grande pendule qui plane au-dessus de la table sonne vingt-deux heures. Le silence se fait autour d'elle, son autorité naturelle ferait taire le plus bavard des oralistes. Trévor s'approche d'elle et lui tend un amplificateur de voix qu'elle place sur sa poitrine. Lorsqu'elle prend la parole, sa voix claire et limpide résonne sous les hauts plafonds qui dévoilent un délicieux spectacle sur les étoiles filantes qui ont commencé leur ballet dans le ciel infini de Bulle-City

- Miss, Sir, Mister, merci d'avoir répondu favorablement à l'invitation qui était la mienne. Je suis honorée de vous compter parmi nous ce soir, en espérant que le repas réalisé par mes majordomes mécaniques vous met en joie, déclame-t-elle, tout en balayant la salle des yeux alors que des clameurs enthousiastes s'élèvent dans les airs.

Les visages sont rieurs, les verres pleins, la bonne humeur règne dans la Bulle-Home de Miss Diamond: il ne lui en fallait pas plus pour rayonner comme une orchidée fraîchement éclose.

- Avant de passer au dessert, je vous invite à vous rendre sur les toits de la Bulle-Home, une surprise vous y attend, mes majordomes vous aideront à gravir les marches qui vous en séparent.

Les premiers curieux se lèvent déjà alors que mon regard croise celui d'Achille, situé à l'une des extrémités de la table. J'ai comme l'étrange et désagréable sensation qu'il m'épie. Les paroles de Persée résonnent dans mon esprit: « on vous surveille ». La grande Halanà m'aurait-elle fait suivre ? Quelles en seraient ses raisons ? Pour en avoir le coeur net, je patiente et attends que son regard se dérobe. Son attention est bientôt happée par un éclat de voix, je saisis alors l'occasion en plein vol et m'éclipse avant de me perdre au milieu de la rivière de convives qui inondent déjà le hall et les escaliers qui desservent les verrières supérieures de la Bulle-Home.

J'emprunte un passage dérobé connu uniquement de Miss Diamond et des majordomes, et je débouche sur un escalier extérieur qui serpente au-dessus du vide. Les aérostats des invités volent au-dessus de la Bulle-Home, rattachés à celle-ci par de simples cordages, bateaux volants amarrés dans un port céleste. Le doux ronronnement de leurs moteurs me berce autant qu'il berce les astres.

Je m'installe sur un toit reculé, loin des Précieuses et des Précieux qui piaillent comme des poules dans une basse-cour avant le coucher du soleil. Au loin, les Bulles-Home scintillent. La plus proche est celle de la famille Émeraude, de taille plus réduite, on raconte qu'elle renferme une source éternelle qui s'écoule dans le vide sans jamais se tarir. Une brise fraîche caresse mes épaules, je frisonne. Une divine fourrure blanche recouvre mes épaules dénudées, je sens le parfum d'Achille avant de voir son profil qui se découpe sur le bleu sombre du ciel.

- Difficile de vous échapper, m'exclamé-je à demi-mot, le regard perdu vers l'horizon inexistant. Heureusement que votre compagnie ne me déplaît pas.

Le jeune homme s'assoit à mes côtés à une distance bienséante, les mains ramassées sur les genoux, les cheveux ondulants au gré du vent.

- J'ai de nombreux talents mademoiselle, et pas uniquement celui de séduire les déesses, ironise-t-il d'un sourire craquant.

Pour ma part, il m'est maintenant difficile de nier l'évidence, Achille me surveille. Pour quelles raisons ? Je n'ai pas hâte de le découvrir, le discours alarmant de la déesse me tord déjà les entrailles.

- D'où venez-vous ? me permets-je avec désinvolture, il est assez rare de croiser des étrangers dans les hautes sphères de Bulle-City et encore mois dans le lit d'une déesse.

Achille s'agite, nerveux, l'évocation de ses origines semble lui poser problème.

- Je viens d'une région reculée d'Egyptian, l'Andorian mais ma mère était une Asian.

À Bulle-city les métissages sont rares contrairement à Dark-City. Au-dessus des nuages, les grandes familles règnent en maîtres depuis des générations, ne diluant leur sang sous aucun prétexte.

- Subtil mélange. Quelle sorte de don avez-vous en Egyptian ? ma curiosité l'emporte sur son embarras, ma langue se délit, je me décrispe à son contact. Je sais que certains de nos rites funéraires sont semblables aux vôtres.

- Nous en avons plusieurs tels que la communication avec les défunts, la métamorphose, l'écriture instantanée, la navigation en profondeur. Il y en a tant que je ne saurais les énumérer tous.

La communication avec les défunts, ce don me fait froid dans le dos: nous ne ramenons jamais les morts dans le monde des vivants, leur repos fait notre sérénité. Une douce musique résonne dans notre dos, au départ lointaine, elle s'intensifie alors que les secondes s'effilent.

- Et quelle est votre spécialité propre ? me risqué-je non sans appréhension, ce genre de question ne se pose qu'entre intimes à l'accoutumée.

Un sourire lumineux irradie le visage plongé dans la pénombre d'Achille, je peux voir ses yeux briller dans la nuit.

- La séduction voyons, vous ne vous en êtes pas douté ? ricane-t-il, fier de sa supercherie. Il se dérobe, je n'aurais pas de réponse à ma question ce soir. Je m'apprête à riposter sur le ton de l'humour mais le premier explosif déflagrant tourbillonne dans le ciel annonçant le début du feu d'artifice tiré depuis le pont inférieur de la Bulle-Home de Miss Diamond par Trévor en personne.

Quelques secondes plus tard il éclate devant nous, ce qui me fait sursauter, puis dessine une gigantesque fleur rose à la tige d'un vert étincelant dans la nuit noire. La fleur laisse bientôt place à des bouquets de tulipes scintillantes, des lianes s'entrelaçantes, des bourgeons éclosant de pétales luisants, le tout instrumenté sur fond d'orchestre majestueux. Les notes résonnent et dansent nos oreilles, mon coeur et mes pensées s'adoucissent. Je laisse le parfum d'Achille m'envahir, sa présence m'apaise plus qu'elle ne me dérange. Peut-être que les prédictions malencontreuses de la déesse s'accompagneront de paisibles et agréables instants volés, à l'image de celui qui me berce en cette douce seconde. Seul l'avenir me le dira.

***

* Hi *

Un chapitre écrit dans le train à leur ne m'en voulez pas trop si il y a des fautes ou des tournures étranges, j'ai l'esprit qui vagabonde dans le train.

* Force est de constater qu'Achille surveille bien Lapis mais pour quelles raisons ?

* Enfin surveiller, il lui colle au train plutôt

* Reverra-t-elle Persée, le jeune homme qui hante déjà son esprit ?

* En tout cas pour le moment sa vie est plutôt douce mais tout va basculer gniark gniark gniark !

À très vite !

Jel * urleur