V. Douce végétation
Bulle-Home de Miss Diamond - Quatrième mois du Solstice d'Hiver I
Solésus, niché haut dans le ciel, étend ses rayons comme le chant d'un rossignol et accompagne mon vol de sa douce mélodie. Les paroles de la grande Halanà ne cessent de tourbillonner dans mon esprit en une valse incessante. Il est difficile d'accepter l'inacceptable: la déesse connaît le moindre chapitre de ma vie passée, mais surtout le déroulement exact de ceux à venir, ceux auxquelles je ne préfère pas songer.
D'imposants nuages immaculés bercent mes pensées alors que l'aéronef se rapproche avec douceur de la luxuriante Bulle-Home de Miss Diamond, une véritable jungle suspendue au beau milieu d'un ciel éclatant. Les murs de la Bulle-Home, constitués d'un épais cristal rayonnant de transparence, laissent entrapercevoir une végétation abondante qui s'enfuit dès qu'elle le peut par la première ouverture accessible. J'esquisse un sourire qui chasse, durant un instant, la grisaille de mon esprit: décidément, cette végétation ne cessera jamais d'être malicieuse.
Soudain, l'aérostat fait une embardée, survole la Bulle-Home avec paresse, dévoilant à mon regard les pièces d'habitation savamment dissimulées au coeur des serres végétales. Je suis presque arrivée à destination: le voilier amorce déjà un plongeon millimétré, se dirigeant tout droit vers la passerelle dorée qui luit avec grand éclat sous l'effet de Solésus.
Il ne me faut qu'un seul regard pour remarquer la présence du majordome de ma protectrice, aussi immobile qu'une statue de marbre sur le pont de dentelle métallique. Une fois amarrée, je descends du véhicule avec la grâce qui est la mienne et viens me planter devant Trévor.
Ces précieux rouages étincellent en cette lumière matinale et m'éblouissent sans que je n'y prenne garde. Sentant ma présence, il s'anime comme un pantin désarticulé sous mes yeux rieurs.
- Bonjour Trévor, comment vas-tu aujourd'hui ? le questionné-je, heureuse de me retrouver en sa présence, il est devenu un de mes amis au fil du temps.
Son cerveau électronique est certes limité, mais il a toujours été de très bonne compagnie et de tous aussi bons conseils.
- Bonjour Mademoiselle Lapis-Lazuli. C'est plutôt moi qui devrais vous poser cette question, articule-t-il tant bien que mal de ses lèvres rigides. Votre rencontre avec la déesse a été à la hauteur de vos espérances ?
Je pivote sur moi-même tout en faisant tourner le bas de ma robe fleurie autour de mes jambes ciselées. Je passe derrière le majordome mi-mécanique mi-électronique et sautille comme une enfant sur la passerelle dentelée.
- La déesse est d'une beauté à couper le souffle, murmuré-je rêveuse avant de descendre les escaliers en colimaçon qui serpentent jusqu'au hall principal. La rambarde rehaussée de morceaux de nacre ouvragées, brille sous mes doigts dansants.
J'atterris avec grâce au coeur de la Bulle-Home de Miss Diamond et je suis bientôt rejointe par mon acolyte de métal dont les rouages créent une musique cuivrée perpétuelle. J'hume l'air aux senteurs délicieuses et remarque que le hall est déjà en tenue d'apparat. Il n'est que midi passé et pourtant, les lustres constitués des plus pures pierre précieuses, les nappes brodées de fil d'or ainsi que les épices venues tout droit d'Egyptian, attendent déjà la foule d'invités qui se pressera ce soir sur le dallage de marbre qui dessine une rosace sur le sol.
J'entends Miss Diamond avant de la voir: ses talons claquent sur le sol comme les sabots d'un cheval.
- Lapis, mon enfant, vous voilà enfin, s'exclame-t-elle d'une voix suave et collante comme du miel.
La voir me réjouit, en un sens, elle est comme une seconde mère pour moi. Je m'incline respectueusement devant cette femme forte avant de balayer à nouveau les lieux du regard.
- Miss Diamond, le hall est absolument resplendissant, m'extasié-je tout en lui accordant mon plus beau sourire. Je m'excuse pour mon retard la dé . . .
Je n'ai pas le temps de finir ma phrase que Miss Diamond me serre contre son décolleté généreux avec affection.
- Du retard ? Qui est en retard ? clame-t-elle à qui veut l'entendre avant de poser sur moi un regard emplit d'une tendresse exquise.
Elle s'écarte un moment, me tient à bout de bras, puis scrute mon visage avec la plus grande des attentions.
- Alors Lapis, j'espère que la déesse vous a prédit un avenir radieux ! Cela fait tant d'années que je ne l'ai pas vu. Comment était-elle ? Possède-t-elle toujours ses félins dont j'ai oublié le nom ? me couvre-t-elle de questions.
Mon regard se ternit pendant une infime seconde, une boule se forme dans mon ventre alors que je déglutis avec difficulté.
- Un avenir radieux, ce n'est vraiment les mots que j'utiliserai mais . . . La déesse est toujours aussi resplendissante, tenté-je de faire dévier la conversation. Et ses deux panthères éphémères sont incroyables.
Miss Diamond n'est pas dupe, je le remarque à son teint subitement rosâtre. Son visage se crispe, je m'attends au pire, mais au lieu d'exploser, Miss Diamond se radoucit comme un printemps aux portes de l'hiver.
- Lapis-Lazuli, quoi qu'ait pu te prédire la déesse, je serai toujours là pour vous, me murmure-t-elle sur le ton de la confidence, aussi sérieuse qu'un maréchal.
Elle se redresse tout à coup, en un bruit de froufrou exaltant, et expose ses rondeurs comme un trophée dans les parois miroitantes du hall.
- Merci Miss Diamond pour votre soutien, vous n'étiez pas obligé de me secourir il y a dix ans de cela, je m'entends répondre d'une voix fluette.
La femme corpulente au port altier qui me fait face, balaye de la main un insecte invisible tout en évacuant l'air encore contenu dans ses poumons.
- Ce n'est rien mon enfant. Lorsque vous aurez fini les compositions florales pour la cérémonie de ce soir, venez me trouver, j'ai un cadeau pour vous, m'annonce-t-elle d'une voix friande. Et tachez d'oublier les déesses, leurs prédictions sont parfois facétieuses.
Dans un mouvement de tulles et de crinolines, Miss Diamond tourne sur elle-même, faisant voler une couronne de pétales autour de son buste puissant, puis disparaît dans une bulle adjacente au hall de réception. Pour ma part, je ne dois pas perdre une minute, j'ai une vingtaine de composition florale à réaliser avant la tombée de la nuit.
Je me dirige vers la serre végétale la plus proche d'un pas décidé. Les serres sont toutes connectées les unes aux autres par des tunnels transparents, formant un cercle parfait de verdure qui encadre les bulles d'habitation. Trévor me talonne de près, lorsque Miss Diamond n'a pas besoin de ses services, il aime me tenir compagnie, un plaisir partagé.
Je pénètre quelques instants plus tard dans la serre végétale des orchidées, la plus resplendissante de toute. Une odeur très particulière règne ici, une odeur qui a accompagné mes journées depuis une dizaine d'années et que je peine à laisser derrière moi chaque soir lorsque je suis contrainte de retourner dans les rues insalubres de Dark-City.
- Bonjour mes ravissantes ! lancé-je à la cantonade avant de tendre l'oreille.
Un bruissement timide me parvient quelques secondes plus tard, un bruissement qui se transforme bientôt en un concert d'excitation. Les orchidées sont de bonne humeur aujourd'hui, l'ambiance festive qui a empli la Bulle-Home ne les a pas laissé indifférentes.
- Elles sont heureuses de vous voir, elles ont senti votre parfum dans l'air avant même que vous ne soyez amarrée, fait remarquer Trévor d'une voix électronique. Je n'ai pas un tel pouvoir sur elles, certaines refusent même que je les approche.
Je rigole de bon coeur, les orchidées sont les fleurs les plus capricieuses que je connaisse. Je dois longuement les amadouer à l'aide de mon pouvoir si je veux les intégrer dans une de mes créations, surtout les plus jeunes.
Il ne me faut qu'un seul coup d'oeil pour remarquer qu'une nouvelle fleur vient d'éclore au beau milieu d'une masse de lianes emmêlée. Je me dirige vers elle avant prudence et remarque qu'elle tente de dissimuler ses jeunes pétales. Je m'approche avec la délicatesse d'un ange et tends mes doigts avec prudence de peur qu'elle ne s'enfuit davantage.
La timide, dissimulée derrière une large feuille, montre finalement le bout de son nez et se dirige avec crainte vers ma main. Je sais qu'elle sent l'énergie qui en émane tout comme je ressens la peur craintive qui la ronge. Le contact se fait, et l'alchimie opère, elle vient s'enrouler autour de mes phalanges, joueuse, avant de se déployer avec majesté.
Je me redresse et me dirige ensuite vers l'une des plus anciennes orchidées de la serre. De couleur rouge, sa taille est le reflet de sa profonde sagesse. Cela fait des années que je m'occupe d'elle. Je lui insuffle l'énergie nécessaire afin de la maintenir en vie jour après jour.
Elle se redresse en me sentant et m'offre instantanément sa tige: ce soir elle époustouflera les convives en trônant telle une reine sur la table de réception, avant de retrouver sa serre et ses racines. Le pouvoir qui m'a été offert lors de l'imprégnation me permet de rendre les végétaux immortels en quelque sorte. J'ai également la capacité de leur transmettre des émotions tout en recevant les leurs.
- Trévor peux-tu m'apporter mon sécateur s'il te plaît ?
Le majordome mécanique s'exécute et il disparaît bientôt derrière les branches infinies d'un saule pleureur centenaire. Les orchidées aiment particulièrement sa compagnie, parfois il les chatouille de ses tiges tentaculaires. Je passe une main dans la terre humide qui jonche le sol, m'empare d'une bonne poignée, et la porte à mes narines: son odeur respire la vitalité.
- Voici votre sécateur Lapis, me signale tout à coup Trévor, qui est revenu telle une ombre dans mon dos.
Je le remercie avec chaleur avant de m'accroupir pour sectionner la tige de la doyenne. Un bruit sourd retentit avant que je ne sois passée à l'action, m'arrachant un sursaut: la fleur offerte par la déesse vient de tomber de la poche de ma robe. À ma grande stupeur, l'ensemble des orchidées tournent avec lenteur leurs magnifiques pétales vers l'énigmatique objet, et la seconde suivante, une onde de terreur parcoure la serre ainsi que mon être tout entier. Un frisson désagréable remonte le long de ma colonne vertébrale alors que je me presse de remettre la fleur aux perles précieuses au fond de ma robe. L'onde disparaît aussi vite qu'elle est apparu, me laissant un gout amer dans la bouche. Que vient-il de se passer au juste ? Pourquoi les orchidées ont-elles eu cette réaction face au cadeau de la déesse ? Jamais auparavant je n'avais fais pareil expérience.
***
* Hi *
Nous sommes mercredi et c'est un nouveau chapitre que je publie là.
J'espère que l'univers que je plante petit à petit vous plaît. Je sème des graines pour la suite. Avant le chapitre 10 nous serons rentrés dans l'action promis.
À très vite ! Jel
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