IX. Le doux calme avant la terrible tempête *
Verrière - Bulle-Home de Miss Diamond - Quatrième mois du Solstice d'Hiver I
Le ballet scintillant qui marbre le ciel de ses délicats pas de danse, illumine autant mon regard que mon esprit, faisant naître une douce mélancolie dans l'ensemble de mon être. J'en oublie presque la présence discrète et rassurante d'Achille, cet homme venu d'ailleurs aux accents envoûtants et à l'odeur musquée. N'ayant jamais côtoyé de jeune homme d'aussi près auparavant, je dois avouer que cette situation m'enivre plus que de raison. Où serait-ce l'élixir des dieux qui piège mes émotions ? Le fourche.
Achille et moi ne parlons pas, les mots seraient inutiles en pareilles circonstances. Nous laissons la musique qui résonne dans le ciel nous envelopper, nous en envahir, notes après notes, accords après accords, je frissonne de plaisir, enivrée par la douce mélodie.
Le bouquet final explose enfin au-dessus des rares nuages qui caressent le ciel moucheté, fleurs après fleurs, il livre son ultime spectacle. Mes paupières se font lourdes tout à coup, Morphée planant au-dessus des songes à venir. Sans que je n'y prenne gare, je sombre dans les tourments d'un sommeil agité, la verrière froide caressant la peau nue de mes bras en ce doux début d'hiver. Sous la voûte transparente, les invités se pressent, le dessert attend, l'élixir des dieux coule à flots: la fête bat son plein alors qu'une brise fraîche berce mes lourdes boucles brunes. Je quitte ce monde pour un autre, confiante, épuisée par des mondanités auxquelles je ne suis pas habituée.
***
Dark-Home de Lapis-Lazuli - Quatrième mois du Solstice d'Hiver I
Au loin, je perçois un son étrange, un bruit me saisit par le bras puis me tire la main, m'extirpant des brumes de l'inconscience. Un objet racle sur un sol irrégulier, il rebondit, se fige, glisse, disparaît, s'envole. Cela m'agace, ma tête tourbillonne, je daigne enfin ouvrir les yeux pour découvrir l'origine de ce raffut qui a dissous le rêve velouté et doucereux qui était le mien.
Stupéfaite, mes yeux ensommeillés se posent sur un Sisyphe joueur, sa queue ondulant tel un serpent à sonnette sur le sol asymétrique de mon modeste appartement. Je ne peux apercevoir l'objet de sa convoitise, perchée dans mon lit suspendu, mais tout autre chose préoccupe mes pensées. Une délicate odeur de fleurs embaume l'air ce matin, la lavande se hisse en vedette dans ce concert floral: les brins sont d'humeur joviale.
La soirée de la veille me revient alors à l'esprit en de simples souvenirs dilués: je suis prise d'épouvante, un frisson parcoure mon échine comme un ramoneur matinal grimpant à son échelle. Par quelle supercherie me suis-je retrouvée chez moi alors que j'ai le souvenir de m'être assoupie à même le dôme de la Bulle-Home de Miss Diamond ?
Mes pensées sont confuses, mes souvenirs se dérobent, ont-ils quelque chose à cacher ?
- Tu es enfin réveillée ? m'apostrophe Sisyphe, arrêtant son jeu pendant un court instant. J'ai bien essayé de te réveiller, mais le jeune homme qui t'a raccompagné dans la nuit voulait que tu te reposes.
Je manque de m'étouffer: le jeune homme qui m'a raccompagné ? Je rougis malgré moi ce qui n'échappe pas à la perspicacité et à l'oeil avisé de mon plus fidèle compagnon.
- Qui était-ce ? m'interpelle-t-il ensuite, avant de reporter son attention sur la fenêtre, un oiseau noir s'étant posé sur le rebord de celle-ci. Il n'est pas prudent de laisser des étrangers entrer ici Lapis, me sermonne-t-il avant de bondir de toute sa grâce en direction de la fenêtre.
J'ai la gorge nouée, la mine boudeuse, je ne prends pas la peine de lui répondre. L'objet avec lequel Sisyphe jouait m'apparaît enfin, il s'agit d'une fleur rehaussée de perles et de pierres précieuses à l'éclat hypnotisant. Je bondis du lit lorsque je la reconnais, il s'agit du présent qui m'a été offert par la grande Halanà et que j'avais dissimulé secrètement dans l'orchidée mécanique de Miss Diamond.
Je m'en saisis avec délicatesse avant de dévisager Sisyphe qui m'observe avec une curiosité non dissimulée.
- Où as-tu trouvé cela Sy ? m'emporté-je d'une voix fluette, grimpant malgré moi dans les aiguës.
Sisyphe s'étire, reporte son attention sur l'épais brouillard qui recouvre Dark-City puis daigne enfin m'accorder toute son attention.
- Je l'ai trouvé dans la poche de ta robe pendant que tu dormais. Tu ne dois pas m'en vouloir, je m'ennuie à mourir avec ce temps qui n'est que grisaille jour après jour.
Mes pensées tourbillonnent dans mon esprit, je manque de défaillir, je me retiens à une commode alors que mes jambes flanchent. Mes mains glissent sur ma robe de bal, je respire, je ne suis pas dénudée, mais comment la fleur a-t-elle pu atterrir dans ma poche alors que je l'avais si bien caché ?
Une effroyable panique m'envahit, la salle de bain aux allures d'oasis tropicale m'appelle, je m'y précipite et passe un peu d'eau fraîche sur mon visage rosi par la nuit. Mes yeux pétillent et je me surprends à rougir en pensant à Achille me raccompagnant jusque dans mon propre lit.
Mes yeux glissent sur le miroir qui renvoie une infinité de Lapis-Lazuli, les cheveux en bataille et les bretelles tombantes. Mon regard accroche alors un papier savamment coincé entre la vitre miroitante et l'encadrement de verdure qui tapisse les murs de la salle d'eau. Je m'en saisis avec précaution et le déplie, le ventre noué, les doigts tremblants.
Une écriture fine à l'allure fière recouvre le papier usé par le temps.
« Une princesse ne devrait pas vivre dans un tel taudis même s'il s'agit du plus remarquable d'entre tous.
A. »
La signature ne laisse plus de place au doute: Achille a dû jouer au chevalier servant peu de temps après que Morphée m'ait cueilli dans ses bras protecteurs. Ce qui est étrange, c'est que je ne me suis jamais endormie de la sorte auparavant: Achille m'aurait-il dissimulé l'un de ses précieux pouvoirs ? Aurait-il osé l'utiliser sur ma personne ? Par ailleurs, il s'est risqué à utiliser le mot "taudis" pour décrire mon humble demeure, quel toupet !
Une voix résonne tout autour de moi me tirant subitement de mes réflexions: « Il est onze du matin » m'informe-t-elle sur un ton dénué de toute émotion. Mon cœur s'emballe, je devrais être chez Miss Diamond depuis deux heures déjà. Je sors de la salle de bain à toute vitesse, manquant de m'écrouler sur le parquet branlant de l'appartement, Sisyphe sursaute et braque son regard jaune sur moi, les poils hérissés.
- Je te trouve particulièrement étrange Lapis aujourd'hui. Me caches-tu quelque chose ? s'inquiète-t-il, tout en passant l'une de ses pattes derrière son oreille dressée.
- Sy, je suis terriblement en retard, nous en parlerons ce soir si tu veux bien ? débité-je d'une traite, tout en essayant de faire glisser la somptueuse robe de mon corps raide.
Je sautille comme une d'idiote dans tout l'appartement, en vain. Sisyphe s'esclaffe, ses moustaches tressautent, je me vexe davantage. Et c'est moi qu'il trouve bizarre ? Il roule sur le dos et agite ses pattes dans le vide, c'est ce que j'appelle un esclaffement de chat. Quelques secondes plus tard, alors que je me démène avec la fermeture éclair, le félin hybride reprend tout son sérieux comme s'il avait été rappelé à l'ordre par un esprit invisible.
- Miss Diamond t'a accordé ta journée.
Je m'immobilise, statufiée, puis j'enrage. La douce odeur de lavande qui embaumait l'air se transforme en un parfum de pot-pourri, ma mauvaise humeur est-elle à ce point contagieuse ?
- Tu n'aurais pas pu me le dire plus tôt ? m'insurgé-je tout en envoyant valser le collier de lapis-lazuli qui ornait mon cou jusque-là. Celui-ci roule sur le sol, il manque de se briser, mais Sisyphe a été le plus rapide des deux. Il l'arrête de sa patte experte avant de s'en désintéresser.
- Quelle humeur Lapis ! C'est l'étranger qui te met dans tous tes états ? me questionne-t-il tout en ondulant vers moi, ses yeux inquisiteurs scrutant la moindre de mes réactions.
Je placarde un sourire radieux sur mon visage, tentant de prendre l'avantage sur cette conversation dont la tournure me déplaît tout particulièrement.
- Achille n'est qu'une vague connaissance, éludé-je, en me débarrassant enfin de la robe qui comprimait ma poitrine depuis trop longtemps.
Sisyphe ronronne, visiblement fier de lui, il redresse sa tête triangulaire avant de venir se poster sur la commode, à hauteur de mes épaules.
- Une connaissance que tu appelles par son prénom, Mademoiselle serait-elle amoureuse ? ricane-t-il, tout en tournant autour de moi: je suis sa proie, il est en chasse.
Je souffle, agacée, puis me dirige vers mon lit haut perché. Une voûte de lierre crée un délicieux baldaquin naturel au-dessus de celui-ci, une création dont je suis particulièrement fière. Je m'allonge dans les draps frais, bien décidée à profiter de cette journée de repos qui m'est offerte.
- Tu sais ce que signifie le mot repos Sy ? minaudé-je tout en jouant avec l'une des feuilles qui pendouille au-dessus de mon visage. Me cuisiner ne servira à rien, si tu es sage, je te raconterai tout à mon réveil.
Sur ces dernières paroles, je pivote sur moi-même puis ferme les yeux pour effacer de mon esprit le minois indiscret de Sy mais surtout le visage divinement hâlé d'Achille.
***
Quelques mois plus tard . . .
Le temps a passé. Les mois, défilés. Le froid hivernal a laissé frileusement place aux chaleurs étouffantes d'un été radieux. Je me suis souvent remémorée la soirée organisée par Miss Diamond en plein coeur de l'hiver. Cette soirée qui fut le théâtre de nombreux rebondissements, me faisant miroiter durant un instant, que ma vie avait changé.
Ma rencontre officielle avec Achille me laisse encore rêveuse et je n'ai cessé de penser à ma mystérieuse entrevue avec Persée, le fils illégitime de la Grande Ursulla. Depuis, je n'ai revu ni l'un, ni l'autre, même si parfois j'avais la désagréable impression d'être épiée au détour d'une ruelle sombre. Avec le recul, les prédictions de la grande Halanà me sont apparues comme fantaisistes, et je me suis maudite d'y avoir cru ne serait-ce qu'un instant.
Aujourd'hui, quand je repense à tout ça, j'ai l'impression que ce n'était qu'un songe, un doux songe laissant un goût amer en mon coeur solitaire. La vie a doucement repris son court, mais elle n'a plus la même saveur. Alors qu'autrefois je me plaisais à entretenir les diverses serres de Miss Diamond, l'ennuie s'est emparé de moi peu de temps après la réception, vicieux, lancinant, dévorant.
Miss Diamond, déçue que je n'ai pu trouver chaussure à mon pied lors de cette magique soirée, a décidé de renouveler l'invitation juste avant la mort de l'été. L'idée ne me déplaît pas, mais le coeur n'y est plus. J'ai fini par me faire une raison, et mon esprit a mis de côté les évènements déstabilisants qui ont ébranlé ma vie l'hiver dernier.
J'ai retrouvé peu à peu la joie de vivre, jusqu'au jour les prédictions sont venues bouleverser mon existence à jamais.
***
Bulle-home de Miss Diamond - Deuxième mois du Solstice d'été II
Une nouvelle fleur vient d'éclore dans la serre de Miss Diamond. J'en suis fière, très fière même. Dans notre monde, l'éclosion d'une orchidée de cette taille et de cette splendeur relève du pur miracle. Les feuilles qui entourent cette naissance vibrent avec légèreté, charriées par une brise invisible mais pénétrante.
Les vitres transparentes situées dans la partie haute de la serre sont entrouvertes et un souffle chaud qui s'infiltre avec délicatesse par les ouvertures. J'hume l'air avec délice, son odeur est d'une pureté enivrante. Je questionne ensuite la puce intelligente implantée dans le creux de mon poignet: il est quinze heure. Déjà. Le temps passe si vite ici. Entre ciel et terre, les heures se transforment vite en seconde.
Je m'apprête à contacter Miss Diamond pour lui annoncer l'excellente nouvelle, lorsqu'elle surgit dans la serre par une pièce transversale de la Bulle-Home. Sa robe est splendide aujourd'hui. D'un bleu pastel, elle est parsemée de petits oiseaux aux plumes argentés troublant de réalisme. J'imagine un instant qu'ils s'envolent et plane vers les branches les plus hautes de la serre. Son corset est dentelé d'étincelantes pierre précieuses et sa coiffe rehaussée d'un diadème fleuris. Elle se principe vers moi, faisant jouer avec grâce son jupon autour de ses jambes alourdis par le temps.
- Ma chère main verte. Lapis-Lazulis, m'interpelle-t-elle, plus excitée que jamais.
Je m'incline respectueusement, surprise par cet entrain insoupçonné.
- Madame, aurais-je oublié l'une de vos réceptions? la questionné-je surprise.
En douze ans de bon et loyaux service en tant que main verte, jamais je n'ai eu un seul oubli de ce genre, alors que se passe-t-il ?
- Pas le moins du monde, mon enfant, me rassure-t-elle, reportant un instant son attention sur la nouvelle venue qui trône fièrement dans mon dos. Quelle magnifique orchidée Lapis, votre main est si délicate que vous obtenez des merveilles de mon jardin suspendu. Sans vous, il serez d'une paresse, ajoute-t-elle, tout en exagérant. Je ne sais comment vous l'annoncer, poursuit-elle tout à coup gênée.
Mon ventre se tord, je sens poindre la mauvaise nouvelle. Vais-je perdre mon emploi ? Devenir une déshéritée ? Je me mets à trembler légèrement.
- Ma chère, pourquoi tant d'émoi, il s'agit-là d'une excellente nouvelle pour vous.
Une excellente nouvelle ? Jamais en vingt deux d'existence je n'ai eu d'excellente nouvelle, bien au contraire. Je tremble donc de plus bel. Miss Diamond s'empare de mes mains et les love de façon maternelle dans les siennes.
- Le tirage au sort a été effectué tôt ce matin, dans le plus grand des secrets Lapis. Les heureux sélectionnés viennent d'être annoncés en direct par les officiels et . . . tu es l'une d'entre eux, lâche-t-elle enfin dans un souffle, attendant visiblement une réaction de ma part qui ne vient pas.
L'information peine à monter jusqu'à mon cerveau. Suis-je censée sauter de joie ? Crier à plein poumon ? Que va-t-il m'arriver au juste ?
Je crois que je deviens livide car Miss Diamond m'entraîne vers une table ronde aux moulures dorées sur laquelle elle a l'habitude de prendre le thé avec ses amis. Elle exécute un rapide geste de la main, et hèle Trévor, l'un des robots domestiques de la bulle-home.
- Apportez-nous du nectar des dieux, cuvée 2324 s'il vous plaît Trévor.
Mes oreilles bourdonnent, Miss Diamond m'aide à m'assoir.
- Est-ce que tout va bien trésor ?
Je ne sais pas vraiment. Devrais-je aller bien ? Comment répondre à cette question lorsque tout votre monde vient de s'écrouler en une demi-seconde à peine ? Que votre vie ne sera plus jamais la même ?
- Oui, je crois, réussis-je à bredouiller tout en entortillant mes doigts sur eux-même.
Trévor revient en un temps record, armé d'un plateau en cristal sur lequel repose une magnifique bouteille aux reflets argentés et deux verres éclatants de transparence.
- Servez Lapis-Lazuli ! Nous fêtons sa renaissance aujourd'hui, claironne Miss Diamond à qui veut l'entendre, visiblement aux anges.
Elle se tourne à nouveau vers moi, rayonnante. Pour ma part, je reprends peu à peu mes esprits.
- Vous n'imaginez pas à quel point j'ai souhaité que ce soit vous. Vous n'imaginez pas Lapis la chance qui est la vôtre. Le monde entier vous envie depuis l'annonce officielle. L'immortalité est à votre portée à présent. La vie éternelle. La jeunesse infinie. Les prétendants vont se bousculer à votre porte. Buvons mon enfant.
Miss Diamond me fourre un verre dans la main, lève le sien en direction de la verrière qui ouvre sur un ciel dégagé, un ciel aussi éclatant que sa robe, puis nous trinquons.
- À vous ! À l'éternité !
Je trempe mes lèvres dans le nectar des dieux et une explosion de saveurs envahit ma bouche. Je n'ai jamais rien goûté d'aussi délectable auparavant, même lorsque mes parents étaient encore parmi nous. L'élixir des dieux reste la seule boisson de luxe à laquelle j'ai gouté. Je vide mon verre à une vitesse proche de l'impolitesse.
- Lapis, vous me rendrez visite lorsque vous serez l'immortel ?
Le mot vibre à mes oreilles comme une mauvaise plaisanterie, que va-t-il advenir de moi ?
***
* Hello, Hello *
Ce nouveau chapitre m'a permis de retomber sur le prologue et donc . . . nous allons, dès le chapitre suivant, rentrer dans l'action, la pleine action !
* Alors comme ça Achille a raccompagné la belle et innocente Lapis oulalala haha
* La fleur qu'elle avait dissimulé a resurgit de nulle part mystère mystère
* Puis le calme plat, plus rien pendant des mois ni de Persée, ni d'Achille
* Mais tout va très bientôt changer . . . .
À très vite :)
Jel * with love *
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