IV. La fleur éternelle *
Île artificielle de la Grande Halanà - Quatrième mois du solstice d'Hiver
Les paroles de la grande Halanà résonnent dans mon esprit tel un séisme à l'onde de choc effroyable. Au-delà de répandre sa fureur dans ma seule boîte crânienne, une tétanie subtilise mes membres à ma volonté propre: je suis incapable de bouger. Mes entrailles se tordent comme les serpents ornant la tête de Méduse alors que je réalise que je ne suis pas à l'origine de cette tempête émotionnelle qui me terrasse.
Elle n'est que l'écho d'une peur sombre, indéfinissable, qui rayonne du corps même de la déesse. L'angoisse ressentie par la Grande Halanà m'a frappé comme un vent d'hiver sans que je n'y sois préparée. Je tremble telle une feuille d'automne accrochée sur une branche dénudée.
Halanà se redresse pourtant avec une rapidité telle, que mes yeux peinent à suivre ses mouvements gracieux. Le tonnerre d'émotions qui m'entravait la gorge quelques instants plutôt, se dissipe alors comme un songe. Devant mon profond trouble, la déesse pose une main délicatement manucurée sur mon avant-bras, une douce chaleur irradie alors au plus profond de mon être.
- N'aies crainte mon enfant, en toutes circonstances, je serais là pour t'accompagner au travers des épreuves qui seront les tiennes, murmure-t-elle à mon oreille sans pourtant s'approcher de mon visage.
Sa voix glisse en dehors de son corps comme un discret ruisseau serpentant en pleine montagne. Une vive gratitude me submerge alors, telle une marée haute, et je ne résiste pas à l'envie de m'incliner devant cette déesse aux pouvoirs ancestraux.
- Merci pour votre protection grande Halanà, la remercié-je à demi-mot, impressionnée par la finesse qui dessine les traits de son visage.
J'hésite un instant à déroger à la politesse qui doit être mienne en sa présence, puis me ravise. Je ne suis pas sûre de vouloir en savoir plus pour le moment, j'ai la naïveté de penser qu'en ignorant l'inéluctable, celui-ci finira par changer de proie.
La déesse tourne sur elle-même faisant apparaître dans son sillage de minuscules fleurs blanches. Je tente d'en saisir une à la volée mais elle se volatilise entre mes doigts pincés.
- Possèdes-tu toujours Sisyphe ? me questionne-t-elle tout à coup, tout en se dirigeant vers un magnifique secrétaire aux boiseries entrelacées et aux délicates incrustations de nacre.
Je m'interroge durant un instant, il est troublant d'admettre qu'une déesse connaît votre vie dans ses moindres détails.
- Oui. C'est un animal de compagnie des plus appréciables, lui réponds-je d'une voix grimpant dans les aiguës malgré moi.
Je réalise soudain que je n'ai jamais su où père avait déniché Sisyphe avant de m'en faire cadeau. Les chats hybrides sont rares, et surtout hors de prix, ce qui à l'époque, ne devait pas être un problème pour père puisqu'il évoluait dans les sphères les plus hautes de Bulle-City.
- Sisyphe, ne puis-je m'empêcher de murmurer pensive, son nom bravant mes lèvres à mon insu.
La déesse pivote avec sa grâce sa tête, de longues boucles vertes balayant sa nuque, et me jette un regard attentif, le doigt suspendu au-dessus du bois laqué du meuble devant lequel elle vient de s'arrêter.
- Oui Lapis-Lazuli. Sisyphe était un présent de ma part. J'avais fais jurer à ton père de garder ce détail sous silence. À l'époque, leur mort était inévitable et je voulais que cet hybride veille sur toi, m'avoué-je Halanà la grande d'une voix claire.
Mon coeur bat à tout rompre, ma poitrine est en feu sous ma robe fleurie. Je prends peu à peu conscience que le hasard n'existe pas et la grande Halanà le sait pertinemment. Nos destins n'ont de secrets ni pour elle ni pour les autres déesses. Alors ne sommes-nous pas que de simples pions sur l'échiquier géant qui leur sert de terrain de jeu ?
Une colère acide inonde mon être tel le venin d'une agressive tarentule. Halanà la grande a toujours su que mes parents allaient trépasser, que la magnifique Bulle-Home dans laquelle nous coulions de paisibles jours allait m'être arrachée et elle n'a rien fait pour empêcher ce désastre. Mes mâchoires se crispent et je dois redoubler d'efforts pour ravaler l'amertume qui consume mes entrailles.
- Le passé est le passé Lapis, ne te laisse pas surprendre par une haine qui n'est pas la tienne, me conseille la grande déesse alors que le jeune homme, jusque-là endormi dans une autre partie du temple, surgit dans mon dos, les cheveux en bataille. Il est d'une beauté étrangère à couper le souffle. Des papillons naissent dans mon ventre malgré moi et repoussent la haine qui voilait mon esprit.
Sans même prendre la peine d'esquisser un regard en direction du nouveau venu, la déesse le congédie sans ménagement.
- Achille, mon beau, attends-moi dans le bassin aux nénuphars, j'ai comme une envie soudaine, s'exclame-t-elle, la voix éprise d'espièglerie.
Mon visage devient aussi rouge qu'une feuille d'érable alors qu'Achille me lance un clin d'œil coquin, plus pour me déstabiliser davantage que pour réellement m'ensorceler de ses charmes indéniables. Je détourne le regard et fixe un point imaginaire droit devant moi pour balayer son corps et son visage de mon esprit déjà malmené.
- Approche, m'ordonne alors la déesse d'une voix ferme.
Je m'exécute, non sans appréhension, et viens me dresser juste derrière l'élégante.
- Regarde bien le secrétaire Lapis, en temps voulu, il te sera d'une aide précieuse.
Je pose mon regard sur le meuble oriental qui semble provenir d'une lointaine contrée, L'Egyptian peut-être. Le temps d'un battement de cils, la déesse tourne un cadran doré au niveau de la partie supérieure du secrétaire. Elle place les deux aiguilles ciselées de celui-ci sur des symboles qui me sont inconnus: l'un ressemble à une spirale infinie et l'autre à un élégant albatros. Un cliquetis sourd retentit alors, puis un craquement, une porte dissimulée dans le fond du secrétaire s'ouvre déployant un savant mécanisme au niveau de la partie centrale du meuble. Je suis subjuguée par tant d'ingéniosité, il m'était difficile d'imaginer qu'un simple secrétaire pouvait renfermer de tels secrets.
Le mécanisme s'apparente aux planètes qui régissent notre système astral avec Solésus en son centre. La déesse manipule les billes dorées minutieusement gravées avec la plus grande des délicatesses, et les place selon un certain ordre, alignées sur une ligne imaginaire.
Un nouveau cliquetis me parvient et une boîte apparaît à son tour au-dessus du secrétaire. De forme ovale, elle est surplombée d'un charmant toit nacré aux nervures ébène. Sept molettes brillent comme illuminées par une étoile indécelable. La grande Halanà verrouille chacune des molettes sur une lettre bien précise, un nom se forme sous mes yeux ébahis: Sisyphe.
Une seconde plus tard, un dernier mécanisme semble s'enclencher au coeur de la boîte et en éclot une partie en acajou sertie d'un lapis-lazuli. Halanà fait pivoter la pierre de ses doigts délicats et ouvre les battants de la boîte avec précaution. Je ne vois pas ce qu'elle en sort mais aussitôt s'est-elle emparée du trésor, que le secrétaire disparaît, ne laissant derrière lui aucun vestige de son existence.
- Lapis, tend tes mains, m'ordonne la déesse, un sourire majestueux dessiné sur son teint de porcelaine.
Je m'exécute, troublée par tant de mystères. Halanà la grande dépose alors l'objet au creux de mes paumes rassemblées. Mon regard accroche, dans un premier temps, une tige rehaussée d'émeraude. Mes pupilles glissent ensuite sur de magnifiques pétales sur lesquelles sont encastrées des perles de toutes tailles, capturant la lumière avec jalousie. Ces mêmes pétales s'articulent autour d'une topaze jaune d'une pureté incroyable qui fait miroiter mon visage immobile.
Je lève un regard perplexe vers la déesse et plonge comme dans une mer dans ses yeux changeants.
- Elle est à toi Lapis. Garde là avec soin car au-delà de sa valeur inestimable, elle te sera d'une précieuse aide et ce, en temps voulu.
Je ne sais comment la remercier, les mots me manquent. Jamais de ma vie je n'avais reçu pareil cadeau. Je m'incline, aussi bas que mon dos me le permet, et sens la main chaude de la déesse se poser sur mon épaule.
- N'oublie jamais Lapis, j'accompagnerai ta destinée quoi qu'il arrive, me susure-t-elle sur le ton de la confidence avant d'arborer un sourire électrisant. Mon enfant, je crois que tu es attendu dans la Bulle-Home de Miss Diamond. J'ai ouï dire qu'elle donnait une réception délirante ce soir, tâche de t'amuser main-verte car, quand le destin décide de s'en mêler, les plaisirs simples se raréfient.
Sur ces paroles mielleuses, la déesse pivote en un tourbillon de senteurs sucrées, se dirige vers le fond du temple et disparaît en un éclat de rire cristallin. L'une des panthères éphémères s'avance alors vers moi, m'arrachant un frisson, puis elle plante ses yeux topaze dans les miens.
- Suivez-moi, je vais vous raccompagner, grogne-t-elle alors que sa jumelle s'avance déjà vers la sortie du temple.
J'incline la tête en signe de respect et talonne bientôt les étranges félins doués de parole. Quelques secondes plus tard, nous passons devant l'immense bassin aux nénuphars précédemment évoqué par la grande Halanà. Je risque un furtif regard en direction de celui-ci: Achille et la déesse s'embrassent langoureusement et sans aucune pudeur au milieu de plantes aquatiques plus singulières les unes que les autres.
Mon indiscrétion me rongeant de honte, je fixe mes souliers pour essayer de dissiper l'apparition qui vient d'empourprer ma rétine: les déesses ont toutes la réputation d'être des croqueuses d'homme, mais l'envisager et le vivre, sont deux choses complètement différentes. Je presse le pas, distancée par les foulées allongées des félins, et retrouve, quelques minutes plus tard, la vue rassurante de mon aéronef.
- Merci, murmuré-je à l'intention des félins qui ont déjà disparu dans la luxuriante jungle de l'île.
Je monte à bord de mon voilier flottant, et tente de reprendre mes esprits, quelque peu déboussolée par les évènements ayant ébranlé ce début de journée. La fleur scintillante qui m'a été offerte, luit dans ma main tremblante. Plus je l'observe, plus elle semble briller, comme attisée par l'énergie qui émane de mon âme. Ma puce électronique m'informe alors que je suis en retard: Miss Diamond doit déjà être en train de m'attendre dans la serre aux mille bourgeons. Je range jalousement le trésor de la déesse dans l'une de mes poches, et prends rapidement le cap de la Bulle-Home de Miss Diamond: j'ai une réception à préparer et surtout des fleurs à amadouer.
***
* Hi *
Nouveau chapitre pour cette nouvelle épopée. J'ai l'impression de tellement prendre mon temps pour la construction du monde que je risque d'amener l'intrigue un peu tard. N'hésitez pas à me donner votre ressenti, il est primordial pour moi, afin de construire une histoire attrayante hihi.
* La déesse est quelque peu frivole et énigmatique
* Lapis n'en a pas vraiment appris plus sur le sort qu'il lui est réservé
* Mais elle possède un super Cat de la mort qui tue Sisyphe offert par la déesse
* Et maintenant une fleur précieuse qui volera à son secours en temps voulu !
* Mais pour l'heure, elle a une réception a organiser ( au final on sans fou que sa vie soit en danger non ? haha ) Je pense surtout qu'elle n'a pas réalisé l'ampleur de ce qui l'attend ( et vous non plus d'ailleurs puisque tout est dans ma tête pour le moment haha. )
Bonne fin de semaine à tous et on se retrouve Vendredi pour un nouveau chapitre de CELESTAR du côté de Saha.
Merci à tous ceux qui prennent le temps de m'encourager sur cette nouvelle histoire à travers les étoiles mais surtout les commentaires <3 <3 <3
With Love Jel
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