III. L'avenir se lit dans une vasque d'eau claire *
Île artificielle de la Grande Halanà - Quatrième mois du Solstice d'Hiver
Surprise par cette voix sans propriétaire qui a raisonné tout autour de moi comme un écho, je tourbillonne sur un axe imaginaire. Les volants de ma robe fleurie flottent avec frivolité autour de mes chevilles dévoilées. Mon regard rayonne, s'arrête quelques instants sur une orchidée qui semble avoir fleuri dans le marbre tant sa pâleur est délicate, puis un mouvement surprend mes pupilles dilatées. Imperceptible. Presque indécelable. Au loin, une liane semble charriée par une brise invisible.
Je fixe avec la plus grande des attentions l'anomalie, certaine que la grande Halanà est à l'origine de cette supercherie. Et en effet, je ne me suis pas trompée. La brise dont le battement d'ailes était si léger se transforme bientôt en une violente bourrasque, faisait voler mes cheveux détachés tout au tour de mon visage en une joyeuse anarchie. Je plisse les yeux, à la fois effrayée et surprise par cette puissante magie qui malmène l'île en un tourbillon de senteurs.
La rafale cesse aussi vite qu'elle a commencé: en un souffle, laissant retomber ma lourde chevelure le long de mon dos légèrement cambré. La végétation, brillante de vitalité, se fait alors mouvante devant mon regard et je crois un instant, en une nouvelle illusion qui chercherait à duper mes sens. Je recule malgré moi. Une forme avance dans ma direction, une forme qui, un instant auparavant, était camouflée à la perfection au milieu de cette oasis dérobée.
L'énigmatique silhouette se transforme sous mes yeux, arborant bientôt les traits d'une jeune femme à la beauté inégalée. Sa peau, aussi lisse que de la glace, réverbère avec délicatesse les rayons d'un soleil à son apogée. Verdoyante, la chevelure dévale en cascade un corps généreusement courbé et le parsème de fleurs à l'arôme vanillé.
Les habitants de Bulle-City prétendent que seule la grande Ursulla pourrait rivaliser d'éclat avec la déesse de la flore, si seulement elle n'avait pas d'innombrables tatouages parchememinés sur son visage intraitable. Pour ma part, je n'ai pas d'opinion sur la question, je n'ai jamais eu l'occasion de rencontrer en chair et en os la déesse des démons aquatiques.
Je m'incline alors que la grande Halanà s'approche de moi avec pour seul couvre-chef des résidus d'illusion. De larges feuilles couvrent son intimité alors qu'une liane entoure son intemporelle poitrine. Il serait déplaisant de croiser mon reflet à cet instant précis alors que l'incarnation même de l'absolue beauté se dresse devant moi. Mon visage ainsi que mes cheveux sembleraient bien ternes en comparaison.
- Redresses-toi mon enfant. Nous n'avons pas de temps à perdre avec ce genre de rituels extravagants, déclare-t-elle tout en me forçant à redresser la tête.
Son regard croise le mien et je décèle un monde infini dissimulé au plus profond de ses iris chamarrés. Il ne faut jamais se fier aux apparences dans notre monde, la plus délicate des fleurs peut renfermer la plus destructrice des forces, à l'image de la grande Halanà dont les habiletés sont aussi effrayantes qu'époustouflantes selon les rumeurs qui circulent dans les bas-fonds de Bulle-City.
Je scrute la déesse avec l'insistance d'une impolie mais elle semble s'en amuser. Son rire cristallin résonne comme un chant de sirènes durant la saison des amours.
- Tu as perdu ta langue Lapis-Lazuli ? Je te connaissais plus bavarde il y a des années de cela. Quelle tragédie, chuchote-t-elle ensuite, tout en se dirigeant d'une démarche féline vers l'entrée du temple qui trône tout aussi fièrement que les panthères éphémères qui l'encadrent.
Je sais pertinemment que la déesse fait référence à la tragique mort de mes parents. Mon ventre se serre. Ce souvenir est encore douloureux pour moi. Halanà la grande caresse la tête de la panthère la plus sombre avant de franchir l'entrée du temple. Je m'empresse de la suivre, évitant avec soin les deux félins qui scrutent mes mouvements avec une attention toute particulière.
- Il s'agit d'un couple, m'informe la grande déesse par-dessus son épaule délicate. Je pensais que cette île leur offrirait un environnement propice pour une généreuse reproduction mais ce sont de belles capricieuses.
J'ose enfin prendre la parole: je ne voudrais pas froisser la déesse qui rayonne par son sens de l'accueil.
- Elles sont absolument magnifiques, admis-je à demi-mot même si les majestueux félins m'effraient plus qu'elles ne me séduisent.
Tout en talonnant la déesse à la taille impressionnante, je prends le temps de détailler l'intérieur du temple qui possède un décorum époustouflant. Des bribes de souvenirs émergent dans mon esprit. Je me revois enfant fouler ce même dallage dont les arabesques s'entrelacent avec érotisme.
Le plafond représente une bataille qui m'est inconnue. Je reconnais aisément la grande Usurlla, la déesse de la flore, la déesse mère de Bulle-city, celle de Dark-city mais les autres déesses représentées sous forme de mosaïque me sont inconnues.
Nous passons à côté d'une gigantesque table ornée de fruits aux couleurs chatoyantes. Mon regard est soudain attiré par un imposant lit à baldaquin alors que nous contournons un gigantesque bassin d'eau douce dont le fond aux mille facettes dorées, réverbère le soleil avec fantaisie. Le voile qui recouvre le bois sculpté de la couche danse au gré du vent et mon regard se perd sur un homme nu allongé dans de somptueux draps blancs.
Confuse, le rouge me montant aux joues, je détourne le regarde de manière précipitée ce qui n'échappe pas à la déesse. Elle déploie à nouveau son rire en une mélodie des cieux avant de s'expliquer.
- Je ne résiste jamais à un bel étranger venu du Mont Crépuscule. As-tu remarqué que le nombre d'étrangers ne cesse d'augmenter ces derniers temps à Dark-City ? me demande-t-elle sans vraiment attendre de réponse.
Je hoche la tête, plus empotée que jamais alors que nous arrivons dans une immense salle circulaire. Un trône verdoyant veille sur la délicate architecture du lieu. Je ne cache pas mon admiration: l'ensemble est majestueux.
La grande Halanà se dirige vers les escaliers menant au trône mais au lieu de s'assoir sur celui-ci, elle s'allonge, lascive, sur la dernière marche de marbre rose. Les deux panthères éphémères la rejoignent puis l'encadrent en grandes protectrices de la divinité. Pour ma part, je reste plantée comme un piquet au milieu de la pièce ne sachant que faire de mes bras ballants.
- Approches-toi Lapis, tu n'as rien à craindre, me rassure la grande Halanà d'une voix maternelle. Assieds-toi donc.
Je scrute la pièce, perplexe, ne voyant pas l'ombre d'une chaise. Mais alors que je tente de comprendre le sens caché de sa phrase, une liane grimpante s'immisce par une ouverture latérale du temple, glisse sur le sol à la manière d'un serpent en chasse, puis tisse une assise sous mes yeux effarés. Je prends place, éblouie par les pouvoirs de la déesse.
- Mon enfant, es-tu contente d'être au service de Miss Diamond ? Te traite-t-elle bien ? s'inquiète la déesse tout en caressant distraitement le crâne puissant de l'une des panthères.
Je déglutis, mon ventre se tord, converser avec la grande Halanà m'impressionne tout particulièrement.
- Elle est très généreuse avec moi grande Halanà. Travailler comme main-verte dans sa Bulle-Home m'emplit de joie jour après jour.
Les yeux perçants de la déesse me détaillent un instant, comme s'ils voulaient lire en moi l'inexprimé.
- J'en suis ravie dans ce cas. Cette bonne Miss Diamond est par bien des aspects, extravagante, mais j'étais certaine qu'elle prendrait soin de toi avec intelligence, s'exclame la déesse dont le port de tête est semblable à celui d'une reine.
Halanà la grande se redresse tout à coup et avance vers moi d'une démarche gracile. Ses cheveux balayent son corps telles des vagues frémissantes sur un sable fin.
- Lapis, si je t'ai fais venir aujourd'hui, c'est que je pressens l'avenir, m'explique-t-elle d'une voix calme. Un certain tumulte a envahi mes derniers songes et ton visage est apparu au coeur de ce chaos sans nom.
Je me fige sur mon siège végétale, droite à m'en faire craquer la colonne vertébrale. La déesse s'approche d'une table dorée et se saisit d'une paire de ciseaux en ivoire avant de venir près de moi.
- Puis-je ? me demande-t-elle tout en brandissant une mèche de mes cheveux coincée entre les lames tranchantes.
J'acquiesce d'un timide mouvement de tête, il m'est impossible de prononcer le moindre mot. Halanà la grande coupe net une mèche de cheveux puis se dirige, un sourire radieux peint sur son teint de porcelaine, vers une vasque dans laquelle il serait agréable de baigner un nourrisson. La déesse jette la mèche de cheveux dans la vasque et me demande ensuite d'approcher.
Je m'exécute à la manière d'un hybride, mes membres sont tendus, ma respiration courte. Que voulait-elle insinuer par "tumulte" et "chaos" ? Je me penche au-dessus de la vasque dans laquelle mes cheveux flottent dans une eau bleutée avec indolence.
La déesse se saisit à présent d'un couteau en or dont le manche est gravé de symboles qui me sont inconnus.
- J'ai besoin d'un peu de ton sang pour que la vision soit aussi limpide qu'un ruisseau. Peux-tu tendre ton doigt ?
Du sang. J'ai horreur du sang et la vue seule de ce liquide rougeâtre me fait tourner de l'oeil. Je satisfais pourtant le désir de la grande Halanà et positionne mon doigt frêle au-dessus de la bassine richement ornée. La seconde suivante, elle plante la pointe aiguisée dans la pulpe tendre de mon doigt. Une goutte de sang perle puis échoue à son tour dans la bassine.
Un étrange phénomène se forme alors au fond de l'eau. Mon sang et mes cheveux se mêlent et s'entremêlent comme s'ils étaient doués d'une vie propre. La grande Halanà me gratifie d'un doux sourire avant de boire le liquide mouvant. Je retiens un hoquet de dégoût: comment peut-elle ingérer pareil mélange ?
Quelques secondes plus tard, ses yeux se marbrent d'un noir perlé puis d'un blanc marbré. Ses pupilles ainsi que ses iris ont disparu. Ses cheveux se dressent avec sensualité sur sa tête et créent bientôt un astre rayonnant autour de son visage. Je recule d'un pas, prise de panique. Ses lèvres se mettent à trembler, ses mains se crispent sur le vide, puis, en un violent soubresaut, elle chute à même le sol, la pâleur de son corps dévoilé contrastant avec les dalles marbrées. Sa respiration est rauque, je me baisse pour l'aider.
- Grande Halanà, vous allez bien ? m'inquièté-je d'une voix tremblotante.
La déesse relève son visage vers le mien, une lueur étrange illumine son regard. Elle pose avec la délicatesse d'un ange sa main droite sur mon visage tourmenté.
- Les temps vont s'assombrir mon enfant, prononce-t-elle en un souffle. Et tu seras au coeur de ce tourment.
Mon coeur cesse de battre dans ma poitrine: les paroles de Halanà la grande m'ont glacé le sang.
***
* Hi *
J'espère que ce nouveau chapitre vous a plu. Je tente d'être la plus visuelle possible à grand renfort de métaphores et autres supercheries littéraires.
J'avais envie d'exotisme et d'ésotérisme après la froideur de l'espace haha.
* J'espère que ce nouveau monde vous plaît. Je prends mon temps pour installer l'intrigue mais elle filtre déjà.
* Je mélange science-fiction et fantastique ( mélange audacieux, on verra bien ce que cela donne sur le long terme haha )
* La déesse à d'étranges moeurs et pratiques mais au fond c'est une déesse alors ce n'est pas très grave.
* Lapis-Lazuli risque d'être emportée dans quelque chose qui la dépasse mais ça, on s'en doutai déjà
Voilà pour aujourd'hui ! On se retrouve demain où vendredi avec CELESTAR, Eiden, la pauvre Kate kidnappée etc . . .
Love, Love.
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