Chapitre Trois (Byeongkwan)
Je marche toute la nuit, ne m'offrant que trois heures de sommeil au profit des premières heures de l'aube avant de repartir. Je dois vraiment arriver à Kald aujourd'hui, je ne dois pas laisser le temps aux gens de mon village de venir m'y chercher. Certains ont des chevaux, mais j'espère qu'ils auront trop peur des bandits pour partir sans s'organiser. Il y aurait eu moins de chances que je me fasse poursuivre si je n'avais rien pris de ma maison, mais j'aurais presque réduit à néant mes chances de survie du même coup et ce n'est vraiment pas ce dont j'ai besoin. J'arrive à Kald en fin d'après-midi, les portes du village seront bientôt fermées pour le protéger des bêtes la nuit et d'éventuels voleurs, en attendant, je suis dedans. Le problème, c'est que je n'ai aucune idée de comment rejoindre la grosse ville de la région, Aerilon. Il faut que je trouve rapidement un moyen d'y voyager, même juste une carte pour me l'indiquer. Il pourrait y avoir des panneaux pour indiquer les grands lieux, c'est ridicule, on dirait que tous les signes sont là pour nous empêcher de nous déplacer dans ce foutu pays. J'arrive à l'auberge et décide de prendre une boisson avant d'essayer de glaner des informations dans la salle bruyante. Le mieux serait que je me trouve un groupe avec lequel voyager, c'est comme ça que je serai le plus en sécurité. Je me mets dos au mur à une table qui me donne une vue d'ensemble sur la population braillarde qui occupe le lieu et les observe en sirotant ma bière. Plus de la moitié sont de simples villageois à leurs vêtements, les tabliers du groupe au fond à droite indique plutôt des forgerons ou des apprentis. Une vague de nostalgie me prend que je tue dans l'œuf. Je viens à peine de partir, je n'ai rencontré aucune difficulté majeure, je ne peux pas me laisser aller à regretter des jours qui qui furent meilleurs, ou qui me l'ont semblé. Une bonne heure passe, et ma chope est vide depuis un moment alors que je vois enfin des marchands rentrer dans la taverne. Ils commandent et se placent à une table en diagonale de la mienne, seule une autre fait obstacle entre eux et moi. Je décale ma chaise et engage la discussion avec le groupe à ma droite avant de me taire pour écouter distraitement. J'ai d'autres gens à épier. Je n'arrive pas au début à séparer la conversation des marchands du reste du brouhaha mais finis par capter quelques mots qui me permettent de suivre le fil de la conversation.
- ...part dans deux jour et il nous manque toujours des mercenaires pour le protéger.
- Ce village ne regorge vraiment que de fermiers, je n'arrive pas à croire qu'on ne trouve personne prêt à mettre son épée au service d'un peu d'argent., Grommelle une deuxième voix qui se perd dans une choppe
- Calmez-vous, on peut trouver trois ou quatre personnes en deux jours. Ne soyez pas aussi pessimistes., Enchaîne avec bonhomie un troisième homme.
- Bien sûr, et tu penses les trouver où ? Sous le sabot d'un cheval, comme l'or qui a lancé ton affaire ?, Raille le quatrième homme.
- Je ne vois pas ce que j'ai fait pour mériter ce commentaire Linus !, S'insurge le troisième homme
- Tu m'exaspères avec tes attitudes de bourgeois gentilhomme.
Alors que le troisième homme allait répondre au dénommé Linus, je me retourne et me permet de m'ajouter à la conversation.
- Si je puis me permettre, je ne vaux peut-être pas quatre hommes mais assurément trois, et je suis prêt à mettre mon épée au service de qui paiera pour un seul homme.
Je prends le temps de faire le tour de la table d'un regard alors que je parle. Ces quatre hommes sont manifestement plus riches que la plupart des clients aussi. Le deuxième à gauche, un peu enrobé et avec son air satisfait doit être l'optimiste, et celui qui a levé les yeux au ciel avec un soupir exaspéré doit être le Linus. Les deux autres semblent plus effacés, peut-être ont-ils moins d'enjeux dans le convoi qui partira.
- Ah, tu vois Linus, je t'avais dit de ne pas t'inquiéter !
- Il est trop jeune pour avoir de l'expérience, il fanfaronne.
- J'aimerais pouvoir vous donner raison mais c'est en connaissance de mes compétences que j'affirme ce que je viens de vous dire.
- Quelle est ton expérience le môme ? On t'a déjà engagé ?
- Bien sûr, Je mens sans hésiter, J'ai accompagné plusieurs caravanes entre Aroal et Kald. Je reviens justement de Aroal après avoir été engagé pour protéger le dernier convoi. Mais je sais pouvoir faire plus, et c'est pour plus que je me suis entraîné. Je veux voir les choses en grand.
- Donc tu n'es jamais allé à Aerilon ?
- Non, monsieur, mais à moins que vous ayez besoin de quelqu'un pour mener, je ne vois pas le problème. Il me suffit de suivre le convoi.
- Il ne s'agit pas de suivre mais de défendre., Continue Linus.
- Marcher et combattre sont deux choses séparées mais pour lesquelles j'excelle sans soucis.
Linus me foudroie du regard et c'est le "bourgeois gentilhomme" qui reprend le fil de la discussion.
- Nous n'allons de toute façon pas refuser bien sûr, nous avons besoin de main d'oeuvre. Cependant, nous payons à la réputation et je pense avoir compris que le tienne est inexistante. On ne peut pas se permettre de payer comme un roi quelqu'un qui ne vaut rien.
- Votre prix sera le mien tant que les repas sont compris dans la paie.
Je me retiens de dire que de toute façon, je n'ai pas vraiment besoin de leur argent, j'ai ce qu'il faut pour survivre, mais un peu plus ne fera pas de mal.
- Si tu insistes sur les repas alors la solde en monnaie sera forcément moins importante, tu le sais j'imagine.
- J'ai le temps de gagner plus d'argent, pas d'attendre pour manger., Je réponds en gardant un sourire placardé sur mes lèvres.
- C'est une bonne façon de voir les choses petit, tu iras sûrement plus loin que d'autres. Un quart de couronne par jour et le repas.
- Un quart ? C'est vraiment peu mon seigneur.
- Une demi sans le repas, ce sont les deux seules offres possibles.
Je retiens un soupir et fais un rapide compte dans ma tête, mes provisions peuvent durer sur le temps, je peux manger ce que j'ai de frais dans les deux jours qui suivent et garder le reste pour Aerilon. C'est toujours ça de pris, et le repas coûtera sûrement plus d'un quart de couronne par jour, je suis gagnant.
- Un quart de couronne et le repas., J'acquiesce finalement;
- Parfait, on a déjà presque réglé notre problème Linus.
Le dénommé lâche un grognement. On m'explique rapidement ce que je devrai faire, où et quand les retrouver puis on m'invite plus ou moins poliment à quitter leur table. Je m'oblige, je n'ai plus rien à faire ici de toute façon, je viens de gagner mon ticket pour aller à Arileon. J'imagine qu'ils n'ont pas forcément aimé mon attitude un peu fanfaronne mais ils sont plus enclins à prendre quelqu'un de confiant qu'un autre qui se ratatine sur lui-même et donne une impression de fragilité. J'aurais aimé dormir dans la forêt ce soir mais la nuit est trop avancée, je ne peux plus sortir du village. Après avoir marchandé le prix avec l'une des deux seules enseignes proposant des lits pour la nuit, l'autre m'ayant refusé dès que j'ai parlé de négotier le prix. Je pose mes affaires dans ma chambre et lâche un soupir défait. Pas besoin de manger ce soir, je vais garder mes provisions encore un peu. J'enlève une à une les couches de mes vêtements pour me retrouver simplement avec une fine chemise de lin et mes dessous. Il faudra que je trouve un moyen de laver mes vêtements ou ils vont vite sentir malgré mes deux tenues de rechange. Mais je ne peux pas perdre d'argent en demandant un baquet d'eau ici, j'imagine qu'il doit quand-même y avoir un puits ou un cours d'eau où les femmes viennent laver leurs vêtements. Je le chercherai. Mes pensées me maintiennent éveillé bien plus longtemps qu'elles ne le devraient malgré l'épuisement, en même temps, elles me permettent de ne pas aborder le seul vrai sujet qui me tourmente. Dès qu'une image de la forge apparaît, je la bannis de mon esprit et pense à Junhee à la place. Lui, je vais le retrouver, ce n'est pas triste. Je me demande si je pourrais aller jusqu'à la capitale en protégeant des convois de marchandises comme ça. Je pourrais gagner l'argent pour vivre quelques semaines ou mois là-bas peut-être, j'espère. Je finis par m'endormir en pensant aux moyens d'atteindre Alryne, mes rêves peuplés uniquement de Junhee et de nos souvenirs, mêlés à des visions beaucoup moins réalistes.
Je me réveille en sursaut, transpirant alors que j'entends encore la voix de mon père crier mon nom. Je me redresse et balances mes jambes au sol pour m'asseoir sur le bord du lit. Je mets quelques secondes à calmer ma respiration en fixant les lattes du parquet pour détourner mon attention de mon cauchemar. Si on m'avait dit un jour que la voix de mon père me hanterait, je leur aurais rit à la figure avant de me remettre au travail. Et maintenant, j'espère ne plus l'entendre, sûrement pour ne plus affronter ce que j'ai fuit. Je frotte mes yeux avant de me lever, ça ne sert à rien de penser à tout ça. Je m'habille et remets mes armes, rangeant avec sa jumelle la dague que j'avais caché sous mon oreiller. Il est encore tôt mais je pense que les portes sont ouvertes, je dois pouvoir aller poser les collets, j'irai les récupérer demain. Je sors, rends la clé de ma chambre et m'enfonce dans la forêt. Une fois ma tâche accomplie, je trouve un endroit dégagé et commence à m'entraîner, vidant toutes pensées de mon esprit. J'ai besoin de m'exercer, de retrouver cette routine qui me faisait tout oublier. Je dois arrêter de m'apitoyer sur moi-même, être efficace et faire des choses utiles, donc pas me morfondre. Je continue toute la matinée, mange un peu avant de reprendre, transpirant à grosse gouttes. Alors que la fin d'après-midi approche, je retourne au village et cherche un endroit où laver ma tenue. Je le trouve après une vingtaine de minutes, et passe le reste de la journée à les nettoyer. Puis je m'esquive et retourne dans la forêt. Je dormirai ici ce soir. Ma nuit se passe sans cauchemar cette fois et je me réveille aux premiers rayons du soleil. Je vais vider mes collets et récupère deux lapins qui s'y sont coincés. Je les vide et les prépare avant de lever mon camp sommaire. Je dois rejoindre le convoi, il part dans moins d'une demi-heure normalement. Comme je m'y attendais, les portes sont déjà ouvertes et même sans savoir où aller, j'aurais pu trouver ma destination, il y a un tel tumulte à l'ouest du village, je ne risque pas de le manquer. Une fois arrivé, je cherche le responsable des gardes engagés et après quelques minutes et trois personnes interrogées, je le trouve en face des mercenaires engagés. C'est une grande femme, plus que moi, d'au moins un mètre quatre-vingt je pense, de large stature, elle a le visage buriné et les traits tirés, marquant les journées passées à travailler à l'extérieur. Je lui donnerais moins de quarante ans malgré tout, j'ai l'impression d'être une sorte de poussin à côté d'elle. Je vais la voir sans montrer la même arrogance que devant les marchands, c'est le genre de personne qu'on doit respecter, et qui sait comment mater ceux qui refusent j'imagine. J'attends qu'elle ait fini avec les deux mercenaires en face de moi puis m'avance devant elle.
- Nom ?
- Byeongkwan
- Connais pas.
- C'est la première fois que je travaille pour ces commanditaires.
- Un nouveau ? Tss, tu as intérêt à savoir te tenir. Je ne suis pas engagée pour m'occuper de la marmaille mais des bandits, compris ? Tâche juste de ne pas gêner.
Je me contente d'acquiescer sans répliquer. Pas de réponse s'il n'y a pas de questions, je pense que je ferais bien de respecter cette règle. Ça me parait être une bonne façon de ne pas me la mettre à dos.
- Bien, tu seras en charge de l'aile arrière gauche du convoi, en gros, tu n'auras rien à faire, personne n'attaque jamais par là. Tu montres ton épée dans son fourreau, rassure les personnes qu'on doit protéger et tu la fermes, compris ?
- Compris.
- Bien, si je te fais appeler, tu abandonnes n'importe quelle activité et tu as deux minutes pour venir, pas une de plus, je ne tolère pas le retard. Compris ?
- Compris.
- Bien, maintenant dégage, j'ai d'autres choses à faire. Attends que le convoi se mette en route pour te mettre à ta place.
Je hoche la tête et pars. Pas vraiment aimable, enfin, je n'aurais pas à la voir si tout se passe bien, ni à subir sa colère si on se fait attaquer. J'ai plutôt intérêt à me défendre fièrement, je pense que n'importe quel bandit me ferait moins mal qu'elle. Un frisson me remonte le long du dos alors que je repense à son regard. Cruel et froid, je suis heureux de ne pas avoir eu à faire ça toute ma vie finalement, je suis mieux en tant que forgeron. Une vingtaine de minutes plus tard, le convoi s'ébranle et il faut une vingtaine de minutes de plus avant que les dernières caravanes ne partent. C'est la première fois que j'en vois un aussi long, c'est impressionnant. Je trouve avec un peu de mal ma place, me trompant à deux reprises, ce sont d'autres personnes qui m'ont indiqué où aller finalement. Une fois à ma place, je garde une expression sérieuse et reste concentré sur les bois. Puisque j'ai juste à me taire et être attentif, je ne ferai rien de plus. Ça me laisse plus de temps pour réfléchir à ce que je vais faire maintenant. Je me demande comment je vais vivre à la capitale, si je fais uniquement des convois comme ça, je vais être plus souvent à l'extérieur de Alryne que dedans, ce n'est pas idéal pour retrouver Junhee. J'espère pouvoir trouver une forge qui a besoin d'un apprenti tout de même, ce serait le plus confortable. Je sursaute alors qu'une main se pose sur mon épaule, je dois me concentrer, ça ne va pas là, j'ai quand-même une tâche à accomplir. Je répond à la question de l'homme qui m'a approché et mon regard fixe à nouveau les bois, ça va être une longue semaine.
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