Plusieurs jours s'étaient écoulés depuis que Minho avait croisé Chan à la bibliothèque. Il ne l'avait pas revu, et heureusement. Il ignorait comment réagir ou quoi penser. Son esprit était parasité par des centaines de questions auxquelles il n'avait aucune réponse à apporter. Tout était en train de partir en vrille, pour un simple mec qui ne méritait même pas qu'on lui accorde ne serait-ce qu'une seconde d'attention. Et pourtant, Minho n'avait que lui en tête. Lui et son sourire dragueur. Lui et sa carrure large et sportive. Lui et son regard perçant.

Il secoua la tête, il devait cesser de se perdre dans ses pensées, elles ne lui apporteraient rien de bon. Bien au contraire. Il ne faisait que se torturer un peu plus chaque jour et il savait que s'il le voyait, ses tourments n'en seraient que plus grands. Plus il se tenait éloigné de Chan, mieux il se portait. Enfin, il essayait de s'en convaincre mais en réalité, leur altercation quelques jours auparavant avait suffi à tout retourner dans sa vie.

Voilà qu'il se remettait en question et qu'il devenait presque nostalgique de leur relation passée. Il devait bien avouer qu'avec Chan, les choses avaient été plutôt agréables malgré les nombreuses difficultés qu'ils avaient rencontrées. Il avait été très doux et tendre à son égard, une facette de sa personnalité qu'il n'autorisait personne à voir d'habitude. Il s'était confié sur sa famille dysfonctionnelle, il avait même parfois pleuré comme un bébé dans ses bras, et Minho avait toujours été là pour l'écouter.

Ils s'étaient beaucoup disputés aussi, pour des raisons stupides d'adolescents, puis ils avaient beaucoup fait l'amour quand ils étaient incapables de communiquer sérieusement. Minho avait découvert toute sa sexualité avec lui, et ça l'avait libéré d'un poids énorme. Il n'avait jamais assumé son orientation, Chan l'avait aidé à prendre confiance dans l'intimité. Il lui disait toujours lorsqu'il appréciait ses attentions, il n'était pas avare de mots doux et de marques d'affection. Et tout cela, Minho s'en souvenait comme si c'était hier.

Mais il y avait aussi eu cette trahison, et il n'avait pas pu la supporter. Chan l'avait trompé, et le pardonner n'était pas envisageable.

— Mais à quoi tu penses encore ?

La voix aiguë de Hyunjin l'extirpa pour de bon de sa rêverie.

— À rien !

— À rien ? répéta Changbin, un sourcil haussé. T'as constamment un sourire niais sur le visage mais tu penses à rien ?

— T'es amoureux ?

Minho se redressa sur sa chaise, les sourcils froncés et la bouche ouverte. Il considéra ses amis un court instant avant de réagir.

— Mais n'importe quoi !

— T'es sûr ? Ça fait plus d'une semaine que t'es dans la lune. On a l'impression de parler à un mur ou a un fantôme.

— Changbin a raison, acquiesça Hyunjin. Si y'a quoi que ce soit…

Il se leva brusquement de sa chaise, les pieds grincèrent contre le carrelage et il attrapa son sac à dos pour le passer sur une épaule.

— Tu fais quoi ?

— Je vais prendre l'air.

Il saisit la canette de soda sur la table et laissa ses amis en plan dans la cafétéria. Il avait à peine touché à son sandwich, ils se feraient un plaisir de le terminer à sa place. De la nourriture gratuite, ça ne se refusait pas.

D'un pas nonchalant, Minho se balada sur le campus, sans but précis, avec en tête la seule image de Chan qu'il ne parvenait pas à chasser. Il donna un coup de pied dans un caillou qui trainait sur son chemin, puis il décida qu'il était peut-être temps de sortir ses écouteurs. Cela lui permettrait de penser à autre chose, de s'évader et de ne plus réfléchir à ce passé qui était revenu pour le torturer. S'il avait réellement tourné la page, il ne devait pas se mettre dans un tel état. Mais la vérité était qu'il se souvenait un peu trop bien de ce qu'il avait vécu avec Chan, et ce n'était pas normal.

— Hé, Minho !

Son cœur s'emballa dangereusement. Avant même qu'il n'ait pu lancer la musique, il l'avait entendu, et il pouvait reconnaître cette voix entre mille. Il n'ôta pas ses écouteurs et continua son chemin. S'arrêter n'était pas une bonne idée. Il devait avancer, sans se soucier de Chan. Sans se soucier de cette présence bien trop forte qui se tenait désormais à ses côtés. Il fit encore quelques pas avant de se stopper net.

— Salut, lança Chan d'un air enjoué.

Minho cligna des yeux sans rien répondre.

— T'es pas en train de manger ?

— Et toi ? rétorqua-t-il d'une voix neutre.

— J'ai déjeuné en avance, je finissais à onze heures trente.

Un silence prit place durant lequel Minho s'efforça de détourner le regard. Il n'avait pas envie de plonger dans celui de son ex petit ami. Il ne connaissait que trop bien sa façon de procéder, son air de chien battu qui cherchait juste à s'attirer de la pitié. Chan n'avait aucune dignité quand il voulait obtenir quelque chose, quitte à se faire passer pour un malheureux.

— Et tu veux quoi ?

— Qu'on parle un peu toi et moi.

Minho expira par le nez.

— J'ai rien à te dire, dit-il en se remettant en route.

— Allez, fais pas de manières.

Il s'arrêta à nouveau pour le dévisager.

— Qu'est-ce que tu veux vraiment ?

— Je te l'ai dit, qu'on discute.

Pourquoi s'obstinait-il à lui poser cette question ? Il aurait seulement dû l'ignorer au lieu de lui accorder l'attention qu'il attendait. Il devait mettre un terme à tout ça, et vite.

— Et moi je t'ai dit non. Respecte-moi pour une fois, montre que t'es devenu un peu plus mature.

— Justement, je…

Minho n'attendit pas qu'il continue et il lança la musique avant de partir. Il laissa Chan derrière lui et ne prit même pas la peine de se retourner. Il pouvait facilement imaginer son expression décontenancée, les bras le long de son corps tandis qu'il l'observait s'éloigner. Et il se sentit presque victorieux sur ce coup. Il n'avait pas cédé et lui avait tenu tête. Mais dans son corps avait lieu une véritable guerre. Son cœur tambourinait avec force dans sa poitrine et son estomac se tordait délicieusement suite aux souvenirs que ce nouveau face-à-face avait fait remonter. Il avait dû lutter pour ne pas flancher devant Chan, pour ne pas se liquéfier sous la tension insoutenable qui prenait place lorsqu'ils se retrouvaient à proximité. Il sentait toujours ce petit quelque chose qui les liait et ça le terrifiait.

Il ne voulait pas retomber pour lui. Il ne pouvait pas. Sa première peine de cœur avait été trop intense pour qu'il permette à celui qui en était à l'origine de revenir dans sa vie comme si rien ne s'était passé. Il aurait pu écouter ce qu'il avait à dire, mais c'était déjà trop. C'était le laisser s'infiltrer dans une faille qui n'avait pas encore eu le temps de se refermer. Et ça, Minho refusait en bloc.

À force de marcher d'un pas rapide, il se retrouva à l'autre bout du campus et décida de faire demi-tour. Il pria de toutes ses forces pour ne pas croiser Chan, et il sembla que ses prières furent exaucées puisqu'il revint près de la cafétéria sans encombre. Pile à cet instant, ses deux amis sortirent du bâtiment.

— On t'a pris un petit truc à grignoter pour l'après-midi.

Hyunjin lui tendit un petit sachet de pommes coupées en quartiers ainsi qu'une bouteille de thé glacé. Minho les remercia d'une petite voix et saisit l'encas pour le mettre dans son sac.

— T'es trop tendu en ce moment, fit remarquer Changbin. Faut sortir un peu la tête de tes cours, ça commence à te rendre barge je crois.

Minho lâcha un soupir. Si seulement il n'était question que de ça… Mais c'était bien plus profond et il ne pouvait pas leur en parler. Comment pouvait-il expliquer que Chan était son ex petit ami et qu'il ne cessait de penser à lui ? Il aurait pu, mais c'était encore lui accorder trop d'importance que de dévoiler tout ça. Et puis il savait que ses amis prendraient un malin plaisir à le taquiner sur le sujet, et il n'avait pas besoin de ça. Il se faisait assez de mal tout seul.

— Y'a une soirée chez Felix demain, tu sais le gars qui est en design intérieur ? Il nous a proposé de venir tout à l'heure, alors si ça te dit…

— Hm, je sais pas.

— Allez, Minho ! le supplia Hyunjin. Ça fait longtemps qu'on est pas sortis tous les trois, c'est l'occasion !

Il considéra la question un instant. Il ne pouvait pas nier qu'en ce moment, il n'accordait que très peu de temps à sa vie sociale et que les révisions commençaient à lui peser. Ses semaines se résumaient à se rendre à l'université, passer du temps à la bibliothèque, puis rentrer chez lui pour s'enfiler un paquet de nouilles instantanées tout en continuant de revoir ses cours. Il pouvait bien lâcher du lest pour une fois, ça ne pouvait lui faire que du bien. Il soupira.

— D'accord…

— Ah ! Tu vois quand tu veux !

Changbin lui asséna un petit coup de poing dans le bras et Minho s'empressa de se le masser. Il ne sentait vraiment pas sa force.

— Tu vas peut-être te trouver un petit gars intéressant.

Il grimaça et leva les yeux au ciel. Il ne fallait pas lui parler de relation en ce moment, qu'elles soient sérieuses ou simplement d'une nuit. Il n'était pas certain d'en avoir envie, même s'il pouvait parfois ressentir le besoin de recevoir de l'affection ou quelques caresses intimes. Ce n'était pas sa priorité, surtout pas en ce moment où Chan était miraculeusement réapparu dans sa vie pour tout bousculer.

— Allez, tu vas pas me dire que ça te ferait pas plaisir ? Depuis combien de temps t'as pas baisé ?

Il fusilla Hyunjin du regard, la mâchoire crispée.

— Est-ce que ça te regarde en fait ?

— Je m'inquiète pour ta sexualité.

Minho souffla bruyamment et tourna les talons. Ce n'était pas le genre de discussion qu'il avait envie d'avoir là, juste avant de retourner en cours. Il n'allait pas tout dire de sa vie privée non plus. Il n'allait pas dire que ça faisait plus de trois mois qu'il n'avait pas goûté aux plaisirs de la chair, même si ses amis s'en doutaient. Il aimait rester secret sur ce point, comme s'il avait une part de mystère à entretenir.

— Allez, fais pas la gueule ! s'exclama Hyunjin tandis qu'ils avançaient dans le couloir.

— Je viens déjà à cette soirée, rétorqua Minho en s'arrêtant brusquement, qu'est-ce que tu veux de plus ?

— Oh, c'est bon… Je voulais pas te vexer.

— T'es chiant aussi à forcer, fit remarquer Changbin. Il a pas envie de parler de cul, laisse-le.

Hyunjin marmonna dans ses dents avant de s'appuyer dos au mur, les bras croisés contre son torse. Minho l'imita. Peu à peu le couloir se remplit et ils décidèrent d'entrer dans leur salle de cours pour s'installer. Encore une fois, écouter et prendre des notes n'allait pas être chose facile. Si Chan continuait à hanter ses pensées, Minho allait devenir fou.