Lettre du 6 décembre 1936
6 décembre 1936
My love,
Ceci est ma dernière lettre avant nos retrouvailles et même si je ne passerai que quelques jours chez nous, j'envie déjà ces instants. Je t'attendrai dans le lieu habituel et, pour réchauffer mon corps glacé par l'hiver anglais, j'allumerai un feu qui projettera des ombres dansantes sur les murs, mais ce ne sera que lorsque je sentirai tes lèvres contre les miennes et ton corps contre le mien que je cesserai d'être transi.
Et, après m'être repu de ton corps, j'irai admirer les étoiles ; à Paris, la lumière des réverbères noie leur éclat et la nuit n'est jamais noire, et tu viendras me rejoindre, torse et pieds nus dans la neige, pour me convaincre de rentrer.
J'ai tellement hâte de te voir que je préfère changer de sujet, je suis trop fébrile et agité lorsque j'y pense.
Alors parlons d'autre chose, comme de la famille qui vient de s'installer dans l'appartement en-dessous du mien. Je les ai aidés à monter leurs affaires le week-end dernier et ils ont accepté, plus par politesse que par réelle nécessité car ils n'avaient presque rien. A peine deux malles et trois valises pour transporter toute leur vie alors qu'ils sont sept, bientôt huit.
La femme, pour me remercier, m'a offert une part de gâteau au miel et aux épices que j'ai dégustée assis par terre. Elle avait l'air désolé de ne pas pouvoir m'offrir plus de confort mais je lui ai fait comprendre que cela m'importait peu.
J'ai aussi appris par ma logeuse qu'ils étaient allemands mais que les parents de l'épouse étaient français, sûrement la raison pour laquelle même leur plus jeune enfant parle aussi bien la langue de ce pays.
En revanche, elle n'a rien voulu me dire sur les raisons les ayant poussés à fuir leur pays mais, à cause de sa main s'étant portée nerveusement à son étoile de David, j'ai compris qu'ils devaient certainement être juifs.
Très peu d'informations filtrent dans les journaux : une phrase antisémite lâchée au détour d'un discours, le rapport d'une agression dans la capitale allemande ; non, vraiment, les quotidiens ne disent presque rien et il faut souvent lire entre les lignes pour découvrir dans les propos du Führer des allusions contre cette religion.
Certains pensent que ceux qui quittent l'Allemagne préventivement sont trop paranoïaques, qu'ils voient le mal là où il n'y a rien mais moi je suis plutôt de ceux qui pensent que les journaux se concentrent sur les informations qu'ils jugent plus importantes, comme la guerre en Espagne. Mais cela ne veut pas dire qu'il ne se passe rien.
J'espère pour eux que ce n'est que de la méfiance mal placée et qu'ils pourront très vite rentrer dans leur pays et retrouver leur ancienne vie. Et si, dans les mois à venir, la situation venait à s'aggraver pour les membres de cette religion alors j'espère qu'ils trouveront en France la sécurité qu'ils espèrent.
Par contre, à défaut d'écrire sur l'antisémitisme sous-jacent, la presse s'en donne à cœur joie avec notre pays et plus particulièrement avec notre, peut-être bientôt ancien, roi. Je n'aime pas la politique et d'ordinaire je ne lis que ces colonnes en travers, surtout que je ne connais pas grand-chose aux histoires de l'état français. Mais là, il s'agit de notre roi et de sa peut-être prochaine abdication. Et tout ça à cause d'une femme. Néanmoins, s'il le faisait, s'il décidait réellement de quitter le trône et la tête d'une des nations les plus puissantes d'Europe pour les bras d'une femme, je ne pourrais m'empêcher d'applaudir car il faudrait une sacrée dose de courage, ou d'inconscience, pour faire ce choix allant, pour certains, contre la logique.
Je suis donc l'histoire chaque matin en prenant mon petit-déjeuner mais sans non plus me plonger corps et âme dedans comme doit le faire ma mère, elle adore les histoires concernant la famille royale et, plus largement, les célébrités.
Que te dire d'autre à part cela ? Ah oui, je suis allé au cinéma il y a quelques jours. En soi, cela n'a rien d'étonnant, je m'y rends de temps en temps, lorsque l'affiche d'un film ou son titre attire particulièrement mon regard mais d'ordinaire j'y vais seul. Pas là. Enfin si, lorsque je suis arrivé devant le cinéma, il n'y avait personne avec moi mais, alors que l'ouvreuse contrôlait mon billet, quelqu'un m'a touché l'épaule, très brièvement mais assez pour me mettre mal à l'aise.
C'était un étudiant que j'avais déjà vu dans les amphithéâtres. Il était accompagné de trois autres hommes que je me souvenais avoir vus assis derrière moi en cours. Ils m'ont proposé de venir m'assoir avec eux au lieu de regarder le film seul et j'ai accepté.
Hélas, le lendemain matin, lorsque je les ai vus en train de parler et de fumer avant le début d'un cours, je n'ai pas réussi à venir leur parler, ils avaient l'air tellement soudés, complets que je n'ai pas osé m'aventurer dans leur petit groupe. Néanmoins, ils m'ont salué lorsqu'ils sont venus s'assoir derrière moi alors peut-être reste-t-il une place pour une autre personne, finalement.
Je sais que dans ta prochaine lettre tu me pousseras à aller leur parler alors je vais anticiper et commencer à envisager la possibilité de cette discussion.
Celui avec qui je n'échange pas un mot non plus, c'est Louis.
Je suis désolé de te parler encore de lui, ta dernière lettre était plutôt explicite sur tes craintes à son égard et je tiens à te rassurer, comme je l'ai marqué juste au-dessus, nous ne nous adressons même pas la parole durant le travail, sauf pour ce qui a justement rapport avec le travail. Et je peux également t'affirmer que cette froideur ne cache rien et surtout pas quelques sentiments amoureux. Et puis, même si c'était le cas, je saurais le remettre à sa place en douceur en lui faisant clairement comprendre que je suis déjà engagé dans une relation et que, de toute façon, il ne me plaît pas le moins du monde.
Et je ne dis pas ça pour te rassurer, crois-moi. Dans quelques années, Louis sera certainement un très bel homme, pour l'instant sa silhouette gracile se prête plus au terme de joli, néanmoins je ne retrouve chez lui aucun des éléments qui m'avaient attiré chez toi.
Tu vois, tu n'as rien à craindre de cet enfant.
Néanmoins, ce silence me pèse et j'aimerais le voir se transformer, si ce n'est en camaraderie, au moins en une relation de travail normale. Tous les autres duos parlent et rient en s'attelant à la tâche, il n'y a que Louis et moi qui installons les étals en nous regardant à peine.
L'autre jour, j'ai essayé d'en savoir un peu plus et me suis servi de son sac comme prétexte pour lui demander s'il allait à l'école, collège ou lycée, qu'importe, après le travail comme le font certains, comme je le fais moi. Hélas, le « non » n'appelant aucune réponse qui franchit ses lèvres tua la conversation dans l'œuf.
Je ne saurais te dire pourquoi ce mutisme m'ennuie autant, peut–être parce que je ne suis pas habitué à être celui qui cherche à nouer un contact, je ne sais pas. J'aimerais te demander des conseils mais je doute que tu aies envie que je me rapproche de lui alors je vais te faire grâce et te dire au revoir.
Je t'embrasse par courrier interposé, faute de pouvoir déjà le faire en vrai.
Sean O.
J'avais complétement oublié que c'était dans cette lettre que j'introduisais les camarades de classe de Sean :O
Pour la famille qui vient de s'installer ( c'est encore plus long à écrire que l'amant de Sean XD) et le fait qu'il n'y presque aucune trace d'antisémitisme dans les journaux et bien c'est vrai. Lorsque je les lisais à la biblio il fallait vraiment lire en les lignes des discours d'Hitler pour comprendre qu'il visait les juifs et la plus part du temps c'était surtout sur les communistes que crachait ce bon monsieur.
Sinon si vous aimez la SF n'hésitez pas à me donner votre avis sur mon autre roman: Nouvelle Terre :)
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