Lettre du 5 janvier 1937
5 janvier 1937
My love,
Ceci est ma première lettre depuis notre séparation. Assis dans le train, les yeux fermés et la tête appuyée contre la vitre glacée, j'ai longtemps conservé derrière mes paupières closes le souvenir de ta silhouette me disant au revoir sur le quai de la gare. Tu n'as pas pu m'embrasser, il y avait trop de monde ; et même s'il n'y avait eu personne, tu ne l'aurais pas fait. A la place tu m'as maladroitement tapé sur l'épaule avant de bredouiller, gêné, un au revoir quelque peu étouffé par ton écharpe de laine.
Déjà cinq jours, presque une semaine, que je t'ai laissé sur le quai et pourtant je me souviens encore de tous les détails. Je peux même sentir comme une chaleur fantôme sur ma peau, à l'endroit où ta main m'a touché pour me dire au revoir.
Ces vacances et ces fêtes de fin d'année furent parmi les plus belles de mon existence. Lorsque j'ai passé la porte de la maison, c'est drôle, c'était comme si mon absence avait comme par magie gommé tous les défauts que mes frères et mon père avaient toujours vu en moi. Il a même jeté un vague regard à mes feuilles de cours un soir que je révisais devant le feu et, même s'il s'est vite détourné en grommelant dans sa barbe, il n'est pas parti comme à son habitude dans une longue tirade prouvant à démontrer de manière quasi-scientifique que les études sont une perte de temps et de moyens.
Je crois qu'il s'est enfin fait à l'idée que son fils aîné ne passera pas sa vie les mains dans le purin mais la tête et le cœur dans les livres. Peut-être se dit-il aussi qu'il lui reste mes frères. Aucune chance que ces deux lourdauds se soustraient au métier familial, cela doit être rassurant pour lui.
J'ai aussi été ravi de revoir ta mère. Embellie par la grossesse, elle fait soudainement moins que son âge, et je suis heureux que mon cadeau pour la naissance lui ait plu, même s'il est arrivé bien avant le bébé. Étrangement, elle a semblé fascinée par mes études et n'a pas arrêté de me poser des questions pendant que tu aidais ton père. Je crois maintenant savoir de qui tu tiens ton goût secret pour la littérature.
Et te revoir, toi, après presque cinq mois de séparation... Revenir dans ma famille, dans mon ancienne vie, cela, malgré tout ce que j'ai pu dire, cela a fait tressauter mon cœur de joie. Mais te revoir, toi, ce fut comme si j'avais posé mes mains glacées par une longue marche dans la neige sur une tasse de thé brûlante. J'ai peu à peu senti la vie revenir dans mon corps, comme si, pareil à la tasse de thé, tu me communiquais une chaleur presque vitale.
Lorsque je me suis réveillé à tes côtés le matin de nos retrouvailles, j'étais si bien. J'entendais le vent siffler dehors et je savais qu'il faisait un froid glacial dans la bergerie abandonnée pour l'hiver, et pourtant je me sentais bien, près de toi. Ton corps, enroulé contre le mien, me réchauffait, m'empêchant de trembler et j'avais la curieuse impression que mon corps ne comportait plus aucun os. Alangui. C'est cela. J'étais alangui contre toi dans une chaleur et une proximité réconfortante.
Et maintenant je suis de retour chez moi et j'ai beau allumer le poêle et me blottir sous une pile de couvertures, je ne retrouve pas ce que j'ai ressenti ce matin-là. Mais c'est un substitut plutôt efficace que je t'ai dérobé avant de partir, lorsque j'étais venu dire au revoir à ta mère ; ton oreiller, et aujourd'hui encore il porte ton odeur.
D'ailleurs tu l'as certainement cherché partout, peut-être même as-tu accusé tes sœurs, les pauvres petites. Mais je trouvais cela tellement ridicule. Avec mon cœur battant la chamade et mes joues rougies, j'avais l'impression honteuse d'être l'une des héroïnes de ces romans que ma sœur a commencé à lire en cachette en mon absence. Une de ces petites sottes en robe froufroutante battant des cils devant un bel inconnu et minaudant en tortillant leurs cheveux. Et pourtant je suis presque sûr d'être un homme.
Les cours reprendront demain mais je n'aurais pas les résultats de mes examens avant le début du mois prochain. J'ai quelques appréhensions mais je pense que cela devrait aller, surtout en littérature classique où le sujet semblait avoir été fait pour moi. Je sais que si tu étais là avec moi, tu me dirais de ne pas m'inquiéter, peut-être même me ferais-tu l'amour pour me distraire de tout ces problèmes bien terre-à-terre.
Déjà lorsqu'on était gamins tu préférais le langage du corps à celui des mots. Je me souviens des sorties d'école où je pleurais à cause de gamins s'étant moqués de moi ou m'ayant frappé. Toi, tu ne m'as jamais réconforté, par contre tu me donnais des petites tapes sur les épaules et le dos ou me tendais un mouchoir. Et je comprenais. Même lorsque tu m'as avoué tes sentiments tu n'as pas prononcé un mot, te contentant de coller ta bouche à la mienne, sans prévenir. Pas étonnant qu'à l'époque ma main ait filé si vite vers ton visage.
D'ailleurs, en parlant d'amour d'enfant, je crois que quelque chose se trame dans le cœur d'un de mes jeunes voisins du dessous. J'ai été assez surpris lorsqu'en ouvrant la porte hier j'ai surpris le puîné de la famille, un garçon d'environ une dizaine d'années, sur mon paillasson. Il tordait sa casquette d'un air nerveux et, semblant sur le point de défaillir, m'a demandé d'une petite voix si je pouvais lui apprendre quelques mots en anglais. Lorsque je lui ai demandé lesquels, il m'a d'abord répondu les phrases habituelles, « je m'appelle », « je viens d'Allemagne », etc., avant de dire d'une voix qui avait encore faibli :
« Ou par exemple je t'aime ».
Il a ensuite bredouillé que ce n'était qu'un exemple avant de s'enfuir en courant. Certainement jusqu'à chez lui.
Je suis passé voir son père juste avant d'écrire cette lettre et, sans lui révéler ni la gêne de son fils ni la vraisemblable réelle raison de sa demande, je lui ai rapporté dans des termes un peu différents la conversation que j'avais eue avec son fils. L'affaire est maintenant conclue, je viendrais lui donner des petits cours deux fois par semaine, si cela peut l'aider à communiquer avec sa possible amoureuse venue d'Outre-Manche, moi cela me va.
En fait il m'a un peu fait penser à moi quand j'avais son âge, sauf que ce n'était pas alors la barrière de la langue qui me séparait de toi mais celle des conventions. Mais, heureusement, elle fut plus facile à briser que ce que j'aurais pu croire.
J'aimerais t'écrire encore et encore, noircir assez de feuilles de papier pour en faire une pile montant jusqu'au soleil. Mais il se fait tard, c'est l'astre de la nuit qui brille en ce moment dans le ciel et je commence à être fatigué. Parfois mes yeux se ferment sans même que je le leur ordonne et ma plume tremble dans ma main. Je crois qu'il est venu le temps de te dire au revoir.
Je t'aime et je t'embrasse, et dire qu'il y a à peine cinq petits jours je le faisais en vrai.
Sean O.
Hello!
Une lettre assez courte, comme la précédente, et qui referme le petit voyage de Sean chez sa famille.
Le petit garçon, son voisin, reviendra régulièrement alors j'espère que vous ne l'avez pas en grippe!
A la semaine prochaine!! :)
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