Morgane regarda Pandora avec de grands yeux, figée. Les yeux colériques de Pandora, une lueur qu'elle n'avait jamais vu à l'intérieur grandissait. Même dans les pires disputes entre elles deux, jamais elle n'avait remarqué cette colère froide et si ardente, si âpre et désagréable.

Un étrange sentiment remua en elle, alors que Pandora déclarait face aux deux personnes en face d'elle, d'un ton qui montait peu à peu dans les aigus.

- Une horrible personne. Voilà ce que tu es.

- Pourquoi tu dis ça ? dit la brune, la voix réduite à une murmure tant elle était heurtée par ses propos.

Chaque mots qui sortirent de sa bouche venaient directement soulever une certaine dalle de la rue pavée de son cœur, pour y poser là une bombe qui explosait sans attendre. De l'extérieur, pourtant, Morgane ne semblait pas tellement s'en soucier. Elle croisa les bras.

- Je t'ai dit d'aller voir un psy, tu n'as pas voulu. Un médecin, non plus. Tu préfères te démerder seule tout les soirs, et me laisser le soin à moi de recoller les morceaux, de me réveiller pour calmer tes... Crises étranges, de ne même pas comprendre ce qui te fait tant peur. Tu préfères ne pas te remettre en question et laisser le soin à une personne qui t'aime de le faire à ta place, pour que ça soit moins douloureux.

Valentin, l'air gêné, avait très envie de partir. Cette dispute de couple ne le concernait pas, après tout, et les voir s'embrouiller ainsi n'était pas très plaisant. Mais Pandora parlait fort et on pouvait l'entendre dans tout l'appartement. Fuir n'aurait pas servi à grand-chose, et de toute façon, la machine à coudre de l'homme était posée sur la table et il en avait besoin. Il la prit donc et continua de coudre un bout de tissus.

- Pandora, qu'est-ce qu'il se passe, bordel ?

- Et moi, dit Pandora, dont la voix était maintenant perçante. J'ai droit à quoi ? Qu'est-ce que j'ai en contrepartie pour ce que je fais pour toi ? Rien.

Morgane la regarda, complètement sous le choc, puis regarda leur Mentor, essayant de le consulter du regard, mais il les ignora superbement.

- Moi j'ai droit à un comportement de merde, des promesses en l'air et des amitiés brisées. Par ta faute !

- Tu parles de Cassiopée ?

- Oui ! A chaque fois je te demande de faire des efforts et tu es trop égoïste pour voir que j'ai besoin de toi, que tu n'es pas la seule à avoir du mal à...

La voix de Pandora se brisa, et elle baissa soudain les yeux. D'un geste brutal, mais mesuré, elle sortit de sa poche leur briquet commun. L'éclat du petit dragon forgé brilla dans les yeux de la brune, qui le contempla silencieusement. Elle actionna le mécanisme et une flamme brilla, entre elles.

- Gabriel est aussi mort sous mes yeux.

Elle posa le briquet sur la table, avec plus de douceur qu'elle n'en avait fait preuve auparavant, puis elle regarda MOrgane avec un regard indéchiffrable, mais plein de colère.

- Tu ne penses qu'à toi.

- Moi, penser tout le temps à moi ? Je ne comprend pas.

- Parce que bien évidemment, tu ne t'es pas posé la question, renifla Pandora avec une pointe de mépris dans la voix. Mais tu sais quoi ? J'ai compris quelque chose hier soir.

- Tu as compris quelque chose ?

La voix de Cassiopée retentit comme un écho à celle de Pandora. La magnifique jeune femme se présenta derrière son amie. Ses cheveux étaient retenus en un épais chignon -ne laissant que deux mèches se balader devant ses yeux-, et elle regarda Morgane de ses yeux de sirène. En posant une main maternelle sur l'épaule de Pandora, elle les regarda avec un petit sourire confiant aux lèvres.

- Oh, charmant briquet. Je peux l'utili-

- Non, répondirent simultanément Pandora et Morgane, sans se quitter des yeux.

Visiblement déçue, Cassiopée posa son menton sur la carrure de la blonde et déclara:

- On peut savoir ce qu'il se passe, ici ?

- Tu veux que je t'expliques ? dit Pandora, les dents serrées.

- J'aimerais bien comprendre ce soudain accès de colère, oui, dit Morgane en fronçant les sourcils.

- Hier soir, Morgane fait un cauchemar. Je commence à prendre l'habitude. Je me réveille, je la calme. Elle est bouillante, donc je la déshabille un peu.

Morgane regarda Pandora soudainement, une moue horrifiée sur son visage. Elle venait de comprendre quelque chose, et cela ne lui plaisait pas. Elle serra les manches de son long pull, la laissant continuer.

- Je découvre des bleus. Des putains de bleus, partout. Bras, ventre... On aurait dit des suçons, mais c'était enflé comme pas possible. Des BLEUS, dit Pandora, criant d'une rage incontrôlée.

- Des bleus ? Je me disais bien que gros ours ne mettait pas de choses aussi longues à cette période de l'année.

Cassiopée ne lâcha pas son sourire suffisant, en s'interposant entre elles, et de tirer sèchement sur la manche de Morgane pour la relever. Par l'effet de surprise, la brune n'eut pas le temps de se protéger, et son poignet fut exposé à la vue des deux blondes.

Les yeux de Pandora se remplirent de larmes lorsqu'elle vit la marque violette de quatre doigts, sur sa peau. Les doigts de Dimitri, il y a quelques temps. Elle regarda Cassiopée, puis sa petite amie, l'air choquée.

- Voilà. Voilà ce que j'ai vu, Cassy.

Morgane dégagea sa manche avec violence, avant de s'approcher de Cassiopée, l'obligeant à reculer. La blonde aux cheveux bouclés dût lever le regard pour croiser celui, mortel, de son ennemie. Le petit sourire sur ses lèvres se dissipa un peu, mais elle déclara tranquillement:

- J'avoue que j'ai aussi du mal à comprendre. Au début, je savais qu'il y avait un problème. Peut-être que tu trompais Pandora avec le petit électricien, ou que tu voyais ailleurs. Ca expliquait ta "pudeur" soudaine avec elle. Mais maintenant que je vois ça... Pourquoi tu fais ça ?

- Mais qu'est ce qu'il se passe, Morgane ?

La voix de Pandora venait de se briser, et elle explosa en sanglots. Les yeux bruns des deux jeunes femmes se posèrent sur elle, alors qu'elle semblait s'écrouler mentalement. Morgane fut surprise de l'état dans lequel elle était, et se figea. Voir sa petite amie aussi mal écrabouilla au plus profond de son être son cœur. Elle aurait voulu aller la voir, la prendre dans ses bras et la consoler tant qu'elle pouvait seulement... Ce serpent, qu'était Cassiopée se trouvait entre elles deux.

- Je crois que nous attendons des explications. Et des excuses.

- Des explications, murmura Morgane.

Elle se racla la gorge, avant de fixer Cassiopée avec un air méprisant.

- Je crois c'est plutôt qui devrait m'en faire maintenant.

- Quoi ? renifla Pandora en essuyant ses larmes, qui dévalaient ses joues.

- Pourquoi ? POURQUOI tu es devenue amie avec cette sorcière ? Regarde la. Un piège à mec, sans sentiments et sans morale. Une folle sanguinaire, une pro de la mort. Quand on l'a connue, elle voulait nous tuer, Pandora ! Elle voulait me trancher la gorge, parce que cette cinglée croit que ça va venger son gars ! Et toi, au lieu de te dire "d'accord, cette fille a un pet au casque" t'es complètement tombée amoureuse, et tu l'as trainée avec nous.

Cassiopée croisa les bras, avant de nettoyer ses ongles lascivement, l'air ennuyée par ce que disait la brune. Pourtant, l'autre blonde écoutait très attentivement, ses grands yeux larmoyants passant de l'une à l'autre.

- Je ne suis pas en train de dire que c'est ta faute. Mais elle n'a pas sa place ici. Elle n'a pas sa place entre nous ! C'est à cause d'elle que tout-

- Je crois que tu changes de sujet, dit Cassiopée en plissant les yeux. D'où viennent ces bleus ?

- J'y viens. Ta gueule, Price.

- Ta gueule, Clay.

- Je vais te dire tout ce que je fais pour toi. Tout ce que tu ne vois pas. Alors quand tu dis que je suis égoïste, j'ai du mal à l'entendre.

- Tu... Tu es égoïste, sanglota Pandora en couvrant son visage de ses mains, l'air visiblement accablée.

Morgane sentit le sang lui monter à la tête alors qu'elle répliquait d'un ton venimeux:

- Tu ne sais pas ce qui se passait ces derniers temps. J'ai fait ce que je pouvais pour te protéger.

La blonde s'était assise, et essayait de cacher les tremblements nerveux de ses mains, qu'elle tripotait en l'écoutant. Cassiopée rit froidement:

- Bien joué, génie. Tu as tout fait sauf mettre en confiance ta meuf.

- Je te jure que si tu dis un mot de plus, je te casse la gueule.

- Morgane, dit Valentin, la voix étouffée par l'effort.

Il avait été si silencieux que tout le monde avait oublié qu'il était là, derrière Morgane. Ainsi, la brune regarda le serpent des pieds jusqu'à la tête, avant d'obéir à Valentin et à renoncer à la frapper. Elle s'adressa à sa petite amie:

- Je... Ne sais pas ce qu'il se passe. Mais les Rebelles de Panem me veulent. Ils ont besoin de moi. Evidemment, j'ai refusé, dit-il en voyant l'air rebuté des deux blondes. Mais un de leurs gars venait et me le faisait payer. Passage à tabac. Et je ne peux pas t'en parler parce qu'il est là.

- Il est... Là ? dit Pandora d'un air incrédule, et suspicieux. Morgane...

- C'est Dimitri Vlaskoff. Ce gars est un Rebelle, dit Morgane en déglutissant.

Valentin s'était relevé, derrière elles, et les dévisageait avec une expression d'incrédulité.

- Pardon ?!

- Mais quelle idiotie.

Cassiopée regarda Morgane avec scepticisme. Elle s'esclaffa d'un rire communicatif, qui fit apparaitre un sourire sur le visage de Pandora, dévastée.

- Ce gars est un de tes amis. Qu'est-ce que tu racontes ? C'est impossible, un Rebelle ici ? Ce sont des gens horribles, on les aurait vu...

Elle fit semblant de vomir, et Valentin rit un peu, avant de dire, plus détendu:

- Je crois que tu devrais mieux t'expliquer, Morgane. Il me semble que tu dois te méprendre.

Morgane se tourna vers son Mentor, et son souffle s'accéléra. Il ne la croyait pas. Ils ne la croyaient pas, tous autant qu'ils étaient. Pourquoi n'avait-elle pas vu plus tôt l'espèce de fil qui séparait Pandora d'elle ? Avant, elles se seraient comprises, entendues et crues.

- Je... murmura Morgane, atterrée. Vous êtes sérieux ? Je suis en train... De vous dire ce qui arrive, justement ! Pourquoi vous réagissez comme ça ?

Elle releva ses manches, mais ne vit pas de réaction de la part de Cassiopée, qui la regardait toujours en ricanant, les bras croisés sur sa poitrine. Elle jeta un regard plein de détresse à Valentin, mais celui-ci restait impassible, ne regardant même pas ses bras striés de blessures. Peu à peu, son infortune se mua en colère et elle dit d'un ton énervé:

- Mais vous êtes tous des gros connards en fait ! Vous êtes des imbéciles sans émotions, c'est ça ?

- Dit-elle.

Les quelques mots de Cassiopée firent exploser Morgane. Ivre de douleur et de colère, elle s'empara d'une chaise avec tant d'agressivité que Pandora poussa un petit couinement de peur, et se protégea les yeux de ses mains alors que la jeune femme éclatait le bois par terre dans un grand fracas. Des copeaux de bois se fichèrent dans sa peau, mais elle n'en prit pas compte.

- TA GUEULE !

- Mais calmes toi ! dit Valentin, d'une voix stressée.

- Non. Non, je ne me calmerais pas. J'ai trop longtemps retenu ce que je ressentais. Je me suis toujours tue pour vous protéger, bande de cons.

Pandora resta recroquevillée, sans la regarder, encore secouée par le choc de la chaise pas loin de la propre chaise où elle était assise.

- Toute la sainte journée, moi je m'occupe d'être avec vous la personne la plus avenante que je puisse. Je supporte les caméras pour toi, Pandora, alors que tu sais que je déteste tout ces gens. Je déteste tout ici. Je déteste le Capitole, je déteste Kaloss, je déteste Cassiopée, je déteste Iris... Je te déteste, Pandora. Pourquoi tu ne fais jamais attention à ce que je ressens, moi aussi. Pourquoi tu ne prends jamais soin de mes combats ?!

- Mais comment peux-tu dire ça ! dit Pandora en se relevant, comme sur un ressort, l'air furieuse. Comment peux-tu affirmer quelque chose d'aussi faux !

- Et maintenant, je t'avoue que j'ai peur, peur pour toi ! Parce que les Rebelles me tiennent et que j'ai peur qu'ils te fassent du mal. Et vous ne me croyez même pas ! Vous ne croyez pas ce que je vous dit, nan mais c'est la meilleure.

Morgane parlait difficilement, tant sa gorge était serrée.

- Dimitri est un Rebelle. Bordel, je vous déteste tous.

Elle s'avança vers Pandora, qui se recroquevilla sur elle-même. Le regard de Morgane lançait des éclairs, et les muscles saillants sur ses bras n'en étaient que plus effrayants. Peut-être qu'elle allait se baisser pour prendre le col de la blonde, et l'envoyer valser en l'air comme la chaise... Quand Pandora Lane releva les yeux, elle vit que Morgane était passée derrière elle, et forçait la poignée de la chambre de Dimitri.

Valentin s'était levé, alarmé:

- Que fais-tu ?!

La porte céda et Morgane s'y engouffra à pas décidés, avant d'en ressortir avec un objet.

C'était un grand rond de bois, de la taille d'une main. Cela semblait fait à la main, avec deux trous cernés de peinture rouge. Deux oreilles, un museau... Un masque de chien, ou un loup. Pandora avait une étrange impression de déjà-vu. Oui, c'était ce genre de masque qui passait aux informations, à la télévision.

"Avez-vous vu une personne portant un emblème de Loup ? Si tel est le cas, alertez le Capitole, ce sont de dangereux individus."

Elle frissonna mais c'était Cassiopée qui s'écriait, visiblement surprise:

- C'est un masque de l'organisation de la Louve ! Qu'est-ce qu'il fait ici ?

- C'est un rebelle, dit Morgane avec une fureur débridée. Espèce d'inconscients. Vous avez cohabité avec lui ! Voilà ! Voilà ce dont je vous protégeait.

Elle lança le masque avec force sur la blonde aux yeux foncés, qui couina de douleur, ne s'attendant pas à cela. Ne se souciant pas de l'air scandalisé de Valentin, elle laissa libre court à sa douleur.

- Vous êtes tous des gros cons. Egoïstes. Faibles. Allez vous faire foutre, tous. Surtout toi, Pandora.

Elle fit volt-face, avant de regarder Valentin, et déclara entre ses dents, à son intention:

- Tu sais, ils voulaient que je devienne une rebelle. Ils voulaient que je soies de leur camp, en employant la force. J'ai souffert, bordel. J'ai souffert et tu ne m'as pas aidé. Tu n'as ni été un Mentor, ni un grand frère pour moi. Iris, si, alors qu'elle ne me connaissait même pas. Va te faire foutre, Valentin.

- Morgane ! dit Pandora d'un air désespéré.

- Ta gueule, Pandora Lane. A partir de maintenant, vous savez quoi ? Je vais devenir une rebelle. Je vais leur donner ce qu'ils voulaient.

Et Morgane Clay posa sur son visage le masque de loup, qui s'adaptait parfaitement aux formes de son visage. Au travers des trous dans le bois, elle vit les visages de Cassiopée, Valentin et Pandora s'effacer alors qu'elle sortait au pas de course de l'appartement.