✺Chapitre 12: Les démons de Morgane Clay
- Morgane...
Elle se tourna vers la provenance des voix, mais le vide lui répondit. Elle n'était à présent plus un corps mais un esprit, une âme errante dans un rêve sans lumière. Morgane était pratiquement sûre qu'elle n'avait pas quitté les montagnes et son corps de bergère, car le son des clochettes était encore plus présent qu'avant.
- Morgane...
Rien n'y faisait, elle avait beau chercher, les voix prenaient de l'ampleur et elle ne faisait que les subir. Peu à peu, c'était un vacarme qui occupait sa tête.
- Qui est là ? demanda-t-elle.
Ce fut soudain le corps de Gadjeel qu'elle tint dans ses bras. Elle était à nouveau une bergère, agenouillée au sol, devant le corps défiguré de la soeur de son ami. Son corps sans vie gisait dans l'herbe, des marques de coup sur les bras et le visage. Les coups de Morgane, bien sûr, celle-ci le savait parfaitement. Elle resta ainsi assise à côté d'elle, contemplant avec horreur son oeuvre.
Lorsqu'elle parvint à détacher ses yeux de sa victime et qu'elle releva la tête, elle sursauta de peur en voyant Gabriel, debout, devant elle et sa soeur jumelle. Ses habits étaient déchirés, souillés de boue et de sang. À la place de ses yeux se tenaient d'énormes crevasses abyssales d'où coulaient des flots de sang et de larmes et ses cheveux blancs étaient poisseux.
- Tu as tué ma soeur.
Morgane recula, comme s'il l'avait attaqué.
- Elle était innocente, Morgane.
La voix de plusieurs autres entités se mêlaient au vacarme. Les chèvres bêlaient comme si quelque chose les effrayaient, elles couraient en tout sens. Peu à peu, le soleil se couchait pour laisser place aux ombres.
- Tu as tué une innocente sans qu'elle n'aie rien fait. Elle n'a même pas pu se défendre, dit Gadjeel, sa bouche ensanglantée s'ouvrant pour dire ces mots.
Morgane se releva, le corps tremblant, et regarda tour à tour les jumeaux morts. Les yeux clos de Gadjeel semblaient pourtant être rivés sur elle, et les trous à la place des yeux de Gabriel enveloppaient la brune sans espoir de fuite.
- Vous êtes morts tout les deux, dit-elle, sans conviction.
- Tu nous as tué. Tu m'as mené à la mort, dit Gabriel, la voix hurlante de désespoir. Juste par jalousie.
- Je n'étais pas jalouse de toi.
Elle s'éloigna de quelques pas alors que les ombres se massaient autour d'eux. La litanie de Gabriel prenait de l'ampleur:
- Tu étais jalouse de moi et Pandora !
Morgane ne tint plus, et se retourna pour courir loin de ces deux cadavres. À peine traversa-t-elle la moitié du carré d'herbe dans lesquels ils se trouvaient qu'un fantôme apparut devant elle et la pointa du doigt:
- Morgane...
La fille avait de longs cheveux tressés attachés en une queue de cheval. Sa peau était originellement noire, mais avait comme déteint et présentait des aspects spectraux. Elle regardait Morgane d'un air vide, désespéré. Son plastron était doré, recouvrait son cou jusqu'au bas de son ventre, pourtant des blessures dépassaient de son armure et dégoulinaient encore, comme si elles ne dataient que d'hier.
- Rakia, du district 3, murmura Morgane.
- Tu m'as tuée, se lamenta la morte.
- Je n'avais pas le choix.
- Tu nous as tués, dit le fantôme du colosse blond, derrière Rakia.
Il présentait les mêmes blessures, les mêmes coups que Morgane leur avait infligés avant qu'ils décèdent de leurs blessures. Au milieu de la poitrine, il avait des dizaines de traces de couteau planté dans toute leur longueur. Il regardait Morgane avec son visage habituel: concentré et déterminé, mais dans tout cela ne résidait plus que la peur de sa tueuse.
- Tu as planté ta lame en nous comme un animal sauvage, dit-il d'une voix grave, presque gutturale.
- Tu as tué Gabriel. Tu as tué un coéquipier, un ami.
- Tu nous as tué.
Peu à peu, c'était des centaines d'ombres qui menaçaient Morgane. Elle tenta de les chasser avec son bâton de berger, acculée. Le brouhaha permanent lui vrillait les oreilles, elle n'en pouvait plus. Elle donna de grands coups dans le vide, bien plantée sur ses deux pieds. Rien ne faisait reculer les ombres, ni son grondement furieux ni le fait qu'elle repousse inutilement des fantômes intangibles.
- Laissez-moi ! LAISSEZ-MOI !
Morgane se réveilla en sursaut, les membres tremblants. Un sueur froide coulait sur son front, dans sa nuque et son dos. Ses yeux étaient écarquillés, elle fixait un point dans la pénombre de sa chambre. Elle poussa le drap loin de son corps moite, la terreur s'emparant de son corps. Comme un soupçon de paranoïa, elle regarda tout les recoins de la chambre, s'attendant à voir le corps de Gadjeel à un des interstices. Heureusement pour elle, elle eut beau fixer les ombres pour y déceler la trace d'une chèvre, il n'y avait rien. C'était bel et bien la réalité à laquelle elle faisait face. Elle se trouvait dans le train en direction du premier district, pour participer à la tournée de la Victoire. Elle passa une main dans ses cheveux collés par la sueur, un sanglot dans la voix. Elle avait du mal à reprendre son souffle, et se rendormir lui paraissait compliqué. Elle tourna la tête vers l'autre lit, en face de la pièce, où sa petite amie dormait tranquillement. Elle se leva, gauche, et marcha jusqu'à elle, avant de la regarder dormir.
Pandora était entourée du halo de ses cheveux blonds comme les blés, ses doux yeux fermés. Elle était paisiblement endormie, son corps vers le mur. Son souffle tranquille résonnait dans les oreilles de la brune, qui s'apaisa. Cette dernière souleva le drap et se glissa près d'elle, réprimant les larmes qui perlaient au coin de ses yeux. Pandora émit un son, se rendant compte que quelqu'un s'était allongé près d'elle, dans son dos.
Morgane hésita, mais se décida à passer ses mains autour de la taille de la jeune femme, qui s'éveilla un peu.
- Ça va ? demanda-t-elle, ensommeillée.
Elle se tourna vers la brune, leurs visages presque collés l'un à l'autre.
- Mauvais rêve, dit Morgane.
Elle n'y tint plus et enfouit sa tête dans le cou de la blonde, qui la laissa se blottir contre elle. Elle passa une main dans ses cheveux, et ferma les yeux:
- Je suis là, Morgane. Ne t'inquiètes pas.
Le souffle de Morgane tapa contre la peau délicate de la blonde, mais se calma peu à peu, au fur et à mesure qu'elle sentait le sommeil arriver.
Finalement, les deux jeunes femmes se rendormirent, bercées par le roulis lent du train.
✺
Valentin ouvrit la porte du wagon à la volée et annonça d'une voix forte:
- On se réveille, les filles !
Il regarda les deux filles, enlacées dans le lit de Pandora. Elles étaient enroulées dans le drap blanc, et dormaient. Il haussa un sourcil et les pointa du doigt:
- Je ne veux absolument pas savoir ce que vous avez fait cette nuit.
La blonde s'étira, bailla et regarda Valentin d'un air grognon.
- De quoi ?
Il soupira et fit quelques pas dans la pièce pour ouvrir les rideaux. Le soleil s'était déjà bien levé, et des rayons de soleil tièdes frappèrent de plein fouet la pauvre Morgane qui essayait tant bien que mal de dormir un peu.
- Il est dix heures, les filles. Kaloss ne va pas tarder.
- Kaloss, demanda Morgane en se relevant soudain. Pourquoi il vient, lui ?
Elle mima une nausée, et regarda Pandora. Sa beauté matinale lui fit forte impression, mais elle se rappela que leur Mentor était là.
- Je vous rappelle que nous sommes au trois quart du chemin pour arriver au premier district. Vous ferez un petit discours et assisterez à des évènements en tout genre. Ce sera facile, ne vous inquiétez pas.
Pandora se releva et sortit de l'armoire des vêtements propres. Sa petite amie regarda songeusement la robe légère qu'elle prit et dit à Valentin :
- On se change et on arrive.
- Le petit déjeuner ne vous attendra pas forcément, dépêchez vous, répliqua homme aux cheveux bruns.
Il sortit alors que Morgane répondait à elle-même d'un ton rebelle:
- C'est ça, fait nous croire que tout dans ce train n'est pas fait pour nous.
Pandora souffla par le nez, montrant son amusement. Elle s'approcha d'elle et caressa sa joue.
- On devrait mettre nos lits à côté, dit-elle en enlevant ses habits.
Elle passa les bretelles de la robe sur ses épaules nues et se tourna vers Morgane. Elle l'a regarda avec de grands yeux et battit des cils avec un petit sourire:
- Elle me va bien ?
- Parfaitement, lui répondit-elle, en l'embrassant promptement.
Elle s'habilla à son tour, choisissant une toge très traditionnelle qui lui plaisait beaucoup. Malgré ce choix qui lui valut des compliments de la part de Pandora, elle n'avait pas la tête à ça. Elle se coiffa un peu, regarda son reflet dans la glace.
Elle fut surprise de la pâleur de son visage, de la fébrilité de ses expressions. Elle détestait toujours autant se brosser, et faire face à sa tête du matin n'était jamais une partie de plaisir. Ses doigts passèrent dans ses cheveu, elle les trouva trop longs. Sans se départir d'un petit soupir excédé, elle enfila son collier, les quelques bagues qui décoraient habituellement ses doigts et mit dans l'une des poches de son pantalon le briquet de Gabriel.
Elle ne se rendit pas compte de l'air outré de sa petite amie lorsqu'elle sortit de la pièce brusquement. Sans un mot, elle prit place à la table de son Mentor et prit son déjeuner.
- Mes louloutes chéries !
Elle eut à peine le temps de se retourner qu'un torrent bleu et violet lui tomba dessus. On pouvait à peine reconnaître Kaloss sous la tonne de maquillage qu'il avait mit ce jour-là. Ses yeux étaient obscurcis par des gros faux cils violets qui brillaient et projetaient des paillettes à chaque fois qu'il les plissait. Un grand trait d'eye-liner barrait ses yeux, sans compter l'épaisse couche de fond de teint. Il avait des lunettes étonnamment complexes, qui ne servaient absolument pas à voir mais à cacher les yeux fardés de la personne qui les portait. Il semblait avoir effacé les tatouages sur ses bras, car de nouveaux en couvraient. Des seins galbés ainsi que des bouches sensuelles, à demi entrouvertes, affichaient clairement le style glamour du tailleur. Celui-ci avait opté pour un costard bleu fushia avec des froufrous aux extrémités. Au milieu de son décolleté, un tatouage affichant la tête du président Snow résidait. Il traînait derrière lui la fourrure d'un quelconque animal mort, galamment attaché à son dos. Tout cela en violet et en bleu.
Morgane cligna plusieurs fois des yeux, essayant de se détacher de cette vision étrange.
- Bonjour, Kaloss. Tu vas bien ? Demanda Valentin avec un air affable.
- Et bien, je suis contrarié, pour sûr ! Attendez que je vous raconte ça.
Il s'assit entre eux, et posa ses mains sur la table. À son aise, c'était comme s'il avait été leur ami depuis des lustres.
- Vous pouvez aussi vous taire, marmonna Morgane.
- Non parce que nous sommes polis, répliqua Valentin en la fusillant du regard.
Elle n'eut pas la force d'affronter son regard noir et souffla fort par le nez en posant sa cuillère sur la table comme un enfant. Le maquilleur entre eux n'y tint pas compte et commença à parler:
- J'étais avec la petite Suzie, ma petite favorite, quand un homme -un garçon du Capitole, bien sûr- m'accoste. Je suis content, pour sûr, je cambre le dos je serre les fesses, il est mignon ce coco. On commence à parler, ça commence bien ! Soudain, qu'est ce qu'il me sort ? Il me demande "t'es gay ?". Bon jusque là, c'est plutôt banal... Mais il ajoute que si je suis un "travelo" -je cite- ça serait horrible et dégueulasse.
Morgane, qui croquait dans une tartine de beurre, arrêta de mâcher et regarda son Mentor, se demandant ce qu'il fallait dire dans ce cas-là. Celui-ci demanda, l'air blasé:
- Mais tu n'es pas trans, Kaloss. Quel est le problème ?
- Mais ça va pas, mon chou ?! Et alors ?
- En quoi ça te concerne ? Demanda l'adulte en passant une main devant ses lunettes à la monture dorée.
- Mais jamais JAMAIS je ne voudrais d'un mec qui parle comme ça de mes concitoyens ! Répondit le tailleur, choqué.
- Les trans ne sont pas "tes gens".
- Primo, ce sont des personnes trans, rectifia Kaloss avec un agacement surjoué. On dirait que tu parles d'un élevage de moutons sinon.
Valentin se massa les tempes et soupira légèrement et attendit qu'il finisse de parler:
- Et deuxio, ne crois pas que le Capitole accepte réellement les LGBT+, loin de là. Ce n'est pas parce que tu as trouvé les deux seules lesbiennes du district 10 que tu dois te comporter ainsi, petit adulte blanc cis hétéro !
- Ne me réduit pas à ça, mon ami. Je crois que nous devrions nous concentrer sur des choses plus... Actuelles ? Bonjour Pandora, assieds-toi. Tu as faim ?Morgane tourna la tête et vit la blonde s'asseoir à côté de son Mentor, en lui souriant.
- Bonjour, ma poulette, lui dit Kaloss en lui faisant un petit geste de la main.
- Vous avez de beaux tatouages, répondit-elle, un peu rougissante.
- Je savais que ça vous plairait à toutes les deux ! Gloussa le tailleur. C'est la saison de la mode du nu sur du nu, c'est quand même tellement classe. Imaginez tout les juges avec des corps de la Grèce antique sur le visage, ça les rend quand même plus avenants ! Une fois, ma petite Suzie s'était faite tatouer un caniche nain sans fourrure c'était absolument magnifique... Allons, je papote, mais concentrons nous un peu, les cocos.
- Pourquoi vous êtes ici, d'ailleurs ? Demanda Morgane dans un grondement.
- Vous n'allez pas monter sur scène et délivrer un speech dans ces tenues, quand même, se lamenta l'homme en tenant ses lunettes dans ses mains. Je vous ai cousues des robes sur mesure pour faire votre tournée de la Victoire sans avoir honte !
Pandora regarda sa robe, déçue qu'elle ne soie pas au goût de son relooker.
- Est ce que vous vous sentez prêtes pour ce premier discours ? Demanda leur Mentor, en plantant ses yeux marrons tristes dans ceux de ses tributs.
- Nan, grogna Morgane.
Tout les yeux se rivèrent sur elle, elle baissa les siens. Elle marmonna quelques mots et demanda :
- Les gens vont pas m'aimer, là bas ?
- Pourquoi tu dis ça, ma louloute ? Demanda l'homme délicatement cambré sur sa chaise, qui tenait un cocktail entre ses doigts fins et agiles.
- J'ai tué Franck. J'ai enfoncé mon putain de poignard dans son torse, il m'avait tellement ignoré jusque là, tellement sous-estimé qu'il ne s'est même pas défendu et il est mort comme une merde sur le sol. Auprès de sa putain de meuf trop sexy et trop dangereuse qui s'y attendait pas non plus parce qu'on était sensé être nuls !
✺
- Grand-mère, dit Cassiopée en s'effondrant sur le sol.
Elle éclata d'un rire froid. Qu'est-ce qu'elle était heureuse de retrouver sa vieille mère. Celle qui l'avait élevée, lui avait donné l'amour et l'attention qu'elle avait toujours eu besoin. Sa tête lui tournait, le sol sous ses membre était froid et dur. Devant elle, la forme floue d'Agatha passa la tête à travers la lucarne:
- Bichette ! Que fais-tu par terre ?!
La porte s'ouvrit, dévoilant la silhouette d'une femme au corps fatigué par âge et l'expérience. Malgré son dos droit et la forme physique dont elle faisait preuve, une fragilité dans ses membres démontrait son âge. Elle portait un pull en soie, décoré de quelques fleurons de laine, qui devait couter un certain prix. Ses cheveux argentés étaient retenus en un chignon serré, presque autant que les traits de son visage. Elle avait les mains liées, attendant certainement quelque chose. Les chaussons qu'elle portait étaient fait en feutre marron, comme des sabots. Son nom était Agatha, et elle était la mère du père de Cassiopée. Malgré leur lien de sang évident, elle ne ressemblait pas à son fils, ni physiquement ni mentalement.
Cassiopée grogna quelques mots, et sourit. Elle était très heureuse de revoir un membre de sa famille, en ce moment. Alors que sa grand-mère la relevait, elle marmonna:
- Désolée, grand-mère, je suis saoule.
- Enfin, ce n'est pas une tenue pour une jeune femme comme ça ! Entre.
Agatha la traina à l'intérieur, la prenant par la main. Elle qui était vieille et fébrile devait maintenant s'occuper d'un deuxième corps incapable, celui de sa petite fille.
- Assied-toi, et pose cette poche de glace sur ton front. Je te croyais morte, bichette.
- Je le suis pas, grand-mère.
Elle s'assit dans l'un des vieux fauteuils qui avaient bercés sont enfance, emplissant ses narines des odeurs de pain d'épice omniprésentes dans toutes les pièces de la maison. Elle posa sur son front la froideur de l'objet, ses bras étaient lourds et moites, comme sa tête. De sa candeur passée, plus rien ne restait. Elle était misérable, comme toujours. Recroquevillée sur elle-même, comme un petit coquillage dans le plus petit des océans.
- Franck est mort. La fille du district 10 l'a tué.
- Je sais, j'ai vu.
- Il est mort ! dit-elle plus fort. Mort, c'est comme s'il m'avait quittée. Comme s'il était venu me voir et me disait "JE T'AIME PAS".
Les derniers mots, presque hurlés, résonnèrent sur les murs calfeutrés, revinrent à la face de leur autrice comme une agression.
- Ne crie pas, Cassiopée. Tu es saoule.
- Je suis fatiguée, répondit-elle, le regard dans le vide. Je veux pas continuer à... Continuer à faire tout ça.
- Faire quoi ?
- Faire les Hunger Games.
- Je ne comprend pas. Tu devrais dormir, il est minuit, et tu es complètement perchée.
Cassiopée releva la tête et regarda sa grand-mère. Elle plongea son regard clair dans ses yeux presque aveugles, les rides de son visage retenaient une dureté réprimée et un regard strict. Elle se tenait droite, ferme sur sa petite chaise de paille, et considérait sa petite fille comme elle l'avait toujours fait. Quand à celle-ci, elle était toujours le mouton noir. Quel honneur pour Cassiopée que sa grand-mère prenne soin d'elle ainsi ! Pas de passage à tabac, avec elle. Pas d'exigences, que de la déception. Cassiopée ne voulait pas décevoir sa grand-mère.
- Je veux mourir, dit la blonde d'une voix blanche.
- Certainement pas. Ne dit pas des sottises, et va te coucher sur le divan.
- Rien ne m'attend demain, dit désespérément l'adolescente en posant sur son genoux la poche de glace qui commençait à fondre dans ses doigts.
- Bien sûr que si. Le discours du district gagnant, c'est quelque chose.
Cassiopée s'étouffa, un relent d'alcool s'emparant de sa voix. Elle lança, blême:
- Morgane Clay et Pandora Lane, du district 10, vont venir ici ?!
✺
Morgane regarda tour à tour Valentin, qui replaçait sur son nez ses lunettes, Kaloss qui -pour une fois- s'était tut, et Pandora qui la regardait d'un air choqué. Elle regarda son corps, s'était rendue compte qu'elle tremblait. Son dos s'était cambré, droit à l'excès.
- J'ai tué ! J'ai tué des gens que je ne connaissais même pas. J'ai tué des innocents, des adolescents qui auraient pu être mes amis, ma famille, des gens proches de moi.
- Morgane, dit son Mentor d'une voix calme. Ce n'est pas toi qui a tué les tributs de l'arène.
- Qui, alors ?!
- C'est le jeu, ma chérie, acquiesça Kaloss, l'air compréhensif.
- Oh, vous, taisez-vous. Ne me faites pas croire que vous en savez quelque chose, dans vos costumes pailletés et vos... Seins nus sur vos bras ! Le ridicule ne tue pas, mais vous êtes l'exception qui confirme la règle.
Morgane avait craché ces mots en regardant Pandora. Ses cils battaient longuement, elle semblait très surprise du comportement de sa coéquipière. Bien sûr qu'elle était sanguine, mais dès le matin, ainsi ?
- Outch, ça fait mal, commenta le tailleur en passant une main dans ses cheveux gominés.
- Pas plus mal que de savoir que les gens de mon district sont en train de CREVER de FAIM alors que je suis ici à jouer au bal masqué avec un abruti et un dépressif qui sont tout les deux des APÔTRES DU CAPITOLE ! Vous êtes tout les deux... Des mauvaises graines, nées dans le luxe le plus total ! Vous ne savez rien de ce que peut être notre vie, à nous, aux pauvres ! À ceux qui ont dû un jour se serrer la ceinture pour trouver à manger pour une famille nombreuse ! Et moi je suis là pour assassiner des gens et me taire pour toujours, faire la poupée de porcelaine devant les caméras homophobes du Capitole !
- Reste calme, Morgane.
- Non ! Non, je ne serais pas calme ! On n'a pas parlé des Jeux, n'est-ce pas ? Et bien ça me pèse !
Ces derniers mots lui arrachèrent un éclat de voix, une sensibilité à laquelle sa petite amie réagit. Elle fronça les sourcils et posa son bol sur le comptoir. Puis, elle prit une inspiration et demanda:
- Tu as fait un cauchemar à propos de ça, cette nuit ?
- Oui, répondit simplement Morgane en s'effondrant sur sa chaise. Je suis désolée de vous offrir cette scène, Kaloss. Je m'excuse de ne pas être assez inhumaine, mais j'ai besoin qu'on en parle ensemble.
- D'accord, soupira Valentin. Et de quoi veux-tu parler ?
- De Gadjeel.
Le soupçon de culpabilité dans sa voix mourut alors qu'elle sortait le briquet en forme de dragon de sa poche. Les ailes du dragon, rouillées par le sang et la crasse, semblaient briller et battre comme pour s'envoler. La blonde regarda l'objet, déglutit, et hésita à parler.
- Je ne sais pas quoi dire sur elle.
- C'est moi qui l'ai tuée.
La voix de Morgane avait un timbre dur, froid. Comme du carton, une plaque de verre brisée. Kaloss les regard l'une, puis l'autre, avant de décréter d'une voix plutôt neutre:
- Et tout le monde le sait... C'est passé à la télé, cocotte.
- Et Pandora était DANS la télé, comment pouvait-elle savoir sans que je lui d-
Celle-ci coupa les vociférations de la brune et la regarda dans les yeux. Elle passa un coup d'oeil aux cernes, à sa pâleur et à son oeil hagard et furieux, ses mains crispées sur sa tartine faisant ressortir les veines de ses bras. Elle se leva en disant ces quelques mots:
- Je sais. Je t'ai entendu lui dire.
Elle se posta juste devant elle, debout, et la regarda longuement de haut. Morgane se perdit dans le bleu de ses yeux, si clair, si profond. Elle perdit face, toute sa colère et sa répartie construits pour affronter le monde tel qu'il était s'effondra. Ne restait plus que la solitude et le chagrin.
- C'est pas grave.
Elle explosa en sanglots dans le creux de son ventre, serrant les pans de sa robe blanche dans ses poings serrés. Kaloss s'attendrit, alors que Pandora la prenait dans ses bras. Valentin se leva et fit les cent pas dans la pièce, cette scène fut interminable. Combien de temps Morgane passa à sangloter inlassablement dans ses bras, comme si c'était le démon qui coulait en personne de ses yeux ?
Elle n'aurait su le dire, sauf que Kaloss regarda sa montre bleue et dit d'un ton doux:
- Les filles, il va falloir s'habiller. On arrive dans une petite heure.
- Une heure ?! s'exclama leur Mentor, surpris.
Il sauta sur ses chaussures, affolé, et commença à préparer leurs affaires. Morgane se décolla de sa petite amie et essuya les longues traces de larmes sur ses joues. Elle respira un bon coup, les yeux fermés, et affirma d'une voix qu'elle espéra forte:
- Je suis prête.
- Alors on se dépêche ! dit Kaloss en la pointant du doigt.
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