Il faisait chaud aujourd'hui, le soleil se reflétait dans les grandes vitrines des magasins. Emerveillée par la grande allée bondée de monde, Pandora regardait partout autour d'elle, enchantée. Elle portait une casquette "New Jersey" verte et avait tressé ses cheveux dorés qui brillaient dans la chaude lumière. Accrochée à sa main, Morgane regrettait d'avoir mis un blouson de cuir. Elles étaient venues faire les boutiques ici en moto, et elle avait voulu matcher avec la couleur de son magnifique deux roues dont elle était fan, mais avait trop chaud.

Auprès d'eux, bien plus loin et en petit groupe, la petite troupe avançait tranquillement. Kaloss et Zao, une femme pétillante aux cheveux coupés en brosse, batifolaient en s'imaginant porter tout les vêtements les plus étranges du monde. Cassiopée était retenue par un Valet de Coeur horriblement gêné et hilare, alors qu'elle aboyait sur une fille qui avait regardé un peu trop longtemps sa rousse à son gout. Valentin et Iris achetaient des vêtements pour Gabriel, plus loin.

Morgane, qui avait noué ses cheveux comme elle le pouvait même si les mèches devant ses yeux retombaient inévitablement, regarda un homme s'approcher d'eux.

L'interviewer, un micro à la main et une caméra discrète sur l'épaule, leur fit un signe avec un sourire amical. Après les avoir arrêtés, et s'être brièvement présenté, leur posa la question :

"Comment avez-vous su que c'était de l'amour ?"

Il prit à part Morgane qui le regarda d'un air ahuri, puis regarda la caméra d'un air timide. 

- Vous me filmez ?

- Oui, affirma l'homme en lui adressant un sourire aussi chaleureux que le soleil qui faisait cuire la brune sous son blouson.

- Euh... Au début, je croyais que c'était une fille différente de moi. J'pensais que j'étais la seule comme ça, je jugeais beaucoup ce qui était mal, ou bien. 

Elle attrapa Pandora par la main qui se blottit contre elle avec un air encourageant, les joues rosies, hochant la tête:

- Continue, mon coeur.

- Puis avec le temps... Avec les épreuves qu'on a traversé... elle se mit à rire, gênée. Désolée, j'suis pas trop habituée à parler de ça en public ou même devant une caméra. 

- Pas de soucis. Prenez votre temps.

- Me sens ridicule... Elle prit une inspiration et caressa la tête de Pandora, qui faisait facilement une tête de moins qu'elle. Un sourire aux lèvres, le visage rouge, elle reprit: Mais en fait, c'était sa différence qui faisait d'elle quelqu'un de beau. Elle est si gentille, pleine de compassion, tellement attentionnée envers l'autre. Je l'admire pour ça. Je la trouve juste adorable... Elle me fait me sentir moi-même. Je ne suis pas quelqu'un de très ouvert, avec les gens. J'aime ma solitude mais... Quand elle est là, c'est comme si toutes les deux, on était moi. Je suis confortable, je ne me sens pas jugée...

Pandora fondit sur ses lèvres en riant, abrégeant sa torture. Morgane se mêla à son rire alors que sa petite amie se présentait à la caméra, pleine d'énergie.

- Je pense que j'ai su que c'était de l'amour entre elle et moi quand je me suis rendue compte que je ne voyais pas ma vie dans trente ans sans elle. Evidemment, tout peut arriver, c'est la vie. Mais Morgane et moi, on est vraiment fusionnelles. Il n'y a pas une seule facette d'elle que je n'aime pas, et j'adore... Me voir dans ses yeux. C'est vraiment adorable d'écouter son être cher parler de soi. Je crois que ça me donne plein de confiance en moi.

- T'en as déjà assez, rit la brune en la prenant dans ses bras.

- Hé !

- Moi ? Comment j'ai su que c'était de l'amour ? s'interrogea longuement Valentin alors que dans ses bras, le petit Gabriel babillait en tirant ses chaussettes. Et bien... Je crois que je l'ai toujours su. Même avant tout ce qu'il nous est arrivé ensemble... Quand je la voyais dans mon district, lorsqu'on était gosses, je la trouvais vraiment superbe. Elle était cool, avec son arc et ses lapins morts qui pendaient à sa ceinture, haha ! Je suis tellement heureux qu'on se soit retrouvé après tout ça. Je ne la remercierais jamais assez de m'avoir pardonné. 

- Il est dur avec lui-même, murmura la douce Iris qui regardait son homme avec un air confiant. Mais il m'a souvent prouvé que c'était un homme bien. Pas parfait, mais juste bien pour moi.

Elle rit, pinçant la joue de Valentin qui offrit un beau regard au cameraman.

- Il m'a prouvé que les hommes en valaient la peine. C'est pour ça que je l'aime. Il me rappelle constamment... Pourquoi je suis ici. Pour qui. Pour quoi je me bat, voilà les raisons de pourquoi je l'aime. Il m'a toujours supporté dans toutes mes actions, sans essayer de me dominer, ou sans se sentir lésé. Il n'est pas seulement beau, intelligent, et génial... Il a ce quelque chose pour lequel j'irais me battre jusqu'à mon dernier souffle.

- Poussez vous ! Je veux parler aussi, déclara soudain Cassiopée d'un air théâtral, tombant dans les bras du caméraman, avant de se recoiffer devant l'objectif. 

Alors qu'elle remettait son rouge à lèvres pétant, qu'elle s'admirait un peu et qu'elle prenait la pose, Angelina qui croisait les bras sur sa poitrine, derrière elle, lança d'un air blasé:

- On ne te dérange pas ?

- Rhooo, tais-toi, j'essaie d'être présentable ! minauda-t-elle. Je suis trop moche, il fallait que je remette bien mes cheveux.

- C'est ça, ironisa la rousse qui semblait en avoir marre.

- Et bien d'accord ! Très bien ! Vous savez quoi ? Je n'ai jamais su que c'était de l'amour parce que je ne l'aime pas. Je la déteste, même.

- Je te le rend bien, pouffa Ange en lui ébouriffant les cheveux, augmentant le courroux de la blonde qui déclara:

- Elle m'a même fiancée à elle ! Vous imaginez ? La honte. Je ne peux même plus faire semblant de draguer les mecs quand on va en boite !

- Tu fais ça ?! déclarèrent Pandora et le Valet de Coeur, l'une dégoutée et l'autre passivement jalouse.

- Mais non, je rigole.

- Essayez de vous concentrer un peu, rit le caméraman en essayant de cadrer la magnifique blonde qui gesticulait dans tout les sens avec ses boucles d'oreilles de trois mètres.

- J'vais vous dire comment je l'aime, cette abrutie aussi timide qu'un bulot. Même si je croyais que c'était un mec, je la kiffais de malade. Même sans voir son visage, j'avais envie de l'embrasser. Même sans voir son corps, j'avais envie de la...

- Cassy, pitié... déclara Ange en posant sa main sur la bouche de sa fiancée qui commença à rire d'un air dément.

- Mes choux. Vous ne savez pas ce qu'est l'amour ! déclara soudainement Kaloss avec une voix nostalgique, une main posée sur le front en signe de tristesse insondable.

- Quelle est votre définition de l'amour, alors ? demanda le caméraman qui essayait tant bien de mal d'éloigner son appareil de Cassiopée qui essayait de se mettre devant, en fou rire.

- C'est... Le mal abbbbsolu. La toxicité sans fin, le démon, Satan !!!

Kaloss, toujours théâtral, leva lentement la main comme s'il s'apprêtait à délivrer une grande révélation, tout en poussant un profond soupir dramatique. Les autres s'arrêtèrent de rire et se tournèrent vers lui, intriguées. Son visage s'assombrit, comme s'il venait de se rappeler une tragédie personnelle, et sa voix devint presque solennelle.

- Ah, mes lichettes... Vous parlez de l'amour comme si c'était ce doux sentiment qui vous fait flotter dans les airs...

Il secoua la tête avec une tristesse exagérée, une main placée théâtralement sur son front. 

- Mais l'amour... L'amour véritable... c'est le mal absolu ! L'horreur qui ne s'arrête jamais ! C'est...

Il s'interrompit soudainement, fouillant dans la poche intérieure de son manteau avec une lenteur presque comique. Tout le monde le regardait, bouche bée, se demandant ce qu'il allait en sortir.

- ... c'est comme... commença-t-il avant de sortir un vieux morceau de fromage râpé, qu'il brandit triomphalement. ... ce bout de fromage moisi qu'on oublie dans un coin du frigo, mais qu'on finit par retrouver des semaines plus tard ! Et qu'est-ce qu'on fait ? On le renifle encore, on le goûte parfois même... Pourquoi ? Parce que c'est irrésistible, même si on sait que ça va nous détruire !

 Un silence pesant suivit cette déclaration, puis un éclat de rire général retentit. Cassiopée avait l'air si dégoûtée qu'elle disparut dans le grand manteau d'Angelina, tandis que Morgane et Pandora se tenaient les côtes, essayant tant bien que mal de respirer. Même l'interviewer et le caméraman, d'abord déconcertés, finirent par éclater de rire.Kaloss, quant à lui, resta stoïque, fixant le ciel avec une expression solennelle, comme s'il venait de révéler une vérité universelle.

- Oui, mes ragondins des bois... le fromage de l'amour est la plus grande tragédie de la vie..."