Chapitre 4: Je m'appelle Ange
Le trajet parut bien long à Cassiopée.
Le matin même, elle s'était réveillée à un autre endroit que chez elle. Paniquée aux derniers mots de son père, elle s'était dit que si elle n'était pas chez elle, personne ne la trouverait.
Angoissée, elle avait toqué à la porte de l'appartement de Pandora Lane, sa meilleure amie.
Une petite jeune femme blonde lui avait ouvert. Elle avait un visage rond et doux, de grands yeux bleus. C'était une personne amicale et solaire, Cassiopée avait toute confiance en elle. Se remémorer les raisons de son amitié avec elle ne lui étaient pas agréables, mais aujourd'hui tout allait pour le mieux entre elles.
Sa petite amie, présente dans la pièce, l'accueillit avec le même stress dans la voix que son interlocutrice. Le couple parut très préoccupé lorsqu'elle leur annonça que son père avait décidé de la marier.
- Impossible, trancha Morgane.
Elle agita ses cheveux bruns, ses cheveux bruns voletant.
- C'était des menaces en l'air.
- Je ne pense pas, dit Cassiopée d'un air soucieux. Le connaissant...
Pandora posa une main apaisante sur son épaule. Cassiopée tourna sa tête vers elle, et air se raffermit lorsqu'elle vit les grands yeux expressifs de son amie remplis de compassion. Elle siffla, semblable à un serpent:
- Je n'ai pas besoin de ta pitié.
Morgane et Pandora s'échangèrent un regard. Toutes les deux connaissaient très bien le caractère indépendant et cinglant de leur amie. Pour avoir passé l'année dernière avec elle en colocation (ce qui était une longue histoire), elles s'étaient suffisamment disputées pour savoir que Cassiopée pouvait être blessante facilement. La brune répondit d'un ton plus calme de sa voix grave:
- On s'inquiète pour toi. Tout cela ne présage rien de bon.
Cassiopée lui jeta un coup d'oeil, et pesta d'un air amer. Lorsqu'elle voyait Morgane Clay, elle ne pouvait s'empêcher de penser, dans un tout petit coin de sa tête, que cette fille était la cause de tout ses problèmes... Mais non. Le passé était le passé, et il fallait mieux l'oublier.
Elle cherchait à le cacher, mais la blonde aux cheveux bouclés était en réalité loin d'être calme. Sa gorge était nouée et une furieuse envie d'exploser en sanglots la titillait. Être mariée. Être mariée, de force, à un homme qu'elle ne connaissait pas.
Il était possible que ce soit un vieil homme dégoutant, qui aime lorgner et siffler les femmes dans la rue. Ou alors un accro, à quelque drogue que ce soit ! Un mangeur compulsif, qui n'hésiterait pas à la dévorer s'il n'avait plus rien à se mettre sous la dent...
Tout cela devenait ridicule. Cassiopée Price chassa ces pensées de son esprit et écouta Pandora. Sur le front de celle-ci, une ride d'inquiétude avait tracé son chemin
- ...Reste en contact avec nous, d'accord ?
- Oui, répondit-elle presque automatiquement, sans pourtant avoir écouté ce qu'elle avait raconté.
Elle avait dormi sur un matelas près du lit de ses deux amies. Le lendemain, à sa grande déception, son père avait prévu le coup.
Après une légère baston, durant laquelle Cassiopée essaya à maintes reprises d'étouffer mortellement un des gardes du corps de son père, elle fut ceinturée et mise à terre.
Elle releva la tête pour regarder les grands hommes avec des lunettes de soleils. Derrière les muscles rutilants de leurs bras, un homme élégant se tenait devant elle, ajustant ses gants blancs. André Price, son père.
- Je... Ne veux pas, gronda sa fille, tel une bête acculée. Ne m'oblige pas à utiliser la force.
Cette phrase était complètement désuète, au vu de la situation dans laquelle elle était. Deux hommes la maintenaient à même le sol, deux autres entouraient le vieil homme.
- Quelle force ?
Il n'avait pas tort. Bientôt, elle fut bâillonnée, menottée et immobilisée. Et c'est ainsi qu'elle reprenait la première phrase... Le trajet lui parut bien long. Le stress de se savoir en terrain inconnu, ligotée, s'ajoutait à la panique de se voir forcée à quelque chose, ainsi que le fait d'être emmenée loin de chez elle, de chez ses amis.
Gigotant, pestant intérieurement contre les gorilles de sécurité de son père... Elle découvrit le Valet de coeur, qui visiblement avait la même envie qu'elle de s'éloigner d'André Price.
Jamais elle ne détesta quelqu'un plus ardemment que cela. Le Valet de coeur était tout ce qu'elle détestait chez un homme.
Elle aimait les grands, musclés, au visage charmeur. Pour la contrarier, certainement, il ne semblait être rien de tout cela. Au contraire, il était d'une taille moyenne. Concernant sa musculature, impossible de deviner ce qui se cachait derrière le grand kimono pourpre qu'il portait, et un étrange masque de métal couvrait son visage.
Si Cassiopée avait pu, elle l'aurait insulté de tout les noms. Elle voyait le genre de personne qu'il était. Si moche qu'il se cachait derrière un masque. Si difforme qu'il drapait son corps. Si faible qu'il se montrait froid. Pathétique. Ridicule. Imbécile. Ses lèvres remuaient silencieusement.
Aucun des deux ne s'adressa la parole, alors qu'il semblait la mener à ses appartements.
L'endroit était éclairé, grand. C'était une énorme pièce qui faisait office de cuisine, de salon et d'espace avec un lit double. La couleur prédominante était le rouge, dans tout ses tons. Une grande baie vitrée donnait sur un petit balcon. Le Valet de coeur était peut-être fumeur, qui sait ? Et à l'autre bout de la porte d'entrée, un escalier en colimaçon donnait à l'étage.
Puisqu'elle regardait avec insistance les marches de l'édifice, l'homme lui dit simplement:
- Tu ne montes pas en haut.
Le regard noir que Cassiopée lui lança dès que la porte fut fermée glaça l'ambiance de la pièce. Une étrange tension s'installa alors, la blonde s'approcha, ses yeux toujours plongés dans l'étonnant masque du Valet de coeur. Pourquoi n'arrivait-elle pas à savoir ce qu'il se cachait dessous ? Certainement à l'aide d'une technologie avancée, les formes du masque changeaient, se brouillaient, pour ne laisser aucune chance à l'interlocuteur. C'était intimidant, mais Cassiopée l'était encore plus.
Elle tapota d'un air menaçant l'étrange gaine qui l'empêchait de parler, tout en regardant son interlocuteur. Celui-ci la dévisagea quelques instants avant de demander:
- Je t'enlève ça ?
Il s'approcha pour défaire le bâillon, mais Cassiopée se replia et chassa brusquement sa main, plantant ses ongles dans sa chair. L'air plutôt calme en apparence du Valet de coeur changea brusquement alors qu'il prenait le poignet de Cassiopée pour l'empêcher de le griffer. Avec force, il lui serra le bras en disant:
- Ne refais jamais ça.
Les yeux de Cassiopée s'emplirent de larmes de douleur. Dans sa main malmenée, une douleur aigue pointait, brûlante. Impossible de s'échapper de la poigne du Valet de coeur, qui semblait avoir bien plus de force qu'il n'y paraissait.
Il la lâcha, elle pantela. Titubante, elle tint son poignet. La douleur si soudaine était telle qu'elle se demanda s'il ne lui avait pas cassé. Mais en voyant qu'elle pouvait encore le bouger, au prix d'un grand effort et d'une larme brûlante versée sur sa joue, elle se rassura. D'une main absente, l'homme lui enleva la gaine, et elle dût calmer son souffle effréné.
Puis, elle se releva et le regarda avec dégout, du haut de toute la dignité qu'elle avait.
- Espèce de...
- Je m'appelle Ange.
Il se détourna d'elle superbement, oubliant le sifflement doucereux que la jeune femme produisait avec sa bouche en le dévisageant. Peut-être était-ce fait exprès, mais la Price se sentit extrêmement insultée. Elle, la fille de la grande et noble famille Price, se faire ignorer par ce genre d'individu ?
- Ne me dérange pas.
Elle le regarda s'éloigner, dubitative. D'accord ? C'était ainsi ? Elle était mariée à un espèce de gars mutique étrange ?
- Et je fais quoi ?
Elle le rattrapa pour se poster devant lui, bras croisés, l'air frondeuse. Le problème du visage du Valet de coeur était qu'il ne pouvait partager d'expressions. Le système créait comme une tornade dans l'esprit de celui qui le regardait, et l'impression de vertige qui prenait Cassiopée quand elle essayait de le dévisager la dissuadait de le faire. Ainsi, elle sentait qu'elle n'avait pas de pouvoir sur cet étrange inconnu. Et cela l'énerva grandement.
- Je ne sais pas, dit simplement Ange.
- Et toi, tu vas faire quoi ?
- Je vais faire mon travail.
Dans sa voix, une pointe d'agacement se fit sentir, et cela fit sourire la jeune femme aux cheveux bouclés. Elle tenait quelque chose.
- Je te suis, déclara-t-elle.
✺
- Wooouuww !
Morgane partit dans un grand éclat de rire, laissant le micro à un Caesar Flickermann curieux et sacrément bavard, ce soir. Elle écarta la foule de ses amis avec un grand signe de la main, comme une cantatrice. À la lumière de la soirée, vives, brûlant sa rétine, brillaient les bagues de jade à ses doigts. Elle les remarqua, et s'approcha d'un grand homme pour lui dire, sans doute avec postillons:
- C'est mon ami qui me les a achetées !
L'homme ne répond pas, surpris par sa démarche. Elle s'écarta de lui en souriant amplement. Puis, par un soudain accès de joie furieuse, elle se mit à insulter des gens au hasard. L'alcool lui avait monté à la tête, elle était saoule. Un grand sourire vague s'étalait sur ses lèvres et elle était hilare, sans qu'il n'y ait quelque chose de drôle.
- Si j'étais vous, je ne ferais pas ça, dit une étrange voix qui grattait bizarrement les oreilles de la brune.
- Oh, ta gueule, gronda-t-elle en se bouchant les oreilles.
Elle venait de se retourner, pour être face à Céleste Néolisse. La jeune femme était moins âgée que Morgane, pourtant elle en paraissait quarante. Sa peau était usée, rapiécée, comme un parchemin. Ses cheveux d'une belle couleur rousse flamboyaient, comme un brasier qui aurait embrasé sa tête. Sa voix était toujours morne, calme, rêveuse. Insupportable, en somme.
- Il y a un haut fonctionnaire, ici-même. Un doyen, dit la rousse en agitant ses longs doigts devant le visage de la brune.
- Servi-cul ? demanda son interlocutrice en faisant un effort pour ne pas lui marcher dessus pour aller rejoindre le bar.
- Oh, je ne sais pas comment il s'appelle.
Elle leva ses yeux protubérants au ciel, ayant l'air de réfléchir. Plutôt que d'être érudite, on aurait dit qu'elle venait de voir un angelot se crasher du ciel. Morgane rigola bêtement à cette pensée.
- C'est un homme tout en noir, là-bas.
Le regard de la brune ne suivit pas le doigt qu'elle tendait vers un coin de la pièce. Elle embraya:
- Et pourquoi je devrais pas aller l'insulter ?
- Car les doyens sont les maitres du Capitole ? proposa Céleste de sa voix éthérée. Ou peut-être parce que celui-ci semble être un peu susceptible...
- Allez, fous le camp, dit la brune, qui commençait à avoir mal à la tête.
Elle chassa d'une main la silhouette de la nouvelle gagnante des Hunger Games, l'ayant assez vu. Céleste avait ce don pour agacer profondément son interlocuteur. Elle s'effaçait dans les yeux embrumés par l'alcool de la jeune femme, qui s'approcha du bar et commanda un verre de vodka pure.
Elle tourna la tête vers ce doyen, dont Miss-je-sais-tout parlait tout à l'heure. Mais la foule était dense. Elle ne voyait que la silhouette indistincte de Cassiopée danser sur la piste.
- HÉ ! LA CONNASSE DE PREMIÈRE !
Elle fit de grands signes féroces à Cassiopée, qui ne se retourna pas. Cassiopée qui, étonnamment, avait de très longues jambes ce soir. Elle qui n'attachait pas beaucoup ses cheveux, il était fort peu probable qu'elle se les soit tressés ce soir. Aussi, elle tenait un individu de petite taille ce jour-là et Morgane était sûre que ce n'était pas Pandora, ou Kaloss.
Elle se tut, consciente de s'être trompée de personne. Un marteau de fer tapait sur sa nuque, elle avait mal à la tête.
- Bordel de merde... J'ai trop bu, moi.
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