Chapitre 21: Personne n'aimera ce que tu es vraiment
La reine Prudence jouait avec son sceptre et regarda son grand ami, son mari même, parler à l'un des péquenauds du coin. Enfin, c'était peut-être un peu exagéré de dire que c'était un péquenaud. A vrai dire, ç'aurait pu être un fou du roi.
Il avait une crinière brune et du maquillage de toutes les couleurs, un étrange blush orange qui donnait l'impression qu'il était fluorescent. Indécent. Ses habits étaient blancs et orange, un mélange que la reine de Coeur n'appréciait pas beaucoup.
Elle qui avait tendance à s'habiller de la tête au pied en bleu glacier virant jusqu'au blanc, elle dévisagea l'homme parler avec des manières... Très efféminées. Cela ne plaisait pas beaucoup à Prudence.
- Vous êtes l'homme qui accompagne les gagnantes des 95èmes.
Sa voix coupa court la conversation à voix basse et grave des deux hommes. Balthazar se tourna vers elle, un de ses sourcils noir encre se levant aussitôt. Le tailleur aussi plissa les yeux avant de dire d'une voix claire et sérieuse:
- Pas tout le temps, reine de Coeur. Mais en effet, je les connais.
- Et vous êtes comme... elles ?
La question fut visiblement mal accueillie. L'homme ouvrit grand les yeux et la bouche, et eut un pas de recul. Il regarda la reine de Coeur comme si elle venait de le menacer de mort, puis Balthazar qui jouait avec les bagues sur sa main foncée.
- Excusez moi ? dit il en passant sa langue sur ses lèvres, l'air ahuri.
Il n'y avait même pas d'agressivité dans sa voix, juste beaucoup d'étonnement. Il était ébahi que cette femme, sur ce grand piédestal, lui pose cette question.
- Le rapport ?
Kaloss tourna la tête vers le roi de Coeur, espérant avoir un peu de soutien de sa part. C'était tout simplement... Extrêmement bizarre.
- Un gagnant des Hunger Games, déclara Prudence avec un mince sourire. Je voulais dire.
Ses yeux le jaugèrent lentement, comme un serpent qui s'enroule autour de sa proie. Il affronta son regard avec courage, faisant mine de comprendre mieux. Elle le mettait mal à l'aise, le rendait confus. Alors qu'il se préparait à prétendre qu'il devait partir, inventer une excuse quelconque pour échapper à ce regard implacable, elle détourna le regard.
Balthazar avait posé ses coudes sur les accoudoirs de son trône fait d'or et de diamants, et regardait un point fixe avec ennui. Lorsque la reine eut fini de parler, il continua sa conversation avec le visiteur. Prudence, satisfaite, claqua des doigts.
- Valet ?
Seul les voix des deux hommes répondirent à son appel. Elle fronça les sourcils, se tournant d'un côté et de l'autre, appuyant son long sceptre sur le sol pour appeler son sous-fifre. Mais aucune réponse.
- Valet ?
Elle réitéra l'appel, agacée.
- Il s'est sûrement absenté, dit Balthazar en aparté, agacé.
- Sans me l'avoir dit, visiblement.
Prudence se leva, et traina sa longue robe bleutée derrière elle en sortant de la pièce, regardée par les gardes présents un peu partout. Digne, mais énervée, elle se précipita presque aux appartements du Valet, quelques étages plus bas.
- Valet ! Ouvre, ordonna-t-elle.
Aucun bruit n'était audible. Elle enleva son élégant gant de soie bleu clair, pour toquer élégamment à la porte. Elle sentait la colère en elle, la moutarde monter au nez. Réprimant les envies meurtriaires qui commençaient à pointer, elle sortit le trousseau de clefs permettant de rentrer sans même qu'Ange lui ouvre.
- VALET !
Elle ouvrit grand la porte, qui grinça et dévoila la haute silhouette du Valet de coeur, assis sur le lit. Il avait enlevé sa capuche, et posé son masque sur le lit. Il sursauta en voyant que quelqu'un était entré chez lui, et le téléphone qu'il portait à son oreille faillit tomber de sa main.
- Pourquoi tu ne répondais pas ? dit-elle d'un ton mauvais.
- Je suis au téléphone.
Ses yeux vers se posèrent sur elle, alors qu'elle avançait à grands pas dans la pièce. Avoir traversé le grand couloir en talons, d'un pas de course l'avait essoufflé et ses joues étaient rougies par la colère. Elle le regarda avec sévérité.
- Avec qui ?
- Cassiopée.
- Cassiopée, répéta la reine.
Les deux se toisèrent, avant que la femme debout s'asseye sur son côté droit. Le Valet fut parcouru de frissons, mais fit un signe à sa supérieure : il devait continuer sa conversation.
Et la reine le laissa faire.
Elle contempla ses cheveux roux attachés en un chignon étroit. Les mèches qui en dépassaient, qui couraient sur son visage pâle, parsemé de tâches de rousseur.
- "... mais ça va. Pandora et Morgane sont des anges avec moi. Il y a tout de même un froid avec Kaloss, tu sais, le couturier. Depuis mon altercation avec mon père, il..."
La reine écoutait d'une oreille distraite la voix de Cassiopée de l'autre côté du combiné. Et l'air attentif, posé du Valet. Espèce d'imbécile. Prudence ferait tout pour que jamais, au grand jamais Ange ne soit heureux avec cette fille. Que jamais ils ne s'aiment comme elle l'aimait.
- Ah... Oui.
Comme c'était pratique. Les réponses toutes faites du Valet de coeur, celles qu'il disait lorsqu'il ne voulait pas répondre. Lorsqu'il pensait à autre chose. Les gens pensaient que c'était de l'impolitesse. Mais seul Prudence savait que c'était simplement de la timidité. Du renfermement. Personne ne connaissait Ange tel qu'elle. Personne ne pouvait l'aimer plus qu'elle.
Les yeux verts du Valet se posaient sur le mur d'en face presque obligatoirement, pour ne pas croiser les yeux perçants de sa supérieure. Pour ne pas penser à ce qu'il adviendrait dès que sa conversation avec sa "femme" serait finie. Sa mâchoire dessinée se crispait parfois, sentant les doigts de la reine dans sa chevelure. Ses lèvres roses se pinçant, dans une allure stricte.
Une fois la conversation finie, les deux époux s'étant dit "au revoir" d'une façon froide et maladroite, Ange tourna la tête vers la reine.
Celle ci avait posé une main sur son chignon et l'autre sur son épaule.
- Tu as enlevé ton masque.
- Oui.
- T'ai-je autorisé à le faire ?
- Non, ma reine.
- Voyons, Ange... C'est très grave de désobéir à sa reine, tu le sais.
Sa voix se fit douce et serpentine, s'infiltrant dans les oreilles de son sujet, qui frissonna. Mais impossible de se défaire de son regard. Impossible de se défaire de sa main gracile qui se posait sur son menton, qui le forçait à avoir la tête haute.
- Sais-tu pourquoi j'ai mis ce masque sur ton visage ? Sais-tu pourquoi je t'ai maudit et interdit de l'enlever devant une autre personne que moi et le roi Balthazar ?
- Oui, ma reine.
Il tenta de bouger mais c'était impossible. Le boa s'était lentement emparé de sa proie. Que faire ? C'était trop tard, il devait rester ici, l'écouter lui rappeler son appartenance, le menacer des pires choses. Il déglutit, ne pouvant même cligner des yeux. Ses mains crispées sur ses genoux trituraient son pantalon de toile.
- Je voulais te protéger, Ange, dit elle d'une voix faussement compatissante. Je voulais que ta candeur et ta pureté soit pour toujours préservée.
- J-je sais, ma reine.
- Non, tu ne sais pas.
La main gantée qui tenait le menton du Valet se crispa soudainement, elle enfonça l'ongle de son pouce dans sa peau. Ses yeux s'écarquillaient, la rendant terrifiante tant elle était froide et manipulatrice.
- Je voulais que tu sois à moi... Pour toujours. Je t'ai drapé de vêtements qui cacheraient ton joli corps. J'ai caché tes cheveux de feu qui auraient attiré tout les jeunes gens du royaume... J'ai tout fait pour garder ta virginité intacte.
Le Valet ne bougea pas, malgré la douleur de l'ongle qui s'enfonçait dans sa peau. Il la contemplait, la respiration contenue, maîtrisée. Ne pas lui montrer sa peur. Mais c'était trop tard. Le serpent s'était déjà emparé de sa proie.
- Et toi, tu désobéis ? Tu te fiches de moi en épousant cette fille ?
Elle eut un rire sans joie, menaçant.
- Ma reine je...
- Quoi !
- Il le fallait. J'étais en âge de me marier.
- Vingt-cinq ans, dit la reine avec mépris. C'est un âge quelconque.
- Vous vous êtes mariée à vingt avec Balthazar.
- C'était un mariage diplomatique. Balthazar a toujours aimé Atalante et je me suis mariée avec lui en connaissance de cause.
- Moi de même. Cassiopée Price n'est pas plus intéressée par moi que Balthazar par vous.
- Quelle insolence... Vais-je donc devoir vous punir pour votre témérité ?
Il eut un silence alors que le Valet écarquillait les yeux et hocha négativement la tête, son coeur s'affolant.
- Peut-être que je devrais révéler ton secret à sa famille, alors.
- N-non.
- Je me demande combien de temps il leur faudra pour annuler le mariage.
- Non !
- Et bien ? Pourquoi cela t'affecte alors que ce n'était qu'un mariage diplomatique, selon tes dires ?
- Je ne veux pas que vous lui disiez, dit simplement le Valet, affolé.
- Je crois bien aussi. Donc tu aurais intérêt à m'obéir. Sinon, tu sais ce qu'il adviendra de cette fille. Je me demande combien de temps il lui faudra pour découvrir le pot aux roses.
Cruelle, Prudence éclata de rire, se délectant de l'expression peu à peu horrifiée du Valet. Lâchant son menton ou les traces blanches de ses doigts restaient encore, elle approcha leurs visages.
- Elle ne le découvrira pas, ma reine.
- J'espère bien. Ne la laisse pas te toucher. Ne l'embrasse pas. Et rappelle toi bien que jamais elle n'aimera la vraie personne que tu es.
Prudence posa ses lèvres sur les siennes.
- Jamais personne d'autre que moi n'aimera ce que tu es vraiment, Angelina.
Le Valet n'osa répondre au baiser. Mortifié de comprendre ce que la reine Prudence voulait dire.
Elle avait voulu se marier pour échapper à cette femme qui voulait tout lui prendre. Elle avait décidé de lui résister car elle était lâche et qu'elle ne pouvait plus tenir devant les attentes et les menaces de Prudence. Se marier avec le premier inconnu. De toute façon, que ce soit un vieillard ou une fillette, elle n'y prenait gare. Elle voulait simplement un alibi pour qu'on la laisse enfin en paix, faire son travail. Ne pas être prise pour une marchandise. Pour vivre heureux, vivre cachée, sous ce masque, sous cette identité, sous ce diminutif. Cacher qu'elle était "elle" et non pas "il" car sans ça, André Price ne lui aurait pas confié la descendance de sa fille, en sachant qu'elle n'en aurait jamais.
Et dire que Cassiopée avait dit qu'elle était pleutre, alors qu'elle supportait ces lèvres froides posées sur les siennes. Intenable situation qu'elle vivait depuis qu'elle était Valet. Quel titre empoisonné. Un long frisson la prenait alors que la reine de coeur la repoussait.
- Tu as entendu ce que je t'ai dis, n'est-ce pas ? Je ne veux pas que tu tombes pour cette fille.
- Oui ma reine, dit cette dernière d'une voix rauque.
- Et remet ton masque. Cache ta laideur.
✺
Morgane se trouvait au sommet d'une falaise, les vagues déchaînées de l'océan frappant les rochers en contrebas. La lune brillait faiblement, illuminant le monde avec une lueur froide et blafarde. L'air était lourd, presque suffocant, comme si quelque chose d'invisible pesait sur ses épaules. Elle tenait un bouquet de fleurs sauvages, ses doigts serrés autour des tiges, comme s'ils étaient sa seule ancre dans cet environnement hostile. Elle aperçut Pandora de l'autre côté de la falaise, sa silhouette se détachant nettement contre le ciel obscur.
Morgane ressentit une vague de soulagement en la voyant, croyant que sa présence apporterait de la chaleur à ce lieu glacial. Elle voulait lui parler, lui dire ce qu'elle ressentait. Elle s'avança, chaque pas lui demandant un effort immense, comme si le sol lui résistait. Mais plus elle s'approchait, plus le paysage devenait menaçant. Le vent se leva, soufflant avec une force qui aurait pu la renverser. Les vagues s'écrasaient de plus en plus fort, comme des rugissements qui montaient du fond de la terre. Morgane se sentait tiraillée, mais elle ne pouvait pas reculer. Elle devait atteindre Pandora.
- Pandora, je... je dois te dire quelque chose, réussit-elle à articuler malgré le vacarme des éléments.
Pandora tourna la tête, ses yeux étaient d'un bleu glacial, sans la moindre étincelle de chaleur. Son regard transperça Morgane comme une lame. La distance entre elles semblait s'étirer, le vent soufflant plus fort, poussant Morgane vers le bord de la falaise.
- Pourquoi es-tu là ? Je ne t'ai jamais demandé de me suivre, dit Pandora, sa voix froide comme le vent.Morgane sentit un frisson la parcourir. Elle se rapprocha malgré tout, tendant le bouquet de fleurs comme une offrande.
- Parce que... je t'aime, Pandora. Je veux être avec toi, quoi qu'il arrive, murmura-t-elle.
Les vagues se déchaînèrent, projetant des embruns glacés sur les rochers. Pandora éclata de rire, un son cruel, dénué de toute sympathie. Elle regarda le bouquet que Morgane tenait et le repoussa d'un coup de main, les fleurs volant dans le vent avant de disparaître dans l'obscurité.
- Tu m'aimes ? Toi ? Tu n'es qu'une lâche, Morgane. Tu penses qu'on peut aimer dans cet endroit ? C'est une guerre, pas un conte de fées, répliqua Pandora avec une agressivité cinglante.
Morgane sentit son cœur se briser, son souffle devenir court. Les vagues se rapprochaient du bord, comme prêtes à l'engloutir. Elle voulut expliquer, se défendre, mais Pandora la repoussa brusquement, la poussant presque vers le vide.
- Je n'ai pas besoin de toi, ni de ton amour. Va-t'en, ne me suis plus jamais ! cria Pandora, son regard impitoyable.
Morgane tenta de s'accrocher, mais le sol glissait sous ses pieds. Elle cria le nom de Pandora, cherchant une once de compassion, mais elle ne trouva que le mépris dans ses yeux. Le vent soufflait avec une violence implacable, emportant ses paroles, les réduisant à néant.Elle tomba. Les vagues l'avalèrent, l'obscurité l'enveloppa. Elle sentit le froid la submerger, le silence la saisir. Juste avant de se réveiller en sursaut, elle entendit la voix de Pandora, lointaine, comme un écho :
- Tu n'étais qu'un poids. Je ne t'ai jamais aimée.
Et Morgane se réveilla, le cœur battant, le goût amer du rejet encore vivace. Les images de son cauchemar restaient gravées dans son esprit, un rappel brutal que dans les Hunger Games, les liens humains étaient aussi fragiles qu'un souffle dans la tempête.
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