XII. Jaden. (XV)
Mardi 31 octobre, soir :
Une ambiance terrifiante et pesante envahissait les lieux, modifiant nos habitudes et nos ressentis. Le sol, immaculé de blanc d'ordinaire, avait revêtu une couleur obsidienne pour l'occasion, assombrissant tout ce qui entourait la pièce d'un voile de ténèbres. Nous avions l'impression de plonger au centre des Enfers ou en plein cœur d'un asile psychiatrique abandonné par la lumière blanche, imitant un tube à néon, qui grésillait au plafond. Le couloir était éclairé tantôt d'un froid glacial, tantôt d'ombre, reflétant nos peurs les plus profondes. La mort semblait régner dans ce lieu lugubre, où la présence d'une faible musique d'un piano aigüe attisait aussi bien notre curiosité qu'elle mettait en alerte nos sens.
Les portes s'amusait à s'ouvrir et se fermer à notre passage, faisant virevolter librement des nombreux voilages de tissus à la pureté saisissante, dont le tissage aussi méticuleux que celui de l'araignée, semblait avoir souffert de l'âge par la présence de déchirures à la fois nettes et cassantes sur le bas des coutures. Un courant d'air frais parcourut la surface de ma peau sans raison apparente, car les murs gagnaient plus de terrain que les ouvertures elle-même.
Ma main agrippa immédiatement celle de Jace et nos doigts s'enlacèrent. De son pouce, il me caressa la peau pour me rassurer ce qui marcha l'espace de trois secondes puisque de nouveau, les lieux se jouèrent de moi en laissant tomber à mes pieds un mouton de poussière aussi gros que mon bras. Je refoulai silencieusement un cri qui voulut s'échapper de moi et profitai de l'accroche que j'avais sur mon brun pour parcourir quelques mètres. Mes pas se faisaient tremblants. J'étais à deux doigts de repartir en courant de là où je venais.
— N'aie pas peur, je suis là.
Je n'avais pas peur. J'étais terrifié à l'idée de penser que si ici j'avais peur, qu'est-ce que ça donnerait une fois à la surface.
— Je sais, répondis-je en tentant de me convaincre.
Une odeur âcre me prit au nez et me fit grimacer. Les murs avaient changé de texture pour arborer des reflets brûlés avant de disparaitre dans une noirceur inexistante. La fumée envahissait progressivement les lieux pour venir jusqu'à nous et sortir, sûrement trop comprimé d'une pièce. Nos pas se perdaient dans l'immensité invisible du couloir, annihilant tout repère dans l'espace, tout nos sens et nous laissant seuls au monde. Seuls, ou presque. Je ne ressentais que faiblement la présence de Jace grâce à sa main qui agrippait la mienne. Un courant d'air frais chatouilla ma nuque et deux bras encerclèrent ma taille.
Je me figeai instantanément. Les calculs n'étaient pas bon. Mon cœur pulsa à tout rompre dans ma cage thoracique, mon souffle se fit de plus en plus court. Au moins l'un des trois membres ne devait pas se trouver à cet endroit. La main de Jace ne m'avait jamais quitté, alors à qui appartenait les deux autres bras qui m'enserraient ?
— Vous trouverez l'enfer au bout du couloir, railla une voix aiguë au sein de mon oreille.
Les deux bras me lâchèrent et un ricanement se fit entendre. Puis plus rien. Le néant. Le vide total. Trois coups sourd tonnèrent dans la pièce et ce fut finit. Je me tâtai fortement à faire demi tour.
— Es... est-ce qu'on peut re-retourner dans la chambre ? bégayai-je.
— Et louper la fête ? compléta Jace. Hors de question ! Même si tu tombes dans les pommes, je te porterais pour rejoindre tout le monde.
Mon brun réussit l'impensable : me faire reprendre confiance en moi, et oublier une part de la réalité sombre dans laquelle on se trouvait tous les deux. Il enserra davantage ma main et me transmit de son aisance pour parcourir les quelques mètres qui nous séparaient de la porte de la salle. J'avais fini par fermer les yeux pour ne me concentrer que sur Jace. Mes sens étaient décuplés mais je lui faisais confiance pour ce qui était du monde extérieur. Je ressentais le moindre mouvement d'air, la moindre odeur, mais je savais qu'entre ses bras, je ne risquai rien.
— On y est ! me chuchota-t-il.
J'ouvris doucement les yeux et la lumière perça alors la fumée, dans un fin rayon doré et violacé. Les pulsations de la musique s'élevèrent dans les airs jusqu'à se faire ressentir progressivement au plus profond de mon âme. Les sons résonnaient en moi et la traversée de ce couloir n'était plus qu'un lointain souvenir.
La porte s'ouvrit davantage et nous laissa passer avant de se refermer dans un fracas. Apparemment ma soirée « peur bleue » n'était pas finie. Raven me surprit en arrivant derrière moi et me fit sursauter et hurler plus fort que la musique. C'était un miracle si j'avais encore de la voix demain !
— Surprise ! s'écria-t-elle en levant ses bras au ciel.
Cette position me laissait le temps d'admirer sa tenue qui sortait de l'ordinaire. Adieu les leggings et les pulls de la formation, bonjour à la belle robe longue et aux talons qui lui permettaient de gagner quelques centimètres sur sa petite taille ! Je ne savais que dire de ce qu'elle avait portait tant les mots ne voulaient sortir de ma bouche. Je restais sur le cul devant la splendeur de ses vêtements et ne parvenais pas à redécouvrir ma meilleure amie, voire plus, ma soeur. La qualité du tissu de la robe était loin d'être bas de gamme, ce qui semblait plutôt étonnant, puisque Raven n'avait jamais porté autre chose que des habits officiels distribués par l'Abri.
Dans un même temps, une question subsistait dans mon esprit. Comment avait-elle pu se procurer une telle robe avec une telle matière ? Je doutais franchement d'une réconciliation avec Hermione, au vu de la fin d'après-midi. Miss Monde était du genre rancunière, loin de pardonner rapidement et prête à avoir le dernier mot quoiqu'il arrive. Et quand bien même ce soit possible, leur relation était loin d'arriver au prêt d'une robe de soirée aussi finement travaillée. Elle moulait à la perfection le haut du corps de Raven, modelant sa silhouette et enrobant sa poitrine d'un coton prune aussi sombre qu'une nuit d'été. Avec son décolleté bustier droit, la robe reposait doucement sur la peau opaline de mon tendre soleil et se laissait tomber vers le sol dans une mousseline légère et aérienne de la même couleur. Elle se fendait au niveau de la cuisse pour laisser apparaitre un bout de sa chair à travers les multiples couches de tissus.
Dans un gracile mouvement, Raven attrapa un verre sur un plateau que tenait un agent interne en formation qui s'arrêta pour nous permettre à chacun d'en prendre un. La coupette était formée en trois parties distinctes et pourtant chacune liées entre elles. Le pied transparent, fin et long remontait jusqu'à sa première séparation où, courbée finement, elle s'ouvrait vers le haut dans un cercle de petite taille. Dans sa continuité, l'épaule du verre se refermait légèrement avant de s'agrandir d'un diamètre deux fois plus important que la sphère du dessous.
Le cocktail se peignait d'une couleur sanguine en son centre et se dégradait sur un blanc glacé translucide à sa surface. De fins cristaux de sucre étaient accrochés au bord du verre et accentuaient le goût de l'alcool. Ma main prit le verre au niveau de son pied et le leva légèrement pour l'aligner avec la lumière dorée des raies de néon parcourant le plafond. Une merveilleuse couleur ambrée s'ajouta à la palette et rendit encore plus exquis le cocktail.
Je bus une gorgée avant que les lampes ne tournent au violet sombre. Je sentis l'alcool me bruler la gorge avant de descendre lentement le long de mon œsophage. Le liquide titilla mes papilles avant de ravir mon état émotionnel. En une trentaine de minutes, je lâchai prise et me laissai devenir encore plus social que d'ordinaire. Fini les barrières liées à mon ancien rang, je m'ouvrai aux autres.
C'est ainsi qu'au court d'une discussion avec un agent de la ligue deux, avec qui, si ma mémoire était encore bonne après un troisième cocktail, Raven avait déjà pu discuter lors d'une soirée au bar, je me mis à argumenter sur l'intérêt de réaliser des comptes rendus de chaque intervention externe. C'était pour moi un atout majeur qui nous permettait, à nous, agents en formation, de suivre les missions réussies ou non à l'extérieur de notre base. J'essayais tant bien que mal d'éviter de parler des informations clés que j'avais sur les attaques internes qui avaient eu lieu quelques semaines auparavant, car si les rapports de missions externes nous étaient ouverts au cours de notre formation, c'était loin d'être le cas pour les surprises venues du monde du dessus.
Le gouvernement nous cachait une partie de la vérité, je n'avais pas de doutes là-dessus car c'était ainsi que fonctionnaient les démocraties et les régimes depuis bien des siècles, bien avant l'invasion.
Alors que les discussions suivaient leur cours, mon regard fut attiré par deux silhouettes se mouvant près d'une porte. Les lumières s'agitaient dans tous les sens, rendant plus que difficile la reconnaissance qui me rappelaient vaguement celle de ma meilleure amie et de Treegof. Les cheveux fuyants de la fille volaient dans les airs alors qu'elle venait de se retourner en direction de l'homme. La main de ce dernier venait de rencontrer le poignet de son opposé et s'y accrochait fermement. Je perdis le fil de la conversation pour me concentrer davantage sur ce que j'apercevais. La situation me semblait bien plus intéressante à observer, surtout s'il s'agissait de Raven. Les ombres et la fumée cachèrent une partie du mouvement entreprit par l'homme mais le reflet du bracelet d'information brilla en rencontrant la lumière. Je n'avais quasiment plus aucun doute sur cette personne. L'arrogance émanait de lui et pourtant, je me sentais rassuré de savoir ces deux personnes s'expliquaient, comme si elle en avait besoin pour avancer.
— Agent Jodfull ? s'inquiéta doucement une voix rauque.
Ma tête se retourna vers la dite-voix. Surpris alors que mes pensées s'entremêlaient dans mon esprit, je revins brutalement à la réalité en renversant un peu de liqueur sur le dos de ma main. Je n'avais même pas fait attention que l'on m'avait resservi. D'un froncement de sourcil je tentai de me replonger dans la conversation sans vraiment savoir où elle s'était arrêtée.
— Nous vous demandions qu'elle allait être votre spécialité une fois entré dans la ligue 6, rappela une asiatique au cheveux longs, lisses et d'un noir ténèbres.
— Si j'y rentre, marmonnai-je.
Une tape frôla immédiatement mon épaule en guise de réponse saugrenue de ma part. Elle fit naître un sourire au coin de mes lèvres et une chaleur au plus profond de mon cœur. Quelqu'un croyait en moi. Quelqu'un d'autre que Raven.
— La gestion informatique sur le lieu de conflit qu'est la surface, répondis-je sûr de moi-même. Coordonner les relations au sein d'un groupe. Je ne souhaite pas diriger mais prévenir et récolter, avant de transmettre.
— Si vous y croyez fort, vous y arriverez un jour.
Le sourire franc de l'asiatique qui se trouvait en face de moi me fit espérer une soirée de plus. Je trouvais un réel avenir là où je doutais qu'il y en ait un.
— Louise Xing, fit-elle en tendant sa main, coordinatrice technique de la ligue 4. J'ai beau être douée dans mon milieu, il parait que vous vous débrouillez encore mieux.
Le rouge me monta aux joues et mes yeux trouvèrent repère sur le sol.
— Je ne suis pas mauvais, mais jamais je ne pourrais me comparer à vous...
Les images du piratage des rapports de mission me revinrent en tête à une vitesse folle. J'étais bien plus doué que ce qu'elle pouvait imaginer, mais je ne voulais pas me l'avouer. J'avais des facilités, si l'on pouvait le dire ainsi. Des facilités qui devaient restées secrètes pour le bien de l'humanité.
La discussion s'étala encore quelques minutes avant que le groupe qui venait de se former n'éclate pour partir dans chaque angle de la pièce, épris par de nouvelles paroles à débattre. Tranquillement, je me rapprochai de Jace qui n'attendait que moi pour me présenter à ce qui s'apparentait être un groupe de recherche technologique de terrain. Les agents externes en RTT. Halloween s'était transformé en soirée de l'emploi dans le secteur de la défense. Mon châtain glissa sa main dans la mienne et la serra de toute ses forces. Son contact resserra la prise que j'avais dans ce monde réel avant que je ne parte ailleurs dans un coin de mon esprit.
Mes yeux vagabondèrent dans la salle, essayant de se focaliser aussi bien sur la conversation que sur le bruit ambiant qui s'agitait autour de nous. Je savais bien que c'était peine perdue, mais je voulais réussir à faire deux choses en même temps.
✷ ✷ ✷ ✷ ✷ ✷ ✷ ✷ ✷
Hello hello ^^
Comment allez-vous ?
Pour une fois, je n'ai pas oublié de poster à l'heure (on peut m'applaudir *merci merci*) ! Qu'avez-vous pensé du chapitre ? Ayden en tant qu'agent de gestion informatique, étonnant non ? Dans pas longtemps, vous aurez, je pense une explication des différentes qualifications d'un agent externe et sa hiérarchie. Est ce que ça vous semble intéressant ?
Ici pour les avis sur le chapitre et vos théories :
Dites moi ce que vous en pensez et n'oubliez pas que les petites étoiles valent tout l'or du monde dans l'esprit d'un auteur, quelque soit son genre.
Xoxo <3
Ptitgibilin ✧
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro