IX. Les yeux dans les yeux. (VIII)
Mes pieds baignant toujours dans l'eau, je suivis le mouvement qu'avait entrepris Clayton. J'allongeai mon dos et fermai mes yeux. L'air bouillant de la piscine me brulait la peau alors que le sol froid me la glaçait. Ce rapprochement avec Treegof me semblait trop soudain. Il y a deux mois, nous nous connaissions pas le moins du monde. Il a quelques semaines on se détestait et maintenant, on était prêt à se soutenir. J'avais du mal à comprendre ce rapprochement. Pourtant, il me semblait sincère. Quand j'avais percé sa bulle, il avait d'abord été sur ses gardes, pour finalement sombrer et ne devenir qu'une épave face à moi.
J'hésitai à lui demander une faveur. Une question me brulait les lèvres et en même temps, je ne voulais pas le brusquer, l'apeurer ou encore le faire paniquer. Il semblait vulnérable et sensible.
— Il s'est passé quoi de tes dix à quinze ans ?
Les mots avaient surgi de moi, dépassant la barrière de mes pensées, de mon esprit et de mes lèvres. Pourtant, face à cette question, j'avais employé un ton bas et presque sourd. Je connaissais l'enjeu de la question et celui de la réponse.
— Je pense que tu connais déjà la réponse.
Je fronçai les sourcils, essayant de comprendre, jusqu'à ce que mon esprit se rappelle de cet article découvert il y a trois ans sur les méthodes peu catholiques qu'employait le gouvernement pour traiter les cas de troubles psychologiques. Je tournai la tête pour l'observer. Il s'ouvrait à moi et me troublait. Il n'y avait plus aucun doute sur qui il était au fond de lui.
— Je ne pensai pas que c'était réel... Je veux dire, j'en avais entendu parlé, mais j'étais loin d'imaginer qu'ils avaient leurs techniques mis au point.
Il ne laissa le silence engloutir la pièce. Son visage se figea et ses pupilles fixèrent le plafond. L'intensité dans son regard fit naitre un vide dans mon coeur. Au creux de ses yeux naquirent de fines gouttelettes de larme qui me brisèrent entièrement. Je savais ce qu'il ressentait au fond de lui. Je savais ce qu'il se remémorait sans le vouloir. Je lui infligeais ces visions. Bercée par l'eau qui rompait le calme, je me mis à observer ses magnifiques traits. Il n'y avait pas plus bel homme que lui, rétrogradant Ayden à la deuxième place.
Sa peau d'une claire chaleur laissait choir les multiples perles d'eau qui coulaient le long de ses folles mèches brunes. Marquant avec finesse les contours de sa mâchoire carrée, elles ruisselaient également non loin de ses enivrantes lèvres rosées qui, dans une tendre minutie, se figèrent en un délicat sourire abattu. Ses splendides émeraudes irradiaient, elles, d'une tristesse pure et sensible. Elles plongèrent au centre de mes yeux et se découvrirent à me transpercer avec une force bien plus sombre que je ne pouvais l'imaginer. Je baissais immédiatement les miens, cachant du mieux que je pus la gêne qui commençait à grandir en moi.
— Pourquoi avoir fait subir ça à un garçon de dix ans ?
Sa réponse ne tarda pas. Me coupant presque la parole, il ne put s'empêcher de trancher.
— Pour l'image qu'un riche doit renvoyer à la société.
Sa voix était éteinte, sans émotion, plate comme l'eau à la surface d'un lac après le passage d'une tempête. Pourtant, je le sentais. Sous cette eau, des milliers de courants affluaient et grouillaient dans tous les sens. Il portait ce masque en permanence et ne se laissait pas la moindre chance de pouvoir canaliser une énergie précise.
Cette situation me désolait. Plus je voulais connaître L'Abri dans ses moindres recoins, plus l'idée de m'en échapper se renforçait. Faire vivre ça à un enfant... Quel était le but ?
— Il y a une chose que je ne comprends pas... essayai-je d'une voix douce.
Cinq ans sans avoir d'histoire mémorisée par les serveur de L'Abri, était, aux yeux de la société, ne jamais avoir existé. Le programme qu'il avait suivi, l'avait radicalement changé je le sentais. On l'avait enfermé, maitrisé, je soupçonnais même qu'on l'avait battu pour qu'il reste à son rôle de riche. Je ne pouvais pas pardonner ce qu'il m'avait dit et presque craché à la figure mais son passé expliquait beaucoup de chose.
— Un enfant, enchaînai-je, reste un enfant. Il doit s'épanouir pour grandir. C'est en comprenant qu'il se forge un caractère, et qu'il suit le trajet qu'on lui a tracé. En l'enfermant, on le condamne.
Je mesurai mes paroles. J'essayai de ne pas trop m'emporter, mais mon sang tournait à chaud dans mon organisme. Je connaissais son histoire, presque sur le bout des doigts.
— Tu n'avais rien fait pour mériter ça !
— Au contraire ! me coupa-t-il. J'étais malade d'après mes parents. Malades de vouloir aider des personnes de rang inférieur, de vouloir les connaître ! J'étais idiot d'après mes frères car je ne comprenais pas ce qu'on me disait. Je ne comprenais que ce que je voyais. Et j'étais...
— Tu étais un enfant !
Les mots étaient sortis de ma bouche avec une telle force que j'avais suspendus le temps. Sans m'en rendre compte, j'avais posé une main sur son torse et m'étais relevée pour le surplomber. Je sentis sous la paume de ma main son coeur s'affoler, débutant une course effrénée contre la respiration qui avait cessé le temps d'un instant. Mon regard remonta vers son visage.
Ses pommettes devinrent cramoisies et ses yeux baignèrent dans les larmes qui coulaient à flot le long des joues.
— Désolée... balbutiai-je.
Je me retournai et pris le temps de fermer les yeux. Dos à lui, j'avais moins peur de la réaction qui allait peindre son doux visage.
— C'est à moi d'être désolé. Je n'ai aucune excuse à avoir mais...
Il hésitait. Ses paroles étaient sincères. Je le savais car il peinait à trouver les mots, à exprimer ses sentiments.
— Si j'agis comme ça avec toi, c'est parce qu'on me l'a appris. Pendant cinq longues années, j'ai été formaté pour repousser les personnes de rang inférieur. Pendant cinq ans, j'étais piégé...
Un tremblement dans sa voix apparu. Il était effrayé. Il avait peur d'avancer vers l'inconnu. Il était comme paralysé de l'intérieur, se cachant de ses démons. Je n'osai pas lui faire de nouveau face. Cette position semblait le mettre en confiance.
— J'ai une peur, affirma-t-il en se ressaisissant. J'ai peur de décevoir. De me décevoir, de décevoir les autres, de décevoir ma famille.
Je baissai les yeux, commençant moi-même à suffoquer. Je ressentais ses émotions bien plus fort que je ne voulais l'avouer. La sentier de la tristesse commençait à se dessiner.
— Sauf que cette peur, elle est de mèche avec une phobie que j'ai développée en cinq ans. La torture. Cinq ans, ça peut sembler court, mais pour moi, j'ai vécu ça comme une dizaine d'années à vivre en me demandant si mes choix étaient justes, si ce que je faisais correspondait au regard de la société, si j'allais rendre mes parents fiers. Je ne peux plus repartir en arrière. Je ne peux plus redevenir qui j'étais.
Ses paroles me faisaient mal. J'avais l'impression qu'on me transperçait le coeur à coup d'aiguilles chauffées à blanc. En cinq ans, ils avaient vraiment réussi à détruire un enfant et un adulte en même temps. Avec un pouvoir comme tel à la tête de la société, je prenais moi-même peur pour les générations futures. Nous étions déjà gardés comme des bêtes en cage à l'intérieur d'un abri souterrain, la société ne pouvait pas nous retirer notre vie en plus. Chacun avait sa personnalité, chacun avait son caractère et rien ni personne ne pouvait nous enlever qui nous étions. Nous forgions notre futur de nos mains. Ce n'était pas à nos parents de le faire. Leur vie devait se forger à la sueur de leurs efforts. Chacun devait être maître de son destin.
— Comment tu fais pour être aussi forte et puissante ? me demanda-t-il, sa voix se brisant en mille morceaux.
— J'ai été brisée, broyée, écrasée, mais je me suis reconstruite. Grâce à Ayden, mais pas uniquement. Je ne cherchai pas à être quelqu'un. Je voulais être moi-même, correspondre à celle que je souhaitai être.
Un frisson me parcourut la colonne vertébrale, remontant jusqu'au sommet de mon crâne. Je tremblai faiblement, remuant furtivement mes épaules. Clayton s'aperçut de mon mouvement et se releva immédiatement.
— On devrait y aller. Tu es trempée et tu vas attraper froid !
Il se rapprocha des gradins et déplia sa serviette. Il avait tout prévu, comparé à moi. Je me baladai dans les couloirs, cherchant le sommeil alors que lui tentait de s'en échapper. Il enroula son carré de coton autour de son bassin, laissant apparaître de fines bosses parfaitement sculptées sur son torse, où se glissaient suavement quelques dernières gouttes d'eau.
— Enfile ça ! m'ordonna-t-il en me tendant son pull bleu.
Mon regard passa de son torse à ses yeux à son sweat et réitéra inlassablement ce chemin pendant les trois minutes suivantes.
— Je ne vais pas mettre ça ! Et toi ? Tu ne vas pas sortir torse nu !
Il rigola tendrement, incapable de se retenir suite à ma remarque.
— Enfile ! Moi, j'ai ce qu'il faut. En plus, tu es aussi gelée qu'un mort.
Il n'avait pas tord. Je grelottai sur place à cause de cette idée pourrie de vouloir le pousser dans l'eau. Une sensation chaude se développa sur le sommet de mon crâne et se dispersa lentement sur tout mon visage. Je mis un certains temps à comprendre que Clayton venait de déposer son pull sur ma tête. Le tissus d'une douceur sans faille caressait chaque pore de ma peau et réconfortait mon être.
— Tourne toi !
Il s'exécuta sans comprendre pourquoi. De mon côté, j'enlevai mon pull totalement trempé et le remplaçai par le sien. Je fermai les yeux et profitai. Simplement. D'un mouvement ample, j'enserrai et tournai les deux extrémités. L'eau coula avec une fluidité sans pareille pour venir rejoindre le sol. Ce son fit faire volte-face à Treegof qui ne put s'empêcher de sourire. Son sweat me couvrait de telle sorte que mon short de nuit se trouvait être totalement caché.
Nous devions être ridicule dans les couloirs. Même s'il semblait être plus habillé que moi, portant un pantalon large au tissus fluide mais épais et un tee-shirt, nous étions tous les deux mouillés de la tête au pieds. Le pire dans tout ça résidait dans le fait que le silence régnait en maître et que seuls nos pas résonnaient dans le couloir. Nous nous dandinions simplement pour éviter de se refroidir trop vide.
Jamais, je n'avais autant rêvé de mon lit et de dormir. J'étais exténuée, mais à cause d'un malencontreux événement, je n'étais pas prête de me coucher immédiatement. Arrivés devant les portes de nos chambres, nous priâmes de ne croiser personne. Comment expliquer que nous étions ensemble à une heure aussi reculée de la nuit alors que nous nous détestions ?
— Tu n'es pas obligé de me suivre, tu sais ? Je connais le chemin pour aller dans ma chambre.
— Je ne voudrais pas que tu meurs d'hypothermie avant d'arriver à ta chambre... et puis, il faut que je parle à Hermione.
Je me figeai sur place. Ce n'était pas tant le fait de parler de ma camarade de chambre qui me paralysait, mais je ne comprenais pas ce soudain besoin de la voir. Il était une heure du matin passé, elle devait certainement dormir. J'entrai le code de ma chambre et passai ma main sur le détecteur pour déverrouiller entièrement la porte.
— Je suis en vie. C'est bon ! Tu peux partir.
Je le repoussai du mieux que je pus du bout de mes doigts mais j'avais la force d'une écrevisse. Je fermai la porte sur lui, sans lui laisser le temps d'amorcer ne serait-ce qu'un léger mouvement. Sans me poser de question, je m'enfermai dans la salle de bain. J'avais besoin de réfléchir et de laisser décanter la situation. J'avais aussi énormément besoin de me réchauffer à l'aider d'une bonne douche bien chaude. J'enlevai le pull à contre-coeur. Il était si confortable ! Je le pliai car c'était bien l'un des seuls vêtements à ne pas avoir fini totalement humidifié et détérioré par l'eau de la piscine.
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Hello hello ^^
Comment allez-vous ?
Désolée du retard, moi qui avait pris l'habitude de poster en début de journée... En plus en me relisant, certains passages ne me plaisaient plus, et donc il a fallu les réécrire, et notamment une description (supervisée par la fantastique brook_bar_bane). Mais voici le chapitre (enfin ! vous pouvez le dire)
J'hésite à rajouter un chapitre dimanche qui serait du point de vue de Clay et qui décrirait un peu plus ce qu'il a vécu (voyez le comme un chapitre bonus, car normalement non compris par l'historie). Si vous le voulez, n'hésitez pas à le demander !
Ici pour les avis sur le chapitre et vos théories :
Dites moi ce que vous en pensez et n'oubliez pas que les petites étoiles valent tout l'or du monde dans l'esprit d'un auteur, quelque soit son genre.
Xoxo <3
Ptitgibilin ✧
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