S07 - EP 42 ✧ part II
Partie 2/2
Le beau temps mettait de bonne humeur. Cependant, les Beat'ONE et leurs invités ne jouissaient pas de la caresse du soleil, installés dans l'espace forum du Rock Square. Cette partie-là du club était agencée comme un bar scène. La carte proposait des boissons douces, de la pression et quelques spécialités locales façon bistrot.
Le groupe VS-Dolls, formation entièrement féminine, offrait un spectacle agréable. Leur musique rétro indie et Stoner metal rendait Red nostalgique. Les filles performaient sur une jolie reprise de Green Machine, une chanson bien rythmée de Kyuss, groupe californien de Desert rock en activité dans les années 90.
La mère de Red écoutait cette chanson en faisant le ménage. Le balais et la serpillère de Tina suivaient le groove, pour le plus grand amusement de son benjamin qui trouvait cette corvée soudain fun. En y repensant, les goûts de sa mère l'avaient influencé et sans doute conditionné à devenir chanteur de rock. Dommage qu'il n'y ait pas foule ; les VS-Dolls maîtrisaient leur art. Elles avaient une belle présence scénique.
Peneloppe obtint de son père la permission de se rendre dans la « fosse », du moins, l'espace entre la scène et les tables. La plupart des spectateurs occupaient leur siège. Aussi n'y avait-il aucun risque que la gamine finisse en purée de P-G, écrasée par une masse en délire. La présence de la petite égayait les adultes. La voir headbanguer et sauter dans tous les sens donnait le sourire. La mascotte des Beat'ONE faisait leur fierté. Neewt, la chanteuse de VS-Dolls, eut plaisir à jouer avec cette jeune fan au look rock et rose.
Une partie de l'activité du club se déroulait dans l'espace à ciel ouvert, à l'ombre des arbres plantés dans le gigantesque cube transparent qui abritait un grand bassin. La structure donnait l'illusion d'un zoo ou d'un vivarium géant. Seulement, les animaux valaient des millions de dollars.
Le Rock Square permettait à ses membres d'interagir avec leurs idoles, quand celles-ci daignaient les gratifier de leur présence. La groupie : bannie. Les stars acceptaient uniquement les admirateurs « décents ». Ceux-là, triés sur le volet, étaient en général très actifs au sein des fanclubs officiels et constituaient souvent le chainon intermédiaire entre l'hystérique et le musicien.
Ces rencontres se déroulaient au calme, dans les espaces détente, autour de la piscine chauffée, durant une partie de babyfoot, de billard, de fléchettes, ou tout autre activité organisée par le staff d'Emy Event©. Se baigner ou batailler avec ses stars préférées en disait long sur le niveau de privilège ! Certains artistes venaient se relaxer au Rock Square, une heure avant de monter sur scène.
Les logos des sponsors et bannières des partenaires saturaient le paysage. Une affiche annonçait une tombola. Sur un grand panneau LED défilait le programme de la journée, entre deux flashs publicitaires de la Rock-Feast. La mention du Rock'n'Rumble revenait souvent.
À cause de leur agenda chargé, les Beat'ONE n'avaient prévu aucun fan-meeting avec les Holy Suckers. Ils étudiaient en ce moment l'attitude de leurs potentiels poulains dans ce décor qui en mettait plein la vue aux profanes fanatiques. Ignorants de la tournure de leur destin, Lou-Ahn, Gia et Memphis ne savaient plus où donner de la tête. Leur agitation restait légitime. Qui ne frôlerait pas l'apoplexie, ainsi entouré de stars adulées à travers les médias, dont les posters avaient tapissé ou habillaient toujours les murs de sa chambre ?
Naytray au grand complet se tenait à deux tables, en pleine discussion avec un grand barbu hipster, sans doute leur manager. À l'opposé, les membres de Musta'kin portaient un toast, en pleine ripaille avec des adoratrices complètement énamourées. Plus loin, le groupe de Power-metal, Deathwish, conversait bruyamment, au point de friser le manque de respect envers le quintet sur scène. En se tordant le cou, on apercevait Niney Bravo, chanteur et leader de Иeologism, affalé en slip sur les transats.
À l'instar d'autres groupes, Иeologism avait modifié son planning afin de participer au Rock'n'Rumble. Cas de KlaiM, qui accordait en ce moment une interview à Lawson et Dragan de MCS-Radio, dans l'un des espaces délimité par d'épais paravents. Rihanne tenait compagnie aux Beat'ONE, au nom de sa radio, curieuse d'en savoir plus sur leurs invités largués.
Gia et Memphis papillonnaient. Lou-Ahn disait une ode à la crispation, sous la caméra du cadreur de Coop-Com Record©. Quant à Sven, le grand échalas au fort accent contemplait ses ongles quand son regard n'était pas attiré par le passage d'une célébrité. Jay centra leur attention.
— Savez-vous pourquoi vous êtes ici ?
Les filles se montrèrent soudain attentives, dans l'expectative. Le grand blond fit non de la tête. Le grand brun dévisagea à tour de rôle les musiciens, puis sourit d'un air entendu :
— C'est une caméra-cachée ?
— Tu n'as pas inventé la machine à courber les bananes, toi, dit Jeff.
Lou-Ahn se mordit l'intérieur des joues. Loin d'elle la prétention de dire qu'elle connaissait le sarcasme des Beat'ONE, mais elle se retrouvait dans leur discours cassant. Jay interrogea Red.
— D'où tu nous le sors ?
Le chanteur fit la moue. Il prenait un pari risqué avec ce jeune homme. Pour Sven, Red avait convaincu ses amis grâce à son grain de voix. La charge émotionnelle des prestations du Tchèque lui venait presque naturellement, grâce à sa signature vocale. Du moins, quand sa timidité n'étouffait pas son message. Dès qu'il assumait son organe, il imposait l'écoute.
Memphis... Comment dire ? Les camarades de Red le suivaient dans son choix à reculons. Le chanteur soutenait qu'un bon coaching donnerait quelque chose de visuellement intéressant. Depuis l'invention de l'Auto-Tune, chanter juste n'était plus un critère de sélection sine qua non. En toute franchise, Red pensait à Rina, la danseuse d'afro-jazz rencontrée durant son vol Saunes-Nior, en donnant à son frère la possibilité de vivre son rêve. Parfois, certaines étoiles n'attendaient qu'une main tendue pour briller. À Memphis de saisir sa chance.
La page « artiste » de Memphis Langley diffusait ses reprises et compositions personnelles. Red en avait apprécié quelques-unes. Korgan et Jay avaient été moins emballés, Jeff ne s'était pas prononcé. Néanmoins, ils lui faisaient assez confiance ; Red voyait le potentiel et non les acquis. Le travail acharné polirait ce jeune homme en perle, s'il y mettait de la passion. Hélas, autant la sœur Langley était timorée, autant le frère se payait une image de fumiste arrogant. Niveau confiance en soi, le cadet avait bouffé la part du lion. Red s'en amusait. Couronné roi de la fumisterie, la responsabilité de ce sujet de son royaume lui incombait. Le gamin de dix-neuf ans apprendrait à grandir plus vite, sans perdre son âme d'enfant.
— Dans « caméra-cachée », quel mot tu piges pas ? Caméra ou cachée ? lui demanda-t-il. Si t'es incapable d'en reconnaitre une (Red désigna la caméra du cadreur), t'es peut-être pas fait pour le showbiz, finit-il, préoccupé.
Memphis s'empourpra.
— C'est le stress, marmonna-t-il. Ça paralyse certaines personnes, mais à moi, ça fait dire des conneries, avoua-t-il, penaud.
Jeff ricana.
— Tu t'en sors bien. Vaut mieux passer pour un idiot que pour atone. Sur scène, on te pardonne plus facilement le premier (il indiqua Red du menton), mais le second, pas toujours.
Red s'indigna. Korgan pouffa, comme à son habitude. Jamais solidaire, celui-là !
— On va couper au montage ? espéra Memphis.
Jeff tua ses espoirs.
— Non. C'est pour les archives. Les gens doivent savoir à quoi s'en tenir pour ne pas se sentir floués.
Il avait retrouvé son jeu favori : tourmenter la bleusaille. Sa manière de les endurcir, disait-il. Les autres n'y voyaient que son sadisme. The Broken Coda avait subi l'épreuve Scott, la chanteuse Ava apparaissait toujours dans son viseur. Les résultats de cette drôle d'audition apporteraient peut-être du répit à la jeune femme.
Memphis haussa les épaules. Il lui en faudrait plus pour flipper. Il serait servi.
— Et toi, aucune dent cassée ? s'enquit Korgan.
Gia lui sourit de toutes sa denture.
— Ça tire un peu au niveau du nez mais pas de casse. Même sans dents, je continuerai de chanter. C'est quoi le deal ?
— Le deal, c'est que dans trois jours, on vous fera monter sur scène, révéla Jay. Vous serez dans le public et, à un moment du show, Red vous appellera par vos nom et prénom. On se contentera de Gia pour toi, désolé.
Elle rit, pas le moins du monde vexée.
— Vaut mieux. C'est pas donné à tout le monde de prononcer mon nom malgache. Je préfère ne pas l'entendre plutôt que vous l'écorchiez devant tout le monde.
— C'est un challenge que j'ai envie de relever, dit Red.
— Dans ce cas, commencez à vous entraîner maintenant.
— Il n'est pas si compliqué, argüa Rebecca. Ton nom est composé de syllabes facilement prononçables. Je comprendrais s'il y avait des diphtongues ou des triphtongues, mais en prenant le temps d'écouter sa musique, il apparait simple. Long mais simple.
— J'ai rien compris, souffla Memphis.
— Ne t'en veux pas pour ça, le rassura Korgan.
Rebecca roula des yeux.
— Gia Rafaralahimanana, dit-elle d'une traite. C'est assez facile. Il y a « pire », si tu me permets l'expression.
Gia lui sourit avec indulgence. En effet, il en existait des plus complexes. Seulement, Rebecca avait un zéro pointé sur l'accent.
— Puisque vous parlez de la musique de mon nom, voici comment le prononcer.
Elle le dit avec le bon accent. Red l'imita, ravi par l'originalité du patronyme.
— Le « Ra », en préfixe, est un signe de respect, comme « Sir » ou « Lady ». « Faralahy » fait allusion aux liens de famille. Et le « manana », à la fin, se prononce « mana-n' » et veut dire « celui qui possède ». Je pense que vous risquerez moins d'écorcher mon nom si vous en connaissez la signification.[1]
Rien que pour cette approche, Red la trouvait intéressante.
— C'est un don de comprendre la musique des mots et la lier à leur sens. C'est une qualité digne d'une interprète.
En bonus, son absence de timidité. Korgan avait déniché un talent pétillant. Sa démo les avait convaincus dès les premières notes. Le coaching de Gia annonçait du plaisir, de l'amusement et du partage. La jeune femme contenait de l'énergie brute dans son petit corps, transformée en passion et ambition. Cela se lisait dans son regard et se ressentait dans la fébrilité de ses gestes. La perspective de monter sur scène devant un public impressionnant ne l'effrayait pas. Au contraire, vivement jeudi !
Lou-Ahn était son antithèse. L'étudiante palissait depuis l'annonce de Jay. Sven bleuissait, ayant sans doute oublié de respirer. Memphis attendait encore qu'on le pince, qu'on le tire de son rêve ; son incrédulité limitait sa compréhension des enjeux.
— Je ne peux rien vous garantir à propos de ce qui se passera sur scène, déclara Jay, grave. La scène est un autre univers. C'est une bête qu'il faut dompter, sinon elle vous dévore. Tout dépendra de votre envie d'y arriver. Vous pouvez douter mais une chose reste sûre : vous subirez un baptême du feu jeudi soir. Alors je vous pose cette question ici et maintenant, parce que je ne reviendrai plus dessus. Voulez-vous faire de la musique ?
C'est à ce genre de discours qu'on reconnaissait le charisme du leader des Beat'ONE. Jet Poppy-Garett avait bien hérité de l'onction de son prédécesseur, Brent Scott.
— La musique n'est pas encore ma vie mais je vis pour la musique, répondit Gia.
Refusant de se laisser intimider par l'aura titanesque de la demi-portion, Memphis insuffla toute son assurance dans ses mots :
— Ça va de soi.
Mais il aurait beau se donner des airs, il voyait bien que Gia partait favorite. Les Beat'ONE étaient déjà conquis. Elle ne forçait pas sa présence, cela semblait inné. Elle habitait tout l'espace sans s'excuser et, plus frustrant, sans le faire exprès. S'il ne se méfiait pas, cette fille le boufferait sur scène.
— Bien sûr, marmonna Sven.
Celui-là, en revanche, inspirait de la perplexité. Quand il ouvrait la bouche, Memphis craignait qu'il n'aligne pas une phrase entière. Sven le stressait, autant par ses lacunes en anglais que par sa haute taille. Il s'était toujours enorgueilli d'être le plus grand de son entourage ; maintenant, il y avait cette perche, qui se payait en plus le luxe d'une blondeur de viking ! Heureusement, son style débraillé criait « plouc » et non « rock ». Pourtant, malgré son côté effacé, Sven avait déjà la dégaine d'un metalleux. Memphis n'aimait pas le savoir dans la « concurrence ». Cela étant, son vocabulaire déficitaire freinerait la mémorisation des paroles.
Connaitre les points faibles de l'adversaire. Qui l'avait dit, déjà ? Sun Tzu ?
— Je tente l'aventure, souffla Lou-Ahn lorsque les regards se portèrent sur elle.
Pour Memphis, elle représentait un gros point d'interrogation. À part son androgynie et son look masculin, il ne lui trouvait rien de particulier. Elle ne respirait pas le rock'n'roll. Mais bon, Sun Tzu disait aussi de ne pas juger un livre à sa couverture. Les gens achèteraient peut-être son « exotisme » comme ils achetaient celui de Red Kellin. Mais pas sûr. De son humble avis, les mecs qui ressemblaient aux nanas fascinaient plus que leurs pendants féminins un peu trop virils.
— Alors ne foirez pas ce rendez-vous, recommanda Korgan. Une telle opportunité ne se présentera peut-être jamais.
— Pas « peut-être », jamais, rectifia Red. Ils n'auront plus d'autres occasions de faire de la musique avec les Beat'ONE s'ils ratent ce rendez-vous à Rock Buster.
Les quatre jeunes gens écarquillèrent des yeux. Les trois autres musiciens soufflèrent en chœur :
— Rock Buster ?!
— C'est le nom de notre scène.
— Tu viens de le trouver à l'instant, n'est-ce pas ? maugréa Jeff.
Red lui sourit.
— Je l'envoie à Dean.
— Et moi à Tessa, soupira Rebecca en l'imitant.
Inutile de discuter, Sainte Diva Red avait parlé.
— Rock Buster sonne bien, commenta Rihanne, jusque-là silencieuse. Ça colle à l'image casse-couilles de votre chanteur.[2]
Red lui leva son chapeau imaginaire. Jeff revint aux potentielles futures recrues de leur label :
— Vous comprenez que ce sera quitte ou double ? Ça passe ou ça casse.
Les concernés déglutirent. Rihanne compatit. Le bassiste réalisait-il qu'il leur foutait la pression ?
— Si j'ai bien compris, les Beat'ONE comptent faire appel à de total rookies pour une prestation scénique devant une foule démentielle, lors d'une compétition contre des stars aguerries.
— Vas-y, mets-leur la pression ! s'indigna Jeff.
Rihanne protesta :
— Tu t'en chargeais déjà tout seul !
— Il n'avait pas besoin de votre aide, non plus, marmonna Lou-Ahn.
— Pardon, s'excusa Rihanne, penaude.
Red gloussa. Rebecca roula des yeux. Cette affaire pouvait finir en fiasco et humiliation mais ces anarchistes riaient !
— J'avoue que sans être concernée, je flippe à mort, confessa Rihanne. J'en ai carrément les mains moites.
Lou-Ahn la détesta de plus belle, jusqu'à ce qu'elle pose cette question :
— Vous avez une formule magique contre le stress ?
— Bonne question, fit Rebecca. Ce n'est pas en le niant qu'il disparait. Quel est votre plan ?
— Fun, fun, fun, chantonna Red. On va s'amuser comme des malades, les enfants. Je vous le promets.
Son sourire se révéla contagieux. Rihanne avait hâte de voir la finalité de cette opération étrange. Peut-être se trouvait-elle à l'orée d'une épopée grandiose. À travers elle, MCS-Radio en serait témoin. Jay jugea pertinent de recadrer.
— Nous, on fera en sorte que ça passe, dit-il d'un ton de grand frère. Votre job : faire en sorte que ça ne casse pas. Sur ce, ça vous dit de visiter Rock Buster ?
La gangue de stress autour de Lou-Ahn, Memphis et Sven se mua lentement en gaine d'excitation. Jay rappela sa fille tandis que les applaudissements récoltés par la fin du show des VS-Dolls décroissaient. Un flash info sur l'écran LED annonça que les Beat'ONE joueraient jeudi sur la scène Rock Buster.
— Rock Buster, rien que ça ! lança Nigell depuis sa table.
La voix du chanteur de Naytray porta dans tout le forum. Les Beat'ONE se tournèrent dans sa direction au moment où le batteur Terry glissa, sarcastique :
— Ils croient révolutionner le rock. Quelle naïveté !
Les Beat'ONE sourirent. Les hostilités étaient bel et bien ouvertes.
— Juste parce que vous avez relancé le Rock'n'Rumble, ça y est, on se prend pour des reines, les filles ? piqua un autre musicien.
Maxence Ditto, dit Axe, chanteur de Deathwish. OK, pique sexiste : check. Sans surprise, ça taclait déjà en coulisses. Apparemment, tous les coups seraient permis. Red jouait volontiers le jeu. Son élan fut coupé de manière fort détestable.
— Comme si un groupe de suceuses pourrait nous battre !
Antero Pomelo, leader et guitariste de Deathwish. Il bomba le torse et exposa ses gros bras tatoués quand l'attention collective se porta sur son groupe. On avait toujours connu ses longs cheveux couleur paille sèche prisonniers d'un bandana. Cette fois, il était noir, imprimé du logo de la formation : une Grande Faucheuse armée d'une guitare électrique. Autrement dit, sa bande était sur le pied de guerre.
— D'ailleurs, c'est bien pour ça que votre chanteur n'en rate pas une, avec ses scandales de pédé, non ? Parce que sans l'aide du buzz, vous valez pas un clou !
Il affichait son homophobie de manière décomplexée. Son assurance disait qu'il jouissait de sa liberté d'expression et surtout de son droit de ne pas aimer. Ceux qui adhéraient à son opinion mais manquaient de cran étaient bienheureux qu'il se fasse leur porte-voix. Antero avait un problème avec les homosexuels et l'affirmait. Le politiquement correct pouvait aller se rhabiller. Red Kellin abreuvait le monde de son indécence, lui non plus ne se gênerait pas.
Les hommes ne s'enfilaient pas ! Point. Un mec s'entichant d'un autre crachait sur les femmes. Et inversement pour les lesbiennes. Les androgynes pédés n'avaient aucune circonstance atténuante.
— Du bad buzz, faut préciser, ajouta Zion, le batteur.
Toujours à lécher les bottes de son leader, celui-là.
— C'est vrai, quoi, reprit Antero. Red Kellin se sert de ses malheureux antécédents pour s'attirer la sympathie du public. Personne n'ose le dire, mais ils n'en pensent pas moins.
Soit il ne remarqua pas les renfrognements dans l'assistance, soit il les ignora, encouragé par le ricanement de Lionel, son bassiste, et le dégoût de son second guitariste, Jake Halle, dit Jackal.
— Oh, pauvre Red, on va le plaindre ! singea Antero. Mais c'est pas en nous donnant à bouffer ta vie dépravée que tu vas récolter l'adhésion de tout le monde. Pondre des scandales sans s'attendre à la critique est stupide.
Que ce type bénéficie d'une grande popularité débectait Antero. Depuis le premier jour, on ne parlait que de Red Kellin au Sinéad. Il ne mangeait pas de ce pain-là. Comment pouvait-on aduler une horreur contre-nature ?! Les Beat'ONE avilissaient toute une génération de jeunes férus de musique en normalisant l'homosexualité, avec la complicité des médias. Écœurant !
— Vous avez déjà eu droit à votre mariage licite, mais ça vous suffit pas, hein ? Maintenant, même les Leblanc s'y mettent ! renifla-t-il.
Une rumeur sourde parcourut le forum. Le ragot allait bon train sur ce sujet croustillant mais personne n'avait encore osé aborder Red, sans doute à cause de la mention « intouchable » livrée avec son partenaire. Il étrécit les yeux. Cet imbécile batifolait dans un champ de mines en s'aventurant sur ce terrain-là. Il se foutait comme d'une guigne des insultes sur sa personne mais n'en tolèrerait aucune à l'encontre de Dean. Le corniaud continuait sa campagne homophobe d'une voix forte :
— Bientôt le gouvernement sera infecté par des suceurs de bites et broute-minous qui se dépêcheront de légaliser la gestation pour autrui par convenance. Et personne n'y trouve à redire ! Je suis attristé de vivre à une telle époque.
Il se demandait d'ailleurs si le reste des Beat'ONE n'était pas constitué de pédales refoulées. En fin de soirée, la plupart des stars invitaient de la bombasse à l'hôtel. Les Beat'ONE se cachaient derrière femmes et enfants, justifiant ainsi l'absence d'alcool et de nanas dans leurs suites. Comme c'était commode ! On disait « sex, drug and rock'n'roll », mais ces coincés crachaient sur la drogue, dédaignaient le sexe et se targuaient d'être rock ! Du foutage de gueule !
Axe parut gêné mais ne rappela pas son acolyte à l'ordre. Il n'avait pas l'étoffe d'un meneur, en plus d'être en minorité. Lionel et Zion ricanaient ; Jackal ne cachait pas son mépris dirigé vers Red. Ce dernier remua la tête sans se départir de son sourire en coin. Avaient-ils conscience de stimuler son mauvais génie ?
Ses amis fulminaient. Néanmoins, ils n'interviendraient pas. Jay, Jeff et Korgan n'avaient pas besoin de défendre leur chanteur quand il activait le mode « diva ». Calquant son attitude sur celle des garçons, Rebecca était cependant plus préoccupée par la présence de Peneloppe.
— C'est clair comme de l'eau de source, visiblement, Môssieur Pomelo ne souffre point la présence de Red Kellin au festival, déclara Red d'un ton pompeux. (Il parlait de lui à la troisième personne ; la diva était définitivement en marche.) Mais si tu as un deathwish informulé, Antero, ma majesté se fera un plaisir de creuser ta tombe.[3]
Ça pouffa dans le public.
— Ouais, ses obsèques sont bien programmées dans l'agenda de Red, murmura Jeff.
Les propos d'Antero révoltaient et attristaient, mais... show must go on! Il savourerait le spectacle ; le talent scénique de son frontman ne l'avait jamais déçu.
— Je suis au regret de t'apprendre que tu es comme moi, mec, déclara Red. À la différence que moi, je l'assume haut et fort. Il n'y a aucun mal à reconnaitre que t'es homo, tu sais ?
— La tapette va gentiment arrêter de dire des conneries et aller voir ailleurs si j'y suis ! renvoya Antero.
L'obscurité se moque vraiment de la nuit, là ! songea Red, comme le bigot lui adressait un geste obscène indiquant son entrejambe. Son discours et ses manières avaient fini d'agacer une bonne partie de l'audience. Par amitié pour Red, par respect envers les Beat'ONE, ou simplement parce qu'ils ne cautionnaient pas l'attitude déplacée des membres de Deathwish, encore moins en présence d'un enfant. Red ignora le bellâtre et embrassa la salle.
— J'ai une révélation à vous faire. On est tous homos. Je suis magnanime, j'explique. Dans « homosexuel », le terme « homo » signifie « semblable », « identique », « même », déclina-t-il. Cette salle est remplie de personnes qui s'adorent elles-mêmes. Nous sommes tous imbus de notre personne. Vous vous aimez et, quelle coïncidence, je m'aime aussi ! Je l'assume, moi. Et aux dernières nouvelles, je suis de « même sexe » que mon corps.
Korgan se frappa le front. Lui qui attendait une réflexion pertinente s'en repentait. À sa grande surprise, les gens attendaient une énième « kellinerie », pour ne pas dire connerie, à en juger par les visages dans l'expectative.
— Moi, je me regarde toujours dans la glace. Pourquoi ? Pour voir ce beau corps. OK, j'ai eu de la veine, je le tiens de ma maman, elle avait un corps sublime. Faites avec, dit-il en se pavanant. Et j'essaye de le respecter du mieux que je peux. Alors oui, j'aime mon corps. Est-ce que je suis un homo ? Absolument ! Est-ce que vous êtes des homos ? Définitivement ! Comme moi, vous êtes de foutus narcissiques ! Vous passez plus de temps à la salle de sport que dans un studio de musique !
Il essuya un mélange de rires, de consternation et d'exaspération. Prenant Peneloppe par les épaules, il la fit tourner sur elle-même de façon à scanner l'assemblée.
— Regarde-les tous. Ils se kiffent eux-mêmes. Certains se tripotent leur ego de star devant le miroir de leur dressing. S'ils te disent le contraire, ma chérie, ils mentent.
— Ce mec est frappé, j'adore ! lâcha Ayato.
Qu'on apprécie ou non Red, l'hilarité ne fut pas moins unanime, en exceptant Deathwish. Sa réplique sur le bout de la langue, Antero marqua une hésitation. Il réalisait la situation épineuse dans laquelle il s'était fourré. À la limite, les gens se foutaient qu'il exprime son homophobie. Mais sa grossièreté devant une enfant aussi adorable que P-G ne lui vaudrait aucune sympathie. L'aspect « poupée vivante » de Peneloppe Lana Poppy-Garett suscitait l'adhésion des foules. La carte de la gamine – qui le regardait à présent droit dans les yeux –, était une grenade en attente d'être dégoupillée.
— Homo ita est [4], pontifia Jeff.
Sa citation, face au silence d'Antero, marqua la victoire de Red dans cette joute.
— Le « homo » dont il est question ici est grec, Jeffrey, rectifia Rebecca, amusé.
— Non, tu crois que ces mous du bulbe ont compris que je parlais latin ? Pour cela, il faudrait accepter l'idée perturbante qu'ils possèdent une instruction.
Rihanne ricana, à deux doigts d'applaudir.
— Laisse tomber, Tonton Jeff, soupira Peneloppe. Red n'a pas tort. Je suis sûre que quand il se mire les biscoteaux, il cherche le bouton « like », tellement il aime ce qu'il voit. Mais contrairement à Red, il a pas les couilles de le dire.
— Sa mère va me tuer, mais je choisis de mourir plutôt que de la reprendre sur son langage, approuva son père.
Des rires gras, initiés par Korgan, accompagnèrent leur sortie. Le mordant et la répartie de cette fille rentreraient dans l'histoire. Elle était la digne mascotte des Beat'ONE. Mis KO par une gamine fêtant ses dix ans dans un mois, Deathwish signait sans doute son arrêt de mort pour le Rock'n'Rumble. Parce que tout avait été filmé.
*o*o*
TBC ● EPISODE 43
Ouais, ça va saigner ! Deathwish peut numéroter ses abattis.
[1]Aux malgaches qui me lisent, j'espère ne pas avoir dit de bêtises. Sinon, c'est avec plaisir que je me laisserai instruire.
[2]En anglais, casse-couilles se dit entre autres « ball-buster ». Rock, ball, c'est du pareil au même !
[3]En anglais, « to have a deathwish » se dit d'une personne qui a des envies suicidaires. En psychologie, on parle du désir d'autodestruction, conscient ou non.
[4]Homo ita est = voilà ce qu'il est. L'expression est à prendre dans le sens de « tel est cet homme ». Sauf qu'étymologiquement, le mot latin « homo » (homme) diffère du grec « homós » (semblable, pareil). Jeff l'emploie de manière sarcastique pour étaler sa culture face à des décérébrés.
*MEDIA*
Intro vidéo : Kyuss - Green Machine. Les lyrics pourraient coller à l'état d'esprit de Deathwish, qui vient foutre la merde dans le parc du politiquement correct.
I've got a wall inside my head
It's got to set your soul free
I've got a Wheel inside my head
The wheel of understanding
I'm a loading, a loading my war machine
I'm contributing to the system,
The break down scheme
I'm a shutting down,
I'm shutting down,
your greed for green,
I am here to gun it down
I gotta do
I see pretty flowers at my feet
cool breeze, clean air, hospitality,
pretty please, a pretty please, pretty please,
get the hell away from me
I'm a loading, a loading my war machine
I'm contributing to the system,
the break down scheme
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