S07 - EP 39 ✧ part II
Je remets ici l'arbre généalogique de la famille Leblanc. Il sera utile pour cette séquence.
Partie 2/2
Farouche, l'adolescente dévisagea son grand frère. Pourquoi Regan était-il si mesquin ? Stella calcula l'énergie nécessaire à une attaque rapide. Lui sauter dessus et lui arracher la télécommande s'avérait une opération risquée. Ses débuts balbutiants et décevants en modern-jazz ne pesaient rien contre huit ans de pratique de karaté. Elle maudit leurs quatre années de différence.
— Il y a un nombre sidérant de postes téléviseurs au manoir, Stella. Tu es libre de partir en vadrouille.
Regan essuya un regard noir. Il savait que la maîtresse de maison et les gouvernantes la terrorisaient. Grand-tante Natasha n'était pas très... commode. Stella ne se sentait jamais bienvenue dans cette demeure luxueuse à l'excès. La seule idée de casser quelque chose lui inspirait des cauchemars.
— Tu vis ici depuis bientôt dix ans. Tu peux aller en vadrouille, toi. Rien ne t'empêche de suivre la télé dans ta chambre, où tu possèdes un magnifique écran plat consacré à tes jeux vidéo !
— Silence, patate.
— J'aurais mieux fait de rester à la maison, bougonna-t-elle.
Quitte à écoper d'une punition. La voilà coincée ici, alors qu'elle voulait voir la retransmission des premières images de la Rock-Feast. Rumer, sa meilleure amie, vivait les festivités à Nior. Stella le jugeait injuste. Ses parents lui avaient refusé la permission de l'accompagner, même en sachant qu'elles seraient chaperonnées par le frère aîné de sa copine.
Ses géniteurs étaient pires que des Mormons, à l'élever à coups de restrictions ! Pas d'ordinateur avant seize ans, pas d'abonnement à un magazine de mode avant seize ans, pas d'achat de CD sans l'avis paternel avant seize ans, pas d'achat de fringues ni de chaussures sans approbation maternelle avant seize ans, pas de sorties avec les copines sans chaperon avant seize ans. Pas de forfait internet illimité avant seize ans. Les deux années la séparant de l'âge fatidique relevaient du bagne.
Cerise sur le gâteau de son malheur, le grand frère de Stella n'était pas aussi cool que celui de Rumer, qui l'emmenait partout. Regan pouvait faire un effort, maintenant qu'il était majeur. Mais non. Ses espoirs reposaient sur des chimères car son frangin multipliait l'existence de ses cadettes par zéro. Leur relation fraternelle vivotait à peine.
Regan avait grandi au manoir durant plus de la moitié de la vie de Stella. De temps en temps, il se montrait gentil. Hélas, pas autant que Rudy. Stella ne l'avouerait pas mais elle était fan de ce cousin éloigné. Leur première rencontre datait de l'an dernier. En plus d'être à tomber, il était super sympa. Grâce à Rudy, elle avait assisté à un shooting de créateur. Il l'avait même encouragée à poser pour le fun, avec l'accord du photographe. (Cf.S02-EP27◈part.I) Elle avait nargué les filles de sa classe avec ces photos, jalousement gardées dans un roman de crainte qu'on les lui confisque.
Stella déplorait d'avoir des parents coincés et enviait ceux de Rumer. Contrairement à sa mère, celle de sa meilleure amie aurait exposé à la vue de tous ses clichés encadrés. Stella grandissait avec l'idée de ne pas être jolie. Karen n'était pas laide et avait refilé tout son charme à Noémie, la benjamine. La puînée se payait les moqueries à cause de son visage tacheté de son. Son appareil dentaire n'aidait pas.
— T'as volé l'identité d'une rousse ou quoi ?
— Où sont tes cheveux roux, fausse poil de carotte ?
Comme s'il fallait obligatoirement être rousse pour arborer des tâches sur le visage ! Au collège, elle écopait du doux surnom de Miss Ginger Fake. Rudy était l'un des rares à lui avoir dit qu'elle était mignonne. Sa propre maman ne se souciait pas de la complimenter. Ses parents attendaient d'elle de la docilité et surtout qu'elle ne leur fasse pas honte au manoir Leblanc. Point.
Stella détestait ce domaine imposant, propriété de la branche richissime de la famille. La liberté du corps s'y trouvait en prison. « Tiens-toi bien. Comporte-toi de manière civilisée. Mange avec les bons couverts. Mâche la bouche fermée. N'écarte pas tes jambes comme cela, tu es une fille ! Tu ne seras jamais une lady, à cette allure ! Noémie a plus de tenue que toi. » Eh bien, sa petite sœur adorait jouer à la princesse, c'était sa passion. Pas celle de Stella.
Elle se foutait qu'une partie de sa famille soit multimillionnaire. Son rêve n'avait jamais été de leur ressembler. Seulement, elle vivait avec ce complexe et le sentiment injuste de l'avoir hérité de ses parents. Elle était née Leblanc mais ne « faisait » pas Leblanc. Un calvaire au quotidien, à l'école comme à la maison. Bonus : elle subissait ces repas dominicaux que pratiquait la famille avec la dévotion d'une fervente catholique pour la grand-messe.
— Mets Lunes-TV, Regan !
— J'attends une émission sur le Canal 3.
— Mais pendant que tu attends, je peux regarder Lunes-TV ! (Voyant qu'il ne cédait pas, elle changea de tactique.) Dans ce cas, prête-moi ta tablette que je regarde sur internet, et je te fiche la paix.
— Hors de question ! Tu ne sais pas prendre soin de tes propres affaires. J'ai vu ce que tu as fait de ton portable.
— C'était un accident ! Ça arrive à tout le monde.
Ce n'était pas une question de négligence. Elle n'aurait pas eu ce portable avant seize ans. Aussi le chérissait-elle comme la prunelle de ses yeux. Il s'agissait du cadeau d'anniversaire offert par Tante Francieszka. Stella adorait la petite sœur de son père. Roland n'avait pas pu faire de remontrance à sa cadette, qui avait le don d'envoyer tout le monde paître avec classe. Tante Francieszka était, dit-on, le cas désespéré de la famille. En preuve, elle avait insinué que le cadeau avait été offert par Rudy. Personne n'avait été dupe. Sans ce côté anarchique, Stella n'aurait jamais eu de téléphone.
— C'est pas moi qui l'ai cassé, un lourdaud m'a bousculé dans le bus et ça m'a échappé des mains. La coque l'aurait protégé, mais cet idiot a marché dessus !
— Tu aurais pu exiger réparation.
Stella se retint d'insulter son frère. Elle ne faisait pas le poids contre un bibendum intimidant et elle n'était pas bagarreuse. Regan ne connaissait pas le destin de sardines en boîte de ceux qui utilisaient les transports en commun aux heures de pointe.
— Tout le monde ne rentre pas à la maison en hélico, ou ne va pas faire du shopping avec un chauffeur, marmonna-t-elle. T'es un gros nul !
— Tu me parles sur un autre ton, gronda Regan en lui pinçant une oreille.
— Je suis sûre qu'à ta place, Rudy aurait accepté !
Son ton geignard irrita Regan qui eut envie de la claquer. Stella comprit à son regard qu'elle n'obtiendrait jamais gain de cause. Elle peina à ravaler ses larmes.
— T'attends quelle émission, d'abord ? Est-ce si important ?
— Ça l'est parce que j'y ai participé.
— Toi ? Tu veux dire que tu vas passer à la télé ? renifla-t-elle, sceptique.
— Dans très exactement une demi-heure.
— C'est sûrement une émission de coincés.
— Continues, et je te promets que tu t'en repentiras.
— Y a quoi sur le Canal 3 dimanche soir ? demanda-t-elle, puis cela lui revint. Attends, tu veux dire que t'as été invité à W.H.Y?, l'émission de la daronne de Rudy ? Maman n'aime pas cette émission.
— C'est son problème.
— Elle dit que la présentatrice se la pète.
— C'est aussi son problème.
Sonia Thompson nourrissait des ragots affriolants au sein de la famille. Ayant côtoyé le personnage, Regan se demandait parfois sur quelle base la dénigrait-on. Sonia renvoyait l'image d'une femme très professionnelle, un peu froide à l'instar d'une cyborg au faciès parfait, mais elle avait su les mettre à l'aise sur son plateau. Le rapport entre Rudy et sa mère ne l'intéressait pas, car Regan et sa propre génitrice n'avaient pas d'atomes crochus non plus. Stella revint à la charge.
— Mais s'il te plaît, zappe sur Lunes-TV, juste pendant... allez, quinze minutes.
— Je n'ai pas envie de me taper un programme de gamine !
— C'est pas un truc de gamine, c'est de la musique.
— De la musique pour fillette.
— C'est du rock ! T'y connais rien !
— Depuis quand tu écoutes du rock ?
Depuis qu'elle avait rencontré Rudy au printemps dernier. Grâce à lui, elle avait vu de près – de très près – une rockstar : Red Kellin. Elle en était tombée amoureuse et, naturellement, s'était confiée à sa meilleure amie. Depuis, toutes deux vénéraient les Beat'ONE.
Cette veinarde de Rumer l'écœurait par ses textos et MMS en provenance de la Rock-Feast. Elle assistait à des activités de stand, des séances d'autographe et aux meilleurs concerts du monde ! Elle avait informé Stella qu'en raison du nouveau lancement du Rock'n'Rumble, Lunes-TV avait décidé de consacrer une plage horaire nocturne au festival. Suivre ces émissions allègerait son pincement au cœur à chaque fois que sa meilleure amie en parlerait.
Stella ne se leurrait pas, Rumer serait dithyrambique à son retour. Un coup à l'étrangler par jalousie. Elle avait le droit d'acheter ses CD sans autorisation parentale, elle ! Stella n'osait même pas imaginer la tête de son père, si elle lui demandait la permission de se procurer le dernier album des Beat'ONE.
Agacé par son insistance, Regan accéda contre toute attente à sa requête. Parler de rock lui rappelait qu'il n'avait pas suivi la bande de godelureaux de son association étudiante à Nior. Quelle ne fut pas sa surprise de tomber sur la retransmission de la convention musicale à laquelle il n'avait pas voulu assister ! Stella hurla sa joie.
— Merci, t'es le meilleur !
S'il ne suffisait que de cela pour remonter dans l'estime de sa cadette...
— Pourquoi criez-vous, jeune fille ? Qu'est-ce qu'il se passe ici ?
Stella se pétrifia. La reine des glaces, Natasha, allait la prendre en grippe. C'en serait fait d'elle. Elle lança un appel de détresse silencieux à son frère qui lui opposa un regard narquois.
— Euh...
— Elle est ravie du programme, dit Regan. Ce n'est pas tous les jours qu'on assiste à la retransmission de la Rock-Feast sur une chaine de grande audience.
— Ils refont le Rock'n'Rumble cette année, ajouta Stella.
Natasha fut larguée.
— Rock'n'... ?
— C'est un évènement remis au goût du jour après dix ans d'absence, expliqua-t-elle.
S'il y avait une chose que Natasha exécrait, après la mauvaise tenue à table, c'était que l'on se montre timorée. Stella comptait donc lui recracher les recherches de son amie – Dieu bénisse Rumer ! –, en s'exprimant comme une grande.
— Il s'agit d'un marathon de concerts rock. Les groupes s'affrontent sur la musique et doivent attirer le public avec leur prestation. Celui qui attire le plus de monde gagne. Il y a dix ans, le vainqueur était...
— Dius Core, fit un homme dans son dos.
Elle se pétrifia à nouveau. Pourquoi s'étaient-ils tous donné rendez-vous dans ce salon, nom d'un chien !? L'époux de la reine des glaces les gratifiait de sa présence sibérienne !
— Leur victoire écrasante a rendu dérisoire la raison d'être du Rock'n'Rumble, continua Vince, amusé. Leurs challengers l'avaient vécu comme une véritable humiliation, si bien qu'ils n'en ont pas fait une tradition tant la défaite était cuisante.
— Les autres groupes n'avaient qu'à être bons, osa Stella. Je suis sûr que si les Beat'ONE avaient été leurs adversaires, y aurait pas eu une victoire aussi écrasante.
Regan roula des yeux.
— Arrête de dire des inepties.
— C'est pas des inepties ! Même que je suis sûre que les Beat'ONE vont gagner cette année.
— Contre Mad Babiz ? opposa Regan.
— Ouais. C'est des légendes !
— D'abord, on dit « ce sont des légendes ». Ensuite, ton discours est typique de la groupie, railla Regan.
Elle rougit. Elle venait d'accaparer l'attention de son grand-oncle. Vince la regardait d'un air singulier.
— Tu étais en maternelle quand tous ces évènements se sont déroulés. Étrange que tu en parles avec tant de conviction. Qu'est-ce qui te fait penser que ces Beat'ONE ont l'étoffe de légendes ?
— Red Kellin le dit lui-même. Qu'ils seront des légendes vivantes parce que les posthumes sont démodées. Ils n'ont pas besoin d'être morts pour qu'on plébiscite leur talent.
Regan s'esclaffa.
— C'est tout à fait le genre de Red de dire ça.
— Tu vois ? appuya Stella.
— Mais cela n'empêche qu'il n'a aucune notion de la réalité. Cet homme vit dans son propre monde.
— Qu'est-ce que t'en sais ?
— Je côtoie le spécimen. Ma fac travaille avec lui sur un projet musical.
— Ah ouais ? Et tu m'as rien dit ?! éructa Stella, envieuse.
Natasha se rembrunit. Voilà qui expliquait la subite présence du « spécimen » à son cours de pâtisserie. Bien qu'il n'ait participé qu'à une classe – sans doute découragé par un accueil houleux –, Red Kellin n'était pas de passage à Balmer, il y séjournait plus longtemps. Chez Dean. La situation l'inquiétait un peu. Or son avis n'était point demandé, et elle n'avait pas non plus la possibilité de le donner. Cette impuissance l'exaspérait.
— D'ailleurs, ce projet sera mentionné durant l'émission W.H.Y?, révéla Regan. Donc le moment venu, je zapperai. Tu suivras le reste en replay.
Stella capitula.
— De toute façon, tout le monde voudra te voir à la télé, bougonna-t-elle.
Elle lança une œillade aux nouveaux arrivants, dont ses parents. Il n'y en avait que pour Regan !
Ce dernier nota alors que le salon s'était peuplé. Il remercia intérieurement sa sœur d'avoir attisé l'intérêt de tous les témoins. Ce n'était pas dans ses intentions de se démener à les rassembler devant la télé, comme l'attendait Rudy. Son cousin aimait le mettre dans une position inconfortable ! Toutefois, une part de lui mentirait en niant qu'il appréciait le cours des évènements ces derniers jours.
— C'est Stella qui veut suivre « ça » ?
Le ton inquisiteur maternel pesa sur les épaules de Stella. Tête baissée, elle serra les dents dans l'attente d'une remontrance. Regan ne cacha pas son impatience.
— Tu as été jeune, maman. Tu écoutais sûrement en cachette une musique que tes parents jugeaient transgressive. Ou sinon, tu te maquillais dans leur dos et bravais leurs interdits en catimini. Stella a le mérite d'exposer ses goûts. Écouter « ça » est aussi sain qu'écouter Bach ou Chopin. Encore mieux, c'est de son temps, ces artistes sont ses contemporains. Quand elle aura une fille, elle lui en parlera avec la nostalgie des jours heureux. Ce serait bien que tu n'en fasses pas un futur souvenir amer.
Sa tirade imposa un silence épais. Stella cessa de respirer. Karen fulminait, mais seuls ceux qui la côtoyaient intimement le décelaient dans son regard. Regan servit le sourire « modèle avenant » à sa génitrice et prit ses aises dans un fauteuil. Il se fichait de lui « taper l'affiche ». Sa mère n'avait plus d'autorité sur lui depuis des lustres. Quant à son père, il ne lui viendrait pas à l'idée de le reprendre. Le credo de Roland Leblanc était de ne jamais attirer sur lui une attention « négative » en présence de Vince.
Regan haïssait la pusillanimité paternelle. Sans doute parce que la sienne s'y reflétait. Cela lui coûtait de l'admettre, mais depuis l'entrée de Rudy dans sa vie, avec la subtilité d'une boule de démolition, il apprenait à se débarrasser de sa couardise. Raison du front opposé à sa mère. L'absence de surenchère légitima sa réponse. Il nota même des sourires dissimulés dans l'audience.
Stella se résigna à le payer cher une fois à la maison. Elle aurait dû maudire son frère, mais elle était heureuse qu'il ait pris sa défense. Finalement, Regan pouvait se montrer cool. En revanche, elle ne s'attendait pas à ce que la pique dissimulée de son aîné déclenche le procès de sa mère. Tante Elly semblait investie de la mission de l'achever ce soir.
— Tu ne t'en prendras qu'à toi-même, Karen, commença-t-elle, moqueuse. Je pense qu'il y a des lieux plus appropriés pour parfaire l'éducation de ta fille, que devant toute la famille réunie. Enfin, cela est vrai ! Toujours t'entendre reprendre tes gamines sur leurs manières devient lassant, se plaignit-elle.
Stella s'empourpra. De manière détournée, Tante Elly la traitait de sauvageonne. Elle n'était peut-être qu'une ado, tout Leblanc de « second lignage » savait déceler assez tôt le dédain dissimulé des membres de « lignage direct ». Dans le dos de sa mère, les langues à ragots disaient que si elle échouait à élever ses enfants chez elle, ce n'était pas chez les autres qu'elle leur inculquerait une éducation.
Karen Leblanc, née Giraud, était un sujet de moquerie en coulisses. Elle se serait certainement épargné ces persiflages si elle n'affectait pas ses airs ampoulés de femme sérieuse, respectable, à cheval sur l'étiquette. Bien entendu, elle possédait ces qualités, mais l'ensemble apparaissait télégraphié, voire surjoué en vue de s'attirer des faveurs. En particulier celles de Natasha.
Celle-ci s'en souciait comme d'une guigne quand Deborah, sa belle-sœur, s'en agaçait. La femme de James voyait dans cette faim d'approbation une manière de hisser la maîtresse du manoir sur un piédestal. Le trône revenait à Natasha simplement parce qu'on l'avait épousée. Point. Sans surprise, Elly, fille aînée de Deborah, abondait dans le sens maternel face à l'œuvre de Karen, qui ne ratait pas une occasion de faire son intéressante.
— Ce ne serait pas notre chère Karen sinon, glissa Rendall, ironique. Passer un dimanche en famille sans entendre une remarque de ma belle-sœur à mes nièces m'angoisse. J'ai le sentiment que quelque chose n'est pas normal.
L'assistance pouffa. Regan peina à saisir le trait d'humour. De son humble avis, il n'y en avait aucun. Contrairement à ceux qui feignaient l'aveuglement, Regan n'appréciait pas cet oncle paternel. Rendall nourrissait du ressentiment envers son frère cadet, Roland, et par ricochet Karen, son épouse. Tous en savaient la cause : le choix de Vince s'était porté sur Regan et non sur Mitchel Jr, le fils aîné de Rendall.
La raison de cette décision : Vince n'admettait pas que l'élite manque d'intelligence. Quand Regan avait emménagé au manoir, son cousin Mitchel Jr comptabilisait déjà deux redoublements à l'école primaire. Non à cause d'une dyslexie, dysorthographie, dyscalculie, ou tout autre retard ou lacune involontaire. Mitchel Jr n'aimait simplement pas étudier. Point.
Tout l'opposé de son cadet, Seth, passionné de mythologie égyptienne depuis l'âge où il avait découvert l'appartenance de son prénom au panthéon des dieux égyptiens. Le gamin de douze ans impressionnait par ses connaissances toutefois restreintes à l'égyptologie. À la longue, Regan trouvait son discours soporifique. Mais cela suffisait à Rendall, qui privilégiait désormais son benjamin à chaque visite au manoir.
La question de son beau-frère aîné, Stanley, sortit Karen de sa pataugeoire d'humiliation :
— Ils se sont endormis ?
Malvina, son épouse, qui pénétrait dans le salon, opina du chef. Un soupir de soulagement général s'éleva de l'assemblée. Stanley, l'aîné de Randall et Roland Leblanc, était l'heureux père tardif de faux triplés. Durant des années, Malvina avait eu des difficultés à concevoir. Après de longues batailles, l'assistance médicale à la procréation aboutissait sur un trio gagnant. Lucy, Leo et Lydia Leblanc, deux ans, avaient décidé de contracter en même temps la maladie des oreillons. Leurs pleurs fendaient le cœur.
Regan estimait que Stanley et Malvina auraient pu se passer de venir. Leur absence lui aurait épargné des acouphènes. Mais certains dimanches au manoir étaient impondérables. Surtout quand on voulait garder un œil sur « la concurrence ». Fort heureusement, Stanley ne se sentait pas en compétition contre ses cadets. Pas encore. À cause de sa paternité tardive, sans doute. Pour l'instant, sa descendance trop jeune ne suscitait pas l'intérêt de l'Empire. Et puis, Stanley gérait déjà la succursale de White Enterprise© de la ville de Cresstown, poste cédé par son père.
Quoi qu'il en soit, ses trois bouts de chou, qui avaient boudé leur sieste de l'après-midi, s'étaient enfin endormis en compagnie d'Eliel. Le benjamin de Jonathan, ayant déjà souffert d'oreillons, ne risquait rien.
— Un de ces jours, je prendrais des vacances de mes enfants, geignit Malvina. On pleure quand on n'en a pas, et on pleure quand on en a !
— Et on pleure quand ils s'en vont de la maison, dit Déborah. Ma chère, tu n'as pas fini de pleurer.
Malvina sourit.
— Tant qu'on en rit, c'est le plus important.
— Tout le monde ne peut pas en rire, hélas.
La compassion de Déborah dissimulait une dague. Natasha, cible désignée, garda son stoïcisme, non sans se demander pourquoi sa belle-sœur ne se montrait pas loyale envers son cher époux et disparaissait du paysage. On voyait peu James au manoir depuis ses tensions avec Vince... et Daniel-Ritchie.
— Rosalie joue encore aux déserteuses ? remarqua Déborah.
— Ta belle-fille ne doit pas souffrir la compagnie de quelqu'un, piqua Natasha.
— Elle s'est dévouée à garder un œil sur les petits, dit Malvina, ignorante du sous-entendu.
En l'absence de Jonathan, Rosalie trouvait des prétextes pour ne pas se mêler au reste de la famille lors de ces rassemblements barbants. Regan parierait qu'elle opposerait une autre parade lorsqu'on la ferait quérir. Comme garder un œil sur sa fille qui jouait avec les benjamines d'Elly et Karen, alors que les gouvernantes s'en chargeaient déjà. Avec une belle-mère et une belle-sœur maniant la pique tel un chevalier sa hallebarde, Rosalie se sentait bien, loin de Déborah et Elly.
À contrario de leur génitrices, Berenice, Lilly et Noémie étaient « copines ». Regan les trouvait déjà niaises malgré leur jeune âge mais enviait la liberté de leur innocence. Elles se foutraient royalement du prochain coming-out médiatisé de Rudy.
Du regard, Regan compta les absents : Grand-oncle James, Granny Rachel – qui prenait racine dans ses appartements en raison de sa santé fragile, à la différence de son époux qui imposait sa présence de patriarche malgré la guerre froide entre ses fils et lui –, Grand-père et Grand-mère John et Mona, vivant leur loisirs de retraités à Cresstown, Rosalie la « déserteuse », Jamal, le mari d'Elly en voyage d'affaires, Jonathan, en déplacement à Soslë, Dan, à Saunes, Tante Nabila, sans doute occupée à consoler son fils aîné, Mitchel Jr, de la partialité affichée de son père dans son choix d'amener uniquement Seth au manoir, et Tante Francieszka, localisation inconnue.
Regan aurait aimé que sa tante préférée soit là. Sa vocation de Gossip-Radio Leblanc aurait été d'une grande aide dans la diffusion du scandale en perspective. Cela ne coûtait rien de lui envoyer un SMS l'invitant à regarder l'émission ce soir ou plus tard.
— Je ne comprends pas qu'on puisse aimer autant d'agitation, remarqua Déborah.
À la télé, une séquence immersive obtenue par drone donnait une belle idée de l'ambiance électrique du premier concert de Mad Babiz. Regan jugea cette transition parfaite pour zapper.
— Peut-être qu'une émission moins tapageuse fera ton bonheur.
Retenant un sourire de squale, il feignit de choisir une chaîne au hasard. L'apparition de Sonia à l'écran fit froncer des sourcils. Les téléspectateurs tardifs se laissèrent duper ; les autres surent qu'il avait zappé à dessein.
— Elle crâne toujours autant, renifla Karen. À croire qu'elle n'a pas reçu de retour de bâton après son portrait peu élogieux de la famille dans sa dernière émission.
Elle se garda d'évoquer « Noël ». Sujet sensible. Karen n'était pas la seule à penser que Sonia ne s'était pas assez fait taper sur les doigts.
— Regan passe dans cette émission, annonça Stella.
— Ah ouais ? douta Seth.
Notant les interrogations muettes, Regan donna une réponse nonchalante :
— Cette édition spéciale parlera de Darney. L'équipe du Canal 3 a trié sur le volet des personnalités remarquables.
Daniel-Ritchie grommela.
— Remarquables... Comme c'est ironique. On assiste à un total laisser-aller médiatique ces dernières semaines. On folâtrait déjà avec la limite de l'indécence à cause des pubs de l'autre tête brûlée, maintenant toute la famille s'y met ! De mon temps, une telle chose n'aurait jamais eu lieu.
Regan serra les dents, sentant qu'il s'en prendrait plein la figure au fil de l'émission car on l'amalgamerait sans nuance à la mascarade. Une gorgée de son cocktail alcoolisé le soulagea à peine de la sécheresse de sa gorge. Maudit sois-tu, Rudy ! Néanmoins, il s'entendit rétorquer :
— De ton temps, oui. Mais à plus de quatre-vingts ans, cher arrière-grand-oncle, je pense qu'on se doute que son temps est révolu, non ?
Vince, à qui la pique du vieillard était destinée en réalité, arqua un sourcil. Regan se borna à siroter sa boisson, son attention fermement rivée sur la télé. De manière étrange, personne ne releva, donnant une fois de plus de la légitimité à son opinion. Elly tenta de dissiper le malaise en détournant la conversation.
— Elle a toujours eu cette manie de se mêler de choses qu'elle ignore. Qu'est-elle allée faire à Darney ? Elle n'y a jamais été étudiante.
— Faut-il avoir fait ses études dans un lieu pour en parler ? soupira Regan.
Elly le toisa.
— Tu n'aurais pas un peu forcé sur le gin ? lança-t-elle, sèche.
Regan lui sourit.
— J'ai de plus en plus de mal à laisser passer les remarques illogiques. Faut blâmer l'influence du professeur Sachsen. Je suis sûr qu'il a laissé à certains d'entre nous de bons souvenirs.
Vince essaya de ne pas ricaner, mais on entendit son rire dans sa voix.
— Ce bon vieux Sachsen professe toujours à Darney ? Il est indécrottable.
Sa remarque interdit toute réplique acérée à l'endroit de Regan. Le jeune homme le savoura comme une victoire. Hélas, la sensation ne durerait pas, car à l'écran, Sonia introduisait le thème de l'édition : la campagne LGBTQI+ de Darney.
*o*o*
TBC ● EPISODE 40
Pour les très, très curieux, le Pr Sachsen est mentionné pour la première fois dans S03-EP25△part.I
*MEDIA*
Intro vidéo : Truth Be Told - Chris Leamy. Une chanson coup de cœur dont je dédie les lyrics à Regan, à qui les vers en gras vont si bien !
Up Before the sunlight
Tired from a long night
In the shadow of the limelight
The same fight
Chasing down the high life
Riding down the A-line
Putting in the overtime
To make a dime
All of the years watch them all fly by
All of the tears got no where left to hide
And truth be told, no one knows, no one knows
It's been a long, been a long time coming
I'm moving on, getting tired of running
Curtains close, no one knows, no one knows
I'm on the edge giving all that I got
Who I am is living who I'm not
Pinching pennies it don't make no sense (cents, play on words)
Chasing dollar after dollar but I still feel spent
All the things I've been through
I lie awake and review
The scars will never leave me
They remind me
All of the years watch them all fly by
All of the tears got no where left to hide
And truth be told, no one knows, no one knows
It's been a long, been a long time coming
I'm moving on, getting tired of running
Curtains close, no one knows, no one knows
I'm on the edge giving all that I got
Who I am is living who I'm not
Pinching pennies it don't make no sense (cents, play on words)
Chasing dollar after dollar but I still feel spent
Ah, (Dollar after dollar but I still feel spent)
Up before the sunlight, tired from a long night
It's been a long, been a long time coming
I'm moving on, getting tired of running
Curtains close, no one knows, no one knows
I'm on the edge giving all that I got
Who I am is living who I'm not
Pinching pennies it don't make no sense (cents, play on words)
Chasing dollar after dollar but I still feel spent
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