S07 - EP 39 ✧ part I
Partie 1/2
— Lou, qu'est-ce que t'as ? demanda Inna, la voyant figée devant son téléphone.
— Reste pas plantée là, on perd des places ! râla Junior. Je n'ai jamais eu à faire la queue dans ces conditions.
D'ordinaire, sa carte MIP le protégeait de ce genre de tracasseries. Pourquoi Emy Event© ne tenait-elle pas compte du statut MIP, nom d'un chien ?! Les tickets premium donnaient simplement accès à tout le parc des Expositions mais n'aidaient pas à réguler les files d'attente. Au summum de l'exaspération, il gronda :
— Faut faire quelque chose. Ce festival est une horreur !
Saïd s'indigna.
— Espèce de blasphémateur ! Ça fait cinq ans que je viens, et cette année, ils ont placé la barre haut.
— Elle devait partir des abysses alors, renvoya Junior.
— Arrête de geindre ! Tout ça parce que le petit prince ne peut pas attendre quinze pauvres minutes, railla Timothy.
— Ça fait vingt minutes qu'on poireaute, rectifia Mir, aussi pointilleux qu'agacé.
— Croyez-moi, une demi-heure de queue est potable, affirma Teddy. Et vous avez de la chance, il fait beau.
Blain lui lança un regard désespéré. Il plaisantait ?
— On est vraiment obligés de faire ça ? pesta Junior.
Blake s'impatienta.
— Si tu pouvais la fermer, tu aurais ma reconnaissance éternelle ! Je te signale que tu t'es mis seul dans cette galère, Clémentine. Comment t'as fait pour oublier de te procurer un Emy Cassys® ? C'est un basique !
— Hé, je ne suis pas le seul ! s'irrita Junior. Mir et Blain sont dans le même bateau.
— Ouais, mais j'estime qu'en tant que Mr Know Everything, tu n'as pas de circonstance atténuante.
À vrai dire, ils étaient tous là, fignolés telles des sardines, pour faire pénitence d'avoir oublié que les trois hérétiques issus d'un milieu favorisé ne connaissaient pas les bases de la vie en convention. Personne n'avait expliqué le cash system à Junior, Mir et Blain, alors qu'il s'agissait de leur première Rock-Feast. En conséquence, les étudiants du comité Humanitaire d'A.M.I.E. avaient reçu la « mission sanction » de les escorter aux guichets de vente.
Emy Cassys® n'était pas le nom d'une jeune fille, comme l'avait cru Blain, mais le petit nom donné par les festivaliers à l'Emy Event Cash System® en fusionnant les premières syllabes de « cash » et « system ». À la suite des problèmes pécuniaires de sessions précédentes, la société d'évènementiel avait breveté un système de cartes rechargeables en crédits, via une application, en partenariat avec la Crossler Bank©. Un mois avant chaque évènement, la banque les produisait et les mettait en vente dans les tabacs-presses partenaires. Elles avaient une validité limitée à la durée de la convention, rock, littéraire ou autre. Les utilisateurs déploraient qu'elles ne soient pas permanentes. Mais la fraude dissuadait Emy Event© de changer de procédé.
On payait tout avec des Emy Cassys®. Son repas, son confort, ses entrées, ses goodies, ses tickets de tombola... Cela évitait les rushs aux guichets automatiques bancaires, certains vols et les soucis de monnaies aux nombreux camions-snacks garés le long du parcours conduisant aux différentes scènes. Les malheureux ayant oublié de se procurer ces cartes avant le jour J se tapaient la queue devant les caisses les vendant sur place.
En apprenant que Mir, Junior et Blain n'avaient jamais mis les pieds au festival, les étudiants d'A.M.I.E. – tous comités confondus – avaient crié à l'outrage. Afin de réparer cet affront, les ignares avaient été embarqués de force dans le convoi organisé tous les ans par le comité chargé des activités ludiques de l'association.
Cette année, cependant, était particulière. À la dernière minute, l'Amicale avait reçu une subvention « spéciale Rock-Feast ». Une nouveauté qu'elle devait au doyen de l'université, néanmoins soumise à condition. Pour débloquer ce « fonds », le comité Evènementiel devait s'assurer de la participation de tous les organisateurs de la GFM.
Heureuse de l'aubaine, la présidente du comité, Candice Monroë, n'avait pas cherché à identifier l'anguille sous roche. Qu'ils désirent ou non mettre les pieds à Nior, Teddy, Inna, Blake, Lou-Ahn, Saïd, Timothy, Junior, Mir et Regan – Rudy étant absent –, s'étaient vu harcelés. Tous avaient cédé, excepté Regan, si fermé que personne n'avait plus osé l'approcher. De toute façon, ils s'épargnaient son humeur rabat-joie. On l'avait toutefois obligé à apposer sa signature pour l'encaissement du chèque. Il s'était exécuté afin de ne pas être catalogué Gargamelle de service. À présent, Junior et Mir se demandaient si Regan n'avait pas eu du flair. Ils se seraient volontiers passés de ce baptême de convention !
— Les Balmer Underground Ultimate Racing rassemblent du monde sans vous plonger dans un puits d'inconfort ! gémit Junior. Ils vivent à quel millénaire pour ne pas avoir songé à créer la version dématérialisée de cette carte ? Cette connerie se recharge via une appli téléphone. C'était tout à fait réalisable !
— En effet, admit Blake. J'espère qu'après les files d'attentes indécentes de cette année, l'organisation y pensera. C'est une idée à suggérer sur le forum.
Elle s'exécuta en se connectant à l'application du festival.
— Sans aller aussi loin, de manière plus archaïque, ils pourraient augmenter le nombre de guichets et files d'attente, maugréa Blain.
De constitution moins robuste, il était au bord du malaise. Son problème, qui semblait plus psychologique que physique, inquiétait Saïd. Ce dernier tenta de le rassurer.
— C'est le seul moment où tu poireauteras. Après ça devient fluide.
Blain acquiesça, bravache. Il aurait aimé que Saïd le prenne dans ses bras, mais il n'avait pas le cran de faire le premier pas, d'enfouir son nez dans le cou du jeune homme et occulter les odeurs des autres. Il subissait la pression de bras, de cuisses, de fesses, de jambes, de bustes, de dos inconnus, quand le corps de son petit-ami promettait un réconfort qu'il n'osait pas demander. Or tous ces yeux impliquaient autant de jugements. Une main saisit la sienne et lui apporta une petite consolation. Il réussit à sourire à Saïd.
— Ça ne nous dit pas pourquoi elle joue les piquets, alors que ça gruge de partout ! grommela Junior en désignant Lou-Ahn.
Celle-ci rangea son portable, avant que le mobile ne lui échappe et finisse son destin sous une semelle impitoyable de Doc'M®. Ce serait malheureux, sachant la teneur du message dont elle venait d'accuser réception. De toute évidence, elle ne voulait pas en parler, nota Junior. Ce n'était que partie remise.
Bracelets-pass au poignet, Emy Cassys® en poche, les Darneyens se retrouvèrent plus tard autour d'un point vert du parc afin de coordonner leur itinéraire. Le programme éclectique s'annonçait chargé. En raison du Rock'n'Rumble, certains horaires avaient été modifiés. Le marathon de popularité ouvrirait les hostilités le dernier jour du festival, à dix-sept heures. Les étudiants avaient leur préférence en matière de groupes, et l'affiche alléchante du douzième impact donnait l'embarras du choix.
— C'est une torture de choisir, dit Blake. Quel artiste sacrifier au profit d'un autre, sachant qu'on les adule tous ?
— On est dimanche, t'as jusqu'à jeudi pour faire le tour des scènes, suggéra Mir. Suffit d'être organisé.
— Vous avez vu comment sont configuré les mainstages ? remarqua Inna. Deux formations star ne peuvent pas jouer en même temps sur de grandes scènes jugées trop proches.
— C'est sûrement pour des soucis d'interférence sonore, supputa Saïd. Mais dans tous les cas, on en a bien plus que pour notre argent.
— T'as quasiment rien déboursé, rappela Candice.
Après les halls concentrant les stands, s'ouvrait un monde au décor étrange, façon dark féérie biberonnée à la Woodstock, typique de l'identité open air de la Rock-Feast. Pour les aficionados, c'était le paradis ! Chaque scène possédait un nom et un design propres. Les dimensions variaient et certaines octroyaient de sacrés privilèges aux sets qui y performaient.
Les groupes ayant foulé plusieurs fois le sol du Sinéad avaient leurs habitudes et leurs scènes attitrées. Certains étaient considérés comme les chouchous des organisateurs, statut qui échoyait souvent aux grosses cash-machines. À moins d'être une valeur sûre, ceux qui débarquaient pour la premières fois devaient compter sur un richissime imprésario pour prétendre aux places de choix (comme NITRΩ, par exemple). Sinon, les musiciens se contentaient des scènes petites et lointaines. Les jambes des fans comptabilisaient pas mal de kilométrage à la fin du festival.
Dans ce grand bazar labyrinthique se succédaient des scènes à l'air libre soumises au challenge de l'acoustique, celles sous des chapiteaux gigantesques ayant une meilleure qualité du son mais limitées en animations pyrotechniques, celles intégrées dans les trucks titanesques – simples mais efficaces, celles rassemblant du monde sans atteindre la marée humaine... et enfin, il y avait cet échafaudage étrange, à l'autre bout du parc, dont on peinait à voir la finalité mais que la rumeur attribuait aux Beat'ONE.
— Du coup, les Beat'ONE auront deux scènes ? demanda Saïd. Ils jouent leur premier concert au Rock Venom.
Un rendez-vous à ne pas manquer.
— Ils ont annoncé une surprise sur leur site, dit Miharu, appuyé par sa sœur qui était membre du comité Évènementiel d'A.M.I.E. Tout le monde débat sur la fameuse « scène-de-la-mort-qui-tue ».
— Vous croyez que Dean Leblanc sera là ? C'est lui qui est à l'origine des scènes les plus loufoques de ce groupe, rappela Candice.
La personne qui apporterait la nouvelle de sa présence à Nior serait sans doute béatifiée.
— Le père de Rudy vient de m'envoyer un texto, dit Lou-Ahn de but en blanc.
Des onomatopées de surprise accompagnèrent des régurgitations de boisson, des déglutitions de travers et des quintes de toux larmoyantes. Lou-Ahn savoura son effet durant une seconde. En réalité, elle n'en menait pas large.
— D'où Dean connait ton numéro ? postillonna Blake, scandalisée et jalouse.
Il l'avait forcément eu de Rudy. La question était pourquoi. Inna s'inquiéta.
— C'est au sujet de Rudy ?
— Non ! De toute façon, je n'aurais pas été d'une grande aide, aucun de nous ne sait où il se trouve. Il n'a pas répondu à nos sollicitations.
— Il est sûrement dans son vol à destination des Îles Seychelles, révéla Blain.
— Les Îles Seychelles pour la Saint Valentin, putain, le veinard ! souffla Saïd.
— Comment tu le sais ? Tu débarques à peine et Caramel-vanille te confie déjà ses secrets ?
Blain lut la question de Junior dans le regard des autres. Il aurait pu s'en vexer mais s'en amusa. Rudy n'avait aucune idée de son influence sur ses amis.
— Je le sais de Rey.
Il était plus « copain » avec le mec du blondinet.
— On s'en fout de ça, lâcha Timothy, essuyant l'œillade sceptique de Mir et Junior. Dean voulait quoi ?
— Que je me rende au Rock Square demain matin, à dix heures, révéla Lou-Ahn. Il m'a demandé de ne pas crier à tue-tête aujourd'hui. Je dois préserver ma précieuse voix pour la suite. Déjà, comment il sait que je suis ici ? s'affola-t-elle.
— C'est ce qui te travaille plus que le reste de ce message intrigant ?! exhala Junior. Pour répondre à ta question, le doyen sait que t'es ici, alors Dean aussi. Ils sont cousins.
Il suffisait d'actionner ses méninges. Excepté Blain, les autres en restèrent sur le cul.
— C'est pas forcément lié.
— Mais bien sûr que ceci explique cela, s'impatienta Junior. Il est temps que vous assimiliez l'omniscience relative des Leblanc à Balmer.
Suivant son propre conseil, Junior était parvenu à la conclusion qu'ils suivaient en ce moment une thérapie de groupe. Rudy avait été enlevé dans une ambiance presque similaire ; ils étaient en pleine euphorie rock après un concert du tonnerre. Ils gardaient de mauvais souvenirs de leur dernier passage à Nior. Aymar Sulivann, ou peut-être Dean Leblanc, avait décidé de les replonger dans le bain et les obliger à affronter leurs démons. À moins que la paranoïa de Junior prête des intentions erronées à ces hommes. Mais il préférait écouter son intuition.
Sinon, comment expliquer la condition soumise par le doyen au comité Évènementiel ? L'absence de Regan n'avait pas verrouillé la subvention, car il n'appartenait pas à la bande ayant séjourné à Nior à Noël. Les voilà de retour dans cette ville où tout avait mal tourné, trop occupés à engranger des souvenirs heureux pour penser à nourrir leurs cauchemars. À les voir ainsi, focalisés sur le fun, nul ne saurait qu'ils avaient assisté à un drame il y a deux mois. Cette espèce de prise en charge psychologique détournée portait sans doute ses fruits. Malgré tout, Junior se demandait s'il était le seul à lire entre les lignes.
— Ça signifie que Dean est ici, avança-t-il.
Du moins, l'espérait-il car il avait deux questions à lui poser.
— Attends ! s'excita Saïd. S'il est ici, alors la scène en construction est bien celle de la mort qui tue ?!
Ils contractèrent tous le virus de la frénésie spéculative, même si rien dans le message adressé à Lou-Ahn n'indiquait la présence de Dean sur le site.
— D'après Rudy, son père avait un vol pour les Îles Galápagos. Je l'ai entendu dans le podcast du Hit Rock de MCS-Radio, dit Teddy.
— Mais si Lou-Ahn doit utiliser sa voix « pour la suite », ça signifie que Dean est le messager des Beat'ONE, non ? remarqua Blake. Alors il se trouve en leur compagnie !
— Ils veulent te faire chanter sur scène, tu crois ? demanda Inna, sceptique.
— Peut-être pour la Saint Valentin ou mieux : le Rock'n'Rumble ! supputa Blake, surexcitée.
Lou-Ahn verdit et s'étrangla.
— Dis pas de bêtises !
Tant que cette pensée n'avait pas été formulée à voix haute, elle avait su gérer son stress. Blake venait de donner plus de consistance à la boule dans son estomac. Franchement, c'était absurde ! On ne l'appellerait pas sur scène lors d'un évènement aussi important. Les Beat'ONE faisaient des shows déjantés qui restaient calibrés. Avec une démarche aussi pro, ils ne donneraient pas dans l'amateurisme en l'invitant à les rejoindre sur les planches. Elle n'assumait même pas ce hobby !
— Inutile de se perdre en conjectures, recadra Mir. Pour commencer, où se trouve le Rock Square ?
— C'est un espace VIP du côté des stands, expliqua Candice.
— C'est une sorte de club, précisa Minami, la sœur de Miharu. L'accès est limité aux membres.
— Ben, va y avoir un problème, je n'y suis pas inscrite, fit Lou-Ahn, soucieuse.
— Si Dean t'a invitée, il aura donné des instructions pour qu'on te reçoive, la rassura Junior.
— T'as un rencard avec Dean, gloussa Blake en lui donnant un coup de coude complice.
Lou-Ahn ne sembla pas plus enchantée. Inna roula des yeux.
— Arrête de flipper tant que tu n'es pas fixée ! Profite de ta journée sans te casser la voix. (Plus facile à dire qu'à faire !) Demain, on saura de quoi il retourne. Sur ce, je propose qu'on y aille.
*o*o*
TBC ● EPISODE 39 – part 2
*MEDIA*
Intro vidéo : City Wolf - Hands Up. Des lyrics pour encourager cette bande de jeunes qui essayent de retrouver un équilibre dans leur vie un peu à la dérive depuis quelques semaines.
[Verse 1: City Wolf]
Never fall, never crawl, yeah we moving up
Wanted more, let it pour till we fill our cup
Never givin' up before its over
Never counting on em four leaf clovers
Taken names throwing flames, 'till we burn it down
In the mud, uppercut, yeah we breakin' ground
Never givin' up before its over
Never counting on em four leaf clovers
We could feel the fire, never getting tired
We ain't gonna stop till we drop and we hit the floor
Come on all my soldiers doin' like I told ya, we ain't gonna stop
[Chorus: City Wolf]
So come on and put your hands up
We gonna bring the house down
No one can ever stop us
We gonna set it off right now
Come and put your hands up! (Up! Up!)
So come and put your hands up! (Up! Up!)
Come and put your hands up!
[Verse: City Wolf]
On the road never full never have enough
Over time in the grime, put your banners up
Never givin' up before i'ts over
Never counting on 'em four leaf clovers
We could feel the fire, never getting tired
We ain't gonna stop 'till we drop and we hit the floor
Come on all my soldiers doin' like I told ya, we ain't gonna stop
[Chorus: City Wolf]
So come on and put your hands up
We gonna bring the house down, no one can ever stop us
We gonna set it off right now
Come and put your hands up! (Up! Up!)
So come and put your hands up! (Up! Up!)
Come and put your hands up!
Come on all my soldiers, doin' like I told ya; x4
[Chorus: City Wolf]
So come on and put your hands up
We gonna bring the house down, no one can ever stop us
We gonna set it off right now
Come and put your hands up! (Up! Up!)
So come and put your hands up! (Up! Up!)
Come and put your hands up!
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