Partie 3/3

— Appelle ton Blacky et dis-lui de faire sa valise, ordonna Dean.

— Vous me dites jamais rien ! bougonna Rudy.

La berline de la compagnie de voitures les conduisait chez son oncle. Son petit-ami, en route pour l'aéroport Mance Flewing, voulait superviser les choses avec le Gulfstream et gérer les modalités de visa, maintenant que sa carte MIP lui facilitait les procédures. S'il avait bien saisi, il voyagerait avec son garde du corps.

— Je lui demande de faire une valise pour combien de jours ? Pour une région froide ou chaude ?

Dean sourit. Bien tenté.

— Ne compte pas sur moi pour divulguer des infos que Rey t'a tues. Un trolley-cabine fera l'affaire, il se procurera ce qui manquera sur place aux frais de la maison.

Rudy gonfla les joues, mécontent de son échec. Il essaya de voir le bon côté des choses. Une escapade amoureuse avec sa moitié. Blacky serait de la partie et le pauvre tiendrait la chandelle. Lui vint une superbe idée. Au moment de l'exécuter, son téléphone sonna.

— Ah, c'est Andy.

— Passe-le-moi, exigea Dean.

— C'est moi qu'il appelle, refusa Rudy en éloignant son portable.

Hors de question que son téléphone retourne entre les mains brutales de son père !

— Mets-le sur haut-parleur dans ce cas.

Rudy le prit en pitié.

— À condition que tu te taises. Je veux d'abord lui parler. Hey ! fit-il en décrochant, t'es plus à la radio ?

— Non, j'ai fini.

— Il y aura un podcast ? Je ne pouvais pas suivre l'émission.

— Que faisais-tu de si important pour manquer Red Kellin à la radio ?! s'indigna le chanteur.

— J'étais en visite à l'hôpital.

— Oh, se radoucit Red.

— Tu n'as rien ? s'inquiéta quelqu'un que Rudy reconnut.

— Korgan est là aussi ?

— On est tous là, dit Jay.

— Salut, les Beat'ONE ! Comment ça se passe à Nior ?

— Ça va ! fit Red.

— C'est pas ce que dit I-Jet-Set®. Vous n'en ratez pas une !

— Tu lis ça, toi aussi ? s'horrifia Jeff.

— Nope. Mais avec mes notifications ownet©, même si je ne voulais pas, j'aurais fini par le savoir malgré moi. J'ai dû désactiver l'appli, ça devenait stressant. Tant que vous vous amusez, c'est l'essentiel.

— Ouais, mais sans toi c'est moins fun, se plaignit Red.

— Encore heureux qu'il n'y soit pas ! grogna Dean.

Vu ses antécédents, il était rassuré que son ange ne soit pas entrainé dans ces eaux boueuses. Son fils ne remettrait plus les pieds à Nior. Du moins, pas avant un moment...

— P'pa, tu n'étais pas censé t'exprimer à voix haute ! s'impatienta ledit fils, bien que « P'pa, ta gueule ! » reflète mieux sa pensée.

Cependant, un certain Dean Leblanc avait pris soin de lui inculquer des notions de politesse que lui-même ne respectait pas. On n'intervenait pas comme un pop-up de page porno dans la conversation des gens !

— Dean est là ? s'étrangla Red.

— Bonsoir, Andy, articula Dean avec tout le sarcasme dont il était dépositaire. Croyais-tu m'échapper en me blacklistant, hm ?

— Oh, Dean...

Au son mielleux de sa voix, on sut qu'il essayait de ménager la colère de son homme. Un instant, Rudy douta. Red n'agirait pas ainsi s'il était exempt de reproche. En général, il prenait un malin plaisir à attiser l'ire « vulcainique » de Dean, sur la base d'un masochisme refoulé. La star l'admettait parfois. Rudy avait-il jugé son père hâtivement ? Cette conversation promettait d'être édifiante.

*

Red lança un regard affolé aux autres. Ce n'était pas censé se passer ainsi ! Mais il ne pouvait plus se rétracter, tous jouaient le jeu à présent. Le public silencieux et les animateurs semblaient dans l'expectative. Jay ricana.

— Tu l'as blacklisté ?! Si je comprends bien, vous vous êtes vraiment chamaillés.

La moralité de cette histoire était celle de l'arroseur arrosé. En croyant piéger Rudy, Red s'était lui-même mis en situation épineuse. Ça s'annonçait drôle. Le batteur ne voyait pas meilleure occasion d'acculer son chanteur qui évitait le sujet depuis la veille.

Korgan se fit songeur. Voilà qui expliquait l'attitude désinvolte de son ami ; cette façon de draguer à tout va et faire des folies ! À coup sûr, Red titillait la jalousie de son homme en châtiment à on ne savait quelle incartade.

— Ah bon ? s'étonna Jeff. Pourquoi je ne m'en suis pas rendu compte ?

— Parce que tu révolutionnes autour de ton nombril, Jeffrey Scott, rétorqua Dean, cassant.

Le public vécut un moment difficile : ne pas réagir quand Dean Leblanc descendait leur star préférée avec autant de verve. LE Dean, quoi ! Cette égérie virile et « sexe », considéré comme l'un des modèles les plus beaux de sa génération, père de Rudy alias @Authentic.Caramel-vanilla, l'héritier, passait à la radio, et on voulait que la fangirl et le fanboy ne gigotent pas, ne crient pas, ne s'excitent pas, quand ce genre de conversation inspirait des « kyaaa » enflammés. Torture !

Alors comme ça, la rockstar avait un contentieux avec le mannequin ? Que se passait-il entre ces deux-là ? Red bidouilla une raison derrière son comportement.

— Je suis fâché contre lui parce qu'il ne sera pas là pour nous monter une scène de la mort qui tue pour le Rock'n'Rumble !

Quelques membres de l'audience échouèrent à rester discrets dans leur indignation.

— C'était quoi ça ? nota Rudy.

— On est à une convention, mon grand. Y'a du monde, rattrapa Jeff.

— Ce n'est pas bien de mentir, Andy ! persifla Dean.

— Erreur ! Quand tu crois que Red Kellin ment, c'est la vérité qui se fourvoie.

Rudy s'esclaffa. Dean se pinça l'arête du nez. Il était vain de raisonner la diva quand elle se désignait à la troisième personne.

— Tu ne perds rien pour attendre ! rumina Dean.

Des fans en furent réduits à étouffer leur hilarité d'une main plaquée contre la bouche. Dragan connaissait la même souffrance. Red persista dans son humeur grincheuse :

— C'est ma réplique, sale lâcheur, va ! Tu n'es qu'un traitre, Dean.

— Tuez-le pour moi, les gars.

— Désolé, Dean. Même si c'est pas l'envie qui nous manque, on en a encore besoin, rit Korgan.

Il esquiva de justesse la taloche de Red.

— Pourquoi tu leur monterais pas une scène de la mort qui tue ? s'enquit Rudy.

L'index contre ses lèvres, Dean lui intima le silence. Le garçon réalisa qu'il avait failli gâcher une belle surprise. Son père se rendait finalement à Nior, alors le souhait de Red se réaliserait. Ce dernier ignorait encore le changement de programme de son partenaire.

— Ah, c'est vrai, ton vol pour l'Île Seymour est prévu mardi. C'est pas de chance, déplora Rudy, sauvant les meubles.

Ce fut plus fort que Red :

— Tu le savais ?

Il grimaça en entendant la note de déception dans sa voix. Seule une poignée de témoins capta le véritable sens de cette émotion. Dean se mordilla la lèvre, un brin confus. Il ne pensait pas que son homme y accordait autant d'importance. C'était tellement... comment dire, « commun » ! La Saint Valentin n'était qu'une connerie de fête commerciale partie d'un ridicule prétexte amoureux ! Cependant, son point de vue ne l'exemptait pas de respecter celui divergeant de son partenaire. Le bonheur de Red passait avant ses considérations personnelles.

— Je l'ai appris ce soir, confessa Rudy, un regard noir adressé à son père. (Il choisit de changer de sujet.) Quand tu dis Rock'n'Rumble, c'est genre « The Amazing Rock'n'Rumble » ?

— Celui-là même ! crâna Red. On le remet à l'ordre du jour.

— Et on va faire en sorte qu'il soit organisé tous les ans, affirma Jay.

Les fans s'excitèrent. Dean cilla. Certes, les Beat'ONE se trouvaient à une convention. Mais la foule autour semblait réagir de manière « programmée », donnant une impression de sitcom humoristique où les rires d'un hypothétique public retentissaient au bon moment.

— Je suis dég' de pas y assister, se plaignit Rudy.

— C'est prévu le quinze, ce n'est pas trop tard, le consola Korgan.

— Peux pas. Je m'envole pour je ne sais quels cieux dans quelques heures.

— Tu ignores où ?

Lawson fronça les sourcils. Le chanteur avait-il conscience de « papoter » à la radio avec un auditeur, comme s'il était chez lui dans son salon ? Certes, l'édition spéciale Rock-Feast leur épargnait un temps d'antenne limité, mais l'émission s'appelait Hit Rock, pas Gossip-Radio !

— Ouais, ces idiots ne veulent rien me dire, exhala Rudy. C'est, parait-il, une surprise de Saint Valentin !

— T'en as de la chance, soupira Red, envieux.

— Andy, cesse donc de geindre, c'est peu respectueux envers tes Holy Suckers, asséna Dean.

Les fameux Holy Suckers se manifestèrent, tombant dans le panneau. Dean Leblanc ou comment ruiner une « farce de masse ».

— Je le savais ! éructa-t-il. Vous êtes en direct d'une fichue conférence de presse !

Korgan éclata de rire. Ce type était trop fort !

— Mieux, tu passes à la radio, mec, gloussa Jay.

C'était encore pire ! pensa Dean, courroucé.

— Balèze ! siffla Jeff. Comment as-tu su ?

— T'es nul, Dean, mais nul ! protesta Red. C'est pas drôle de te piéger.

Il ne s'en gaussait pas moins. Rudy comprit qu'ils étaient les dindons d'une farce tandis que le public se riait d'eux.

— C'est vous qui êtes des nullos ! Comment c'est abusé ! Ça se fait trop pas !

— Bonsoir, dit Lawson, tentant de rétablir l'ordre dans la mesure de ses faibles moyens. J'ignore si je dois t'appeler Caramel-vanille, Rudy ou « l'héritier W. Ent », mais bienvenue sur MCS-Radio.

— Euh... bonsoir, marmonna Rudy, embarrassé. Rudy, ça ira.

Des baffes se perdaient !

— Je suis Lawson. Avec mon collègue Dragan, on reçoit sur notre plateau une bande de joyeux farceurs que tu dois bien connaître.

— Je tiens à préciser que l'idée de la farce était de Red, se dédouana Dragan.

La sentence de Dean tomba :

— Cela ne vous soustraira pas à l'ire d'un Leblanc.

Sa manière si prosaïque de le dire rendit le verdict plus terrible. Le souffle d'un silence de mort balaya le stand et emplit la berline.

— Il plaisante ! glapit Rudy. C'est juste une plaisanterie de mauvais goût. N'est-ce pas ? demanda-t-il à son père, le regard appuyé.

— Si on ne peut même plus rire, concéda Dean.

Celle-là, ils ne l'avaient point volé, pensa-t-il en son for intérieur, fier de son coup.

Rudy aurait juré ressentir le soulagement de ses interlocuteurs et du public à travers son téléphone. Son patronyme était si terrifiant ?! Néanmoins, il fut peu compatissant. On y réfléchirait à deux fois avant de reproduire ce genre de blague débile. Il avait été à un cheveu de révéler aux auditeurs de MCS-Radio qu'il partait en séjour amoureux avec Rey Lee-Cooper. Red ne perdait rien pour attendre !

— Avez-vous quelque chose à dire aux Beat'ONE ou un message à passer à nos auditeurs ? relança Lawson.

— J'ai un message pour Red Kellin, de la part d'un blond aux yeux bleus, annonça Dean.

Red se tendit. Le ton grave, transmis d'une voix aristocrate, lui dressa les poils. Les fans connaissaient son fantasme sur les blonds aux yeux d'azur, aussi un calme religieux s'imposa sur le plateau et autour du stand. Tout le monde attendait la suite. L'effet Dean, sûrement, ce don d'imposer le silence lorsqu'il avait la parole.

— Tu n'as pas besoin d'être parfait aux yeux des autres. Sois le meilleur pour la bonne personne. Pour ma part, même si je suis loin d'être idéal et enchaine les erreurs, j'ai trouvé ma bonne personne. Qui est la tienne, Andy ?

Silence.

Le sourire vainqueur, Dean fit signe à son fils de raccrocher. Il n'attendait pas de réponse plus élaborée que le reniflement ayant échappé au chanteur. Red ne se cacha pas, lorsqu'il essuya les larmes humectant ses joues.

*o*o*

TBC ● EPISODE 36

Dean réalise-t-il vraiment qu'il vient de faire une déclaration publique à Red ? O.O??

*MEDIA*
Intro vidéo : 5SOS - Young Blood. Parce que ces lyrics pourraient parler de l'amour un peu vache entre Red et Dean. Une de mes chansons préférées de ce groupe !

Remember the words you told me? "Love me 'til the day I die"
Surrender my everything 'cause you made me believe you're mine
Yeah, you used to call me baby, now you're calling me by name
Takes one to know one, yeah, you beat me at my own damn game

You push and you push and I'm pulling away, pulling away from you
I give and I give and I give and you take, give and you take

Youngblood
Say you want me, say you want me out of your life
And I'm just a dead man walking tonight
But you need it, yeah you need it, all of the time, yeah ooh ooh ooh
Youngblood
Say you want me, say you want me back in your life
So I'm just a dead man crawling tonight
'Cause I need it, yeah I need it, all of the time, yeah ooh ooh ooh

Lately our conversations end like it's the last goodbye
Then one of us gets too drunk and calls about a hundred times
So who you been calling baby? Nobody could take my place
When you're looking at those strangers, hope to God you see my face

Youngblood
Say you want me, say you want me out of your life
And I'm just a dead man walking tonight
But you need it, yeah you need it, all of the time, yeah ooh ooh ooh
Youngblood
Say you want me, say you want me back in your life
So I'm just a dead man crawling tonight
'Cause I need it, yeah I need it, all of the time, yeah ooh ooh ooh

You push and you push and I'm pulling away, pulling away from you
I give and I give and I give and you take, give and you take
You're running around and I'm running away, running away from you
Mm, from you

Youngblood
Say you want me, say you want me out of your life
And I'm just a dead man walking tonight
But you need it, yeah you need it, all of the time, yeah ooh ooh ooh
Youngblood
Say you want me, say you want me back in your life
So I'm just a dead man crawling tonight
'Cause I need it, yeah I need it, all of the time, yeah ooh ooh ooh

You push and you push and I'm pulling away, pulling away from you
I give and I give and I give and you take, give and you take

Youngblood
Say you want me, say you want me out of your life
And I'm just a dead man walking tonight