S07 - EP 34 ✧ part I
Partie 1/3
C'est en trainant les pieds que les Beat'ONE se rendirent au stand media du Canal 6. Le weekend était leur seul créneau pour profiter du festival comme n'importe quel fan, mais ils devaient visser leur cul sur des sièges et subir les simagrées d'Ariel Yurievich. Pourquoi avaient-ils accepté son invitation ?
D'après Rebecca, cela devenait un passage obligé afin de démentir les racontars autour de l'échauffourée au Nightshade. Elle refusait de prendre parti, bien qu'elle ait entendu les raisons de leurs actes. Jamais ils ne s'étaient sentis aussi propres tant elle leur avait passé un savon...
— Ces clichés de violence sur autrui n'auraient pas dû circuler dans la presse. Point barre ! Si vous voulez être classes, montrez-vous plus fins que ça ! Prouvez que vous êtes au-dessus de la barbarie. Quel message adressez-vous à vos fans en usant de brutalité pour régler un conflit ? Vous êtes musiciens ; votre meilleur moyen de défense reste la musique. Cessez de me faire honte !
Rebecca avait hurlé ses grands dieux qu'ils n'étaient pas sortables ! N'avaient-ils pas été assez sensibilisés par elle et Lawson sur cette guéguerre entre fanclubs ? Si les stars elles-mêmes en venaient aux mains, les Holy Suckers et Nitro Maniacs ne s'embarrasseraient d'aucun scrupule. Le parc des Expositions couverait un carnage. Aussi les Beat'ONE n'avaient plus d'autre choix que dorer leur image publique. Or leur motivation s'était envolée face aux stands activités bien plus attrayants !
— Ç'aurait été plus fun si on avait été invités par Lunes-TV, chuchota Red à l'oreille de Jeff, en masquant le micro accroché à son T-shirt.
— C'est vrai, répondit le bassiste sur le même ton.
La groupie s'excita de voir Jeffred se murmurer des confidences sous le regard revêche de Yuri.
— Ça fait une paye qu'on n'a pas vu Marius Carter, poursuivit Jeff. Il réagit toujours comme on le souhaite.
— Ouais, c'est presque un don.
Red rit, déplorant que la manœuvre ne fonctionne pas avec Yuri. Au contraire, avec ce dernier, il ne fallait jamais baisser sa garde. L'annonce de l'arrivée des nouveaux invités sur le plateau légitima leur méfiance. Hors champ caméra, Rebecca haussa les épaules quand les Beat'ONE l'interrogèrent en silence. Elle aussi le découvrait.
Eh bien, le Sinéad grouillait de rockstars ; ne pas avoir l'exclusivité à l'antenne n'avait rien de vexant. Connaissant Yuri, ils auraient dû s'y attendre. Le chroniqueur irrévérencieux ne raterait pas une occasion de créer la controverse en mettant NITRΩ sur leur route. Après Tessa, le Canal 6 tentait d'organiser un combat de coqs. Génial !
Interdire aux médias de surfer sur la vague de scandale à la Rock-Feast était aussi oiseux que croire au salut de Sodome et Gomorrhe. La presse musicale attendait une déclaration de guerre officielle et se réjouissait de diffuser l'escarmouche entre leurs deux groupes, à coup d'explications fallacieuses. La rumeur grandissait. Bientôt, cette bagarre de chiffonniers serait sur toutes les lèvres. Le Canal 6 dopait ainsi son audimat et enflait les visites à son stand.
Notant l'afflux du public, les Beat'ONE échangèrent un regard entendu. C'était tentant de suivre la mascarade, de nager dans le sens du courant. Mais qui tirerait son épingle de ce fichu jeu ? Vu la tête de Yuri, il jubilait intérieurement du clash en perspective. À eux de ne pas tomber dans le panneau. Or Red n'avait pas envie d'être sage... Et Tessa voulait du sang.
Sentant le changement d'ambiance, Jay lança un regard d'avertissement à son chanteur. La moue puérile de celui-ci récolta un froncement de sourcils du leader. Korgan soupira comme Jeff grinçait des dents.
Les membres de NITRΩ s'installèrent, salués par le chroniqueur. Aux Beat'ONE, ils ne daignèrent pas accorder un signe de tête. Un vent polaire souffla sur le plateau, tandis qu'ils se toisaient en chiens de faïence. Parfait ! pensa Red. La tension réduisait ses scrupules au silence. Quoi qu'en dise Rebecca, il se sentait des envies de barbarisme en ce moment.
Après une présentation générale des nouveaux arrivants, Yuri ménagea son effet. Il aborderait bien assez tôt le sujet que tous attendaient.
— Vous faites les beaux jours de la rumeur dernièrement, dit-il en se tournant vers NITRΩ. Depuis l'arrivée de votre nouveau membre, beaucoup de gens se demandent qui est Omega. C'est suite à ce changement que la typographie de votre nom de scène a été modifiée ?
Tony répondit d'un ton ironique :
— J'avais pensé que c'était évident.
— Je m'en doute, mais cette question revient beaucoup sur les réseaux sociaux.
— Je pense plutôt que les gens ont plus envie de savoir si Omega est un homme ou une femme, avança Sen.
— Clairement, qu'est-ce qu'il en est ? rebondit le chroniqueur.
Intimidée, Omega consulta ses doigts. C'était son premier plateau télé depuis son entrée dans le groupe. Elle avait déjà tourné des spots publicitaires, un clip, et une vidéo promotionnelle officialisant le quatuor, mais jamais elle n'avait vécu ce genre d'expérience. Les trois autres, se souciant comme d'une guigne de ses états d'âme, ne l'avaient pas assez mise en condition.
Les projecteurs, les caméras, la déco sophistiquée, la régie survoltée, et le public avide pris en charge par des animateurs débordés, créaient une atmosphère impressionnante. Omega essaya d'adopter une attitude dont elle-même n'aurait pas à rougir. On l'attendait au tournant. Les fans de la première heure, les garçons de sa bande, la production. Si elle leur donnait la moindre chance d'être critiquée, ils ne la louperaient pas.
— Euh... je suis..., commença-t-elle, coupée par un Ulrich impatienté.
— Ça ne se voit pas ?
— Excusez-moi d'être lent à la détente, ironisa Yuri. Si je ne savais pas que Red Kellin était un homme, aujourd'hui j'aurais eu du mal à lui donner du « il ».
Red fit un clin d'œil en relevant le rebord de sa capeline d'une pichenette. Dans le public, la moitié Holy Sucker et les Nitro Maniacs « non-puristes » s'excitèrent. Les membres de l'autre groupe lui prêtèrent plus d'attention.
Ulrich renifla. Évidemment, tout était bon pour piquer la vedette ! Ce type s'était travesti à dessein.
— Je sens le jugement dans quelques regards, remarqua Red. Ne m'en veuillez pas, j'aime la parité. Certains jours, je laisse la grande dame en moi, Red onee-sama,* s'exprimer.
— Red quoi ? firent Yuri et Korgan en chœur, le chroniqueur perplexe, le guitariste hilare.
— Tu t'appelles toi-même « onee-sama », releva Korgan.
— J'ai toujours trouvé classes ces femmes leaders de yakuzas.
Ulrich ravala un grommèlement. Ils devaient s'y attendre, cet « attention whore » de Red Kellin ferait son intéressant. La consigne leur avait été donnée ne pas laisser les Beat'ONE monopoliser la parole.
— On disait, fit-il avec emphase, que NITRΩ est devenu mixte.
— Comment s'est faite la rencontre ?
— Ça ne relève pas du heureux hasard, hélas, marmonna-t-il.
— Mais de la nécessité, renchérit Tony, non sans lancer un regard d'avertissement au claviériste. Mes compositions ne peuvent pas se passer de guitare basse. Un membre intérimaire demande une logistique plus compliquée à la prod'. Alors on a opté pour un permanent.
— J'ai le sentiment que ce changement a tout de même bouleversé votre public, avança Yuri. On entend parler de « fans de la première heure », qui ont cessé de l'être, par opposition à ceux qui continuent de vous suivre après les débuts d'Omega.
— Il est vrai que nombreux ne s'y attendaient pas, rétorqua Tony.
— Nous les premiers, maugréa Ulrich, oublieux de la portée de son micro.
Sen ne cacha pas son exaspération. Omega se fit petite sur son siège et Red la prit en pitié. La dynamique de ce quatuor était étrange... Quelque chose sonnait faux.
— Les méthodes d'Ethan Bosco consistent à imposer sa volonté, déclara-t-il.
— Rien ne nous a été imposé ! siffla Tony.
— Si ça te rassure de le croire, je ne démentirai pas, renvoya Red, affable.
Il ne prendrait même pas la mouche. Mais si c'était ainsi qu'on le remerciait d'avoir tenté de les défendre, il se plairait désormais à les descendre.
— Je parle en connaissance de cause, adressa-t-il à Yuri.
— Peut-être, mais la nature de nos contrats diffère, intervint Sen. Vous étiez criblés de dettes et au bord du suicide média quand Bosco Record© est venu à la rescousse.
Jeff ne dissimula pas son rictus de colère. Une partie du public hua.
— Mais c'est vrai ! se justifia le batteur de NITRΩ.
— Au point de brader vos compositions, si je ne m'abuse, ajouta Tony, narquois. Sinon, qu'est-ce qui explique l'existence des FOUR NUTS ?
Il marquait un point. FOUR NUTS ou FOR NUTS désignait les quatre albums qui n'inspiraient pas aux Beat'ONE un sentiment de fierté. LAST HOPE, NATURALLY YOURS, KEEP RUNNING et TROCADERO avaient été pondus durant la période de turbulences sous Bosco Record©. Ils n'étaient même plus reconnus par Red, résolu à ne plus chanter les pistes de ces CDs en live. Les compositions, voire les paroles, avaient été imposées par Ethan pour diverses raisons : rendre service à un ami compositeur, faire plaisir à un pote se sentant une âme de parolier, imprimer sa griffe sur le groupe, montrer qui était le patron en censurant les propositions des artistes...
Tony glissa, goguenard :
— Je compose toutes nos chansons.
— Profite encore de ta lune de miel, grommela Jeff.
— Ça n'a rien de temporaire, c'est spécifié dans le contrat. La prod' n'a que le droit de « suggérer » un tableau artistique. La compo reste notre domaine et celui des musiciens avec qui on pourrait collaborer. Alors que vous étiez obligés de fournir du commercial pour votre subsistance, histoire de ne pas entraîner un trou financier dans le cahier de charge de Bosco Record©.
Alors c'était ainsi qu'ils avaient monté leur attaque ? Laver le linge sale en public ; déballer les vieux dossiers des Beat'ONE ? Impossible de démentir, car l'attaque se basait sur des faits réels. De toute évidence, après la visite de Tessa, NITRΩ s'était mis en croisade et comptait tacler l'adversaire avant qu'il ne monte sur scène. Mais Red n'était pas dupe. Le groupe adverse utilisait ces révélations comme un écran de fumée masquant à l'audience le fait qu'Omega avait été imposée par leur production. Il ricana.
— Vous noyez le poisson.
— Laisse couler, Red, marmonna Jeff. On en reparlera, t'inquiète.
C'était Yuri à la barre, pas Marius Carter. Le sourire prédateur de Red redoubla la méfiance de NITRΩ. Yuri souffla son impatience.
— Cessez donc avec ces cachoteries ! J'ignorais que votre situation s'était à ce point dégradée avec Bosco Record©.
Il exultait au fond de lui. Il n'avait même pas besoin d'envenimer les choses, ni de motiver les belligérants. La déclaration de guerre s'annonçait sans équivoque.
— Tu l'ignorais parce que nos soucis professionnels n'ont pas pour vocation de fuiter dans la presse, rétorqua Jay. Je ne devrais plus rappeler que nous sommes musiciens. Les gens n'en ont rien à faire de nos déboires avec un mec du nom d'Ethan Bosco.
— Clair ! approuva Korgan.
— Eh bien, vos Holy Suckers s'inquiètent pour vous.
— On les rassure, la santé financière et artistique des Beat'ONE est bonne, déclara le leader. Notre nouvel album en témoigne.
Un salut à la foule réveilla son enthousiasme. Yuri en profita pour parler de la sortie de LIFE IN RED MOTION.
— Que d'ingratitude ! renifla Omega. Ethan vous a sortis de la mouise.
— Oh, c'est ce que t'a dit papa ? renvoya Red.
Elle serra les mâchoires. La réplique n'eut pas l'effet escompté car le public ignorait – pour l'instant –, l'identité dudit papa. Cependant, le regard acéré de Yuri indiquait qu'il reliait les points.
— Quand on voit comment vous l'avez poignardé dans le dos avec votre concept Renovatio©, il y a clairement de l'ingratitude, asséna Ulrich. Vous ne seriez plus là, si Bosco Record© ne vous avait pas maintenu la tête hors de l'eau. Après Brent, les Beat'ONE ont perdu de leur superbe. C'est un secret pour personne !
Red vit Rebecca fulminer depuis sa position. Comment osaient-ils ? Eh bien, il était temps qu'elle s'aligne sur leur longueur d'onde ! Sa neutralité reléguée aux orties, elle arborait le regard froid d'un cyborg verrouillant sa cible. Elle dégommerait ces NITRΩ, s'ils continuaient à employer ces coups bas. Bien qu'elle ait pris le train en marche, ses responsabilités de manager lui avaient donné un aperçu du désastre de la relation des Beat'ONE avec leur ancien label.
Soudain, Jeff frappa du poing sur la table. Ce fut si près de son micro qu'il fit sursauter du monde.
— Mettons les choses au clair ! gronda-t-il. Aucun de vous quatre n'a connu mon regretté frère, dit-il en les torpillant tour à tour du regard. Je vous prierai de le laisser en dehors de ces conneries. Touchez à un seul pan de sa mémoire, peu m'importe que vous la glorifiiez ou la salissiez, je vous dézingue. Pigé ?
Un silence lugubre s'établit sur le plateau et autour du stand. Un exploit lors d'une convention. À présent, la guerre était une certitude. Sen leva les mains en signe de paix.
— No offense!
— Décidément, y'en a qui sont chatouilleux, marmonna Ulrich.
— Il te faut un diplôme pour savoir que « Brent Scott » est un sujet sensible, tête de bleuet ? susurra Jay d'un ton trop doux pour être sans danger.
— T'aurais dû serrer plus fort hier, grinça Korgan, faisant allusion à la clé au bras infligée au jeune homme la veille. Qu'est-ce que tu fais ? demanda-t-il en voyant Red pianoter sur son téléphone.
— Je demande l'avis de mes Holy Suckers chéris. Que pensent-ils de #Têtedebleuet ?
Le guitariste explosa de rire.
— C'est petit, intervint Yuri, tentant de rétablir le calme sur son plateau.
Il n'en était pas moins hilare en sourdine, contrairement aux fans des Beat'ONE qui ne s'en cachaient pas. Le chroniqueur n'eut pas besoin d'inciter le public à réagir sur la page du Canal 6. Red provoquait déjà un remue-ménage sur les réseaux sociaux. Du côté de NITRΩ, c'était mitigé. Sen se moqua. Omega ouvrit la bouche, presque choquée. Tony resta de marbre. Ulrich verdit de colère. Yuri recadra la conversation :
— Donc, concrètement, vous bénéficiez d'une autonomie artistique totale. Avez-vous maintenu ces conditions avec Axis Music Publishing© ? Je rappelle qu'AMP© est la nouvelle maison à laquelle est rattaché le label Bosco Record©.
— AMP© chapeaute surtout le merchandising, précisa Tony. La production musicale relève de la responsabilité de Bosco Record©.
— Je vois. (Le chroniqueur se tourna vers Omega.) Dites-nous tout ! Quand on a vingt ans et qu'on est la plus jeune d'au moins quatre ans d'un ex-groupe de garçons, comment vit-on ses débuts ?
— Ça va.
— Vraiment ? douta Yuri.
Elle se rappela qu'elle ne devait pas jouer les dures devant les caméras, lorsque Tony lui lança un regard appuyé. Les fans détestaient les artistes qui leur servaient des écrans, des façades peu authentiques.
— Hyper stressée, en vrai, confessa-t-elle.
— Effectivement, ce sera votre première grande scène, cette soirée, dit le chroniqueur avec une indulgence paternaliste.
— Ouais.
— Je pense que démarrer sa carrière à la Rock-Feast est un honneur, déclara Tony, donnant plus de relief aux réponses monosyllabiques de la jeune femme. Vu l'enjeu, on ne l'aurait pas fait monter sur scène si on n'avait pas confiance en son talent.
Il s'en sortait bien pour un meneur. Rassurer les fans et calmer les craintes d'Omega en une seule réplique était joliment négocié. Malgré ses défauts, on ne lui nierait pas son leadership et son discours réfléchi. Pas étonnant qu'il ait su imposer ses conditions à un requin des affaires tel qu'Ethan.
Tant mieux pour eux, pensa Jay. Ils avaient presque le même âge lorsqu'ils avaient signé avec cet enfoiré. Ils s'étaient fait avoir parce qu'à l'époque, leur véritable leader leur manquait cruellement. Le départ brusque de Brent avait laissé un vide. Les Beat'ONE en avaient été tant affectés que cela s'était ressenti dans leurs décisions, au point de porter préjudice au talent inné de Red.
Aujourd'hui, Jay le reconnaissait : Brent avait du charisme, Andy du génie. Ce talent fou, diamant brut, ils l'avaient remis entre les mains sales d'Ethan au lieu de le polir eux-mêmes. L'évolution de NITRΩ l'amenait à réaliser le chemin parcouru et leur gain de sagesse. Mais de manière paradoxale, s'ils avaient appris de leurs erreurs, ils n'étaient pas plus matures. Et cela plaisait à Jay que son groupe soit constitué d'adolescents qui vieillissaient sans grandir. Brent appréciait cette nuance et stipulait que trop se prendre au sérieux nuisait à l'épanouissement. Il avait bien raison.
*o*o*
TBC ● EPISODE 34 – part 2
*Onee-sama : « grande sœur » en japonais ; expression très formelle. Red se réfère à l'utilisation des membres de gang ou de familles de yakuza pour désigner les femmes-leaders.
*MEDIA*
Intro vidéo : TeddyLoid - ME!ME!ME! feat. Daoko. Parce que la composition de cette chanson m'inspire Omega. La version originale de la chanson est très controversable, un peu à l'instar du personnage de Megan.
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