S07 - EP 30 ✧
Partie 1/1
Comment en étaient-ils arrivés à Jeff le défendant contre une gamine ? se demanda Red. Son système avait bogué en remontant le fil de ses souvenirs plus de deux ans en arrière. Des souvenirs désagréables. À l'époque, il se foutait comme d'une guigne d'avoir couché avec son producteur. Ethan Bosco avait la cinquantaine plutôt charmante, quand on n'était pas regardant sur les performances physiques. Aujourd'hui, cette analogie avec Sloan le mettait en situation de conflit avec lui-même. Avait-il inconsciemment cherché « quelque chose » de similaire en répondant aux avances d'un homme ayant l'âge d'être son père ? Mais cela valait-il une explication freudienne ?
D'où cette jeune femme tenait-elle cette info ? Red en avait sans doute parlé par mégarde en présence d'étrangers. Il ne soupçonnait pas les membres de son groupe, mis dans la confidence, d'avoir lâché le morceau. Néanmoins, il ne comprenait pas pourquoi cette bombe lui explosait au visage à Nior et non à Saunes.
Durant cette période, Red agissait avec l'insouciance d'une feuille ballotée au gré d'un vent de désespoir et ras-le-bol. Sa situation était telle qu'il ne voyait pas comment les choses auraient pu empirer. Céder à la proposition d'Ethan après un dîner qu'il s'était surpris à apprécier ne lui avait pas paru étrange, ni avilissant, ni discutable. Puis l'homme s'était accroché telle une lente de pou sur un cheveu.
Il concevait que ce soit ardu de tourner la page après une expérience torride avec lui. Les autres partenaires de Monsieur ne lui donnaient pas de satisfaction sexuelle... Contrairement à celui d'Andy Rell, l'ego de Red Kellin se portait bien. Il avait cédé la seconde fois par désœuvrement, et aussi dans l'espoir qu'en accédant au souhait d'Ethan, le corniaud lui lâche enfin la grappe. S'il était honnête avec lui-même, Red confesserait avoir recherché cette impression de pouvoir sur un individu qui décidait de la pluie et du beau temps dans sa carrière. La poigne d'Ethan étouffait les Beat'ONE, de quoi regretter leur signature au bas du fichu contrat qui scellerait presque leur destinée musicale.
La troisième fois avait été initiée par le chanteur. À ce moment-là, Red voulait un moyen de pression sur l'homme et avait photographié leurs ébats. Entretemps, il avait appris qu'Ethan était en couple depuis dix ans avec une bourgeoise qu'il ne comptait pas épouser. Son divorce lui coûtant cher en pension, Bosco rechignait à contracter un second mariage. Pourtant, sa compagne l'avait aidé à rejoindre le cercle des nouveaux riches de Saunes. Cela n'empêchait pas Monsieur de tremper son biscuit dans le bol du voisin, en l'occurrence, celui des artistes qu'il produisait.
Red n'était pas le seul musicien de Bosco Record© à avoir transité dans le lit ou sous le bureau du patron. Peut-être que Madame se doutait déjà d'être cocufiée, vu toutes les starlettes qui couchaient pour agréer à leur producteur. Ce vice avait servi les intérêts de Red. Euphorique, Ethan n'avait pas pris la mesure des conséquences de ce troisième acte sexuel. Les clichés auraient pu finir dans la boîte aux lettres de la dernière personne qu'il aurait souhaitée...
Avec le recul, Red n'en revenait pas d'être tombé aussi bas. Un individu aux abois était capable du pire ! Comme se photographier durant les préliminaires avec ce type, sachant ses antécédents de victime avec Sloan. Certes, il s'était surtout focalisé sur son producteur. De lui, on ne voyait que les cheveux et parfois son buste glabre ; son visage et son intimité n'apparaissant jamais. Mais un journaliste people aurait avalé sur le champ qu'il s'agissait bien de Red Kellin ; ses frasques sexuelles rapportaient du fric.
Il partait du fait qu'il avait connu humiliation plus dégradante. Aussi cela n'avait pas été difficile de se laisser tenter par les comprimés illicites proposés par Ethan pour « le mettre bien ». Moins il avait eu conscience de ses actes, plongé dans les brumes de l'ecstasy, moins sa culpabilité l'avait tenaillé. Sexe, drogue & rock'n'roll. À gerber !
Ouais, Red se débectait à cet instant. Les preuves de sa débauche supprimées, il croyait échapper au sentiment de honte inclus dans le package. Or la magie des mots venait de déclencher son réflexe vomitif. Son cocktail, sifflé d'un trait, masqua le goût de bile dans son arrière-gorge. L'aventure avec Ethan était un cadavre qu'il ne souhaitait pas exhumer, maintenant qu'il filait non pas le parfait amour mais le grand amour avec un certain Dean Leblanc. Son partenaire savait jalouser ses ex. Même si Ethan n'avait été qu'un plan cul, ce serait du pareil au même pour son homme.
Red toisa l'inconnue qui l'obligeait à revivre ces réminiscences caustiques et réveilla la « bitch ».
— Laisse, Jeffrey, c'est juste une fan un peu space de mes activités sexuelles morbides.
La jeune femme fit des yeux ronds. Il ne lui octroya pas le loisir d'exprimer son indignation.
— Je ne savais pas que ça t'intéressait. Peut-être que tu veux des adresses. Je peux te refiler celle d'Ethan. Tu seras à son goût tant que tu restes habillée en mec pour parfaire l'illusion. Avec les femmes, j'ai l'impression qu'il ne la lève plus. Pour Sloan par contre, j'ignore si la prison lui autorisera une visite pour du sexe. Je ne sais même pas si ça existe. Là, je ne peux pas t'aider, ma chérie.
Jeff le dévisagea, ahuri. Cette affaire les conduirait dans un mur s'il n'arrêtait pas le train. Or Red était du genre TGV ; on ne pouvait que le regarder foncer vers la catastrophe. Autant l'accompagner et savourer le crash. Jeffred était de sortie ce soir !
— Ç'avait été si morbide avec Ethan ? demanda-t-il.
— Ne m'en parle pas. Je pensais l'avoir effacé de mon disque dur, mais faut croire qu'il subsistait encore une trace.
— T'as pas utilisé le bon programme, compatit Jeff. On fait quoi de ça ? dit-il en fusillant du regard celle qu'il avait prise à tort pour une espèce de twink.*
— Vous êtes écœurants ! cracha-t-elle, fielleuse.
— J'aimerais t'accorder un crédit de dégoût, mais ton apport en nuisance n'est pas suffisant, rétorqua Red. Je parie que tu fais cet effet à tout le monde. T'es venue au monde uniquement parce que ta mère a mis ses ovaires en solde, pas vrai ?
Elle recula, frappée par cette violence verbale sans rapport avec le sujet du conflit. Cela pinça une corde douloureuse. En effet, de nombreuses personnes la considéraient comme un poids, mais elle restait un boulet que l'on supportait. À commencer par son groupe... non, ses propres parents. Le plus dur à encaisser fut l'absence d'hostilité de Red. Il l'assimilait à cette mouche nichée sur son courrier, qui ne valait pas sa colère mais dont on se débarrassait avec agacement.
Le rire moqueur de Jeff renforça l'humiliation. Lorsque Jeff Scott se riait de vous, il y mettait du cœur.
— C'était une troisième démarque ovarienne en plus ! surenchérit-il. Autrement, aucun spermatozoïde n'en aurait voulu.
Red s'esclaffa.
— La pauvre... Estampillée « soldée » depuis le ventre de môman. Ça explique le faible rapport qualité-prix.
— En même temps, tu t'attendais à quoi de la part d'un produit conçu en fin de soldes à la banque de sperme ?
Cette fois, ils rirent à l'unisson en se tenant la panse. Les larmes contenues de l'inconnue la montrèrent sous le jour d'une petite victime venue faire son intéressante. Eh bien, cela lui apprendrait de ressortir de vieux dossiers des tréfonds de la vie tumultueuse de Red Kellin ! Il fallait aiguiser ses armes en conséquence ou se munir d'un gilet pare-balle. Quelle inconscience de titiller les fesses du dragon en se croyant à l'abri d'un coup de griffe !
— T'énerve pas, p'tite. Prends ta pelle et ton seau et retourne donc au bac à sable.
— Oh, c'est du grand Han Solo, ça, apprécia Jeff.
— Un peu kellinisé, oui.
Casser quelqu'un avec une réplique de film culte avait toujours été classe. Même la cible reconnaissait sa défaite par K.O. à sa façon de mordiller sa lippe tremblante.
— Tu ne vas pas chialer ? soupira Red. Pitié, je ne suis pas motivé à te consoler.
Les bras d'un homme passèrent autour des épaules de la jeune femme. Son attitude protectrice interpella les deux Beat'ONE. La cavalerie était arrivée ? Fallait-il lui taper sur les doigts pour n'avoir pas tenu son beagle en laisse, ou lui présenter des excuses pour l'avoir fait chouiner ? Ils n'étaient pas si méchants.
Le nouveau venu sortait du même moule néon-punk avec ses accessoires rock et ses Doc'M® hautes à semelle crantée. Sa chemise en soie technique, sa cravate en soie enduite et son pantalon slim en toile métallisée brillaient presque dans l'obscurité. Sa tête sembla familier à Red.
— Qu'est-ce qu'il se passe, Meg' ? demanda-t-il.
La mémoire auditive de Red le mit enfin dans la bonne case : Tony Burgeau, chanteur de NITRΩ. La pimbêche était une de ses accointances ?
— Il se passe que ces enfoirés se moquent de ma mère ! renifla-t-elle.
Jeff et Red se dévisagèrent. Ça caftait sec, dis donc ! Retour vers le préscolaire. Ils pouffèrent face au regard incendiaire de Tony. Intimider Jeffred demandait plus d'efforts.
— Elle nous a compris de travers, expliqua Red. On faisait juste état de la valeur marchande des ovaires de sa maman. On ne critiquait pas la personne de sa maman. Franchement, elle est libre de solder ses gamètes. Mais ça ne l'excuse pas de brader l'éducation de la petiote. On ne parle pas des aventures sexuelles des grandes personnes dans un lieu public. Ta maman aurait dû te l'apprendre.
— Fermez-la ! siffla Tony.
— Tu te calmes, minet ! asséna Jeff.
Sérieux ? Il ne s'est pas regardé pour traiter l'autre de minet, pensa Red dans un élan peu solidaire. À en juger la tête de Tony, il partageait son avis.
— Restez en dehors de ça ! renvoya ce dernier. Vous allez lui présenter des excuses, dit-il à Red. Votre notoriété ne vous donne pas le droit de piétiner les sentiments d'autrui. Que ce soit par vos actes ou vos paroles !
Red sourit, de plus en plus amusé.
— Quel beau prédicateur ! Désolé, je n'en ai pas les dispositions. Ça va m'écorcher les lèvres. Donc je passe mon tour.
Décidant le sujet clos, il se tourna vers le bar et y déposa son verre.
— Va te faire foutre ! éructa Meg'.
Au même moment, Tony saisit le bras de Red.
— On n'en a pas terminé.
Red dévisagea, incrédule, les doigts refermés autour de son avant-bras.
— T'es en train de me toucher, là ? (Il prit Jeff à parti.) Est-il vraiment en train de toucher mon corps... ?
Jeff se retint de rouler des yeux.
— Oui, Red, il te tient le bras.
Quelle théâtralité ! Pourtant c'était lui l'acteur dans l'histoire. Le bassiste ne pouvait que jouer le jeu, sinon Red le bassinerait plus tard avec des questions du genre « pourquoi tu m'as mis un vent alors que je préparais une réplique hyper classe ? ». Il en deviendrait pénible !
— Si tu espères continuer à jouer de ta petite gratte ridicule, vire ta sale patte tout de suite ! menaça Red.
Fini la rigolade. Ces zigotos avaient sorti le dragon de son sommeil. Qu'il présente des excuses à un cul-de-jatte intellectuel qui l'accusait de « les aimer vieux », en prenant Sloan en exemple, ne se ferait pas dans cette vie. Ni dans les neuf suivantes.
« Petite gratte ridicule » fut mal accueillie et valut à la pommette de Red un speed-dating avec le poing de Tony. Aïe, le salaud possédait un bon crochet du gauche ! L'escarmouche attira l'attention de plus de monde. La musique étouffa les cris de stupeur mais ils avaient désormais un public plus alerte. Sans surprise, les portables honorèrent ce rendez-vous avec le scandale.
Le sang de Red ne fit qu'un tour. On avait commis l'irréparable, et cela ne resterait pas impuni, peu importe la sale vitrine que lui promettait les réseaux sociaux. Un enfoiré de première l'avait frappé au visage !
— Pas au visage, se plaignit Jeff.
Au moins un suivait. Korgan se ramena, alerté. Du coin de l'œil, Red aperçut Jay mais il y avait priorité. Son leader, abonné au forfait « Rabat-joie », brimerait son plaisir sadique de faire souffrir l'abruti. Refermant sa main autour de la gorge de Tony, il s'aida de son impulsion, le poussa jusqu'à la table la plus proche et l'y plaqua violemment. Verres et bouteilles dégringolèrent au sol, certains brisés sous l'impact. Red ramassa un pied de verre à cocktail. L'arme blanche finit sous le menton de sa proie. Tony se pétrifia ; certainement à cause des yeux fous de son agresseur.
Les occupantes de la table déguerpirent. Les pauvresses n'en demandaient pas tant. Voir deux stars se fritter à leurs pieds était insolite mais restait effrayant. Surtout quand l'une menaçait de défigurer l'autre avec un tesson.
— Tu m'as frappé au visage, Tony Ducon ! Il vaut des millions, t'es au courant ?! Sais-tu ce que je pourrais faire à ton joli minois en représailles ?
Dans les cris stridents, Red reconnut ceux hystériques de Meg'. Il ne savait même pas pourquoi il retenait ce prénom.
— Mais arrêtez ce malade !
— Andy, lâche-le ! gronda Jay.
— Il m'a frappé au visage, Jet ! gueula-t-il.
Il ne se doutait point qu'il lancerait un phénomène « tendance » avec cette réplique. #IlmaFrappeAuVisage alimenterait bien des threads sur ownetwork©. Jay tenta de le raisonner.
— On mettra de la glace, vieux.
— J'ai un live dans quelques jours, putain !
— On le maquillera, et ç'aura sûrement disparu d'ici mercredi, le cajola le batteur. Merde, les gars, restez pas plantés là ! lança-t-il à ses bassiste et guitariste.
Il peinait à éloigner Red de sa victime. Où rangeait-il cette force !?
— Il l'a frappé au visage, fit Jeff en haussant les épaules.
Pour lui, Tony était l'artisan de son propre malheur. Korgan approuva, sur la réserve.
— Il n'a pas tort.
Le chanteur de NITRΩ avait lui-même décidé de son funeste sort. Red venait de péter une durite. La dernière fois que quelqu'un l'avait frappé au visage, le malheureux avait fini étranglé par le câble de sa guitare. Mieux valait ne pas s'en mêler. Les vigiles étaient payés pour ça.
— Becca va devenir folle ! lâcha Jay en désespoir de cause.
Réalisant le lynchage qui les attendait s'ils n'agissaient pas, Korgan et Jeff se remuèrent enfin. C'est tout de même étrange qu'aucun videur n'intervienne, songea Korgan, soupçonnant un acte délibéré. Plus ça filmerait, plus le taux de fréquentation du Nightshade grimperait ce soir et dans les prochains jours. L'altercation de célébrités dans un club huppé restait une façon, certes malpropre, de se faire de la pub.
— Il a compris, Andy, dit Korgan. Je pense que le message est passé !
Son tapotement gentillet sur l'épaule de Red ne plut probablement pas à celui qui tira sur les longues mèches écarlates de la queue de phénix du chanteur.
— Mais lâche-le, connard !
Red suivit le mouvement de crainte de finir scalpé. Le malotru – sûrement de la #TeamTony – écopa d'une clé au bras de la part de Jay, qui ne tolérait pas qu'on touche à la vitrine de son groupe. Les plastiques de Red Kellin et Jeff Scott vendaient. Leur porter physiquement préjudice s'avérait une très mauvaise idée. Le service marketing demanderait des comptes au leader. Raison légitime d'inculquer à cet imbécile qu'on ne malmenait pas l'opulente crinière de son chanteur. Ce message s'adressait à tout le monde.
D'une balayette, Jay envoya le jeune homme au sol puis, pesant de son poids, lui planta son genou dans le dos et interdit tout mouvement agressif. Irrité au possible, Red se massa un cuir chevelu endolori.
— C'est qui ce con ?
— Le claviériste de NITRΩ, je crois, reconnut Korgan. Il me semble qu'il se teint les cheveux en bleu.
L'éclairage stroboscopique empêchait de bien distinguer la capillarité lapis-lazuli du bougre.
— Il me semble surtout qu'il se bat comme une omelette ! renvoya Red, excédé. Mon si beau corps, violenté par des malappris ! Pauvre de moi.
Le sourire gauche, Jeff défia Tony de défendre son ami au sol. L'autre chanteur recula d'un pas, une main plaquée sous son menton. En se retirant, le tesson que tenait Red lui avait éraflé la peau. Ça ne saignait pas, mais il sentait l'estafilade.
Leur manager lui casserait encore les oreilles, pensa Tony, énervé. Ce type se plaignait non-stop, mais cette fois il lui clouerait le bec. La production attendait d'eux qu'ils se frottent un peu aux Beat'ONE pour quelques retombées médiatiques. Certes, elle ne l'entendait sans doute pas au sens littéral. Toujours est-il que la controverse ne nuirait pas à leur popularité, tant qu'ils fourniraient un travail artistique respectable.
Tony consentait à ce jeu d'équilibriste. Tous les moyens étaient bons pour sortir de l'ombre paternelle. Cela le rendait malade d'être toujours réduit au « fils du guitariste de Dius Core ». Toutefois, les Beat'ONE le rendaient trop facile ; il n'avait même pas à simuler !
D'un autre côté, Megan avait le chic pour chercher des embrouilles. Une baisse de vigilance de sa part et son groupe se retrouvait avec un tas d'emmerdes sur les bras ! Cette fille était une grenade dégoupillée que leur avait refourgué Ethan Bosco. Cela dit, Tony comprenait que l'occasion ait été trop belle pour qu'elle ne la saisisse pas. Dire ses quatre vérités à Red Kellin figurait dans la to-do list de la bassiste.
La concernée s'accrocha à son bras, apeurée. Tony soupira. Elle jouait les dures mais elle n'était qu'une fille de vingt ans... Fausser compagnie à leurs gardes du corps ne paraissait plus une si bonne idée.
Le groupe NITRΩ se trouvait au club Heybet, quand Megan avait eu vent de la présence des Beat'ONE au grand complet – détail important – au Nightshade. Elle brûlait de rencontrer leur chanteur et n'avait pas caché sa joie face à l'aubaine.
Les bruits de couloirs à Bosco Record© disaient que Red Kellin s'était fait baiser par le producteur. Situation difficile à gérer pour la jeune femme. La donne changerait peut-être lorsqu'ils investiraient enfin les locaux d'Axis Music Publishing©. Pour l'instant, ils supportaient ces conditions de travail dégradantes.
Megan prenait sur elle en silence. Pistonnée par son père, elle vivait un syndrome de l'imposteur et nourrissait une dent contre Red Kellin. Ce type n'aurait pas brillé par son exubérance et son goût du politiquement incorrect, personne n'aurait eu vent de sa liaison avec Ethan. Quand on s'appelait Megan Bosco, ça la foutait mal... Et ça donnait des envies de faire ravaler sa superbe à l'auteur de ses tourments.
Tony l'avait surprise en train de s'éclipser en catimini du Heybet. Sa destination : le Nightshade. Pensait-elle vraiment qu'il ne remarquerait pas son absence ? Contrairement à leur imbécile de manager, il restait vigilant.
Certes, il lui laissait croire que NITRΩ se foutait de son sort, tant qu'elle ne jetait pas l'opprobre sur la formation. Le fait qu'elle ait été imposée par Ethan ne la mettait pas en odeur de sainteté avec les autres. Ulrich ne la supportait pas ; elle existait à peine aux yeux de Sen. Tony s'alignait un peu sur l'attitude de ses camarades, afin de ne pas exacerber les tensions, et aussi pour s'amender d'avoir cédé aux lubies de leur producteur.
Cependant, Ethan n'était pas simplement cupide. Il ne leur aurait pas refilé sa fille pour ses intérêts sans une base de talent. Son jeu de basse était respectable, sachant qu'elle avait commencé il y a à peine un an. Son potentiel attendait d'éclore grâce à un bon coaching. Pour cette raison, Tony gardait un œil sur elle. Cela expliquait sa propension à la couvrir. En proposant aux autres, par exemple, de s'échapper de leur club ni vus ni connus. Apparemment le Nightshade valait le détour. Ce n'était pas faux, il y a encore cinq minutes...
— Partons d'ici, décréta-t-il.
— Hé, Tony, c'est quoi ce bordel ?
Sen se ramenait enfin. Jamais là quand on avait besoin de ses muscles !
— Tu le libères, mec ? adressa-t-il à Jay. Il n'a que la moitié de ton poids. C'est pas très gentleman d'en faire de la tapisserie !
— Va te faire voir, Sen ! beugla le claviériste cloué au sol.
Le batteur des Beat'ONE libéra la bestiole. Le calme du nouvel arrivant parut incongru comparé à l'hostilité des trois autres.
— Vous déguerpissez de mon bar, sinon ça va mal se passer pour vous, intervint Iris. (Une tempête couvait dans son regard noir qui s'adoucit lorsqu'il se tourna vers Red.) Ça va ?
— I will survive! chantonna Red, reprenant le titre mythique.
— Mais c'est eux qui ont commencé ! s'indigna Megan.
— Écoute, pendeja*, tu quittes les lieux avec tes restes de dignité ou avec le pied de Musclor au cul, opposa Iris en désignant un videur aussi large que haut, adossé au bar, ses yeux de faucon braqués sur eux. Il adore botter des culs. Surtout de jeunes filles pas sages.
— En parlant de cul, il aurait pu se bouger le sien plus tôt, non ?! éructa Jay.
Il regrettait d'avoir congédié leur escorte sécurisée pour aller en boîte, comptant sur le haut standing du club. Iris lui servit une moue embarrassée.
— Pour les réclamations, frappez à la porte de Cameron.
À tous les coups, elle avait transmis l'ordre par oreillettes de ne pas intervenir. Ou plutôt d'attendre que ça dégénère vraiment avant de sévir. La gérante assistait forcément à ce raffut depuis la salle de vidéosurveillance. Présence de blessés ou non, une bagarre de peoples boostait son chiffre d'affaires. Selon elle, le fautif était l'agresseur et non le lieu de l'agression.
— Tu vas encore me dire qu'elle n'y est pour rien dans cette affaire, hein Tony ? persifla Ulrich. Une autre connerie de ce genre, et elle ne jouera pas avec nous. Sinon, trouvez-vous un autre clavier !
— On en rediscute au calme, 'Rich, tempéra Sen comme Megan se liquéfiait.
Elle supplia Tony du regard, craignant de toute évidence une éviction du groupe. Qu'elle doive sa place à la production ne pèserait rien contre l'humeur d'Ulrich. Les colères du claviériste étaient difficiles à désamorcer.
— Ravale-moi ces larmes de crocodile ! gronda Ulrich. T'es dans le groupe uniquement parce que t'es la fille de ton père !
— Ta gueule, 'Rich ! asséna Tony. On rentre. Maintenant.
Son ton autoritaire mit les autres au pas. Ulrich ravala sa protestation, Megan baissa la tête, Sen leva les yeux au plafond. Ils quittèrent la salle sans se retourner, à la suite de leur chanteur. Pour sûr, il était bien le leader de la bande.
— C'est pas vous qui m'auriez obéi ainsi, nota Jay.
— Encore heureux ! protesta Jeff.
— Si tu voulais des sous-fifres à tes ordres, tu t'es trompé de vocation, ricana Korgan. Mais qu'est-ce qu'il a voulu dire ?
De qui cette jeune femme habillée en homme était-elle la fille ? En quoi la position de son père « justifiait » sa présence chez NITRΩ ? Car c'était bien elle le nouveau membre : la fameuse Omega. Sujet de la énième polémique autour de cette formation. On ne savait pas grand-chose de son identité, et ça débâtait sec sur son genre. Masculin, féminin ? Pour l'avoir enfin vue, NITRΩ cochait désormais la case de la mixité. De toute évidence, cela générait des tensions internes. Un virus que contractaient les groupes sous le label Bosco Record©.
— Ce con m'a frappé au visage, rumina Red.
Il n'avait pas encore changé de fréquence. Iris lui tendit une canette fraiche de Candy Dry® à appliquer contre la joue.
— Prépare-lui plutôt un sac de glace, conseilla Korgan. Que ça désenfle rapidement.
Mieux valait prévenir la crise de diva au lendemain de ce crêpage de chignon. Ainsi la vie reprit son cours au Nightshade, au rythme des ragots provoqués par cette friction de rockstars. C'était désormais clair pour tous, les Beat'ONE étaient les rois de la soirée. Qu'ils causent ou non du grabuge, le tort ne leur incomberait point.
— Toi et moi, faut qu'on discute, ordonna Jay.
— Oh gosh ! Lâche-moi avec ça, expira Red. Elle a insinué que j'avais un truc pour les vieux, pour m'être fait baiser par Ethan et Sloan. Tu voulais que je réagisse comment ?
Sa réponse crue bouscula la résolution du batteur.
— Euh... ce... ce n'était pas en rapport avec ça, dit Jay, soufflé.
— Ah... avec quoi, alors ? bougonna-t-il.
À voir sa tête, il avait envie d'un câlin.
— Avec Dean, mais ça attendra. Elle a dit quoi, cette bactérie ?!
Red gloussa. Bactérie ? C'était petit... sans jeu de mots.
— Il l'a appelé Meg', fit-il, préoccupé. Je ne sais pas pourquoi ça me dit quelque chose.
— Tu penses la connaître ?
— Non, mais... Bon sang, Ethan ! grogna Red, dégoûté par le cheminement de ses pensées.
Il avait eu raison de soupçonner un lien plus intime avec ce type !
— Quoi, Ethan ? releva Jay, perplexe.
— Il se plaignait parfois de son ex-femme à qui il versait une pension faramineuse.
— Ouais, et ? C'est quoi le rapport ?
— Et il disait qu'elle n'aurait jamais réussi à le pigeonner si sa fille ne rentrait pas dans le tableau, compléta Korgan, jugeant Jay lent à la détente. On ne l'a jamais vue du temps de Bosco Record©, mais ouais... je crois bien que c'est elle. C'est sa fille.
— Meg' qu'il l'appelait, se souvint Red. De Megan. Je ne la croyais pas aussi grande. J'ai toujours pensé qu'elle était mineure.
— À mon avis, ça ne fait pas longtemps qu'elle est majeure, spécula Jeff. Je parie que la clause de divorce stipule que les versements financiers se poursuivront tant qu'elle est scolarisée.
— Il a donc imposé sa fille à NITRΩ, constata Jay, un brin sidéré.
— Ça ne devrait pas t'étonner, renifla Korgan.
— Ce qui ne devrait pas étonner, c'est pourquoi elle s'en est prise à Red, grommela Jeff. Tu t'es tapé son père, mec. Elle l'a sans doute mauvaise. Va savoir dans quelles circonstances elle l'a su.
Jay et Korgan considérèrent leur chanteur d'un air affligé. Avant ce soir, cette connerie leur était sortie de la tête ! Red se frappa le front contre le plan du bar et pleurnicha.
— Laissez-moi mourir...
Quel désastre ! En plus de dénigrer les ovaires de sa mère, il lui avait proposé les coordonnés de son propre père pour un plan cul ! Il était l'offensé dans l'histoire mais il se sentait mal. Il se sentait sale. Ses parents n'auraient pas été fiers de lui... Cela ne lui était pas arrivé depuis longtemps.
Korgan lui pressa l'épaule, compatissant. Tandis que Jeff ricanait, Jay se demandait comment gérer les conséquences médiatiques de cette affaire.
— Tu ris mais tu feras moins le malin devant Becca.
Leur manager les descendrait. Point. Où était ce cher Lawson ? Peut-être consentirait-il à jouer les avocats et plaider leur cause désespérée. Rebecca était fan de l'animateur radio pour on ne sait quelle raison... Non, Jet Poppy-Garett n'était pas jaloux. Enfin, il avait cessé de l'être en notant les œillades gourmandes qu'adressait Lawson Read à Iris, en se croyant discret.
*o*o*
TBC ● EPISODE 31
*Twink : terme anglophone désignant un éphèbe imberbe et peu viril, considéré comme l'équivalent masculin de « bimbo » dans certains cas.
*« Pendeja » (« pendejo » au masculin), espagnol, désigne, selon le contexte et/ou le ton employé, idiote, trou du cul, petite conne...
Eh bien, ils sont en forme, les Beat'ONE ! Une annonce du non-célibat de Red Kellin pour la Saint Valentin, une bagarre contre d'autres musiciens... C'est quoi la suite du programme ?
*MEDIA*
Intro vidéo : Solence - 4 Good Reasons. Pour remonter le moral de Red, on va lui dédier cette chanson.
One, two
One, two, three, four
One
You kept on beating me down you said
I wouldn't make it I was never enough
Two
Kept talking shit 'bout my friends you said
I didn't need 'em, I was good by myself
Three
You manipulated me, you took me
High, high up then down, down deep
Four
Well that ain't me anymore please I'm done talking shit
Now you know
I got four good reasons to leave you
So now you'll never see me again (see me again)
No, I don't fuck with your ego
So now you'll never see me again
(One, two, three, four)
Five
I guess the four is enough but I still
Got a minute and I'm calling you bluff now
Six
It's just matter of time, you can run, run, run
Nothing's ever gonna save you from
Karma
(You'll get what you deserve)
(You'll get what you deserve)
(Karma)
(You'll get what you deserve)
I got four good reason to leave you
So now you'll never see me again (see me again)
No, I don't fuck with your ego
So now you'll never see me again
See me again
See me again
Four good reasons to leave you (x2)
Four good reasons to leave you (alright)
Four good reasons to leave you
You got four more seconds to get out the door
I count
One, two, three, four
You'll get what you deserve
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