S07 - EP 26 ✧ part I
Partie 1/2
Vendredi 9 février
La courte pile, résultat du tri laborieux de son courrier, étonna Red. Vu la quantité qui l'avait accueilli, il s'attendait à un monticule plus conséquent. Il avait le sentiment d'avoir passé sa demi-journée à trier ! Avec un plaisir enfantin, il se débarrassa de la paperasse inutile qui remplit la poubelle de son bureau.
— J'ai beau avoir interdit les pubs et prospectus, il y a toujours une charge de papier qui ne sert à rien !
L'homme ne sauverait jamais la planète, déplora-t-il. La Terre devait trouver un moyen de réguler l'espèce humaine. Et l'humanité lui devrait une fière chandelle, car l'existence même de certaines personnes s'avérait un affront. Red fit la moue face aux cartons d'invitations qu'il ne pouvait plus honorer.
— D'un autre côté, si je n'ai pas été relancé au téléphone ou par e-mail, alors ce n'était pas une grande perte, marmonna-t-il. Poubelle !
Quelqu'un qui voulait avoir Red Kellin à une party devait mouiller la chemise. C'était l'ordre des choses. Il cocha la case « courrier » sur sa to do liste et s'attaqua à la tâche herculéenne des appels. La perspective de la valse d'hypocrisie qu'il s'apprêtait à danser avec certains contacts le découragea. Hélas, une vie de star nécessitait – bien trop souvent à son goût – ce jeu de faux-semblant. Heureusement, quelques amis figuraient dans le lot. Comme Iris, qui se proposa de l'accueillir au Sin-Nest, l'aéroport Est de Nior.
Lorsqu'il finit de promettre rencards, déjeuners, vernissages, et interviews à la bande de charognards presse ou people qui connaissait son numéro de fixe, Red appela ses grands-parents.
— Tu passes à la maison ?
— Je voudrais bien, Mam', mais j'ai un vol prévu pour...
Il jura en consultant son horloge murale et maudit la relativité du temps. Il lui en restait peu avant son embarquement.
— Fiston, ton langage !
— Pap', je crois avoir passé l'âge d'être repris sur mon langage.
Il fila récupérer son sac de voyage dans sa chambre.
— Dans ce cas, épargne mes pauvres oreilles. J'ai passé l'âge d'apprendre de nouveaux gros mots.
— Mais c'est la faute du temps, aussi ! rit Red. Il doit cesser sa manie de filer à une vitesse folle quand on en a le plus besoin.
— C'est de ton âge. Viendra un temps où tu le trouveras lent, sourit Marise.
— Ou long, grogna Horace.
— Mais ça m'arrive déjà. Quand Dean me manque.
— Oh ! s'attendrit Marise. Comment va-t-il ?
— Il va.
Dégageant le câble de ses écouteurs, Red ouvrit la portière de sa Bugatti et jeta ses affaires sur le siège passager. Il refusait de laisser sa Pagany neuve sur le parking de l'aérodrome de Palm Hills. J'aurais dû demander qu'on vienne me chercher. Mais il s'était habitué à une vie « normale » à Balmer, sans chauffeur ni course effrénée derrière un planning serré orchestré par sa manager. Il était temps de se réadapter. Dans deux heures, le rythme survolté de Nior l'accueillerait à bras ouvert.
— Il va ? répéta Marise.
À son ton interloqué, il sut qu'elle dévisageait Horace.
— Ça, ça veut dire qu'il pleut au pays des licornes.
— Ce que tu racontes ne veut absolument rien dire, Pap'. Et tout va bien, dit-il d'un air qui l'aurait convaincu lui-même.
— Ce que j'en dis, une petite pluie ce n'est rien du tout, statua Marise. Tant que c'est pas de l'orage...
Red devina qu'elle haussait les épaules. Horace grogna d'assentiment. C'était tout ce que ça leur faisait ?
— N'êtes-vous pas censés me soutenir ?
— Je croyais que tout allait bien, mon petit, rappela Horace, malicieux.
À leur rire étouffé, il réalisa s'être piégé tout seul.
— Ouais, bon ! grogna-t-il en claquant la portière.
— Qu'est-ce qu'il ne va pas ?
Red mit le contact. Le transfert Bluetooth de son appel sur son tableau de bord l'empêcha de répondre. Marise s'inquiéta face à son silence.
— C'est si grave que ça ?
— Non ! Enfin, je ne pense pas. (Il leur exposa néanmoins le problème.) Je n'étais pas censé tomber sur ces billets. Je m'en serais porté comme un charme. Heureux, les ignorants. Que suis-je supposé faire dans la présente situation ? J'ai tenté de sonder le terrain, plusieurs fois. Plusieurs fois ! martela-t-il. Et il a éludé. Pour ne pas dire nié. Du coup, je n'arrive pas à faire comme si de rien n'était !
C'était peu dire. Il avait une série de concerts dans quelques jours et il se prenait la tête avec ce genre de conneries. Dean faisait chier !
— Les billets... étaient-ils personnalisés ? C'était bien à son nom ?
— On se fiche qu'ils soient ou non à son nom, Horace. Le fait est qu'il les a et ne compte pas lui en parler !
Cela lui mit du baume au cœur que Marise soit de son avis.
— C'était peut-être pour quelqu'un d'autre, 'Rise, avança Horace avec réserve.
Maintenant qu'ils en parlaient... Ils étaient en effet neutres. Mais Dean voulait peut-être voyager dans l'anonymat.
— Ce n'était pas non plus des billets de première classe, se rappela Red. Ça ne colle pas au standing de Monsieur Dean Leblanc, en ce moment. Là où je comprends encore moins, c'est pourquoi prendre un vol depuis Saunes, alors qu'il a un Gulfstream à disposition, quasiment où qu'il soit !
— C'est ça ton problème, Andy ! le sermonna Horace. Tu extrapoles des choses et te montes tout un film. Dieu sait que tu as une imagination fertile. Avant d'avoir tourné deux saisons entières dans ta petite tête, et si tu lui avouais simplement que tu les as vus ?
— Et il lui dirait quoi ? Que c'était par inadvertance ? M'as-tu déjà crue à chaque fois que j'ai employé les mots « par inadvertance » et « tes poches » dans une même phrase ?
Red se retint de rire et compatit à la peine d'Horace qui s'apprêtait à vivre un sale quart d'heure. Sa femme lui taillait un costard sur mesure. Le malheureux jeta de l'huile sur le feu.
— Bien évidemment que non ! C'était dans tes sales habitudes de fouiller dans mes poches ! Tu ne tombais jamais « par hasard » sur leur contenu !
— Et c'était dans les sales habitudes de qui, de ne pas faire ses poches avant de mettre son linge au sale ? C'était dans les sales habitudes de qui, de ne jamais faire de lessive, hum ?! Combien de fois ai-je sauvé tes affaires – et des objets de valeur – d'une noyade dans le lave-linge ?
Ça sentait le roussi.
— Euh... Juste pour info, c'est de moi qu'on parlait...
— N'essaye pas de le protéger, toi !
— Désolé, Pap'.
— Lâcheur ! (Red pouffa.) Montre-toi franc, Andy, et ça devrait aller.
— Mais c'est tout de même intrigant qu'il ait éludé, insista Marise, soucieuse. Peut-être a-t-il ses raisons.
— Bien sûr qu'il a ses raisons ! Le petit devrait cesser de tourner autour du pot ou de chercher à sonder, tâter le terrain, ou que sais-je encore de sournois ! Ce sont des manies de bonnes femmes, ça ! Ton homme n'est pas télépathe. Si tu ne lui dis pas cash ce qui ne va pas, il ne le saura pas.
Marise soupira, blasée.
— Je suis au regret de le confirmer.
Elle parlait par expérience. Et ils avaient raison. Red aurait simplement dû avouer à son homme qu'il était tombé sur ces billets par mégarde. Ça lui aurait épargné ce conflit intérieur. Mais à présent que Dean et lui ne pouvaient se voir, il avait le sentiment d'avoir raté le coche. En discuter au téléphone ne lui semblait pas approprié. Parfois il s'exaspérait ! Que craignait-il ? Que Dean ait une aventure dans son dos ? Il le sentirait. Enfin, vu le nombre de fois qu'il avait été cocufié, Red saurait reconnaitre les signes. Du moins, il l'espérait.
« Eh ben, tu es vachement sûr de toi, Andy, c'est rassurant ! »
Il ne sut à quelle version de sa conscience attribuer cette pique. Quoi qu'il en soit, son partenaire ne lui avait donné aucune raison de douter de lui de ce côté-là. C'était injuste de sa part de le juger ainsi.
« Tu es sûr de toi ? Il y a quelques jours, il est rentré de sa réception MIP avec l'odeur d'un autre parfum. Le genre qu'on trouverait au rayon femme. »
Red grogna contre lui-même. Il était temps de fixer certaines règles. Plus de mensonges, même par omission. Ça déstabilisait l'équilibre timide de son couple, et il le vivait mal, sachant son tempérament et son manque d'assurance. Quand s'endurcirait-il !?
Il salua ses grands-parents, puis se concentra sur la route. L'aérodrome grouillait de monde. Personne ne s'attendait à ce qu'une rockstar de l'envergure de Red Kellin arpente un hall d'embarquement. Il avait camouflé sa chevelure signature dans une casquette-bonnet. Sa silhouette longiligne se fondait dans la masse grâce à un look denim et sportwear. Sa veste-bomber en coton et soie était la version vestimentaire d'un chocolat chaud. Les semelles doublement compensées de ses creepers arc-en-ciel l'aidaient à dominer la foule, au point d'attirer l'attention de certains usagers sur son passage. On le prenait sans doute pour un mannequin derrière ses verres ambrés.
Il passa la sécurité sans encombre, et l'hôtesse ne se douta de rien en vérifiant son passeport. On n'associait pas toujours Andy Rell à Red Kellin, quand on n'était pas Holy Sucker. Les stars qui utilisaient leur vrai patronyme comme nom de scène n'avaient pas la vie aussi belle au moment d'un contrôle d'identité.
Red pensa trop vite... Son téléphone sonna ; les notes de DEAR ANGEL parvinrent aux oreilles de ses voisins. Il décrocha en s'éloignant de la file, en quête d'intimité.
— Oui, chéri...
— Je suis à Saunes.
— Déjà ? Je croyais que tu n'arriverais que demain.
— Hé, on dirait pas la voix de Red Kellin ?! entendit-il.
— Normal, sa sonnerie c'est une chanson des Beat'ONE.
— Non, lui, le mec au téléphone. Il a la voix de Red des Beat'.
— Tu délires !
— Je reconnaitrais facilement sa voix, qu'il chante ou parle.
Red grimaça et s'éloigna davantage, en donnant l'impression de ne pas fuir. Dean avait fini plus tôt que prévu ses « affaires » à West-Town, d'où sa présence à Saunes. Il espérait intercepter son homme avant son départ mais ne l'avait prévenu qu'au dernier moment car il comptait lui faire la surprise.
— Où es-tu ?
— Sur le point d'aller en salle d'embarquement.
— Laquelle ? Je suis à l'aéroport.
— Je ne suis pas à Mance Flewing mais à Palm Hills. Désolé.
La déception s'entendit dans le silence de Dean. Ouais, pas de bol. Le petit démon en Red revint à la charge. Horace avait beau lui avoir conseillé de ne pas se montrer sournois, c'était plus fort que lui.
— Tu pourras toujours descendre à Nior, ce weekend.
— Je t'ai déjà dit que je ne pouvais pas.
— Ah oui, à cause de ton vol pour l'île Seymour, la semaine prochaine. Tu comptais rentrer avant que je me doute de quelque chose ?
Dean soupira sans faire l'effort de le masquer.
— Pourquoi ne m'as-tu pas dit que tu savais ?
— Pourquoi ne m'as-tu pas dit que tu partais ?
— Ce sera une affaire de vingt-quatre heures. Cela n'a pas à perturber ta routine.
— Dean, ce n'est pas ça le problème ! Je ne veux pas parler de malheur, mais s'il t'arrivait quelque chose alors que tu es à l'étranger, comment suis-je censé l'apprendre ? Ou le prendre, quand on m'annoncera que tu te trouvais à des kilomètres sous d'autres latitudes ! Tu ne comptais vraiment pas me parler de ces billets ?!
— Quels billets ?
La surprise de Dean poussa Red dans ses retranchements. Il était à deux doigts d'exploser.
— Me prends pas pour un imbécile ! Les putains de billets d'avion que j'ai trouvés dans ta foutue veste !
— Tu fais mes poches maintenant ?
Réaction sans doute instinctive d'auto-défense. Le ton de Dean ne véhiculait pas vraiment une accusation ; plus du sarcasme. Or cet homme se défendait derrière un bouclier de sarcasme. Hélas, ce fut l'étincelle qui mit le feu aux poudres.
— Tu sais quoi ? Va te faire voir ! Je raccroche et tu ne m'appelles pas de tout le weekend ni jusqu'à ton retour de cette putain d'île. Je ne décrocherai pas. Je ne lirai pas tes messages non plus. Donc, te fatigue pas ! Je te souhaite de passer une bonne Saint-Valentin, bébé, susurra-t-il, fielleux.
Red raccrocha sans lui laisser le temps d'en placer une. Le bouton serait resté enfoncé s'il n'utilisait pas un clavier tactile, tant il transféra sa fureur dans son pouce. Pour parfaire sa décision, et parce qu'il ne faisait jamais les choses à moitié, il blacklista le numéro de Dean. Ainsi, tous ses appels et textos seraient automatiquement rejetés et Red ne serait pas tenté de décrocher. Car il dirait quelque chose qu'il regretterait. Oui, c'était puéril. Mais il avait osé nier, ce connard !
— Vous êtes bien Red Kellin ?
— Non, je suis la reine d'Angleterre !
La jeune femme qui l'aborda marqua un mouvement de recul. Red soupira. Voilà qu'il passait ses nerfs sur une fan à cause de son imbécile de partenaire. Il se radoucit, même s'il avait envie de gueuler un bon coup.
*o*o*
TBC ● EPISODE 26 – part 2
Ah là là, le conflit fait son retour en grandes pompes ! La diva est un peu montée dans les tours. À tort ou à raison ?
*MEDIA*
Intro vidéo : Willy William - Tes mots. Parce que la poésie de ces lyrics est si vraie et tellement adaptée à la relation de ReDean.
Tes mots donnent
Tes mots prennent
Les plus courts me retiennent
Tes mots blessent
Tes mots de passe
Ils s'écrivent puis s'effacent
Tes mots que j'aime, ceux que je déteste
Certains que tu vises rien que pour me tester
Tes mots du début et ceux de la fin
Les plus vicieux et les plus malins
Il court, il court
Le bruit de ses mots
Il court, il court
En [?] ses échos
Il court, il court
Ravage tout sur son passage
Il prend nos faiblesses en otage
Alors
C'est la puissance de tes mots
Et ça fait mal (ça fait mal)
C'est la puissance de tes mots
Et ça fait mal (de tes mots)
C'est la puissance de tes mots
Quand de simples mots sont plus forts que les coups
Vicieuses sont les idées qui te poussent à bout
Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire
Celui qui te veut du bien peut aussi te détruire
J'ai vu des gens péter un plomb, tourner en rond
Parce que fatigués de penser ils finissent comme des moutons
Des mots à outrance te donneront mal à la tête
L'ironie voudra que le silence te rende bête
Doté de paroles je pense qu'on n'est pas prêt
Tes propres mots derrière un écran c'est ça le progrès
De simples mots peuvent changer le cours de ton histoire
Un discours bien manipulé pour plus de pouvoir
Ils courent, ils courent, ils courent
Le bruit de la haine et le bruit de l'amour
La force des mots ravage tout sur notre passage
Et mets nos faiblesses en otage
C'est la puissance de tes mots
Et ça fait mal (ça fait mal)
C'est la puissance de tes mots
Et ça fait mal (de tes mots)
C'est la puissance de tes mots
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