S07 - EP 24 ✧ part III
Partie 3/3
Contrairement à Samson Borg qui savait où se situaient ses intérêts, Chayton Pratchett, qui s'était fait « ennemi » du nom Leblanc, pénétra dans la pièce en trainant les pieds. Amaigri, le prisonnier flottait dans son uniforme kaki. Il semblait agacé. Sa surprise informa Dean qu'on lui avait tu l'identité de son visiteur.
Bien vite, Chayton disciplina son expression. Le masque impassible, le geste mesuré, il s'assit sur le tabouret métallique inconfortable, fixé au sol, et porta le combiné à l'oreille.
— Ils ont craint ton manque de coopération en découvrant qui te rendait visite, ou est-ce dans leur tradition de faire des surprises aux détenus ?
— Bonjour, Dean, dit Chayton d'une voix éraillée d'avoir peu servi dernièrement. Que me vaut l'honneur ? demanda-t-il, sarcastique.
— Mon fils voudrait discuter avec toi. (Chayton haussa les sourcils.) Autant te le dire : cela ne se fera pas. Pas ici. Peut-être par téléphone, se ravisa Dean. Mais je serai la dernière personne à le lui suggérer.
L'espoir qu'il crut déceler sur le visage lisse de Chayton mourut.
— Comment va Rudy ?
La question n'eut pas de réponse. Chayton se permit un sourire ironique.
— Si un regard pouvait tuer, je ne serais déjà plus de ce monde.
Dean lui aurait rendu un fier service, cela dit... Ce dernier l'étudiait, se demandant la raison de son calme. Ni blasé, ni repentant, ni nerveux, il tenait des propos mesurés, lucides. Et surtout, comment avait-il l'outrecuidance de prendre des nouvelles de son fils !
— Pourquoi voudrait-il me voir ?
— Ce n'est point le sujet de ma visite.
— Quel est-il ?
— Il n'a plus lieu d'être, faute d'avoir été contrarié par tout ce dispositif sécuritaire, fit Dean en parcourant la cabine d'un regard dédaigneux. J'étais venu avec l'intention de t'étrangler de mes mains et m'assurer que tu y restes, cette fois.
Il était on ne peut plus sérieux, comprit Chayton, à la lueur meurtrière dans ses yeux et aux articulations blanches sous la poigne exercée sur le combiné. Or son visage restait la vitrine de la maîtrise de soi. Encore et toujours ce putain de contrôle ! rumina Chayton.
— Cette conversation est sur écoute, rappela-t-il.
— Je ne fais pas un mystère du sort réservé à ceux qui s'en prennent aux miens. Et par deux fois, Chayton ! cracha Dean, virulent.
Interloqué, celui-ci inclina la tête. Dean faisait-il aussi allusion au Colisée d'Oram ?
— Depuis quand es-tu si attaché à ton patrimoine familial ? (La lumière se fit.) À moins que... ce ne soit à Red Kellin ?
Dean eut un rictus mauvais. Ce connard le provoquait. Il rendait les coups.
— Tu en as pour trente-cinq ans. Cela te fera quel âge à la sortie ? s'enquit-il, vicieux.
Chayton choisit le silence, rendant la question rhétorique. Dean fit le calcul :
— Soixante-et-onze ans... Ils auraient été plus cléments en te refilant perpète. Qu'espèrent-ils que tu accomplisses à cet âge ? Il sera inutile d'envisager une réinsertion sociale.
— Le monde à l'extérieur ne m'attend pas, avança Chayton, placide. Je ne compte pas non plus passer toutes ces années en cage. J'y mettrai un terme moi-même.
Dean se rembrunit. Cette nouvelle l'incommodait. Elle ne collait pas à sa définition de la justice ni à sa vision de vendetta. Chayton devait purger la totalité de sa peine. Et il se ferait un plaisir de l'accueillir lui-même à sa sortie de prison, pour lui foutre son poing dans la gueule. Même à soixante-dix piges ! Ils étaient vigoureux dans la famille ; il aurait encore la force de l'envoyer au tapis.
— Allons, ne sois pas si perplexe, Deany. En prison, le taux d'autolyse bafoue les statistiques. À l'automutilation s'ajoutent des centaines de suicides. Un de plus ou de moins ne nuira pas à la réputation bien assise de Mictlan.
L'entendant rire, Dean songea qu'il déraillait complètement. La conversation était sur écoute. Après cette entrevue, Chayton serait doublement surveillé. Comme s'il ne l'était pas déjà assez ! Il tendait le bâton pour se faire battre.
— Je t'assure que je dis vrai. De nombreuses rumeurs courent sur cet endroit, mais laisse-moi établir la vérité. Il a été répertorié trois fois plus de suicides en prison ces cinq dernières années qu'il y a vingt ans. Mictlan bat le record, et le gouvernement ne s'en est jamais ému jusqu'ici. Le taux est quatre fois supérieur à la moyenne nationale. La « sursuicidité » carcérale est une réalité bien tangible, et elle servira mes intérêts, termina-t-il en haussant les épaules.
Comment pouvait-on parler d'intérêts, alors qu'on serait mort ? Dean en fut presque déçu.
— Alors, c'est cela ? Tu comptes finir ta vie en chiffre ? Un énième point d'une gaussienne de statisticien ? railla-t-il. Je me suis déplacé pour entendre le discours d'un perdant, renifla-t-il.
— Voilà belle lurette que j'ai tout perdu, dit platement Chayton.
Dean le considéra en silence pendant près d'une minute, se foutant que le temps lui soit compté. Bizarrement, Chayton se sentit mal à l'aise sous le regard scrutateur. Non à cause de son animosité mais à cause de l'acceptation flegmatique qu'il y lisait. Qu'il vive ou meure n'ébranlait pas Dean. Le cours de la conversation dévia, comme s'ils discutaient d'un sujet trivial.
— Pourquoi mon fils ? Je veux sincèrement comprendre.
Cela le ferait chier que Chayton emporte sa version dans la tombe. Peut-être par ego, à moins qu'il faille blâmer sa curiosité retorse ; il désirait l'entendre de la bouche du responsable.
— Pourquoi Rudy ? Pourquoi ce choix ? Il n'y avait pas plus innocent que lui.
— C'est pour ça qu'il était parfait. Un agneau à immoler. Virginal. Avec le consentement du patriarche.
Notant le poing serré de Dean, une lueur raviva les yeux ternes de Chayton. Il se pencha en avant, le regard habité.
— Et si tu me donnais une raison de retarder le baisser de rideau ? Si tu me changeais de mon ennui, Dean ? Peut-être que je repousserais l'échéance, dit-il avec un sourire gauche en se passant le pouce en demi-cercle autour du cou.
Il se redressa, l'expression moins lunatique, la voix presque badine.
— Rends ta vendetta divertissante. Spectaculaire, diffusable à la télé. Régale-moi du destin que tu réserves à ceux qui m'ont accordé leur bénédiction. Ils étaient nombreux... Je tiendrai assez longtemps pour voir ce que tu auras décidé. (Il fit la moue, se cura un ongle en s'aidant de celui de son pouce.) Encore faut-il que tu saches qui est impliqué. Bien que ce soit plus fun de les mettre tous dans le même sac.
— Fun..., articula laborieusement Dean.
Chayton haussa les épaules.
— Que veux-tu ? Seule l'horreur arrive encore à me divertir. Le reste ne m'est plus que vacuité. Tu es libre de faire comme bon te semble, Dean. Me donner une raison de voir le prochain jour se lever ou avoir ma mort sur la conscience.
Contre toute attente, Dean pouffa.
— Tu es fêlé, ma parole, si tu crois un seul instant que tu arriveras à me culpabiliser. Tu appartiens à ces gens qu'il est vain de raisonner. Et tu n'as pas compris que je suis fait du même bois. Je ne viens pas négocier, Chayton. Ton sort m'est complètement indifférent. Vas-y, mets-y un terme, avec toute ma bénédiction, gloussa-t-il. Cela m'épargnera l'effort de dissuader mon fils de te payer une visite. J'aurais aimé ne jamais t'avoir connu, conclut-il, comme blasé. Je ne sais pas ce qu'Elan penserait de toi.
Le rictus fugace de Chayton trahit une émotion que Dean peina à déchiffrer. Tant mieux si sa dernière déclaration déprimait cet enfoiré. Cela lui donnerait un coup de pouce au moment d'écourter sa piètre existence.
— Dire que j'avais voulu faire de toi le parrain de Rudy !
Son trésor. Combien il regrettait ! Dean raccrocha le combiné et se leva, sous le regard incrédule de Chayton. Brusquement, ce dernier quitta son tabouret. Son masque de stoïcisme vola en éclats et libéra sa fureur. Il martela la vitre avec violence, le sommant de ne pas quitter la pièce. La conversation avait à peine duré cinq minutes.
Dean prit soin de lui servir un sourire cruel. L'indifférence était une arme dévastatrice. Chayton ne méritait que cela, son indifférence. Nourrir la rancœur, la haine, montrer de l'incompréhension, donnait à ce type une emprise sur lui. À l'instant, Dean venait d'être frappé d'épiphanie : il faisait ses adieux à une personne appréciée jadis, au point de lui octroyer le titre d'ami. Presque « meilleur ami ». Or à l'époque, il ignorait tout de la véritable amitié. Il l'avait appris au contact des Beat'ONE.
À présent, peu lui importait que Chayton dispose d'infos susceptibles de l'intéresser. Il se passerait de lui pour les obtenir. Au fond, lui étaient-elles réellement utiles ? Sa seule mission désormais : imposer ses propres règles. Elles seraient loi pour tous, sans exception, car elles serviraient sa justice. Une chose devait être loi parce qu'elle était juste. Eh bien, Montesquieu* ne s'offusquerait point qu'il adapte sa citation à son avantage.
La rancune se révélait chronophage ; une dépense improductive changeant la haine en dette. Dean refusait d'être le débiteur de Chayton. Sa noblesse lui interdisait de se rabaisser à ce niveau. Il lui avait fallu ce périple, loin des siens, pour en prendre conscience.
— Bon vent, Chayton.
Il l'articula de manière distincte, comme deux gardiens se ruaient dans la cabine et maitrisaient le forcené.
*o*o*
TBC ● EPISODE 25
Voilà comment Dean baisse le rideau sur l'acte Chayton : de manière régalienne, froide et cruelle. Tout lui !
*La citation de Montesquieu est : « Une chose n'est pas juste parce qu'elle est loi ; mais elle doit être loi parce qu'elle est juste. » Dean fait l'inverse.
*MEDIA*
Intro vidéo : Jo Blankenburg - Shadow King Extended. Parce que les pensées sombres de Dean vont bien avec ce genre de bande son épique et dramatique.
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