S07 - EP 21 ✧ part II
Partie 2/2
Dean et Jay posaient sur fond noir, dans une tenue qui distrayait Rebecca. Tandis que le photographe réalisait de gros plans sur le premier et des vues en pied avec le second, la manager matait sans scrupule. Secrètement, elle avait toujours nourri un faible pour Dean, et Jay en gentleman à la coupe rock peroxydée la laissait toute chose. Chez son homme, le mini-mohawk blond platine et le costard cintré gris se mariaient à merveille. Face au duo de blonds, la pauvresse ne savait plus où donner de la tête. Red se planta à ses côtés et soupira.
— C'est illégal d'être aussi viril et sexy.
Elle apprécia son attirail. Glamour, rock et classe. Ses gants de demi-palme en cuir clair rehaussaient l'originalité de son style. L'accessoire, peu pratique en hiver d'un point de vue technique, ne couvrait que ses doigts mais s'avérait plus chic que les mitaines. Ses pendentifs crucifix gothiques en étain, sertis de pierre de cristal écarlate, épousaient la noblesse du tissu et contrastaient avec le noir de sa cravate slim.
— La remarque pourrait aussi te concerner.
— J'ai tiré la courte paille le jour de la distribution de la virilité, mais c'est vrai que j'étais en tête de file pour la catégorie sexy.
Sa vantardise se portait bien, nota Rebecca. Bon signe pour la suite des évènements, puisqu'ils prévoyaient un hold-up médiatique. Ce braquage nécessitait des munitions d'égo. Ravitailler le stock d'amour-propre devenait primordiale. Les éléments se liguèrent contre Rebecca quand, cinq minutes plus tard, Red trébucha sur un sujet de contrariété.
— Je ne peux pas, mon agenda chargé ne me le permet pas.
Réponse de Dean à l'invitation de son partenaire de l'accompagner à Nior.
— Je n'aurai même pas le temps de visualiser le rendu de mes photos à la fin du shooting, c'est te dire.
Red bouda mais se fit une raison. La chance avait une durée de vie limitée. Notant sa mine maussade, Will invectiva le fautif.
— Tu fais suer, Dean ! Tu me l'as mis en rogne. Ce n'est pas possible de faire son job dans ces conditions !
Et pourtant, il ne cessait de mitrailler. Ulcéré, Dean protesta :
— Parce que je suis aussi responsable de ses chichis de reine ?
— Répète un peu ? cracha Red, piqué.
— Sinon quoi, Andy ? Tu me pondras un scandale ? Ajoute des larmes de crocodile, ta crédibilité y gagnera.
Les deux hommes se toisèrent, fulminant. Les gants en cuir de Red couinèrent, comme il serrait les poings. Hautain, Dean défaisait un bouton de manchette avec une désinvolture aristocrate. Sa colère feinte, il narguait son adversaire, le défiant de sortir de ses gonds.
C'était parfait. Pour Will. La prestance de Dean séduirait les clients fortunés imbus de leur personne. Du milliardaire à la star de Brown Alley, tous convoiteraient l'impression de puissance désinvolte et d'autosuffisance naturelle émanant du modèle. Dean n'avait pas besoin de jouer un rôle, il incarnait le personnage mis en scène devant l'objectif.
Laz était extatique. Le gabarit si différent du duo Dean-Red représentait l'essence de ses créations ; deux morphologies opposées constituant l'ADN de la touche personnelle qu'il apportait à la marque. Néanmoins, il n'avait jamais vu un couple de mannequins aussi querelleurs sur un plateau. Inquiet, il tenta la médiation :
— Allez, faites la paix. Cette dispute va casser votre jeu. Vous avez été excellents jusqu'ici.
Will soutenait l'avis contraire. Souvent, c'était quand Dean et Red s'apprêtaient à quitter le plateau, persuadés que le photographe en avait momentanément fini avec eux, qu'il obtenait ses meilleurs clichés. Parfois, il les immortalisait en coulisses afin de capter une émotion authentique.
À l'instant, le courroux du chanteur accentuait ses traits, affutait son regard et drapait sa silhouette d'une aura royale. Un monarque contrarié dans toute sa splendeur. Il portait ses cheveux défaits et lustrés à la brosse, Laz tenant à ce qu'il reste naturel. Le ventilateur donnait à sa crinière écarlate un effet « grand air ».
— Je n'ai plus envie de poser avec cet énergumène, décréta Red.
Le pas rageur, il quitta le plateau. Will faillit en perdre son appareil photo.
— Tu n'es pas sérieux ?
Voyant Korgan pouffer, il comprit à quoi jouait le couple. Ces deux-là se cherchaient et se trouveraient. De manière torride. Ça l'arrangerait s'ils s'adonnaient à leur chasse érotique loin de son plateau ! Il révisa son jugement face au sourire en coin de Dean après le départ en fanfare de sa diva. Le dernier cliché rendait vraiment bien. Le grand blond arborait une expression joueuse, presque coquine. Pour sa propre intégrité mentale, Will ne chercha pas à connaître la nature des pensées de son modèle.
— Ils ont conscience de shooter, là ? s'enquit Laz, pour qui travailler avec ce genre de mannequins bizarres était une nouveauté.
— À cet instant, je crois que non, répondit Will.
Pris dans son jeu de séduction, le couple ne se souciait guère du reste du monde. Laz se surprit à se demander pourquoi avait-il l'impression que Dean Leblanc regardait Red Kellin comme lui aurait aimé que l'amour de sa vie le regarde. Enfin, si cette personne parfaite existait quelque part. Il en serait presque jaloux. Poussait-il la spéculation ou donnait-il dans la conclusion hâtive ?
Il n'osait pas questionner Will à ce sujet. Premièrement, parce qu'il n'appartenait pas au cercle proche des concernés. Deuxièmement, ce ne serait pas professionnel. Dernière raison et pas des moindres : Leblanc. Sa petite équipe avait signé une clause de confidentialité rappelant qu'ils travaillaient avec un MIP. MIP issu de l'empire familial qui exerçait une emprise sur la ville de Balmer. Cela n'empêchait pas Laz de sentir comme des étincelles entre ce fils de magnat de l'immobilier et la rockstar.
— Ce qui est génial avec eux, c'est qu'ils font oublier à l'autre la présence de l'objectif, poursuivit Will. Ils ne s'en rendent même pas compte. Je me souviens encore du premier shooting de nu de Dean.
— Tu as dû te rincer l'œil, je parie.
— J'aurais été bête de ne pas savourer pareille beauté divine, confessa Will. Mais ça n'a pas été simple au début. Une fois qu'il a embarqué dans le Red-express, c'était un voyage vers la félicité. Même chanson au shooting des caleçons X-Trem®. Ajoute Red-caramel à l'équation complexe de Dean et elle devient facile à résoudre.
Laz le dévisagea. Théorème véridique ? Quoi qu'il en soit, cela ne tombait pas dans l'oreille d'un sourd. Il osa :
— Et... tu sais ce qui les lie ? Je trouve leur relation très « particulière ».
— Je photographie quelque chose de vrai avec eux et non « joué », dit Will en se munissant d'un autre appareil pour les prises en noir et blanc. Les photos de ce duo marquent les esprits parce qu'ils ont de l'authenticité. Tu auras de belles affiches publicitaires, querido.
— Je n'en doute pas.
Laz nota que Will n'avait pas vraiment répondu à sa question. Toutefois, il comprenait que ce dernier aime photographier l'alchimie entre les deux hommes. Lui aussi avait été piégé par l'atmosphère qu'installait le « couple » sur le plateau face à l'objectif. Ils étaient subjuguants.
— Hélas, je n'ai pas souvent l'occasion de les avoir côte à côte. Pour une fois que c'est le cas, il fallait que l'autre bellâtre me foute mon Red-caramel en rogne !
Il se tourna vers Dean qui ajustait les détails de sa nouvelle tenue avec l'aide de Chelsea, l'éditrice de mode.
— Démerde-toi, mais va me le calmer. Dorlote-le ou ramène-le par la peau des fesses, le choix est tien. La séance n'est pas encore terminée. En attendant, Black-caramel et Korgan-san, vous servirez de bouche-trous.
— Sympa pour nous ! s'indigna Korgan.
— Au moins il t'appelle pas par un surnom sucré débile, maugréa Jeff.
Will avait adopté le « Korgan-san » de Ran, bassiste de Naytray. Jay écopait de « papa-chan », un clin d'œil à Peneloppe, alias Kawaii-caramel. Jeff avait beau partager une franche amitié avec cet homme, il lui arrivait parfois de la remettre en question.
— Red-caramel, cesse de faire ta mauvaise et reviens ! gueula-t-il.
Korgan lui emboîta le pas, hilare, comme le chanteur envoyait son bassiste « chier ».
Constatant que Will avait la situation en main, Laz fut sollicité par Rebecca.
— J'ai besoin de tes services pour une remise à niveau « fashion et classe » de mon homme. Je le trouve sexy dans ce look. Et pour que ça dure, il est temps qu'il adopte une nouvelle garde-robe. Ne serait-ce que pour être au standing de madame.
Elle était toujours chic, soignée, impeccable et au fait de la mode. Laz excellait dans le coaching des modèles et surtout de ceux et celles qui ne l'étaient pas. Son excentricité effrayait certaines personnes de prime abord, mais il maîtrisait l'art de réajuster ou upgrader une allure en respectant votre personnalité. Rebecca ne courait aucun risque en jetant Jay dans ses bras.
— J'ai toujours craqué pour le genre d'homme classieux. Quelqu'un comme Dean, par exemple, avoua-t-elle. Qu'il adopte un style casual-chic, rock ou sportwear, il respire toujours l'élite. Le niveau au-dessus. Une belle apparence se cultive. Je l'ai appris très tôt de ma mère.
Cela vous marquait à vie quand votre génitrice se prostituait pour vous maintenir au rang de princesse, de la maternelle au collège. Après les bas-fonds du quartier à risque de Barney Hall, Thalia avait officié comme callgirl de luxe à Palm Hills durant l'adolescence de sa fille, puis la signature d'un contrat d'égérie avec une grosse marque de cosmétiques l'avait coupée de ce milieu. Sa vie de jet-setteuse avait offert à Rebecca le confort d'une fashionista.
Mais cette dernière avait vite compris que maman n'avait jamais vraiment cessé toute forme de prostitution. Ça portait simplement un nom différent, ça payait un salaire plus conséquent, c'était considéré plus « raffiné ». Aussi, Rebecca avait mis un point d'honneur à être cette princesse pour laquelle sa mère avait bradé vertu et fierté. Pour lui assurer une vie de luxe, sa génitrice avait vendu son honneur de femme.
En devenant elle-même mère, Rebecca comprenait à présent que par amour, on faisait parfois des choix horribles, motivés par l'envie d'épargner à sa progéniture une vie de merde. On n'y arrivait pas toujours ; souvent on obtenait le résultat inverse. Cependant une chose était certaine : Thalia avait aimé sa fille. Elle avait seulement échoué à la protéger.
— Une belle apparence se cultive, répéta Laz. Ta mère est une sage.
Rebecca toussa, dissimulant son rire jaune. Elle se garda de le détromper.
— Ma mère s'est surtout donné du mal pour m'inculquer que, dans ce monde, de nombreuses choses se limitent aux apparences ou s'obtiennent par elles. Que tu le veuilles ou non, on te juge à travers ton paraître. Et puisque Dean est un modèle parfait, en apparence, Jet doit en prendre de la graine.
— Beaucoup d'hommes à ma place se vexeraient de ton commentaire, Becca.
D'un geste cajoleur, elle massa le pectoral de Jay, ou plutôt, apprécia la noblesse du brocart.
— Élève-toi au-dessus de ces hommes peu confiants, mon cher et tendre. Il est temps d'apprendre le basique du look classe.
— Autrement dit, le bushido du gentleman, approuva Laz. Le célèbre Sacha Guitry disait : « le luxe est une affaire d'argent. L'élégance est une question d'éducation. » J'aime ta manière de dresser ton homme.
Le batteur voulut protester, mais l'index impérieux de Laz lui coupa la parole.
— Leçon une de « class'étude » : la taille du costume.
— Classe et quoi ? répéta Jay.
— Tu fais de la moto, chéri ?
— Euh... ouais, hésita-t-il. Quel rapport entre un smoking et une grosse cylindrée ?
— Tu es donc amené à porter des gants ? enchaîna Laz, balayant son scepticisme.
Jay se passa de répondre. Question rhétorique.
— Eh bien, un costume doit t'aller comme un gant. Ce n'est pas une image. Une fois tes gants portés, tu vérifies machinalement si t'arrives à insérer un doigt entre le cuir et ta peau, pas vrai ?
— Je suppose... (Il semblait peu assuré d'un coup.)
— C'est pareil pour un costume. Tu dois être capable d'insérer un doigt entre ta peau et le tissu. Je sais que tu es habitué à enfiler des doigts, mais j'insiste. Un doigt seulement. Si plus y entre, c'est trop grand.
Rebecca s'empourpra. Ce mec manquait de convenance ! Laz était connu pour l'irrévérence de sa langue. Heureusement qu'elle adorait le personnage. Jay en fut juste blasé. Cinq ans à côtoyé Red Kellin vous immunisait contre ce genre de grivoiserie.
— Toujours sur le thème du costume, c'est criminel de boutonner...
— Le dernier bouton de la veste, coupa Jay, impatienté. Je ne suis pas sorti de la dernière grotte non plus !
Mais de là à dire que c'était un crime...
— Et quand il n'y a qu'un seul bouton à la veste ? demanda Laz.
— Bah...
Soudain alarmée, Rebecca ravala son sourire moqueur.
— Si ça, c'est une colle, on a du pain sur la planche, maugréa-t-elle. Heureusement que vous disposez des services d'un styliste à chacune de vos apparitions publiques et officielles. Sinon, on friserait la catastrophe vestimentaire.
— Chacun son métier, en même temps, bougonna Jay.
— On ne le boutonne jamais, andouille ! lança Jeff depuis le plateau, quitte à ruiner une de ses photos. Tu fais honte aux mecs, Jay !
— J'allais le dire ! aboya le batteur.
La lutte de Rebecca contre son hilarité vexa davantage Jay, qui insista :
— J'allais le dire.
— Je te crois, mon chéri.
Elle se voulait apaisante mais échouait de manière lamentable. Laz enchaina, impitoyable :
— Question : si cravate tu portes, où se termine sa pointe ?
— Parce qu'en plus il y a une interro ?
— Réponds, Jet, exigea Rebecca.
Il n'y échapperait pas. Jay lui renvoya la balle.
— Et si tu nous disais où, miss Twayne-je-sais-tout.
— La pointe de la cravate doit effleurer la boucle de ta ceinture. Trop long ou trop court, tu sors du cadre d'un gentleman.
— Elle a un A+, valida Laz.
Rebecca renifla d'un air hautain. Pour qui Jay la prenait-il ?
— Pour pousser la classe-attitude à fond, ton carré de poche, jamais tu n'oublieras. L'assortir à ta cravate ou ton nœud pap', jamais tu ne devras. Mais qu'il les complète, toujours tu t'assureras.
— Si en plus il fait des rimes, on n'est pas sortis de l'auberge, marmonna Jay. Tu peux me faire ton cours en version accélérée, maître Yoda ?
Laz se renfrogna.
— De tous les personnages, c'est à ce lutin vert, poilu, moche et peu sexy que tu me compare ?!
Il trouvait la Guerre des Étoiles cultissime, mais pas au point de se laisser comparer à maître Yoda, crebleu !
— Tu l'auras voulu, grommela-t-il. Chaussures en cuir, et surtout à bout arrondi ou pointu. Carré, c'est moche avec un costume. Cirées, plaît-il. Ceinture toujours assortie en couleur avec les chaussures, pas forcément en matière.
— C'est une autre figure de style ? demanda Jay, ironique.
À moins qu'il en existe vraiment une qui consistait à débuter toutes ses phrases par la même lettre, se dit-il face aux regards mauvais de Laz et Rebecca.
— Si tu veux le cours en accéléré, cesse d'interrompre, Jet. Et de façon aussi sarcastique.
— Jouer avec la mode, c'est jouer avec les mots, mon beau, déclama le styliste. Tu n'as jamais remarqué que dans l'expression « figure de style », tout se rapporte à la mode ? Figure et style. Être gentleman passe aussi par ton élocution, l'ami. Bretelles et cravate ensemble sont les pires ennemis.
— Qui mettrait une cravate avec des bretelles ? soupira Jay, lassé par ces rimes à deux sous.
Will avait ses expressions « williamesques », celui-là en tenait aussi une sacrée dose. Ils sortaient de la même fabrique ou quoi ?
— De telles créatures existent, statua Laz d'un ton sincère. Le bon mariage pour un gentleman reste « brettelles et nœud papillon ». Leçon deux : le jean. Un gentleman se doit d'être « in ». Que ton jean vieillisse avec toi, c'est mieux. Aie pour principe de ne jamais l'acheter déjà vieux.
— Okaaay, fit Jay avec cet accent trainant dont sa fille avait hérité.
— Leçon trois. Des chaussettes blanches avec un smoking... ça mérite la guillotine.
— T'es pas un peu radical ?
Le visage de Laz exprima toute sa déception.
— Chéri, t'es au courant que tes chaussettes sont une extension de ta personnalité ? (Il se tourna vers Rebecca, affolé.) Dis-moi que ton Ken est au courant.
— Euh..., exhala-t-elle.
Korgan ruina sa pose à force de rire. La tête de Laz et celle du couple étaient impayables.
— L'heure est grave, marmonna Laz. Tes chaussettes n'ont pas besoin d'être assorties à ton pantalon ou à ton slip, mais elles complètent indéniablement ton look, mon coco. Cependant ! (Il leva un doigt si péremptoire que Jay marqua un mouvement de recul.) Les chaussettes blanches sont le fashion faux-pas ultime. Réserve-les pour la salle de sport ou ta vie intime. Jamais, ô grand jamais, avec ton costume ! Et de grâce, si tu l'as déjà fait, par égard pour madame ne dis pas que tu assumes !
— Bien, m'sieur.
Rebecca haussa les sourcils, impressionnée. Sortir cela en rimes, en totale impro, inspirait l'admiration. Une partie du succès de Laz à l'antenne reposait sur son verbiage atypique et ses catch-phrases.
— Puisqu'on en est aux pieds, un gentleman ne porte des tongs qu'à la plage.
— Là, tu pousses le bouchon, protesta Jay. Tout le monde sait qu'on n'associe pas un costume à des chaussures de plage !
Laz haussa une épaule.
— Vu ton niveau arriéré en « class'étude », je ne présume plus de rien. Mais si tu devais tout oublier pour ne retenir qu'un seul précepte du bushido du gentleman, ce serait ceci : mieux vaut faire très habillé que ne pas l'être du tout.
— Je dis qu'il n'y a qu'une seule règle valable, intervint Red.
Il avait cessé de bouder sans le recours de Saint Dean, attiré par les tournures de phrases épiques de Laz. Associer « bushido » et « gentleman » reflétait le côté classieux décalé et exotique de ce styliste mannequin. Du pur Laz Diesel.
— Laquelle ? demanda Dean, espérant une tentative d'approche.
Son homme ne daigna pas lui accorder un regard.
— Suis ton instinct, pas la tendance. Elle prévaut sur toutes les règles.
— Encore faut-il qu'il ait un instinct à suivre, marmonna Rebecca.
Laz pouffa.
— Si tu me cherches, tu vas me trouver, Becca.
— Loin de moi une telle idée, cowboy.
Ouais, ces deux-là aussi s'adonnaient au jeu des préliminaires... L'autre couple tenta de faire la paix. Dean saisit Red à la taille et lui chuchota :
— J'en ai une autre qui te correspond mieux.
— Et ce serait laquelle ? se renfrogna la diva.
Dean ne l'amadouerait pas si vite. Même si Red appréciait que son partenaire se montre entreprenant. Certes, l'équipe de shooting avait reçu la consigne de discipliner sa langue, MIP Leblanc oblige. Mais Red savourait ce côté un peu pervers de leur relation qu'il détournait sans honte : pousser son homme au conflit afin de savourer le délice de la réconciliation.
Dean réparait souvent ses bourdes par un geste romantique. Aussi le chanteur alimentait la querelle pour le plaisir de voir son amant se dépatouiller à le « reconquérir ». Qui le lui reprocherait, quand son dulciné s'amendait toujours de manière originale ?
— Je dirais : suis ton instinct, crée la tendance.
— C'est vrai, ça me ressemble, concéda Red.
— Pourquoi boudes-tu, Sweet-caramel ?
Red fit la moue. S'il devait rappeler à Dean quelle évènement concordait avec la Rock-Feast, autant laisser tomber. Son partenaire avait ses raisons de ne pas passer la Saint Valentin avec lui à Nior. Puis il percuta. Nior. Merde ! Pourquoi suis-je aussi stupide ? Comment pouvait-il en vouloir à Dean de se tenir éloigné de la ville où son fils s'était fait enlever il y a à peine un mois et demi ? La suggestion de Dean rajouta trois couches de peinture aux murs de sa culpabilité :
— Et si je te fais construire la plus belle scène du Sinéad, consentiras-tu à me pardonner ?
Dean la lui ferait construire et non la construirait. Aveu de sa fuite de cette ville ; il refusait d'y remettre les pieds. D'ordinaire, Dean chapeautait les opérations. Cette fois, il délèguerait. Ravalant un soupir de compassion, Red glissa des doigts tendres dans l'or capillaire de son homme. Les raisons de sa contrariété devinrent dérisoires.
— OK, je te pardonne, minauda-t-il.
En bel impitoyable, Dean lui asséna le coup de grâce.
— Je t'ai écrit une chanson, révéla-t-il, presque timide. C'est en réponse à TO THE ONES OF MY JOYS & SORROWS. Tu as la liberté d'en faire ce que tu voudras.
Ému, Red se sentit bête. Pour lui qui s'exprimait le mieux en musique, cette démarche valait tous les gestes romantiques du monde. Une chanson écrite par l'homme considéré aujourd'hui comme l'amour de sa vie constituait l'un des présents les plus précieux qu'on lui ait offerts.
— Il ne fallait pas...
Dean resserra son étreinte et lui susurra amoureusement à l'oreille :
— Il ne fallait pas « toi-même ». Tu n'avais qu'à ne pas être ma muse.
Oublieux du monde autour, il céda au rythme dansant de l'air latino qui flottait dans le studio, clin d'œil aux origines espagnoles de Will. Se calant sur les percussions, Red suivit le mouvement avec naturel. La confiance placée en Dean pour le guider n'était pas celle qu'on avait en son partenaire de danse. Elle relevait de la foi en son partenaire de vie. Les yeux bandés, il identifierait chaque pas avec Dean comme cavalier. Il sourit.
— Un bachatango ?
Il ne bénirait jamais assez le Ciel d'être tombé sur un mec possédant des notions éclectiques de danse de bal et de salon. Dean connaissait près d'une dizaine de danses latines et, pour ne rien gâcher, avait le rythme dans la peau. Il suffisait d'assimiler les variantes à appliquer aux pas de base, et Red se plaisait à lui en apprendre des nouveaux. Ses ex ne l'avaient jamais comblé de ce côté-là. Aujourd'hui, la danse n'était plus une échappatoire à ses malheurs, elle pimentait sa vie de couple.
Il adorait le bachatango qui mariait le ludique au sexy et à l'intime. Métissage de bachata, danse dominicaine chaloupée, et de tango, connu pour ses airs classieux, le bachatango représentait bien leur tandem. La danse mariait la technicité des figures emblématiques du tango (croisés de jambes, jetés et changements de rythme brusques) à la sensualité des figures quasi-érotiques de la bachata (roulés d'épaules, déhanchés et ondulations du corps évoquant certaines danses africaines).
Force et fluidité. Dean et Andy.
Il choisirait cette danse s'il lui était permis de rêver d'un bal nuptial. Red Kellin danserait sur un bachatango à ses noces avec Dean Leblanc.
À le voir bouger ainsi, le couple transpirait le bonheur. Will ne put résister. Il interrompit sa session avec Jeff et Korgan et se consacra aux danseurs. Les clichés ne rentreraient pas dans le catalogue de MTM, mais il trouverait une occasion de les mettre à l'honneur. C'était le genre de photos incluses dans un film de mariage, par exemple. Il visualisait sans peine ses deux amis unis par ces fameux liens sacrés.
Certes, il était un peu tôt pour y penser, le couple n'avait même pas un an. Mais leur chimie, leurs atours chics et élégants instauraient un tableau nuptial. Troublé, Will les visualisa en train d'échanger leurs vœux et se jurer fidélité devant famille, amis et autorité municipale. Il ne se savait pas si romantique. À défaut, il incrimina l'enseigne de vêtements. Comment ne pas penser « mariage » avec un nom comme Man To Marry ?
Béate, Rebecca filmait avec son téléphone. Laz et ses collaborateurs avaient cessé leur activité, captivés par les deux hommes. Dean et Red faisaient le show. Leur complémentarité n'avait rien de surfait. Certains voyaient pour la première fois deux hommes exécuter une danse latine de manière aussi sensuelle. Mais tous étaient unanimes : c'était beau. De cette beauté transcendant l'apparence physique.
Les deux partenaires se tenaient très proches, bassin contre bassin. Difficile de nier un lien d'amants. Ils ne pouvaient se montrer si complices, si félins et coquins, en n'étant qu'amis ! Encore moins après le geste polisson de Dean, qui saisit à pleines mains les fesses rondes de Red et accompagna son déhanché languide.
Korgan siffla, grivois. Spectateurs frigides, s'abstenir. Ils vendaient du rêve !
La volupté de la danse faisait des envieux et dépitait Chelsea, Rosie, la visagiste et Debra, la retoucheuse photo. Alban, le jeune coiffeur, n'avait cessé de soupirer en sourdine devant la plastique d'Apollon de Dean. Le couple cruel brisait des cœurs mais communiquait une joie de vivre, une énergie festive qui insufflait l'envie de se trémousser. Jay entraina Rebecca dans une salsa. L'ambiance se réchauffa davantage quand Dean accéléra le tempo. Red l'accusa de vouloir lui donner le vertige.
— Tu vas me faire transpirer dans ces si beaux vêtements !
Il criait et riait en subissant pirouettes et portées, puis finit largué sur le tapis de shooting, échevelé, hilare. Dean exécuta une caricature de courbette devant Will.
— Et voilà, Maestro, votre Red-caramel défâché.
— Tu m'en vois ravi, Cream-caramel.
— Et je vous dis salut. Je dois y aller.
Le sourire de Will mourut.
— Tu ne m'en vois pas ravi du tout !
— Il faudra quand même faire avec. Ce problème ne se serait pas posé si on avait démarré à l'heure. Je ne peux me permettre de prendre du retard sur mon prochain rendez-vous. On remet cela demain si tu veux, soupira Dean face à la tête d'enterrement que tirait Will. Il faut vraiment que je file, dit-il en consultant sa montre. C'est non-négociable.
Le photographe le prit au mot.
— Demain, sans faute.
Il restait les spots publicitaires à tourner, de toute façon. Laz ne protesta pas. Dean avait rempli une part du marché pour le catalogue. Les Beat'ONE les occuperaient bien assez. Il était reconnaissant de la présence de Will. Lui n'aurait jamais pu amadouer le modèle à l'aura intimidante. Will discutait comme larrons en foire avec toute cette bande.
Peut-être que le lendemain, il saurait le fin mot de cette histoire entre Red Kellin et Dean Leblanc. La commère en lui n'en pouvait plus de spéculer. Sincèrement, Laz espérait un couple. Ils étaient sublimes ensembles. Ce serait du gâchis que ces deux belles plantes ne soient pas appariées. Et s'il voyait juste, alors la presse se délecterait du coming-out. Une révélation qui ne viendrait pas de lui, il tenait à sa quiétude.
*
Après le départ de Dean, le groupe visionna les photos de la collection et eut l'embarras du choix entre les clichés en noir et blanc et en couleur. Aidés de Laz et ses collaborateurs, les musiciens sélectionnèrent ceux qui honoreraient la promotion de leur album.
— C'est le plus beau jour de ma vie, couina Alban.
Il participait, à sa petite échelle de Holy Sucker, au travail en coulisses des Beat'ONE. C'était mignon. Avec la joie d'un enfant devant ses jouets de Noël, ils assistèrent à la mise en forme des posters géants, thématisés aux couleurs signatures désormais connues de tout fan : rouge incandescent – Red, bleu Klein – Jeff, vert prairie – Jet et blanc cassé – Korgan. Dans le studio graphique, la sélection fut optimisée par Debra, puis envoyée à Coop-Com Record© pour un tirage en haute définition. Le résultat final combla les attentes des musiciens. De quoi garantir une future collaboration.
*o*o*
TBC ● EPISODE 22
Séquence détente. Ces petits moments de décélération de l'intrigue qui précèdent toujours les accélérations. Bon, on en parle de toutes ces pensées autour du mariage, dans cet épisode ? Y'a comme un message subliminal...
*MEDIA*
Intro vidéo : Ancrée à ton port - Fanny J. Parce que le couple ReDean me donne envie de zouker.
Dis-moi ce que tu as sur le cœur
Pourquoi t'as toujours l'air ailleurs
En moi, je te sens si sensible
Mais tu m'as l'air inaccessible
Parle moi de toutes tes peurs
Pourquoi tous ces changements d'humeur
J'ai l'impression de te faire fuir
Ne vois-tu pas que de toi, que de toi, plus de toi, j'ai envie
Dis-moi qu'entre toi et moi, un jour ça va coller
Chéri, tu sais de toi, je ne peux plus me décoller
Je me suis ancrée à ton port, je ne peux plus me décoller
Dis-moi qu'entre toi et moi, un jour ça va coller
Je ne suis pas sourde (je ne suis pas sourde)
J'ai compris tes détours à pas de velours (à pas de velours)
Je te vois venir, tu te défiles
Quoi que tu en dises, je sais que je suis ta hantise
Si tu le désires, je reprendrais ma vie
Mais je dois te dire quand même
Que je t'aime
Je t'aime
Bachatango
https://youtu.be/lWtaB34JXOk
Bachatango (niveau professionnel dans un contexte sportif)
https://youtu.be/KF27DKYMNwM
Et parce que je verrai bien Red et Dean danser ainsi, une version plutôt moderne de bachata :
https://youtu.be/U-JofUEsbD0
Et pour monter un peu la température... une version plus sensuelle
https://youtu.be/hCMAFEkyibc
Et pour finir, ce bonus de kizomba, la danse la plus sexy au monde ! Je ne peux pas m'empêcher d'imaginer ReDean sur cette danse.
https://youtu.be/6MYJHRTL_wM
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