S07 - EP 19 ✧ part II
Partie 2/3
Le psychiatre de Sonia lui avait diagnostiqué un trouble bipolaire. Une pathologie handicapante dans son métier. Heureusement, elle appartenait à cette population de patients répondant bien au traitement. Elle en avait longtemps nié les signes malgré la recrudescence des crises maniaco-dépressives. Marc l'avait aidé à accepter sa thérapie.
— Dis-toi que le lithium est comme un complément alimentaire, comme ces gélules que tu avales dans ton programme minceur. Sauf que là, c'est pour ton programme « humeur ».
Elle avait ri, et aussi simplement, s'était réconciliée avec son traitement. L'occurrence des crises s'étaient réduite à peau de chagrin et les flots de sa vie mentale connaissaient désormais peu de remous. Le souvenir de sa dernière crise d'hystérie et de mélancolie était vieux. Sa psychothérapie fonctionnait.
Hélas, elle avait présumé de ses forces en espérant naviguer sans heurt sur les eaux de son passé. Son psy lui demandait de signer l'armistice avec ce foutu passé. Cependant, elle ne se voyait pas faire la paix quand son passé avait une sale ardoise à payer. Plutôt régler ses comptes ! Pourquoi se rabaisserait-elle à tendre un rameau de paix quand elle avait été la victime ? POURQUOI ?! Elle hurlerait volontiers sa rage si cela ne la mettait pas dans la peau d'une hystérique.
Ça y est, ça recommence ! Pas encore ! s'affola Sonia. Elle ne voulait plus replonger dans ces cures d'antidépresseurs qui la détachaient parfois de la réalité. Ces anxiolytiques la sédataient entre deux accès d'hyperactivité maniaque voire violente. Elle voulait se persuader que ces épisodes maniaco-dépressifs étaient derrière elle. Tout était dans la tête, non ?
Pourtant, cette porte laide de sa psyché menaçait de se rouvrir. Dernièrement, son humeur fluctuait entre abattement et irritation extrême. Son mari lui recommandait de ne pas tenir compte de ce que pondaient les médias. Facile à dire, elle travaillait dans ces putains de médias, avec en bonus un conjoint médiatisé ! Face à l'argument, Marc l'avait conjurée de ne pas s'exposer à des situations susceptibles de troubler sa stabilité, son équilibre. Elle ne l'avait pas écouté.
Cela allait à l'encontre de son mécanisme de défense, après tant d'années à vivre sous le joug d'hommes ayant régenté sa vie. Des hommes suffisamment mégalos pour oser réécrire la partition de son existence, jusqu'à contrôler sa grossesse ! Cela avait commencé par Darcy Thompson.
La violence de son père avait escaladé à mesure qu'elle honnissait la danse. Danseur de ballet et membre de la CBS – l'avant-gardiste et réputée Cresstown Ballet Society, Darcy avait reporté ses rêves sur sa fille, quand ses ambitions avaient été refroidies par un malheureux accident. Alors qu'il apprenait à sa gamine à faire du vélo, celle-ci s'était montrée imprudente en dévalant une pente, grisée par la vitesse et inconsciente du danger. Elle avait manqué se faire renverser par un bus scolaire.
Cet incident aurait pu finir dans le coffre des souvenirs oubliés de la petite enfance, si Darcy n'avait pas rappelé à Sonia qu'en détournant sa trajectoire, il s'était pris un mauvais coup de guidon dans le genou. Rotule fragilisée, retraite précoce, fin de carrière de danseur.
Sonia avait cinq ans lorsqu'elle avait commencé la danse classique et contemporaine. À compter de cet instant, son père avait chronométré chaque moment de sa vie. Les exigences de Darcy étaient allées crescendo, jusqu'à ce que, de frustration, il en fut réduit à la frapper quand elle ne répondait pas à ses attentes. Vint un moment où les preuves visibles attirèrent l'attention d'une association d'aide à l'enfance. Pour Sonia, commença un circuit de familles d'accueil qui n'eurent d'accueillant que le nom.
La partie maternelle ? Belinda Morgenstern avait disparu une fois sa fille sevrée, sans doute à la poursuite de ses rêves. En refusant de s'encombrer d'un poids et sans un regard en arrière pour cet homme qui ne vivait que par et pour la danse. Aujourd'hui, Sonia n'en voulait pas à cette étrangère. Pour la simple raison qu'elle ne la connaissait pas. Elle ignorait si sa génitrice était encore en vie et n'avait jamais fait les démarches pour la retrouver.
Cela ne rimerait à rien de nourrir de l'aigreur envers une personne qui avait cessé d'exister dans la vie de sa progéniture. Pour ne plus s'encombrer de question à son sujet, Sonia la considérait morte. Et puis, pourquoi jeter la pierre à quelqu'un à qui l'on ressemblait ? Oui, elle avait détesté cette femme durant son adolescence. Mais des années plus tard, elle maudissait son propre fils pour avoir ruiné ses « rêves ». Au moins, sa génitrice avait pris le parti de l'abandonner, plutôt que rester et honnir le fruit de ses entrailles.
Après le calvaire de sa préadolescence, l'insécurité avait marqué son adolescence face à ses perspectives d'avenir. À un moment, elle avait regretté la danse. Cet acquis lui aurait peut-être obtenu une bourse dans une école de ballet. Mais elle se mentait à elle-même. Son père l'avait battue parce qu'elle ne possédait aucun talent dans le domaine. Sans talent, le travail acharné n'était qu'une vaine dépense en énergie. Comme le lui avait rabâché Darcy, elle était aussi bonne à rien que son idiote de mère !
Parfois, Sonia se demandait si cet homme frustré n'avait pas jugé une adolescente de quatorze ans à l'aune des prouesses d'un danseur confirmé de la CBS. L'arrêt du ballet avait eu une drôle de conséquence sur son corps. Finis les régimes drastiques et les heures de répétition ; plus de poids à surveiller, de calories à contrôler, plus de sissonnes à effectuer, de sauts de chat à recommencer, de pirouettes fouettées à refaire encore et encore et encore. Au revoir la maigreur, bonjour, le cygne gracieux.
Sa poussée de croissance et son épanouissement physique signèrent la fin de son insouciance de jeune fille, lorsqu'elle surprit le regard libidineux de son tuteur. Après un changement de famille à la suite d'une tentative d'attouchement du sale porc à qui l'État confiait la garde d'adolescents, atteindre la majorité légale fut un soulagement.
En deuxième année en communication, enchainant les jobs étudiants, le mannequinat lui tombait dessus. Une fenêtre ouverte sur le paradis de Balmer. Elle quittait Cresstown et volait vers la Côte Est en signant avec l'agence Beauty Instill©. Ses ailes vers la liberté furent coupées par un fœtus. Alors Sonia comprit ce qu'avait certainement vécu sa mère. Seulement, cette lâche avait eu le choix de fuir. Sonia s'était vu imposer un nouveau calendrier par d'autres hommes : son copain, son beau-père et le monstre qui lui servait de géniteur. Elle refusait que son second époux appartienne au lot des rédacteurs de sa vie. Aussi pliait-elle peu à ses directives sans mener bataille.
En devenant épouse de ministre, elle avait fait le triste constat que nombre d'hommes de ce milieu étaient goujats avec la gent féminine. Affligeant de voir ces individus, chargés de voter des lois en faveur de l'égalité des sexes, se comporter comme des pieds avec leurs homologues féminins ou leur compagne. La politique restait un cercle misogyne en dépit de ses gratifications. Les hommes avaient la part belle, grisés par le pouvoir que leur octroyaient bains de foules, surmédiatisation et attention du public.
Ils vivaient entourés d'une cour, alors sans surprise, leur égo s'en gorgeait. Rien d'étonnant à ce que ce pouvoir exerce une fascination sur certaines femmes. Il arrivait de se demander pourquoi une telle ne divorçait pas de son mufle de compagnon, puis l'on découvrait qu'une attraction malsaine la ramenait toujours à son mari. D'aucunes s'en accommodaient, séduites par les avantages sociaux.
Sonia, elle, avait déjà donné. Aujourd'hui, l'ex-bru d'une famille dans les mains desquelles mangeait le gratin politique, remerciait le Ciel d'avoir su trouver un équilibre dans sa vie de couple, sans que son ministre de mari n'ait d'ascendant sur sa personne.
Elle ne lui dirait pas qu'en retournant à Balmer, en faisant la satire des Leblanc et apparentés dans son émission, elle tirait un plaisir à se venger de ce qu'on lui avait fait subir. Se convaincre de ne plus être cette faible créature rentrait dans son processus de reconstruction, l'aidait à tourner la page. Mais à quoi bon, si c'était au prix de sa santé mentale ? Marc avait raison, en fin de compte.
— M'man, ça va ?
La question l'arracha du typhon émotionnel menaçant de ravager ses convictions... et la plongea dans le bassin sombre et froid de ses réminiscences. Les eaux du passé l'engloutirent et la jetèrent dans les baskets de cette femme mal dans sa peau, limite folle à lier, qui perdait de jour en jour un peu plus de son humanité.
*
[...]
— M'man, ça va ?
Sonia toisa le môme. Qu'en avait-il à foutre de son état ? Mais il ne comprenait rien. Absolument rien. Tel était le problème. On ne gagnait rien à reporter sur lui sa colère. Il ne ressentirait même pas un soupçon de remords.
Le petit garçon haut comme trois pommes, quatre ans, bientôt cinq, avait la bouille d'un ange. Rien de surprenant, ses procréateurs avaient été bénis de Dame Nature. Cette tête de chérubin avait élu domicile dans son ventre et sa venue au monde avait fait de sa vie un enfer. Un démon, voilà ce qu'il était ! La meilleure tactique du diable : vous illusionner sur son inoffensivité.
Elle ne pouvait même pas se réfugier dans un coin et pleurer en paix. Fallait qu'il vienne la tourmenter. Il la dénichait toujours dans ses cachettes, croyant qu'elle jouait à cache-cache avec lui. Désormais la buanderie était à rayer de la liste de ses lieux de retraite. Sonia se résigna. Peut-être devait-elle en créer un de toute pièce et l'officialiser.
« Le boudoir de Sonia Leblanc. » Ça ne serait pas si mal. Quelque chose dans un style japonais. Un lieu zen où elle pourrait officiellement se retirer, loin de la vie glauque de ce manoir somptueux. Un lieu dont l'accès requerrait son autorisation ; du moins, où il ne serait pas incongru à une adulte de se retrancher afin d'échapper à son entourage corrosif. Dean peut bien me l'accorder, après tout ce que je subis à cause de lui ! Ce n'est pas la place qui manque dans ce manoir. Elle se montrerait persuasive. Oh, elle y arriverait. Par moment Dean se laissait manipuler.
— Tu es triste ?
Tristesse ? Elle rit d'une voix rauque. Le rire jaune sonna affreux. Ce n'était pas de la tristesse, c'était bien plus : de la détresse. Elle se noyait et ils la regardaient. Personne ne jetait une bouée à la mer. Ils attendaient de la voir couler. Rien que pour ça, elle lutterait, elle boirait la tasse mais ne sombrerait pas. Même si pour cela, elle ingurgiterait toute l'eau salée.
Un accès de rage la prit au ventre. Non, elle refusait de couler. Elle nagerait jusqu'à l'autre bord. Elle se réfugierait sur la rive opposée. En attendant, elle prenait son mal en patience. Seulement, cette patience ténue était rudoyée par ce gamin qui ne cessait de la dévisager avec ses grands yeux. Les yeux inquisiteurs de son grand-père ayant le culot de se draper d'innocence.
— Tu veux jouer ? demanda-t-il. Pollux, il veut jouer.
Ah, oui... son nouveau jouet : Pollux, son cochon d'Inde Shelty. Une horreur à poils longs qui refilait des allergies atroces à Sonia. Ils auraient dû choisir la race Skinny possédant à peine du duvet sur le museau. Évidemment, ce n'était pas aussi « mignon » qu'une boule de poils !
— Va-t'en, coassa-t-elle.
Elle éternua à s'en arracher la muqueuse nasale. N'avait-on pas dit à ce mioche qu'elle était allergique au poil ? Mais pourquoi le ferait-on ? Personne ne se souciait de sa santé, ici.
— De l'air ! siffla-t-elle.
Sa virulence fit frémir la lippe du gamin. Le voilà au bord des larmes.
— Ah non, me casse pas les oreilles avec tes pleurs ! J'ai eu ma dose quand t'étais bébé.
Ce bout d'humain braillard ne cessait ses hurlements que dans les bras de son père. Il avait clairement choisi son camp. Après neuf mois passés à déformer son corps de mannequin, après l'avoir obligée à se faire charcuter pour s'être présenté par le siège en plus de s'être entortillé dans son fichu cordon ombilical, il venait au monde et la poignardait dans le dos ! Un parfait petit Leblanc qui n'avait rien pris d'elle. Ça pouvait être le fils d'une étrangère. Si ça se trouve, c'est même pas le mien !
Son père avait les yeux d'un bleu de lagon. Elle, les yeux d'un gris acier virant au bleu très sombre selon l'éclairage. D'où venaient ces prunelles vertes, putain ? De ses grands-parents paternels ? Bullshit! Sonia vit rouge. Trop, c'est trop.
Elle arracha la boule de poils des petites menottes, se redressa d'un bond, et quitta sa cachette derrière la rangée de lave-linges. Éternuant à plusieurs reprises, c'est avec un soulagement morbide qu'elle fourra le cochon d'Inde dans la première machine à sa portée. Un autre éternuement lui arracha un juron grossier. Dans un accès d'irritation intense, elle lança un programme court.
— Ton Pollux me pollue l'air ! gronda-t-elle en reprenant son souffle. Il veut jouer ? Alors on va lui faire faire la roue. Ça tourne dans un lave-linge, ça ne va pas le dépayser, n'est-ce pas ?
Elle attendit une réponse. Peu assuré, le gamin lui opposa son désaccord.
— Mais y'a pas d'eau dans la roue de Pollux.
— Ça lui changera. C'est comme au parc d'attraction. Parfois ça tourne et il y a de l'eau qui gicle.
Son sourire gauche ne convainquit pas l'enfant. Rudy opina du chef, mais la lueur d'intelligence dans son regard disait qu'il avait compris le sort funeste de son animal de compagnie. Or il ne pouvait pas le sauver. La machinerie se trouvait hors d'atteinte, surélevée par un plan de travail en béton. De toute façon, il ignorait comment l'arrêter et venir à bout du verrouillage automatique. Enfin, il n'osait pas demander l'aide de sa mère, par crainte de recevoir cette réplique lapidaire : « Demande à ton père ! »
Sonia ne le voyait pas ainsi. Elle se débarrassait d'une nuisance par instinct de survie. C'était eux ou elle.
— Pollux rend maman malade. Tu veux rendre maman malade, Rudy ? demanda-t-elle d'une voix douce.
— Non...
— Donc ne sois pas pénible. Sois un gentil garçon, d'accord ?
— D-d'accord, balbutia-t-il.
— Et si un jour tu rends maman malade, c'est toi que je mettrai dans le lave-linge. Comme Pollux. On s'est compris ?
Il ne dit rien, le regard figé sur le tambour qui amorçait la phase de lavage après avoir réclamé un ajout de lessive qui ne viendrait pas.
— Aller, donne-moi la main. Ta grand-mère va se lancer à ta recherche et tu sais qu'elle n'aime pas te savoir en vadrouille dans le manoir. C'est si grand que tu pourrais te perdre.
[...]
Après cela, on ne parla plus de l'incident du cochon d'Inde. La domesticité n'ignorait pas qu'un acte criminel avait mis fin à ses jours, mais on fit comme s'il n'avait pas existé. Certainement sur ordre de Vince ou Natasha ; qui sait ? Rudy ne pipa mot à ce sujet. Pas tant pour couvrir cet acte atroce mais par traumatisme.
À Dean, on dit que Pollux s'était perdu dans le jardin labyrinthique de la propriété gigantesque. Tout le monde joua à cette comédie. Les fouilles ne donnèrent rien et on déduisit que le cochon d'Inde avait fait une mauvaise rencontre. La nature n'était pas douce et obéissait à ses propres lois.
Rudy ne demanda plus à sa m'man si elle allait bien.
*o*o*
TBC ● EPISODE 20 – part 3
*MEDIA*
Intro vidéo : Citizen Soldiers - "Never Good Enough". On continue avec un autre son triste du même groupe, qui réussit à véhiculer ces sentiments que beaucoup de gens, au même titre que Sonia, ressentent dans notre société actuelle sans parvenir à l'exprimer. Il y a quelques années, je m'identifiais totalement dans ces lyrics.
Here I am, once again
Way too close to the edge
Terrified, open eyes
I'm seeing red
I would rather die tonight
Then let you down one more time
One more time
Sick of coming undone
Letting down everyone
Mediocre at best
Maybe better off dead
Am I a failure from birth
Is misery what I deserve
Am I just so void of love
That I'm never good, never good enough
Demonize, criticize
Your words eat me alive
Just like knives
Tearing me from the inside
What you want I'll never be
Why can't you just be proud of me
Proud of me
Sick of coming undone
Letting down everyone
Mediocre at best
Maybe better off dead
Am I a failure from birth
Is misery what I deserve
Am I just so void of love
That I'm never good, never good enough
I hate to disappoint you but it's in my DNA
Everything you give me I somehow will disgrace
I never meant to be like this
A grave mistake you can't forgive
A filthy stain, oh what a shame
Can you just wash me away
Sick of coming undone
Letting down everyone
Mediocre at best
Maybe better off dead
Am I a failure from birth
Is misery what I deserve
Am I just so void of love
That I'm never good, never good enough
Prouesse de danse contemporaine réalisée par 2 adolescentes. (Je suis toujours écœurée de ne jamais trouver cette émission, Révolution, en streaming, ou sur Netflix ou encore Prime Videos.)
https://youtu.be/KmnBtuUfBYQ
Cette vidéo est particulièrement inspirante, pour vous donner une idée de ce que fait la CBS (Cresstown Ballet Society), entre autres.
https://youtu.be/hopeMWGboYk
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