S07 - EP 19 ✧ part I
Partie 1/3
C'est avec joie que Rudy se rendait sur le plateau de tournage. Les dernières prises de vue de l'émission W.H.Y?, à Balmer, faisaient sauter ses cours de pencak-silat. Tandis qu'on installait le public dans les gradins, Sonia isolait Rudy et Junior dans une petite loge inoccupée. Sans doute avait-elle reçu des recommandations supplémentaires concernant ses deux invités « sensibles ».
— Il y a un changement de programme. L'émission ne sera pas diffusée dimanche prochain, mais celui en huit.
— Pourquoi ce décalage ? s'enquit Rudy.
— La production a décidé qu'il serait plus intéressant de diffuser juste avant la Saint Valentin. Ça nous donne plus de sujets à traiter.
Cette fête commerciale arrivait dans deux semaines mais influait déjà le cours de leur vie ! Junior soupira.
— Bonjour, les indiscrétions sur la vie amoureuse. Admettons que vous nous posiez une question sur ce qu'on va offrir à notre moitié à la St Valentin, ceux qui n'ont encore rien préparés seront embarrassés.
Rudy se mordit la lèvre. Il n'avait aucune idée du présent à offrir à Rey ! Cette foutue fête tombait un mercredi, en plein milieu de semaine. OK, il serait en vacances d'hiver et il aurait le loisir de s'y consacrer. Cela signifiait aussi qu'il n'aurait pas d'excuse. Il était peut-être temps d'y penser.
Une pauvre carte s'avérerait banale. Ou alors je ferai comme les japonais, je lui offrirai du chocolat. Seulement, au Japon, la coutume voulait que les filles régalent les garçons de ces délices à la théobromine, en espérant une récompense, le mois suivant, à la white day. Vive les mangas ! Il y avait un hic : Rudy n'était pas une nana et la white day célébrait l'amitié, loin de définir sa relation avec sa moitié. Bon, vu que je serai dispo, je m'offrirai en cadeau, et voilà !
Loin des considérations débiles de son rejeton, Sonia montrait des signes d'impatience face à la remarque de Junior. Traiter avec celui-là requérait des pincettes, mais sa patience s'épuisait.
En signant son contrat de chroniqueuse, elle avait compris qu'elle tiendrait les rênes de l'émission et aurait carte blanche, tant qu'elle évitait tout positionnement politique. Elle appartenait aussi à l'équipe de réalisation de W.H.Y?. Or, depuis le début du tournage de cette session, Sonia était contrariée et brimée par le comité de censure, la production, et la direction même du Canal 3. De quoi sous-entendre l'ingérence directe de Torcy Reich-Andriana. Elle en avait ras-le-bol mais n'envoyait pas tout valser car le sujet abordé restait intéressant. En outre, Sonia tirait une certaine gratification de ce tournage, dans un cadre élitiste qui lui avait jadis été fermé.
Mariée à un fils de nanti sans appartenir à cette communauté, elle avait porté l'étiquette de cette Jet-set jugée vulgaire par une partie de la jeunesse dorée de Balmer. Son époux ne l'avait jamais intégrée dans son cercle social. À chaque fois qu'elle avait insisté pour accompagner Dean à une soirée, une réception ou un évènement, elle s'était retrouvée larguée dans une pataugeoire de millionnaires et rejetons de millionnaires, des hommes et femmes la prenant de haut ou l'accusant d'opportunisme.
Avec du recul, Sonia admettait qu'au-delà de l'attirance physique, sa relation avec Dean Leblanc avait aussi été motivée par le prestige de son nom. Mais elle était jeune, écervelée et voulait réussir par n'importe quel moyen. Une mannequin consciente de ses charmes, frivole et fêtarde, issue de la classe moyenne et décidée à évoluer chez les peoples, ne boudait pas le bras d'un prince de Balmer, et pas des moindres : l'un des héritiers de la famille dont la capitale économique était le fief.
La Sonia d'aujourd'hui regardait celle d'hier avec une exaspération mâtinée de compassion. Néanmoins, sa niaiserie ne la définissait pas. Elle était devenue madame Leblanc. Légalement. Aussi avait-elle estimé qu'un minimum d'égard lui était dû, ne serait-ce que par respect pour la bru d'une famille influente. Hélas, on lui avait signifié, de façon tacite ou non, qu'elle était la pièce rapportée, le boulet de luxe attaché au pied du prince Dean.
Certaines femmes n'hésitaient pas à flirter avec son fiancé, puis mari, en sa présence. Elle n'était « personne », alors elle devait fermer sa gueule. D'aucuns l'avaient traitée de cougar avant ses vingt-cinq ans car Dean n'avait pas encore vingt ans à l'époque. Pourtant, elle aurait volontiers donné sa liberté au jeune homme si elle avait eu son mot à dire. On les avait enchaînés par les liens sacrés du mariage.
Le divorce ? Ineptie ! Hors de question de laisser vadrouiller le ventre portant l'héritier W. Ent. Hors de question d'envisager une séparation, si peu de temps après la naissance du petit prince Rudy. Hors de question d'entacher l'histoire de la famille avec une rupture de contrat de mariage, quand la lignée Leblanc n'en comptait aucune depuis plusieurs générations. Hors de question de permettre au voisinage, au milieu, de jaser à ce sujet. Conséquence : Sonia s'était enlisée dans cet hyménée dont la fuite s'avérait inenvisageable.
Les amis de Dean le plaignaient, jugeant son sort triste. Enfin, les filles surtout. Sonia en avait eu cruellement conscience, raison de son manque d'effort pour se familiariser avec elles. Sans compter la différence d'âge avec ces greluches immatures qui se gargarisaient d'être les « copines » de Dean. Les « potes » de son époux la dévoraient des yeux tel un bout de viande et fantasmaient sur son corps de manière assumée ou non.
Dean et elle avaient écumé les night et dancing-club. Ils avaient voyagé ensemble. Mais toute autre cohabitation avec la haute société, du style pendaisons de crémaillères, pique-niques, brunches, barbecues, croisières entre amis, naissances, funérailles, lui avait été plus ou moins prohibée. Au fil du temps, les copains de son mari qui s'établissaient enfin ne la considéraient plus que comme un accessoire au bras de Dean. Celle à qui l'époux consacrait une parcelle d'attention, parce que son éducation ou la politesse voulut qu'il se montrât galant envers la mère de son fils.
Concernant ce petit bout, tous avaient été sous le charme de Rudy. Limite si Sonia ne tenait pas le rôle d'une femme dénichée par un service de Gestation Pour Autrui, dont on ne pouvait se débarrasser. Elle avait fini par les détester tous : la famille Leblanc, Darney, Balmer. Et la voilà de retour pour une émission sur Darney-City. La belle ironie !
Aussi savourerait-elle son plat froid. Il n'en serait que plus délicieux si, en « haut lieu », on lui fichait la paix. Elle considéra Torcy-Junior. Une potentielle source d'emmerdes. Sonia se demanda soudain, si ce n'était pas pour protéger ses intérêts ou ceux de son fils caché que Torcy s'en prenait à son fils à elle. Le salopard l'obligeait à revêtir la cagoule du bourreau. Seulement, le tissu était transparent ; elle se faisait baiser.
On l'avait déjà forcée à donner naissance, et cet acte contre son gré l'avait amenée à considérer le bébé comme une nuisance dans son existence. Elle aurait utilisé une capote, rien de cela ne se serait produit ! Or Rudy n'avait rien demandé. Au fond, Sonia ressemblait à son père, cet homme qui l'avait battue pour lui facturer l'affront d'avoir gâché sa carrière.
Certes, elle n'avait jamais porté la main sur Rudy. Mais elle en aurait sans doute été coupable, si la souveraineté des Leblanc ne lui promettait pas une décapitation à la suite d'un tel acte odieux. Ce constat la révulsa. Sonia saturait du rôle de la méchante. Cette tunique avait terni sa jeunesse parce que des hommes puissants avaient décidé de son destin. Elle en avait soupé des Vince, des Daniel-Ritchie, des Dean, des Torcy... et des Darcy !
Le Canal 3 n'était pas la panacée, mais elle tenait à son job. Et la nouvelle madame Medley était trop revancharde pour se montrer docile. Tout ça, c'était fini !
— Les téléspectateurs ne s'intéresseront pas à ce que tu comptes offrir à ta petite-amie, Torcy-Junior. Si tu veux mon avis, ils seront plus intéressés par les conditions de ta procréation. Et nous savons qu'on ne leur donnera pas satisfaction.
Elle visait la jugulaire, et son adversaire n'était qu'un gamin paumé, mais aujourd'hui n'était pas un bon jour pour pousser ses mauvais boutons.
— De toute façon, tu n'as pas de petite-amie à l'heure actuelle. Le cadeau de Saint Valentin devrait être le cadet de tes soucis. Laisse-moi le monopole des questions.
Plus cassante, tu meurs ! Rudy servit une œillade à Junior, l'air de lui conseiller de la boucler. Connaissant sa mère, elle était mal lunée aujourd'hui. Quelque chose la préoccupait à en juger ses sourcils froncés et sa manière de tapoter sa lèvre avec sa fiche.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda Rudy, suspicieux. Pourquoi cet aparté, en vrai ?
— Qu'attendez-vous de nous ? s'impatienta Junior.
Il n'appréciait pas d'avoir été rabroué. Cela surprit Rudy. Son ami n'était pas d'un tempérament susceptible d'habitude. Nerveux ?
Sonia soupira. Elle courrait le risque de tout révéler. Les garçons étaient adultes, donc aptes à se passer de la permission d'un tuteur. Rudy la devança :
— C'est en rapport avec les questions auxquelles on ne peut pas répondre, même si tu nous les poses ? C'est le comité de censure qui te préoccupe ?
— Oh, si ce n'était que ça. Je sais gérer la pression et la frustration de la censure. Et j'ai plutôt intérêt, en tant que journaliste portée sur l'investigation. Sinon je changerais de métier. Raison pour laquelle je dois vous informer.
Encore des magouilles en filigrane ! s'agaça Rudy. Une remarque de Rey lui revint soudain.
— Avant, j'ai une question à te poser.
— On n'a pas beaucoup de temps, je t'écoute.
— Il y a une semaine, le Canal 6 a parlé de la GFM dans l'émission de Yuri. Un mouvement gay-friendly dans une fac conservatrice et élitiste intéressera la presse. Ce ne serait pas pour damer le pion à la concurrence que le Canal 3 nous a contactés ? Je me trompe sans doute, mais je trouve que les choses se sont déroulées plutôt vite.
— Hm..., fit Sonia, pensive.
— Vous ne niez pas, nota Junior.
Elle haussa les épaules.
— C'est peut-être vrai. Ce dont je dois vous entretenir est moins... trivial.
Sur la défensive, Rudy croisa les bras et se prépara à encaisser. Le regard de sa mère s'attarda sur Junior, au point d'incommoder ce dernier. Que se passait-il à la fin ?!
— Torcy veut changer ton coming-out en pain béni, Rudy, révéla-t-elle sans quitter Junior des yeux.
Celui-ci se renfrogna.
— Et vous pensez que c'est pour couvrir l'info sur mon existence « illégitime », maugréa-t-il, désabusé. Me soupçonneriez -vous d'avoir outé votre fils à mon père ?
Cela n'aurait pas dû le surprendre.
— Ne t'inquiète pas pour le Canal 3. L'avantage du différé c'est qu'on décide du contenu que verra le téléspectateur. Tu ne susciteras pas leur intérêt, avait dit Torcy. (Cf. HCS07EP10)
Preuve que le public aurait un autre os à rogner. Wassup'Mag® avait sûrement découvert le couple de Rudy et Rey. Et Torcy jubilait de détenir le scoop de deux Leblanc de lignée directe impliqués dans une relation homosexuelle. Frustré de ne pas le crier au monde via son magazine à scandale, il profitait de l'aubaine de cette session de W.H.Y? sur le thème LGBTQI+. Cerise sur le gâteau : utiliser la mère de Rudy pour l'annoncer au monde.
Écœuré, Junior n'aima pas le sentiment d'être en porte-à-faux vis-à-vis de Rudy. Il aima encore moins le fait que la mère de son ami saute sur cette conclusion hâtive. Lorsque Rudy l'interrogea en silence, il haussa les épaules. Si son ami attendait qu'il nie pour le croire, alors le blondinet ne le connaissait pas si bien. Rudy se tourna vers Sonia.
— Le fait que je sorte avec un mec n'est plus vraiment un secret à la fac. Mais je suppose que mon coming-out à la télé aura plus d'impact que le bouche-à-oreille.
Il pensait y avoir échappé pendant le reportage, mais c'était partie remise.
— Je pense que Torcy espère détourner l'attention des gens de l'existence de son fils avec. Sur ordre de la prod, je dois te poser des questions qui ne laisseront planer aucun doute sur ton orientation sexuelle, même si tu choisis de ne pas répondre. Tes silences le feront pour toi.
Rudy grommela. Refusant de s'énerver, il creusa davantage :
— C'est quoi l'intérêt de cette manœuvre ? Je veux dire, à part protéger le secret « pas si secret » de l'existence de Torcy-Junior. Il porte les noms et prénom de son père. Faut être bouché pour ne pas relier les points. Du coup, que gagne le Canal 3 ?
— L'audimat, répondirent Junior et Sonia en chœur.
Ils se dévisagèrent. Au moins avait-il le mérite d'être franc, pensa-t-elle. Ou de connaitre les vices de son père.
— Mon daron estime que ta vie privée est plus croustillante que la sienne, ironisa Junior.
— Perso, ça ne me dérange pas, commença Rudy.
— Vraiment ? s'étonna Sonia.
Elle s'attendait au contraire.
— Ça dérange la famille, nuança Rudy.
— Justement ! siffla-t-elle. (Son irritation subite fit sursauter les garçons.) Je pensais en avoir fini avec eux ! J'espérais avoir laissé tout ça derrière, marmonna-t-elle en se massant la tempe.
Son geste sembla désespéré après sa précédente montée d'acide. Elle avait retrouvé une vie normale. Un mari qu'elle aimait, un job prenant néanmoins apprécié. Elle le devait à sa capacité de résilience, à sa détermination à se reprendre en main, loin de ces plantes carnivores. Ces dionées, comme les appelait Dean, ne foutraient pas tout en l'air !
*o*o*
TBC ● EPISODE 19 – part 2
Comme annoncé sur instagram, cet épisode fait un petit zoom sur Sonia Thompson. J'espère que vous êtes accrochés.
*MEDIA*
Intro vidéo : Citizen Soldier - If I Surrender. Pour cet épisode, la responsabilité du son revient à Citizen Soldier. J'adore la densité de leur musique, que je trouve pourtant très déprimante. De fait, elle est appropriée à l'état d'esprit de Sonia.
Lately I've been feeling so ashamed
By these thoughts I'm hiding in my brain
'Cause I've been holding them down but they twist me violently (-ly, -ly)
I'm hanging by a thread tonight but this time I don't wanna be saved (Saved)
So let me fall, let me break
Under everything unsaid
Just let me die 'cause I can't take
Living with what's in my head
If I surrender, surrender
To the monsters in me
If I surrender, surrender
To the monsters in me
Will it set me free?
What's the point of holding on like this?
When no one seems to care if I exist
There is no agony like being strong when no one knows you're sick
So sick of hearing I should stay when I know I would never be missed
So let me fall, let me break
Under everything unsaid
Just let me die 'cause I can't take
Living with what's in my head
If I surrender, surrender
To the monsters in me
If I surrender, surrender
To the monsters in me
If you could see under my skin
You'd realize why I hold it in
Why it's a fight I don't wanna win
Why it's a fight I don't wanna win
If you could see all my abuse
And spent a day inside my shoes
You'd realize why I just wanna lose
You'd realize why I just wanna lose
Will anyone believe the hell of being me
Before I decide to be the dying proof?
So let me fall, let me break
Under everything unsaid
Just let me die 'cause I can't take
Living with what's in my head
If I surrender, surrender
To the monsters in me
If I surrender, surrender
To the monsters in me
Will it set me free?
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro