S07 - EP 18 ✧ part III
Partie 3/3
Agacé, Regan enchaînait les arpèges sans qu'elles sonnent justes à son oreille. Non qu'il joue faux, il ne parvenait pas à reproduire le son qu'il avait entendu. S'il loupait sa chance, la piste piano reviendrait à Mir. Au lycée, ce dernier n'assistait pas aux cours de musique, plus séduit par l'école buissonnière de Junior. Jamais Regan n'aurait soupçonné son excellent niveau. Il détestait ce duo qui ternissait sa vie déjà bien fade. Cependant, il se montrerait honnête avec lui-même, Regan savait la cause de son manque de concentration et sa piètre performance.
Elle est consentante. Consentante !
Pourquoi une fille aussi talentueuse que Nola s'abaisserait-elle à subir des calomnies mensongères dans le but de faire connaître son talent ? Était-ce le seul recours ? Cela turlupinait Regan. Son imbécile de cousin l'avait envoyé sur les roses. Certes, il avait mal choisi son moment après la séance éprouvante de cours de pilotage ; l'hélico n'avait pas mis Rudy dans de bonnes dispositions à l'égard d'autrui.
Pour son malheur, Junior y avait fourré son nez, jusqu'à lui conseiller de sortir des sentiers battus pour approcher Nola. Du coup, devait-il discuter « beaux mecs, mode et chiffons » pour rentrer dans l'univers de la jeune fille ? Urgh ! C'était au-dessus de ses capacités. Et comment l'inviter au gala ?
Les touches du clavier subirent sa frustration.
— Ce n'est pas ça !
Un compliment s'éleva dans son dos.
— Moi j'ai trouvé ça parfait.
Regan sursauta. Il se croyait seul. Son ire grimpa face à l'intrusion, puis retomba lorsqu'il identifia Cathy. De toutes leurs gouvernantes à domicile, elle était la plus gentille. Peut-être pas la plus objective.
— Ce n'était pas parfait, c'était bien. Seulement, on travaille avec des gens qui attendent la « perfection », maugréa-t-il.
Perfektní. Il n'en pouvait plus de ce mot. Qui aurait cru que Red Kellin se montrerait aussi tatillon sur la qualité de sa musique ? À se demander le pourquoi de la déchéance des Beat'ONE, il y a trois ans. À moins que le refus de vendre de la daube anime désormais le chanteur. Cela dit, Red restait supportable.
Le pire se nommait Edvin Srzenski, alias Darth Zenski, chef d'orchestre tortionnaire. L'homme jetait heureusement son dévolu de despote sur les étudiants en musique et épargnait leur groupe, surnommé « clique de chouchous » par les autres. Edvin attendait une prestation parfaite. Regan ou Mir échoueraient, Heidi Mei écoperait de cette partie en plus de ses pistes au violon. La version électrique de l'instrument n'avait plus de secret pour cette virtuose qui s'y était mise il y a à peine quelques jours. Et on voulait que des individus normaux rivalisent avec un tel génie !
— Il y a une miss Nola Vitrand au téléphone, pour vous.
L'annonce de Cathy fit bondir Regan du tabouret. Pardon ?! Il dévisagea le combiné qu'elle lui tendait, comme si l'objet s'avérait radioactif. Comment Nola avait-elle obtenu le numéro du fixe du manoir ?!
Du calme, Regan. Du calme, Regan. Du calme... Regulus, on. Se. CALME !
Il ne réagirait pas comme un puceau de quatorze ans face à un appel de son crush ! ARHG, il n'avait pas pensé Regulus, si ? Maudit soit Torcy-Junior !
— Dois-je l'éconduire ? demanda Cathy.
Grand Dieu, non ! Mais quelle idée sotte !
C'est toi le sot. Ta réaction pousserait n'importe qui à conclure que tu redoutes ce téléphone !
Il tendit une main ferme, feignant un air d'assurance.
— Elle attend depuis quand ?
— Juste le temps de vous trouver.
Le regard entendu de Cathy hérissa Regan. Ce n'était pas du tout ce qu'elle croyait ! Il la remercia et se retira à grandes enjambées dans sa chambre. Évidemment, son empressement élargit le sourire de Cathy. La vieille sotte ! Regan ne sut jamais s'il avait été bien inspiré de se réfugier dans sa chambre. Parce qu'il n'aurait pas su prédire sa réaction en présence de témoin. Ce fut la douche froide.
— Je n'ai pas un bonus salive pour les crétins de ton espèce, alors écoute-moi bien, démarra la furie.
Son « bonsoir », formule simple de politesse, ne pouvait être à l'origine d'une telle ire, songea Regan, perdu. Avait-elle dit crétin ?
— Tu penses pouvoir jouer avec moi ? Très bien, je suis ton challenger. Je ne sais pas ce que tu t'es mis dans le crâne mais redescends sur terre, Pierre !
Bon sang, qu'avaient-ils tous à lui donner des prénoms débiles ?!
— Nos mondes ne se côtoient pas, et maintenant je sais pourquoi. C'est parce que ça contribue à l'équilibre mental des gens normaux, que nous ne nous mélangeons pas !
Que racontait-elle ? Regan était largué... et troublé de voir la langue acérée de cette fille lacérer son amour-propre.
— Tu as beau être monsieur Million, ça ne te donne pas le droit de m'insulter !
— Pardon ? Mais...
— Laisse-moi finir ! siffla-t-elle, péremptoire.
Quelque chose l'avait terriblement mise en colère. Au grand désarroi de Regan, elle l'en tenait responsable. Il ne se souvenait pas avoir commis un tel acte. Ça puait le gros malentendu.
— J'ai pris sur moi pour lire et avaler le ramassis de non-sens et foutage de gueule que tu m'as envoyé, alors laisse-moi te donner ma réponse. Celle que tu attends dans de brefs délais, il me semble ! renifla-t-elle, sarcastique.
— Mais de quoi tu...
— Ta gueule pour voir ? gronda-t-elle, à deux doigts de hurler. Tu vas me laisser en placer une, mec. Je ne me répèterai plus. La réponse est non. N, O, N, épela-t-elle, virulente. Tu t'attendais à quoi, que je t'en sois reconnaissante ?
La moutarde monta au nez de Regan.
— Je crois qu'il y a méprise, assena-t-il, sec.
— Oh rassure-toi, je t'ai parfaitement compris. Je n'ai pas besoin de ton fric ni du prestige de ton nom. C'est pas parce que t'es cousin avec Rudy que je vais te laisser agir avec moi comme si t'étais en terrain conquis !
Bon sang, que racontait-elle ? D'où lui venait cette fixette sur le fait qu'il se servait de son ascendance aisée pour l'amadouer ? Elle lui avait plu, c'est tout. N'avait-il pas le droit de tenter sa chance ?
— Je me suis servie de la popularité de Rudy avec son consentement, tu piges ? Toi, tu rentres pas dans le tableau, tu dégages ! C'est plus clair, là ?
Soit. Regan avait loupé un épisode. Que lui avait raconté Rudy à son sujet ? Qu'est-ce que son cousin avait tissé comme ramassis de mensonges sur sa personne pour que cette fille le prenne en grippe ? Et pourquoi l'aurait-il fait ? Par vengeance ? Lui facturait-il ses exactions avec les Felden ? Regan croyait avoir mis les choses à plat de ce côté-là...
Il ne voyait qu'une seule explication au fait que Nola dispose du numéro du manoir. Elle n'avait pas pu l'obtenir par l'annuaire, il n'y figurait pas. L'info venait forcément de Rudy. Il n'y comprenait plus rien. Ça ne fut pas près de changer comme elle déversait son venin :
— Financer mon projet, et puis quoi encore ? C'est dingue ! exhala-t-elle, ulcérée. Le mec, il croit que parce qu'il s'appelle Leblanc, parce qu'il est du même sang que Rudy, et parce que sa famille est la quatrième fortune du pays, je vais l'autoriser à financer mon projet. C'est quoi ton but ? Hein, c'est quoi ta motivation ? Faire de moi ta débitrice ? Va chier, t'entends ? Au passage, si tu penses que je t'ai pas reconnu avec ton compte ownet©, tu te goures, mon cher pote Wyatt !
Regan prit une forte inspiration. Cela allait trop loin. Il ne se laisserait pas rabaisser par une pauvre fille l'ayant appelé à domicile, pote ou non de Rudy. Estimant n'avoir jamais manqué de respect à Nola, il ne tolèrerait pas son inconvenance.
Elle ne cherchait pas à l'entendre, ne voulait même pas savoir si malentendu il y avait ; elle l'accusait de méfaits qui ne lui auraient jamais traversé l'esprit. Au fond, cette Nola ressemblait aux autres : gorgée de stéréotypes et prompte à le juger sur la base d'un cliché. Puisqu'elle l'avait déjà condamné, autant lui donner une raison valable de le détester. Quant à Rudy, il ne perdait rien pour attendre !
— Je ne vois pas du tout de quoi tu parles, mais...
— Ne te fiche pas de moi !
— Peu importe, il s'avère que je suis coupable, répliqua-t-il, cassant. De toute évidence, tu n'es pas disposée à m'entendre plaider ma cause, encore moins à recevoir mes excuses. Or je ne me sens coupable que d'une chose : t'avoir mise sur un piédestal.
— Quoi ? souffla Nola, incrédule. C'est la meilleure !
— La meilleure est que je ne suis pas en tort ! Alors les excuses viendront de toi. Crois-moi sur parole quand je te dis que je les aurai, assura-t-il.
Nola persifla :
— Et de quoi m'accuse-t-on ?
— De diffamation.
Il ne hausserait pas le ton. Il garderait de la hauteur. Et puis, il parlait avec elle, même si elle hurlait. C'était toujours mieux qu'une absence d'échange. Bon, oui, il était pathétique. Et alors ?!
— J'exigerai réparation pour tes mots déplacés et mensongers.
— Tu te moques de moi, là ? fit Nola, sidérée.
— C'est ma réplique ! s'impatienta-t-il. Tu m'appelles sans que je m'y attende et je dois digérer ta colère mal placée alors que je ne comprends pas un traitre mot de ce que tu avances depuis le début !
— Oh, excusez-moi du peu ! Il m'a malencontreusement échappé que je devais relever mon élocution au standing de monsieur ! débita-t-elle d'un ton guindé. Je suis désolée d'avoir grandi dans un milieu si bas de gamme que mon discours vous est discordant et dissonant à l'oreille. Je prie votre seigneuriale ouïe d'agréer à mes excuses les plus plates.
Sérieux, elle était dingue ! Ce n'était pas ce qu'il voulait dire, enfin ! Il n'était plus largué mais en pleine dérive, au grand large de l'océan sans le moindre îlot sur lequel accoster.
— Si tu m'expliquais où se situe le problème ? gronda-t-il.
— Tu crois que je n'ai que ça à faire, te dire quand ton comportement inconvenant manque justement de convenance ? J'en ai assez entendu ! N'essaye plus d'entrer en contact avec moi. De quelque manière que ce soit. Ni par e-mail, ni sur ownet©, ni en commentaire sur mon site. Encore heureux que tu n'aies pas mon numéro de portable. Ne pense pas que je vais hésiter à te pourrir la vie parce que t'es un intouchable. Tu la connais, celle-là ? Quand tu craches en l'air, attends-toi à te le prendre dans le visage. Pauvre type, va !
Elle raccrocha. Choqué, Regan tomba dans son lit, envahi par une curieuse torpeur. Elle l'avait lessivé. Nola était passé du stade de le détester à le haïr. Il eut l'impression que ça remontait au siècle dernier, la fois où elle l'avait complimenté sur sa veste vintage à la soirée de Rudy.
Qu'est-ce qui s'était passé, nom d'une bisque ? Il se sentit con face au picotement de ses yeux. Se violentant, il se réfugia dans la salle d'eau. Se débarbouiller lui donnerait l'illusion de rester maître de soi. Mais merde ! Il n'avait jamais été aussi misérable de sa vie. C'était juste une fille ; une fille parmi tant d'autres... Juste une putain de fille ! Mais ça faisait mal. Pris d'une impulsion, Regan rédigea un texto.
« Tu es naïve de croire que je n'ai pas ton numéro, Nola. Ce n'est pas dans ton intérêt de me sous-estimer. Tu la connais, celle-là ? Un Leblanc s'assure toujours que ses débiteurs paient leurs dettes. Et tu me dois des excuses. Je les aurai face à face. RDV au gala de Darney. Dernière chose : ce n'est pas dans mes habitudes de mentir aux filles. On se reverra bientôt. »
*o*o*
TBC ● EPISODE 19
Poor Regan... Comment en sommes-nous arrivés là ?! Saura-t-on l'origine de cette grosse méprise ?
*MEDIA*
Intro vidéo : Once Monsters - Chains. Des lyrics qui collent bien à l'état d'esprit de Regan à la fin de cet épisode.
[Verse 1]
There's no light at the end of this tunnel
You turned it black and now I'm in trouble
There's no way out
I was fine living in my bubble
Now I'm six feet under without a shovel
I scream - there's no sound
[Pre-Chorus]
I used to say I loved the way you made me feel so free
But you have fooled me, now you rule me, and I'll never leave
[Chorus]
I'm locked in your chains
Chains
I feel like I'm locked in your chains, and I can't escape
Chains
Now I'm just counting the days
Locked in your chains
Chains
And I can't escape
Chains
I'm just a slave in this game
Locked in your chains
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