S07 - EP 17 ✧ part II
Partie 2/2
Regan ne comprenait pas d'où venait la peur des hélicos de son cousin. Il avait réfléchi à la question et soupçonnait la prise d'otage. Or ce jour-là, les hélicos avaient appartenus à la cavalerie, ils étaient venus en « aide » à Rudy. À sa rescousse. Le jeune homme n'avait donc pas de raison de les craindre. Hélas, ces émotions irrationnelles n'étaient pas si simples.
Son garde du corps pensait qu'une thérapie de choc le guérirait, au grand étonnement de Regan qui n'avait jamais vu un employé se permettre autant de liberté. Ce type que son cousin surnommait stupidement Blacky-caramel lui faisait subir un traitement odieux. Jamais Regan ne permettrait cette largesse. Ce pierrot ignorait où était sa place ! Avait-il conscience d'avoir affaire à un Leblanc ? L'héritier de Vince, qui plus est ?
Non qu'il prenne la défense de son cousin, qu'on ne se méprenne point ! De toute manière, Rudy n'avait pas besoin d'aide pour se défendre. Il n'empêche que Regan trouvait ce Blacky sombre, autoritaire et d'une intransigeance déplacée envers son protégé. Sans compter son discours déstabilisant...
Jusque-là, Rudy avait contenu sa panique, alors qu'il se tenait à quelques mètres du Robinson R44. Son contrôle s'étiola vite au moment de grimper dans l'aéronef. Il recula, et le réalisa lorsqu'il buta contre le buste de Blacky. Inflexible, le garde asséna :
— Te désister n'est pas au programme.
— Je...
Il avait besoin de quelques minutes supplémentaires pour rassembler son courage. Blacky pouvait d'abord commencer par instruire les autres.
— Pourquoi je dois passer en premier ? Et pourquoi je dois être de tous les « voyages » ?
Chacun d'eux prendrait les commandes aux côtés de l'instructeur. Le modèle choisi, un hélicoptère-école quadriplace, était un monstre extraordinaire à la robe carbone, qu'on lui avait décrit sans danger. Inoffensif. Et sous l'assistance de Blacky et d'un secouriste, il serait en sécurité dans cette « chose ». Bullshit! Il avait été décrété que Rudy assisterait au pilotage de ses amis, raison pour laquelle Blacky avait refusé le modèle triplace Bell 47. Cela bafouait les consignes.
Excepté Regan, qui possédait quelques notions théoriques, Junior, Mir et Rudy respiraient le profane. Blacky les avaient inclus dans un programme de pilotage qui grefferait la théorie à la pratique. En totalisant au minimum quarante-cinq heures de vol, ils satisferaient à l'examen de leur licence. Mais cet objectif importait peu à leur instructeur. Blacky comptait leur inculquer assez de connaissances sur le fonctionnement d'un hélicoptère. Libre à eux de passer l'examen théorique et pratique quand cela leur agréerait.
Seulement, les heures de vol se répartissaient entre simulateur, navigation et vol solo. Pourquoi ne commençaient-ils pas par le fichu simulateur, les pieds bien ancrés sur terre ? Mais non, Blacky voulait le faire à sa manière ! Il jugerait leur habileté au pilotage en plein ciel. Ils apprendraient le contrôle de l'appareil et le respect des paramètres de vol dans les airs. Digérer les instructions sur la navigation à plusieurs pieds au-dessus du sol, très peu pour Rudy. Sans compter l'assimilation des règles de sécurité (mise en route, vol stationnaire, tour de piste, procédures d'urgence, posé en campagne, et cætera) alors qu'ils seraient ballotés par les courants aériens. Rudy n'était pas prêt. Et c'était un euphémisme ! Blacky resta intraitable.
— Il n'y a pas un « temps » où tu te sentiras plus prêt que maintenant. Tant que cette panique te nouera l'estomac à la simple vue d'un hélico, tu ne seras jamais prêt. Alors inutile d'attendre que ce jour utopique ne vienne.
Rudy voulut hurler qu'il avait son mot à dire. Sa gorge nouée se rit de lui. Ses amis et son cousin l'observaient, inquiets. Honteux, il refusa tout contact visuel. Soudain, Blacky le saisit par les épaules et le retourna de façon à lui faire face. Sa poigne lui arracha une grimace de douleur.
— Ça ne m'excite pas d'accorder ma loyauté à un tel poltron. Tu te soumets à tes peurs, tu en fais une arme efficace contre toi. Et celui qui s'en servira pourrait m'atteindre en passant par toi.
L'Agent L. n'hésiterait pas une seconde. Hors de question de lui concéder un tel avantage. On se mordait toujours les doigts à sous-estimer Lukas Sulivann. Et ce corniaud connaissait l'existence d'Aurum. Acheter le silence de Lukas lui avait coûté cher. Sinon il y a longtemps qu'on l'aurait confiné dans l'aile psychiatrique du centre médical du G.L.O.B.E. Un cas avéré de trouble dissociatif de l'identité vous rendait inapte sur le terrain.
Seulement, Mikael y avait échappé parce qu'il ne connaissait pas d'épisodes amnésiques. Bien souvent, l'alter personnalité ne se souvenait pas de ce que l'autre faisait et vice versa. Ou les souvenirs de l'un apparaissaient à l'autre en flashs ou vague impression de « déjà-vécu ». Cette perte de mémoire marquait le « switch ».
Mikael s'était documenté. Son cas ne renflouait pas les statistiques, déjà très faibles. Aussi ne se considérait-il pas comme atteint d'un « trouble ». Ce n'était qu'un mécanisme de sa pensée, de sa psyché. Difficile, cependant, de vendre cela à Lukas, quand ce dernier avait malheureusement assisté à l'une de ses pires crises dissociatives. Et cette fois, l'Agent L. utiliserait cette arme, cette info, pour le mettre hors-jeu.
Mikael avait beau s'attacher à Rudy, Aurum ne trancherait jamais en faveur du garçon s'il fallait choisir entre sauver sa peau ou celle du môme. L'altruisme ne figurait pas dans les qualités de son alter personnalité. Son vécu, son passé, en avait épuisé la jauge. Se montrer altruiste se soldait toujours par la souffrance de Mikael. Les sacrifices se faisaient toujours au détriment de ce pauvre Black Merry. Aurum existait avant tout pour protéger ce mouton noir. Rudy Leblanc et sa bouille d'ange n'y changerait rien.
— Ne me donne pas de raison de te considérer comme un point faible, Rudy. Sinon tu subiras le sort que je leur réserve. J'ai toujours mis un point d'honneur à me débarrasser de mes faiblesses. J'entends bien continuer.
Rudy déglutit. Lui cracher « va te faire foutre ! » le soulagerait, mais il était terrifié. Blacky ne l'avait jamais brutalisé ainsi. Plus humiliant encore, devant ses copains. L'aura dangereuse, l'agent se pencha à son oreille et susurra :
— Tu veux arracher Mikael au G.L.O.B.E. hm ? Ne me fais pas rire ! Tu ne sais pas qui il est, Rudy. Je te garantis qu'il est plus terrifiant qu'un ridicule R44.
Un frisson courut le long de l'échine de Rudy, manifestation d'une frayeur bien différente de sa peur panique des hélicos. Cette frayeur irraisonnée, inspirée par un étranger qui ne lui voulait pas du bien, avait le même goût que celle insufflée par Chayton lorsqu'il lui pondait un épisode de crise psychotique.
— Je fais fi du moindre scrupule quand ses intérêts sont menacés. Et tu menaces mes intérêts en espérant le subtiliser à Hayes Meister. En as-tu conscience ? Parce que je te sacrifierais sans hésiter si sa survie en dépendait. Tu le comprends, ça ?
Le souffle court, le cœur battant, Rudy fit non de la tête. C'était à n'y rien comprendre ! Blacky parlait de lui à la troisième et à la première personne, dans une même phrase. Perturbant... et effrayant. Aussi dérangeant qu'une fausse note revenant de manière cyclique dans une ritournelle autrefois correcte et mélodieuse.
Le garde du corps le relâcha. La brusquerie de son geste le fit vaciller sur des jambes déjà peu assurées. Le regard assassin, Mikael lui jeta d'une voix dépourvue de chaleur :
— Si tu es incapable de dompter cette peur de gosse effrayé par le croque mitaine, n'espère pas obtenir gain de cause en demandant à ton papa chéri de me garder à ta disposition.
Rudy cilla, encaissa le coup. Quelque chose ne tournait pas rond. Il n'y comprenait que dalle, mais il en était certain : l'un d'eux débloquait et c'était lui le plus sain d'esprit. Mikael ne lui semblait pas dans son état normal. Son incapacité à définir le malaise l'angoissa de plus belle. Ce n'était pas son Blacky-caramel. Il discutait avec sa version obscure : Darth Blacky.
— Qu'est-ce qu'il t'arrive, Sainsbury ?
L'utilisation de son patronyme prit Mikael de court. Dans les yeux émeraude : de la suspicion. Rudy l'étudiait, toute peur envolée. Mikael renifla.
— « Qu'est-ce qu'il m'arrive ? » Demande celui qui est sur le point de faire dans son froc. Tu permets que je te la retourne ? Qu'est-ce qu'il t'arrive, Rudy ? On fait moins le malin ?
Soudain, Rudy percuta. Il ne se serait pas attendu à cette réaction, toutefois.
— Je vois... t'es fâché contre moi. T'as vu ce que j'ai fait à ta photo sur le trombinoscope et ça t'a mis en rogne.
Mikael pouffa. Mal à l'aise, Rudy s'agita. Ce petit rire parlait d'instabilité. De quelle nature ? Mentale, émotionnelle ?
— Reviens sur terre, microbe. Tu espérais quoi ? Que ça me déstabiliserait ?
— J'espérais rien, mais de toute évidence, t'es déstabilisé, souligna Rudy avec défi. T'es plus toi-même, là. Qu'est-ce que tu me fais ?
Il croisa les bras, sourcils arqués. Il s'était promis de dompter ce chien fou, alors il définirait les rôles une fois pour toute. Celui du maître et du chien fou. Mikael imita sa posture.
— Qu'est-ce que tu racontes ?
— Le Blacky que je connais n'essayerait pas de me faire peur. Au contraire, il a promis de m'aider à surmonter mes phobies. T'as promis de pas me lâcher tant que j'aurais besoin d'aide. Tu as promis ! gronda-t-il.
Rudy planta un index incisif dans la poitrine de son vis-à-vis, l'obligeant presque à reculer d'un pas. La colère montait. Il saturait de ces promesses suaves dont l'abreuvait son entourage. Ce n'était pas faute d'avoir appris à ses dépens qu'elles n'engageaient que ceux qui y portaient foi.
— J'aurais dû savoir que ces serments ne sont que de belles paroles qui se nourrissent de ma crédulité. Venant de toi, ça m'énerve encore plus ! T'as tout faux, là ! T'es juste en train de rompre ta promesse. Je croyais que tu n'avais qu'une parole, mais je me suis aussi trompé sur ton compte. Vous êtes tous les mêmes !
Alarmé, Mikael freina des quatre fers. Aurum pouvait prendre congé. Mais celui-ci s'irrita, déterminé à remettre le vilain petit garnement à sa place. Apprendre les rudiments du respect ne nuirait pas à ce sale môme ! D'où Rudy remettait-il sa parole en doute ?
— Bien sûr que si, je n'ai qu'une parole !
— Je ne monte pas dans cet hélico avec toi comme instructeur, décréta Rudy. J'en veux un autre. Et si tu ne changes pas de ton, je me passerai des services d'un type incapable de tenir parole et qui me prend de haut. Tu sais quoi ? Je surmonterai ça, mais pas grâce à toi ! cracha-t-il, hargneux.
Il se tourna vers Mir, Junior et Regan qui assistaient à la scène, de plus en plus interloqués.
— Je vous le laisse si ça vous chante. Il m'a saoulé. P'pa sait en piloter. J'apprendrai avec lui.
Il voulut les planter là. Une poigne ferme l'arrêta dans son élan. Rudy toisa les doigts autour de son bras. Son sentiment de répulsion le surprit.
— Mikael, la dernière personne qui m'a traité ainsi s'appelle Chayton. Si tu ne veux pas que je vous loge à la même enseigne, vire tes pattes. Tout de suite.
Son ton polaire en aurait gelé plus d'un. Ses amis et son cousin, tendus, le reconnaissaient à peine. Le sourire narquois, Mikael le provoqua :
— Ah oui ? Et si je refuse ?
Bon sang, Aurum et son fichu penchant pour le conflit !
— Faites ce qu'il vous dit, ordonna Mir.
Allons, bon ! Le petit Wales avait rassemblé son courage et s'était posté devant Mikael.
Mir n'avait pas l'ombre d'une chance face à l'agent surentraîné, cependant il n'assisterait plus à cette scène sans intervenir. En réalité, Mikael ne l'effrayait pas vraiment. Au départ, cet homme lui avait inspiré de la crainte par conscience de sa supériorité physique. Mais en dépit de son instinct de survie, Mir ne reculait pas face à un adversaire parce que ce dernier le dominait en techniques de combat ou en force. Il possédait aussi ses atouts. Et il ne ferait pas de cadeau au bougre s'il se montrait violent envers son ami.
De sa position, Junior asséna :
— Vous avez intérêt à vous exécuter fissa. Je crois que vous n'avez pas saisi les risques que vous encourez à cette minute. S'il a la moindre ouverture, il ne vous loupera pas.
Honnêtement, il n'avait pas envie de voir Mir entrer en mode « binaire ». Ennemi, taper – ami, pas taper. L'inconscience du danger de Mir annihilait tout instinct de survie. La douleur ne refrénait pas le métis ; il en faisait abstraction lorsque la situation le requérait. Que son adversaire soit un professionnel ou non, Mir irait au corps à corps si ce type persistait à brutaliser Rudy.
— J'ai bien peur que Rudy ne se répétera pas, glissa Regan. Ne lui donnez pas de raisons de vous trouver nuisible. Et je devrais vous facturer ce conseil, parce qu'il prolongera votre vie sociale dans ce pays.
Si l'homme était intelligent, il éviterait d'envenimer la situation. Sourcils froncés, Mikael sembla y réfléchir. Rudy posa un regard glacial sur celui qu'il ne reconnaissait plus. Cet « étranger » ne méritait pas ses scrupules.
Aurum céda. Ce n'était plus drôle. Son irritation rendit le « switch » brutal. Le goût de bile dans la bouche de Mikael lui évoqua celui de la défaite, supplanté par un haut-le-cœur. Il combattit un léger vertige.
— Je... Ce... euh...
Pris de court par sa confusion mentale, il réalisa qu'il avait, pour la première fois, remporté la lutte contre Aurum. La première fois... en plusieurs années. Jusqu'ici, son alter se retirait toujours de son propre chef. Le choc le fit tanguer. Il ne dut son équilibre qu'à la poigne de Rudy. Sans douceur, il appuya le talon de ses mains contre ses paupières, un geignement au bord des lèvres.
— Hey... ça va ? T'es pâle.
La note d'inquiétude dans la voix du garçon l'agaça. Il grogna, bourru :
— Ça va aller.
La suspicion de Rudy revint à la charge.
— T'es sûr que tu vas bien ?
Bon sang, quelle tête avait-il pour justifier tant d'insistance ?
— Ça ira, je te dis.
— Ce n'est guère rassurant de monter à bord d'un hélico avec un instructeur mal en point, enfonça Regan, lèvres pincées.
Mikael le torpilla du regard.
— Ça me coûte de le reconnaître mais il marque un point, souligna Mir, toisé à son tour par Regan et Mikael.
Bras ballants, yeux clos, Mikael tenta de reprendre le contrôle de son corps par un exercice respiratoire. Il sonda son esprit, curieux de ne plus ressentir la présence de cette ombre qui lui rappelait constamment la conscience d'Aurum. Ce n'était qu'un sursis, il le savait. Bizarrement, au lieu de s'en réjouir, il en éprouva un malaise. Il se sentait « incomplet » malgré l'illusion d'avoir la mainmise sur son mental. Son fichu manque de confiance en soi le rattrapait.
Aurum était son audace, son courage. Le yin de son yang. Ils s'opposaient et se complétaient. L'absence, la déficience de l'un portait toujours conséquence sur l'autre. De même que l'excès, quand l'équilibre était rompu, souvent par Aurum. Cela perturbait son harmonie interne. Et ses relations avec son entourage... d'où les points d'interrogation dans les yeux de Rudy.
Mikael dévisagea la source de ses tourments. Que lui faisait ce garçon ?
Il ne se dégonflerait pas, le gamin comptait sur lui. À cet instant, Rudy avait besoin de lui. Besoin. Non pour l'utiliser à Dieu seul sait quelle fin mais pour surmonter ses peurs. Pour une fois, il ne se posait aucune question sur le bien-fondé de ses actes.
Bien sûr, il comptait toujours instrumentaliser Rudy afin de se libérer du joug du G.L.O.B.E. Cet objectif restait d'actualité, alors s'énerver contre le garçon était contradictoire. Rudy affirmait son envie de le garder avec lui. Rien qu'à lui. Exit le G.L.O.B.E. Exit Sâminathan Meister. La réaction d'Aurum risquait de tout compromettre. Peut-être était-ce le but recherché de cette créature vicieuse...
Déterminé à rattraper le coup, Mikael toisa Rudy de la tête aux pieds. Affichant une assurance de façade, il adopta un ton désinvolture :
— Eh bien, ta phobie m'a l'air d'un vague souvenir. Preuve s'il en est que cette peur des hélicos n'est plus légitime, puisqu'elle peut s'envoler par magie dès que de nouvelles préoccupations focalisent ton attention. Conclusion ?
Rudy battit des paupières, troublé. C'était vrai, l'hélicoptère était devenu le cadet de ses soucis quand l'attitude de Mikael avait soufflé dans ses forges.
— Tu veux dire que t'as fait exprès d'être aussi désagréable ?
Vu leur tête, Mir, Junior et Regan partageaient son incrédulité. Ils tombaient des nues.
— C'est qu'on en ferait un Einstein, railla Mikael. On y va ? Mon collègue s'impatiente.
Les bras de Rudy lui en tombèrent. Il refusait de croire qu'il avait marché dans cette supercherie. Blacky ne jouait pas la comédie ! Or ce dernier affirmait le contraire. Que croire ?
Le sentant méfiant, Mikael lui sourit.
— Je t'ai dit que je tiendrai ma promesse, Rudy. Me déposséder de ce serment n'est pas... fair-play.
— Bah préviens, la prochaine fois que tu invoqueras Darth Blacky, que je me prépare en conséquence ! gronda Rudy, irrité. T'auras droit à une taloche si je t'y reprends. Je plaisante pas !
Ça l'énervait d'être tombé dans le piège. Une autre preuve que sa naïveté le rendait manipulable. On ne l'y reprendrait plus. Mais Blacky se fourvoyait s'il le croyait dupe à ce point. Il creuserait et découvrirait ce que cachait cet homme. Il avait vu la pâleur de son garde du corps. Son regard psychotique. Il avait dû solliciter sa poigne pour le maintenir sur ses jambes. Mikael avait tenté de dissimuler un malaise.
Couvait-il une maladie ? Passagère, chronique, récente, vieille, anodine ou grave ? Ces inquiétudes ne seraient pas soulagées par l'honnêteté de Blacky. Une fois de plus, Rudy se heurtait à son impuissance.
Il ne décoléra pas de l'après-midi, malgré les trésors de conciliation déployés par Mikael. Son ire l'aida à contrebalancer sa peur. Néanmoins, tous marchèrent sur des œufs durant le cours.
*
Pensant l'ire de son cousin réservée à l'exclusivité de son garde du corps irrévérencieux, Regan eut le malheur de le relancer sur l'affaire Nola. Il se prit un vent magistral. Un malheur ne venant jamais seul, Junior avait assisté à la scène dans les vestiaires. Sinon, comment expliquer cette proposition sournoise, comme ils accédaient au parking sous-terrain de la BAT© :
— Si elle t'intéresse, je peux te refiler son numéro de portable.
Regan lui opposa sa méfiance. Feindre l'incompréhension inciterait Junior à l'acculer. Qu'attendait ce type en échange ? Rien n'était gratuit avec cet énergumène. Il maudit le jour où il s'était confié. Le désespoir devait-il vous rendre aussi con ?
— Qu'est-ce que tu veux ? maugréa-t-il sur la défensive.
— Moi ? Rien, dit Junior d'une voix aussi innocente que son vice. Enfin, juste savourer le spectacle. Quelque chose me dit que j'ai des chances de ne pas m'ennuyer.
Regan voulut l'insulter, mais il y avait plus important. Comment Junior connaissait-il le numéro de Nola ? Quoique, rien de surprenant. Elle avait sympathisé avec le cercle social balmerien de Rudy. Lui n'était qu'un paria. Il aurait fallu, dès le départ, qu'il s'entende bien avec son altesse princière Leblanc. Encore et toujours la même rengaine ; comme si la providence le punissait d'avoir été l'instrument de Vince, l'outil servant à endurcir son cousin. Regan ravala sa fierté, prêt à demander les coordonnées de la jeune fille. Mais ce serait un aveu de son béguin.
— Je n'ai jamais dit qu'elle m'intéressait.
— Oh, c'est vrai. Juste qu'elle te détestait alors que tu aimerais bien sortir avec elle, se moqua Junior.
— Ce ne sont pas tes affaires !
Il parlait à voix basse, de crainte d'alerter Rudy et Mir qui discutaient devant eux. Il échoua car Mir se retourna et les étudia, un brin soupçonneux. Junior arbora un sourire canaille. Exaspéré, Mir remua la tête puis s'en retourna à sa conversation avec Rudy. Regan tenta sa chance. Du moins, l'air de ne pas y toucher.
— Cela ne te fait rien de refiler le numéro d'une fille à un garçon qu'elle déteste ? Elle pourrait t'en vouloir.
— Seulement si tu as la stupide idée de lui révéler que tu le tiens de moi, Regulus.
En effet, il serait stupide d'agir ainsi. Or il restait convaincu que Junior le lui taxerait un jour ou l'autre. Il ne voulait pas devenir son débiteur. Rien de pire que d'avoir ce fils illégitime de Torcy Reich-Andriana comme entremetteur. C'était un coup à finir dans Wassup'Mag® !
— Je n'ai aucune chance. Laisse tomber.
Junior se renfrogna, démangé par une furieuse envie de lui foutre une mandale. Il se retint parce que Regan pratiquait du karaté. Le dégonflement de ce dernier l'empêchait d'assister au spectacle. Or il avait déjà payé une place aux premières loges pour l'opéra « L'Amour à Darney ».
Teddy et Inna s'étaient fiancés. Lou-Ahn avait déjà trouvé une cavalière pour le gala, Junior était certain de sa source. Et qui savait si ce couple éphémère survivrait à la soirée bling-bling... Blake ne manquerait pas de propositions, avec elle, c'était – hélas – facile.
Saïd craquait son slip sur le nouveau venu, Blain. En une semaine, il avait oublié le chemin de l'appartement de sa sœur. Voilà qu'il dormait chez son amoureux, débarquait à la fac à son bras, et rentrait avec lui. Au départ, Saïd le dissimulait derrière le covoiturage. Maintenant que Blain avait récupéré sa Volvo, le couple utilisait cette bagnole. Ce geek vampirique de Blain cachait bien son jeu ! À peine arrivé à Darney et le mec avait déjà pécho !
Ils faisaient la paire, niveau look, avec leur style indécis entre l'emo, le néo-cyberpunk et le gothique classe. L'uniforme violine de Blain ne dissimulait pas cette signature. Le jeune homme taciturne assumait une personnalité affirmée. Observateur, Junior avait remarqué qu'ils partageaient parfois leur garde-robe ou leurs accessoires. Leur relation ressemblait à une réaction chimique dans un tube à essai. Immédiate. Le tube la contiendrait-il, ou serait-elle explosive ? Seul Cupidon le savait.
Pour le mois de la Saint Valentin, Junior voulait prêter assistance à cette déité joufflue de l'amour et du chaos. Mir et Timothy avaient déjà été ses victimes, avec Junior en dommage collatéral. En compensation, ce dernier comptait profiter du gala de Darney, marquant la fin des vacances d'hiver, pour voir du monde apparié et savourer le désastre qui s'en ensuivrait.
Dans cette optique, hors de question que Regan se ramène avec cette face de belette de Grâce Felden. Ils se fréquentaient moins ces derniers temps, mais elle était assez gonflée pour l'obliger à être son cavalier. Regan cèderait afin d'avoir la paix. Cette belette profiterait de lui pour traîner dans leur sillage, chose qu'elle brûlait d'envie de faire depuis le retour de Rudy de son kidnapping. Soit par convoitise, par jalousie, et pourquoi pas pour le compte de STIRPS !
La plupart du temps, Junior multipliait l'existence de Grâce par zéro. Mais il n'y parviendrait pas s'il la voyait suspendu toute la soirée au bras de Regan. Et puis, Regan et Nola, plus il y pensait, plus cela ressemblait à l'équation d'une situation cocasse. Une nana fan des gays et un garçon homophobe obligé d'en côtoyer par la force des choses. Le couple parfait ! Regan ne se défilerait pas.
— Elle te fait flipper, au fond. Sinon t'aurais pas autant les chocottes. C'est facile pour toi de soulever une Grâce, de sauter une Daphnée, ou de te taper une Angelica. Ces filles qui courent après le prestige de ton nom écartent volontiers les cuisses à Regan Wyatt Leblanc. Parce qu'elles espèrent coucher avec ton pédigrée. Mais face à une Nola qui n'en a rien à foutre, t'as vite fait de t'enfuir la queue entre les jambes. Parce que t'es pas de taille.
— Et toi tu l'es ? se rebiffa Regan, piqué.
La psychologie de la provoc ; toujours aussi efficace face aux individus prévisibles. Junior remua la tête, condescendant.
— Regulus, tu fais pitié. Elle ne me donne pas envie de sortir avec elle, au point de harceler mon cousin, même quand il est super vénère. Aller, je suis cool, je te refile son numéro.
De toute façon, il ne comptait pas se limiter là. Pour être efficace, il préparerait le terrain du côté de Nola. Sans plus attendre, il envoya au soupirant le numéro de la jeune fille.
— Une dernière chose. Si tu restes l'éternel insipide que je connais, ça ne collera jamais entre vous. Sors-toi le balai du cul. Quitte ton confort, rentre dans son univers à elle. Tu te souviens ? LOVE GIVES UP BEATEN TRACKS. Tiens, invite-la au gala par exemple, suggéra-t-il. Fais-moi rêver, Regulus.
— C'est Regan ! répliqua le concerné, sûrement par réflexe.
Ces conseils le troublaient. Parce qu'ils venaient de Junior, ils étaient forcément à double tranchant. Quitter sa zone de confort, rentrer dans l'univers de Nola Vitrand, se mettre en danger... Typique d'un adepte de sensation fortes. Méfiance, méfiance. Mais l'inviter au gala n'était pas une si mauvaise idée... En plus, elle serait plus à l'aise en présence de Rudy et des autres.
— TJ, fiche-lui la paix ! soupira Rudy, plus loin. T'en as pas marre de toujours lui chercher des noises ? Je parie que Reg' te manquerait s'il venait à disparaître.
Mir se moqua. À en juger leur expression, Junior et Regan ne l'avaient pas vu venir !
*o*o*
TBC ● EPISODE 18
Que manigance (encore) Junior ?!
*MEDIA*
Intro vidéo : Citizen Soldier - My Little Secret. Des lyrics qui décriraient assez bien le bordel dans la tête de Mikael.
I've seen so much I can't unsee
I've learned to suffer silently
Fight a war every day that no one sees
It's torture always remembering
I don't want them to think I'm weak
So I bite my tongue until it bleeds
The weight of this is breaking me
To keep it under lock and key
I cannot close my eyes
I cannot fall asleep
Suffocating in doubt, all night face-down
Drowning in this memory
It has me paralyzed
It's always haunting me
And no believes me 'cause no one can see it
Might kill me to keep it
It's my little secret
Face down as I drown in this memory
My past is taking over me
The more I fight it, it just won't let go
It just won't let go
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